Les chroniques PRO... ou un autre regard sur la bande dessin�e ; celui des auteurs, sc�naristes, dessinateurs, �diteurs... Ceux-ci s'exprimeront �pisodiquement ou r�guli�rement sur leurs lectures r�centes... ou moins r�centes, pour le plaisir de partager leurs impressions avec vous...
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La princesse du sang - T. 2 (La princesse du sang) par Philippe Belhache
Noir, noir et noir. Le tome 2 de cette « Princesse du sang », récit inachevé de Jean-Patrick Manchette, complété et remis en forme par son fils Doug Headline, puis adapté en bande dessinée par Max Cabanes, est à l’unisson de son aîné. Âpre, dense, sombre, véritable plongée en apnée dans les arcanes du crime géopolitique, où le banditisme se pare des oripeaux du patriotisme (ou le contraire), avec de beaux discours couleur sang écrits à la machette. Manipulée par son protecteur, la belle Ivy Pearl, photographe de guerre en rupture de conflit, entre malgré elle en contact avec l’aventurier Maurer et sa protégée Negra. Laquelle pourrait bien être Alba Black, héritière d’une entreprise florissante de vente d’armes censée s’être fait buter quelques années auparavant, à l’instigation de son tonton chéri. Ivy se lie à ce couple sauvage. Et se trouve ainsi catapultée au beau milieu de la foire aux barbouzes. Tonton Aaron ayant retrouvé sa trace demande à ses hommes de finir le travail. Commence alors une course-poursuite qui mène irrésistiblement les protagonistes vers Aaron Black. L’agneau mené au sacrifice ? Voire. Les loups les plus féroces ne sont pas forcément ceux que l’on pense. L’écriture de Manchette, toujours moderne quinze ans après sa mort, et le trait de Cabanes se mêlent intimement pour nous emmener vers un final logiquement tragique, sur fond de magouilles à portée internationale. Implacable.
Après l'homme (S.A.M.) par Philippe Belhache Richard Marazano nous referait-il le « Géant de fer » en version post-apocalyptique ? Le look de « SAM », robot qui donne son titre à la série, et sa fonction dans le récit – du moins celle qui semble de profiler – renvoient sans coup férir à ce petit bijou de l’animation US de la fin des des années 90. Il y a loin, cependant, du long métrage de Brad Bird, mise en scène de la paranoïa antisoviétique des années 50, sur fond de Maccarthysme galopant, à la vision désespérée de ce « SAM », plus ancrée dans l’imaginaire apocalyptique d’un « Terminator » ou de « Matrix ».
Résumé ? L’Humanité semble avoir été rayée de la surface de la terre. Les machines, qui traquent les derniers survivants, semblent en être les responsables. De survivants, il ne semble d’ailleurs subsister que des ilots épars, adolescents regroupés depuis l’enfance en petites communautés. L’un d’entre eux, Yann, tombe sur la carcasse d’un robot géant. Ce dernier, reconnecté, ne le tue pas. Plus intrigant encore, il défend Yann contre des mécaniques arachnoïdes exterminatrices…
Cet événement va bien évidemment dérégler le quotidien de cette communauté cachée vivant dans la peur. Il sert également à Marazano de catalyseur permettant aux divers caractères (et émois adolescents) naissants de s’affirmer au sein d’une tribu pas si unie que cela. Son propos est très bien servi par le graphisme de Shang Xiao, artiste chinois passé par l’animation et le jeu vidéo. Ce graphiste (presque) nouveau venu dans production f
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Est-ce qu'on ment aux gens qu'on aime ? (Ralph Azham) par Philippe Belhache Cela ressemble à du Donjon, cela a le goût du Donjon, mais ce n’est pas du Donjon. Lewis Trondheim se (nous) fait plaisir en revenant en renouant avec la fantasy, plus de deux ans après le dernier épisode paru de sa mythique série à tiroir conçue avec Johan Sfar. Presque dix ans, en tout cas, après le quatrième tome de Donjon Zenith, le dernier dont il ait assuré la partie graphique (les tomes 5 et 6 ont été réalisés par Boulet). L’affaire a fatalement des allures de déjà vu. L'auteur reste en effet, sur le plan graphique, dans le champ de la représentation animalière anthropomorphe, sa marque de fabrique depuis « Lapinot ». Trondheim, qui tient cependant la répétition en horreur – lire pour cela l’excellent « Désœuvré » (L’Association) – remet à zéro le compteur de son imaginaire pour nous fournir un récit inédit sur le fond, à défaut de l’être totalement dans la forme.
Il met ainsi en scène Ralph Azham, un looser à grande gueule comme il les aime, hâbleur comme a pu être un certain canard en son temps. Le jeune homme, qui possède des dons liés aux deux lunes du monde dans lequel il a grandi, aurait pu (dû ?) avoir un destin d’élu. Ce ne fut pas le cas. Il est dès lors devenu le souffre-douleur de tout son village, un ramassis de péquenots à l’esprit étroit dont le principal moteur, en dehors de leurs minables querelles, est la peur d’un envahisseur récurrent. Le terreau est de ceux qui ont fait germer les « Sept samouraïs » (ou mercenaires, à vous de voir). Trondheim a
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L'Apocalypse selon Saint Jacky (Blast) par Philippe Belhache Patatras. Tant d’années à utiliser un mode impersonnel, nous voilà revenu au bon vieux temps du « je ». Ce « je » honni, celui qui personnalise les chroniques, les ramène au rang de « simple » avis personnel. Pourquoi ? Parce que je n’aime pas « Blast ». Ou plutôt, je n’ai pas aimé le premier « Blast ». Soyons honnêtes jusqu’au bout : j’ai trouvé « Grasse carcasse » déroutant et dérangeant. Parce que Larcenet impose avec Mancini un personnage pour lequel il est difficile d’éprouver de l’empathie ; parce que les thèmes développés flirtent avec l’outrance ; sans doute aussi parce que cette évocation des ravages de la différence touche trop profondément à l’intime de ceux qui doivent également, pour toute autre raison, se confronter au regard des autres ; parce qu’au-delà de l’admiration que je peux porter à son œuvre, je me méfie du bonhomme, capable d’alterner portraits sensibles et caricature (police et journalistes s’en sortent généralement assez mal), coups de main et coups de gueule, leçons de vie et diatribes péremptoires.
Impossible pourtant, à la lecture de ce premier livre, qui semble faire la jonction entre le Larcenet sensible et finalement solaire du « Combat ordinaire » et celui, sombre et torturé, de son « Ex Abrupto », de faire abstraction du talent de Manu Larcenet, de son évolution graphique, de sa maîtrise de la narration. Répulsion et admiration. L’historien de l’art - ma formation initiale - doit pouvoir dissocier l’affect et la réflexion, travailler s
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Le serpent d'Hippocrate par Jean-Marc Lernould La ligne éditoriale de Futuropolis permet une belle liberté à des auteurs plus ou moins jeunes, sortes de cartes blanches étonnantes qui ne sont pas si fréquentes dans des maisons qui ont pignon sur rue. Fred Pontarolo n’est pas un auteur né de la dernière pluie (il a son actif « Naciré et les machines » chez Casterman, « Acarus » chez Glénat, « James Dieu » déjà chez Futuropolis) et pourtant il conçoit avec « Le Serpent d’Hippocrate », une oeuvre autant originale par son thème que par son graphisme.
On va passer très vite sur le scénario puisque la moindre révélation gâcherait le plaisir de la lecture. Un médecin de campagne, époux et père de famille, craque pour l’une de ses patientes, mariée à un militaire. Le soldat bourlingue dans diverses missions aux quatre coins du globe, et quand il rentre au pays, elle dit qu’il la frappe, qu’il la viole, et des dessins de sa fillette montrent une vie de famille pour le moins tourmentée. Le médecin craque pour cette femme qui devient sa maîtresse, mais comment l’aider? En tuant le mari?
Il y a des images de cauchemar, des silhouettes épouvantables qui apparaissent ici et là, d’étranges nuages noirs qui ne sont que des visages aimés ou haïs. Hormis les dessins d’enfant, que l’auteur a confié Dorothée Jost (1), on a sous les yeux du gris et du sépia qui n’annoncent pas l’optimisme. Fred Pontarolo y ajoute une façon très particulière d’esquisser des visages très angulaires, comme si la moindre rondeur était évacuée, et quand par
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April 1915 - Ypres (Les Sentinelles) par Jean-Marc Lernould La série était partie sur les chapeaux de roue, et puis le tome 2 m’a déçu, avec des super héros indestructibles chargés de faire basculer à eux seuls la Première guerre mondiale, dans la boue et les charniers des tranchées : cela relevait des comics américains et de leurs procédés scénaristiques, alors que l'on pouvait être plus ambitieux. Et pourtant les auteurs se sont nettement repris avec ce troisième volume.
Il n'y a pourtant pas de grosses surprises, avec une équipe de trois gaillards bioniques côté français, qui font un boulot d’enfer. En face, les Allemands commencent à trouver la parade avec un molosse sans état d’âme aux allures de scaphandrier façon Jules Verne. On se demande d’ailleurs à quoi ressemblerait la BD d’aujourd’hui sans Jules Verne et les produits dérivés du « Seigneur des anneaux ». Reste que ce tome 3 traite de la première utilisation des gaz mortels à Ypres, d’où le terme d’Ypérite. Un gaz foudroyant, une « innovation » tellement inattendue que l’on a recommandé dans un premier temps aux soldats de se couvrir le visage d’un chiffon imbibé d’urine, tandis que les premiers revers de vent retournait aux envoyeurs leurs miasmes mortels.
Le volume trois tient bien la route, alors que l’on aurait pu se passer des multiples appels de notes, traductions de l’allemand inscrit dans les bulles. Enrique Breccia fait encore des merveilles au dessin dans ce contexte affreux de 1915, avec une capacité de représenter l’horreur quotidienne de l’époque. Rappelo
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Les coqs (Double Masque) par Jean-Marc Lernould Le tome 4 date de 2008, donc le suivant, qui se trouve dans les bacs depuis le début du mois, commençait à se faire attendre, mais il est vrai que Jean Dufaux a toujours quatre fers aux feux, et que Martin Jamar peaufine son dessin. Les auteurs ont pris le temps, et cela se ressent dans le bon sens du terme.
Depuis le début de la série, qui se concentre sur la montée en puissance de Napoléon 1er, on a affaire à une dualité : le futur empereur, un visage de la gloire à son apogée, mais d’un autre côte un double, la Fourmi, roi de la racaille dont le règne sur les bas fonds de Paris est sans égal. Tous deux ont reçu dans leur adolescence une étonnante visite, celle d’une femme voilée qui leur a remis un masque blanc, sans conséquence semble-t-il, mais qui au fil des ans incarne le destin de ses deux personnalités.
Dans ce tome 5, Bonaparte tente de s’imposer comme Napoléon, l’empereur,et la mise en scène de son sacre, la préparation de la cérémonies avec toutes les préséances qu’elle impose (ne serait-ce que la bénédiction du pape) est déjà une usine à gaz. On y rajoute les fourberies de Fouché et d’autres agents secrets qui oeuvrent dans l’ombre, sans compter un parti chouan et royaliste prêt à occire le Corse, des amours croisés, et l’ombre et lumière qui sont enfin face à face.
Tout compte fait, cela fait des belles entorses à l’histoire mais avec d’excellents rebondissements et une série qui palpite. Et Martin Jamar? Le dessinateur effectue un boulot impeccable qui
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Le désir et la violence (La route Jessica) par Jean-Marc Lernould Les intégrales de « Jessica Blandy » ressortent au fur et à mesure, et on en a pour quelques années à recapitaliser cette aventure dans notre bibliothèque, puisqu’il y a la bagatelle de 24 albums, entre le fondateur « Souviens toi d’Enola Gay » et « Les Gardiens ». Une belle série, qui est aussi rescuscitée par « La Route Jessica », une extension de cette belle vingtaine d’albums, mais une vraie suite qui se dirige vers un réel aboutissement. On appelle cela pompeusement des spin-off, ce qui est un terme plus logique pour la série « XIII », qui place des personnages clef sous d’autres perspectives. Pour « Jessica », il s’agit d’une route de longue haleine, qui s'achève avec ce troisième volume.
Jessica est une blonde adorable et capable de vous casser en deux puisqu’elle a été formée pour ça. Pour autant, elle ne décanille pas ceux qui se mettent en travers de son chemin, et au cours de ses aventures la belle Américaine a rencontré davantage d’amis de qu’ennemis. Sauf qu’un seul ennemi qui voudra vous ruiner la santé va s’attacher à éliminer tous vos proches. Il y a toujours à la poursuite de Jessica un tueur à gages et sa fille, et la morveuse est aussi impitoyable que le papa, plus une infirmière à la seringue mortelle. La blonde et son fil se sont réfugiés dans une communauté religieuse proche des Amish, mais leur présence sème le trouble tandis que leurs poursuivants font une moisson de cadavres. Une trame qui rappelle le film « Witness », avec Harrison Ford, avec dava
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Voyage aux îles de la Désolation par Jean-Marc Lernould Carnet de bord, carnet de voyage, carnet de rêve d’enfants d’un Emmanuel Lepage qui a grandi avec des noms géographiques à tomber par terre : les Kerguelen, Amsterdam, Crozet, l’île aux Cochons et celle de la Possession. Des îlots aussi, confettis perdu dans l’hémisphère sud, parfois habité par des semblants de base scientifiques, toujours battus par les vents, d’un froid polaire puisque l’Antarctique n’est pas si loin. Des endroits où a priori on n’irait pas passer ses vacances, mais quand on a lui proposé l'opportunité de ce voyage, il a suffit d’une demi-heure à Emmanuel Lepage pour faire ses valises et larguer les amarres, profitant du Marion Dufresne, un navire en partance pour une mission scientifique.
Ce bateau sera l’un des personnages principaux du récit, ne serait-ce parce qu’il a navigué plus d’une fois dans ces eaux inhospitalières, et parce que sa silhouette accroche l’œil sur le carnet de croquis de l’auteur. Un auteur qui doit d’abord se familiariser avec l’équipe du bord, des hommes et des femmes plus ou moins expérimentés, avec même des touristes. Des hommes, Lepage en verra d’autres une fois sur place, des communautés soudées par des mois passés loin de tout, parfois à cran lorsque les fruits et légumes frais que l'on espérait depuis des moins sont bons à jeter à la mer, des communautés dont le dessinateur, fin observateur sait bien qu’on ne les rejoint pas en claquant dans les doigts. D’où son sentiment de frustration, de ne pouvoir partager plus de tem
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Hyde par Jean-Marc Lernould Hyde est un village d’Écosse, au dix-neuvième siècle, à un jet de pierre du Loch Ness. Petite bourgade dans laquelle va se retrouver durant plusieurs semaines un jeune voyageur qui vient de faire les frais d’une agression, et dont la mémoire est complètement à l’ouest. Tout juste se rappelle-t-il que le métier de journaliste est dans sa capacité. Hyde, c’est aussi le nom dont les habitants vont affubler l‘amnésique, faute de mieux, mais malgré l’accueil d’un trio truculent aux tronches patibulaires (d'anciens pirates semble-t-il), cela va aller de mal en pis, avec une hécatombe parmi les civils de l'endroit, avc deux journaux appartenant à deux clan rivaux et qui vont prendre Hyde en étau, lui qui ne demande qu’à épouser la fille de l’un de ces notables mais que l’on va vite remettre à sa place. Et en plus d’avoir le cul entre deux chaises, notre amnésique est toujours dans les parages lorsqu’un crime est commis, et sa situation au sein du village devient carrément invivable.
L’album est franchement déconcertant puisqu’il nous balade longtemps avant d’avoir un début de réponse, mais c’est plutôt là le signe d’un bon scénario. Il faut accepter le cheminement d’Heurteau, très sinueux, qui justement n’élucide pas tout. Par contre les trois ou quatre dernières pages retombent dans des chemins maintes fois empruntés, et le recours à un fameux éventreur qui sévirait à White Chapel arrive comme un cheveu sur la soupe dans cet album qui méritait une meilleure fin.
Les autres gens par Philippe Belhache L’ouvrage était particulièrement attendu, porté par le succès critique de la bédénovella créée sur internet par Thomas Cadène. « Les autres gens » sont nés et vivent sur la toile depuis maintenant plus d’un an. Un blog BD parmi d’autres ? Que nenni. L’entreprise s’est distinguée d’emblée de ses aînées du web. Par sa conception, son ambition, sa mise en œuvre. Thomas Cadène a fait sien le principe des feuilletons populaire télévisuels pour proposer à ses lecteurs un rendez-vous quotidien – 36 cases en moyenne – dont il a assumé quelque 90 % de l’écriture.
Le pitch ? Une étudiante croise un riche héritier qui lui demande trois numéros pour compléter sa grille de loto. Les chiffres sortent, ils se partagent une véritable fortune. L’événement bouleverse bien entendu leur vie, ainsi que celle de leurs proches, provoquant les événements, les précipitant, les exacerbant… Ce récit au long cours n'est pas l'œuvre d'un seul homme. Il est illustré par une pléiade de talents issus de mouvances très diverses. Le résultat, nous avons déjà eu l’occasion de la dire, est étonnamment dynamique, la variété des approches graphiques participant à l’intérêt de l’expérience.
Restait à savoir si le titre allait passer le cap d’une édition papier. Au contraire d'autres expériences du même type (citons l'excellent « Freak Angels » de Warren Ellis et Paul Duffield, traduit au Lombard), « Les autres Gens » a été formaté pour le seul web. Thomas Cadène s’est assuré que la mise en page respecterait
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Polina
par Philippe Belhache
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