No Limits par Thierry Bellefroid
« No limits » par derib, dans la collection Signé des éditions du Lombard.
Bon, c'est vrai, « No limits » est très premier degré, très attendu, cousu de fil blanc. Mais passé ce constat évident, l'album n'est pas dépourvu de qualités, loin de là. A commencer par celles de son auteur, qui débordent des cases. Derib n'est pas à son coup d'essai en matière de BD « éducative ». Il signe ici la plus évidente d'entre elles. Qu'est-ce qui peut toucher plus de jeunes, en effet, que la simple crise d'adolescence décuplée par un divorce parental ? Plus que la drogue, plus que la prostitution ou le SIDA, il s'agit d'un thème universel qui concerne tous les ados. Reste à savoir s'ils se laisseront prendre par la main et conduire comme de gentils agneaux vers un happy end inéluctable... Rien n'est moins sûr. Car derrière les motivations tout à fait louables du projet demeurent certaines interrogations. Comment les jeunes élèves mis en présence de cette histoire par leur professeur de morale ou de français vont-ils prendre la chose ? Comment « l'obligation » de lecture jouera-t-elle en défaveur du propos ? Difficile d'y répondre. En Suisse, en tout cas, plusieurs « sponsors privés» ont rejoint les pouvoirs publics et ont déjà acheté des centaines d'exemplaires pour les offrir aux écoles. Leurs fonds s'ajouteront à ceux de la « Fondation pour la Vie » créée lors du projet « Jo », cette BD sur le SIDA dessinée au début des années 90 par Derib et que l'auteur voulait largement diffuser parmi les jeunes. Le principe, cette fois, est plus compliqué. « No limits » existera en deux versions. La version commerciale, disponible en librairie, servira de bailleur de fonds pour le projet. Les droits d'auteur seront intégralement reversés à la Fondation qui pourra, avec cet argent, imprimer l'autre version, la version éducative. Moins onéreuse et surtout agrémentée d'un dossier spécifique, cette BD-là devrait inonder les écoles suisses, françaises et belges, où elle sera proposée gratuitement.
Au-delà de l'aspect purement pédagogique du projet, la BD -la vraie, serait-on tenté de dire- se vendra donc en librairie ; elle figure dans la collection « Signé » d'une maison d'éditions très « morale », souvent décrite comme historiquement catholique. Mais elle figure aussi au milieu d'un catalogue qui reprend désormais l'ensemble de l'oeuvre de Derib. L'un ne va pas sans l'autre. Derib se sent bien au Lombard parce que le Lombard apprécie Derib, son engagement et son talent. Il faut donc voir ce nouveau livre « engagé » comme le résultat à la fois d'une volonté personnelle de l'auteur (qui s'affirme de plus en plus au fil des ans) et d'une complicité avec un éditeur qui sait pourtant que « No limits » n'atteindra sans doute pas des chiffres de vente proches de ceux d'un « Alpha », par exemple. Fort du succès de ses dernières séries, le Lombard peut se permettre de jouer les mécènes et on ne peut que l'en féliciter. Espérons simplement que le lecteur fera la différence entre cet album et d'autres titres de la série comme le récent « Liens de sang » de Hermann...
Quant à l'histoire, elle est aussi simple que révélatrice du malaise que peuvent ressentir les jeunes d'aujourd'hui. En choisissant un trio d'ados (la soeur aînée et ses deux frangins) très « dans l'air du temps » (beau talent d'observation de Derib en matière de look des personnages, entre autres) l'auteur peut espérer toucher plusieurs couches d'âge et les deux sexes, en dépit du côté très masculin de l'album. Le récit est bien découpé, bien mené. Même si, comme je l'écrivais plus haut, il ménage peu de surprises. Et surtout, il y a le trait de Derib, vif, aéré, que l'on connaît et que l'on apprécie depuis plus de 35 ans.