Chaque semaine, de nouvelles BD paraissent, beaucoup (trop?), poussant un peu plus les oeuvres précédentes vers le pilon. Les albums ont quoi ? Une semaine ou deux pour se défendre à l'étal des libraires ? Et après ce court délai, hop, autre chose, encore, du neuf, du tendance, du frais ! De l'actuel. Folle vitesse. Flux tendu. Je n'ai déjà pas le temps de lire tout ce qui sort et voilà qu'en plus, je m'intéresse au "déjà paru", à l'obsolète. Retour en arrière sur une "vieillerie", donc. Cet album est paru en octobre 2004 mais c'est une des plus jolies choses qui me soient passées entre les mains ces temps-ci. Je ne connais pas l'auteur. Mais maîtriser à ce point à la fois le dessin (beaux encrages, sombres, sobres, très humains) et le scénario, chapeau ! Chapeau rond, serais-je tentée d'ajouter, avec cette histoire qui se situe en Bretagne au début du XXe siècle. Un récit superbe, humaniste, qui sait prendre son temps sans pour autant sombrer dans l'ennuyeux : les difficultés d'un ingénieur "venu de Paris" à construire un phare dans un petit port armoricain. Une fable sur l'entêtement et la création. Pour poser un phare sur la mer, il faut sacrifier son temps, découvrir de nouveaux horizons, désespérer cent fois, s'ouvrir à l'autre, prendre des risques (à mille lieues de notre époque de "flux tendu" et de surconsommation, justement). Les personnages ne sont jamais caricaturaux et certaines subtilités de "l'esprit breton" sont saisies avec justesse. La recréation historique est sobre mais crédible. Les couleurs sont sans sophistication mais réussies. Et, diantre, il m'est rarement arrivée de lire des cartouches aussi bien écrits (les bons scénaristes ne sont pas toujours, hélas, de bons écrivains). Seul bémol, une fin un peu "sabrée", conclue en deux cases et en décalage avec tout ce qui précède. Un peu dommage. J'attends donc d'ores et déjà le prochain "phare" de Le Flo'ch. Qu'il prenne son temps, surtout, pour le réussir. Et ken avo !