Cet ouvrage retrace une page de l'histoire du Canada peu connue du lecteur français : la révolte d'une colonie francophone contre le pouvoir central anglophone, à la fin du XIX° siècle. Menée par Louis Riel, choisi comme porte-parole en tant que rare représentant des francophones à parler Anglais, cette rébellion, d'abord pacifique, tournera rapidement, à la suite d'un mauvais concours de circonstances, à l'affrontement armé. Ce livre est intéressant par la rigueur de la recherche historique qu'il a nécessitée, et par la volonté de l'auteur d'éviter tout manichéisme. Il montre comment des hommes qui veulent au départ simplement faire respecter leur dignité se retrouvent pris dans un conflit qu'ils ne maitrisent plus, alimenté par les ambitions politiques des uns, et les intérêts financiers des autres. Il relate les faits de façon la plus neutre possible, mais sans occulter le contexte souvent raciste : la plupart des "Français" sont des métis d'Indiens, considérés par les "Anglais" comme des sauvages. A cet antagonisme ethnique et linguistique s'ajoute la différence de religion (les francophones sont catholiques, les anglophones protestants). Louis Riel est donc une oeuvre rigoureuse sur le fond, mais aussi de par sa forme : on serait même tenté de parler d'austérité. Outre le noir et blanc (qui n'empêche pas les grandes épopées, Pratt, pour ne citer que lui, l'a bien démontré), et un graphisme relativement dépouillé, Chester Brown utilise un "gaufrier" de six cases par page, dans lesquelles il se rapproche très rarement de ses personnages : on ne trouve quasiment pas de gros plans, Brown utilisant une majorité de plans larges ou de plans américains. Cet éloignement de la "caméra" empèche, à mon sens, les personnages de prendre vie : ils restent des archétypes. Même Louis Riel lui-même reste largement un inconnu. On assiste à une crise mystique qui le conduit à l'asile, mais le livre refermé, cet homme reste largement un inconnu. Il s'agit en fait d'un part-pris de l'auteur : Brown justifie ce parti-pris dans son avant-propos, en exprimant sa volonté de centrer son récit sur l'antagonisme entre Riel et le gouvernement canadien sans faire une biographie (pour laquelle il nous renvoie vers d'autres ouvrages). Ces limites volontaires qui ne sont pas sans rappeler le "dogme" cher à Lars Von Trier, m'empèchent pas certains auteurs de donner une puissance à leur récit par la richesse de la mise en scène ou les émotions : je pense en particulier à Jason. Ici rien de tel : Chester Brown fait un ouvrage d'histoire, dans lequel l'émotion apparait peu. Point amusant, l'auteur a préféré remplacer les injures racistes par des "XXXXX", plus politiquement corrects (ce qui ne l'empèche pas de monter un homme fusillé à qui on donne le coup de grace). Je le répète, ce livre est suffisamment riche pour rendre sa lecture intéressante. Une aridité quasi monacale en rend toutefois l'accès assez difficile. J'ai également déploré, étant donné que l'ouvrage a une vocation documentaire, le manque d'informations sur ce qu'est devenue la communauté en question, point d'autant plus important que les tensions entre francophones et anglophones sont encore d'actualité.