« On tend à considérer le destin comme un engrenage sensible dont la moindre faille pourrait changer le cours. Or, celui de Trotsky était scellé sous vide. […] Rien ne peut arrêter une métastase qui élimine les ennemis et sacrifie les amis. Il n’y avait pas de place pour le hasard. » Ces mots sont de Gani Jakupi, qui à la fin de son magnifique album décortique son enquête autour de l’assassinat du paria soviétique. Assassinat et non pas meurtre, car tout était prémédité de longue date, non que Trotsky représentait après sa disgrâce une réelle menace, mais parce ce que son élimination spectaculaire signifiait au monde entier la capacité de nuisance de l’encore jeune URSS. Une nation dont le bras armé, le NKVD, frappait alors n’importe où et éliminait la moindre dissidence.
Mais au-delà de l’intrigue et du propos -la préparation de l’assassinat de Trotsky- Gani Jakupi décrit les arts et les mœurs des années trente avec une finesse et une sensualité incroyables. L’utilisation des couleurs est l’un des atouts de l’auteur et démontre un bagage pictural indéniable, de même qu’apparaissent des images sans rapport apparent avec le récit, mais qui matérialisent le Paris ou le Mexique de l’époque. Il n’y a pas une virgule de texte, pas un trait de crayon qui ne soient mûrement réfléchis et pesés dans ce livre admirable : « Il n’y avait pas de place pour le hasard » …
Enfin et surtout, retirez de la couverture l’autocollant racoleur « Quand Staline inventait l’amour assassin » : il gâche un sublime dessin.
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