Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La boîte noire par Thierry Bellefroid
« La boîte noire » de Ferrandez et Benacquista. Chez Futuropolis/Gallimard.

Après un très beau duo chez Casterman (L'outremangeur), on espérait au moins aussi bien. C'est raté. « La boîte noire » aurait dû rester cette nouvelle de Benacquista publiée dans le recueil « Tout à l'ego ». Inadaptable en BD, l'histoire de cet accidenté de la route dont la mémoire se débloque le temps d'une nuit, lui donnant la clé de son existence, est une aventure intérieure et comme telle, est tout sauf imagée. Résultat, la BD n'apporte rien, si ce n'est de plaquer des images redondantes sur un texte qui n'en avait nul besoin pour vivre. Les trois quarts des cases montrent Laurent Aubier, 35 ans, réparateur de photocopieuses et présentement héros de l'histoire, en train de déambuler d'un endroit à l'autre pour recoudre le patchwork de son existence. Qui plus est, le dessin de Jacques Ferrandez paraît bâclé. Il suffit de rouvrir « L'outremangeur » pour s'en convaincre. La différence est flagrante. Elle l'est encore davantage si vous relisez les derniers Carnets d'Orient. Tout ceci manque de finesse, de vision, de finition. Le dessin de cette « Boîte noire » paraît aussi brouillon que les pensées de son héros et ce n'est pas peu dire ! Bref, un objet dispensable, qui prouve qu'on ne peut pas sortir deux BD par an et faire deux cartons, uniquement parce qu'elles sont écrites par des romanciers. C'est pourtant l'impression qu'on a en voyant que Gallimard s'offre cette « Boîte noire » après un Tardi-Pennac (La débauche) qui a beaucoup fait parler de lui en janvier dernier. Comme si cet éditeur voulait s'approprier les duos « dessinateur-romancier » sans autre vision que d'aligner les noms disponibles dans sa bibliothèque. Un vrai directeur éditorial de BD n'aurait sans doute pas publié cet album tel quel... Dommage, parce que l'histoire est loin d'être mauvaise.
Auschwitz par Thierry Bellefroid
« Auschwitz » de Pascal Croci. Un album du label « Atmosphères » des éditions du Masque.

Publié à peu près au même moment que « Déogratias » (par Stassen, chez Aire Libre, Dupuis, voir critique par ailleurs), cet album sur Auschwitz frappe par son côté brut, presque documentaire. D'un côté, Stassen propose de mieux comprendre le génocide rwandais en créant un vrai récit de fiction, avec des enfants pour principaux protagonistes. Son but est de permettre au lecteur une certaine identification qui va entraîner un intérêt pour l'Histoire. De l'autre, la démarche de Pascal Croci est de combattre l'oubli avec un album dur, entièrement basé sur des témoignages réels, très peu « fictionnalisé », si l'on me permet ce néologisme. En dépit du temps et de l'énergie qu'il y a consacré, force est de constater que le résultat est moins probant. « Auscwhitz » reste un livre d'école, une BD pour professeurs de morale. Cela n'enlève rien à son talent graphique. Car Croci dessine remarquablement bien et donne à travers son noir et blanc une vision parfois plus effrayante que ne l'eût fait la couleur. Les décors rigoureusement reproduits, le souci du détail, le travail sur les gris : tout cela est remarquable. Mais on aime moins les regards exagérément agrandis pour insister sur l'horreur des camps, les phylactères aux formes tourmentées qui rappellent un peu les BD d'épouvante et surtout, ces personnages sans véritable histoire personnelle auxquels on ne peut que difficilement s'attacher. Outre le fait qu'il est difficile de croire que c'est à la fin de leur vie qu'un couple de rescapés se racontent mutuellement l'horreur des camps et la façon dont leur fille y a laissé la vie, le fait d'avoir placé ce récit en flash-back dans une guerre en ex-yougoslavie dont l'auteur n'exploite finalement que le nom paraît inutile. Bien sûr, l'idée est de dire que rien n'est fini et que l'Histoire peut se répéter. Mais à force de collectionner les bonnes intentions, on sabote son propre discours. C'est une peu ce qui apparaît à la lecture de cet album. Pascal Croci semble s'être laissé enfermer dans les souvenirs de ses témoins, comme s'il n'avait plus eu le droit de faire une vraie fiction. Cela manque d'humanité. Le regard est froid, clinique, extérieur. On est loin de films qui ont ému comme « La liste de Schindler » ou, dans un registre plus discuté mais pas moins efficace, « La vie est belle ». Bref, si j'ai frissonné plus d'une fois en lisant cet album (certaines scènes sont vraiment très fortes. Notamment, les pages 45-55 qui constituent véritablement le pivot et le coeur de ce récit, lorsque le héros, Kazik, doit entrer dans la chambre à gaz encore fumante pour en enlever les corps), je suis resté sur un malaise. L'impression que vouloir faire une fiction réaliste a finalement moins d'impact sur le lecteur que le « Maus » de Spiegelman, avec ses souris et ses chats dans la situation des Juifs et des Allemands. Mais cet avis peut-être un peu sévère ne doit pas masquer le fait que « Auscwhitz » est une oeuvre utile (s'il l'est ne fût-ce que dans les classes d'école, c'est déjà gagné, non ?) et courageuse. Croci s'est manifestement très bien documenté et beaucoup investi, ce qui est d'autant plus remarquable qu'il n'est pas Juif lui-même ; il a simplement voulu témoigner d'une réalité de son siècle. La lecture de l'album ne laissera pas indifférent. J'ai simplement peur que l'option retenue n'éloigne une partie du public et notamment la cible principale : les plus jeunes.
L'usine électrique par Thierry Bellefroid
« L'usine électrique » de Vincent Vanoli. A L'Association.

L'usine électrique est sans doute l'un des meilleurs ouvrages de Vincent Vanoli, si pas le meilleur. D'abord pour le ton qui y est développé. Intimiste et mystérieux, industriel et poétique, social et fantastique. Les contraires s'attirent, dit-on. Ils le font ici très naturellement et composent une toile narrative étonnante, en marge de ce que la BD traditionnelle nous propose. Vanoli est aussi au sommet de son art graphique et profite d'un huis-clos dans les paysages enneigés des Vosges pour nous prouver sa maîtrise des gris et des compositions. Tant dans l'usine (où l'on repense à certains dessins de Christophe Blain dans « Le réducteur de vitesse ») qu'à l'extérieur, son style s'affiche avec beaucoup d'aisance et de grâce. « L'usine électrique » réserve en effet quelques cases magnifiques et un dessin que l'on peut véritablement qualifier d'esthétique. Dommage, d'ailleurs, que la couverture soit si pauvre, alors que l'album recèle, lui, quelques très beaux tableaux qui eussent pu donner du souffle à l'album en paraissant en couverture à la place de ce personnage attablé un rien tristounet. Mais ne boudons pas notre plaisir. J'ai dévoré cet album sans m'ennuyer une seconde, tant le ton du début (pas un seul phylactère pendant les 22 premières pages ! Seulement une alternance de voix-off et de dessins muets...) m'a enthousiasmé d'emblée. Et comme la suite était tout-à-fait inattendue, le plaisir n'a fait que croître.
Secret Défense (XIII) par Thierry Bellefroid
« Secret Defense », le tome 14 de la série XIII. Par vance et Van Hamme. Chez Dargaud.

La couverture annonce le programme. Il y aura des femmes et des flammes dans ce nouvel épisode. Elle révèle surtout que William Vance est tombé dans le pot de couleur orange. En ouvrant et feuilletant l'album, vous verrez que sa coloriste, Petra, a elle aussi un faible pour le rouge et le roux qui tranchent dangereusement sur des tons de base assez ternes. Mais ne résumons pas cette nouvelle aventure aux qualités et défauts de sa mise en couleur. L'histoire ? Attendue, dans tous les sens du terme. Car il est évident qu'après trois ans sans nouveauté (en dehors du treizième album, hors collection, « The XIII Mystery, l'enquête »), l'attente du public est forte, très forte. Dargaud fait tout ce qu'il faut pour l'attiser, d'ailleurs, puisque XIII fait l'objet d'une campagne de promotion phénoménale avec pour ambition de vendre 500.000 albums de cette nouveauté (soit 150.000 de plus que « Le Jugement », paru en septembre 97 !)
Attendu, ce XIII l'est aussi au plan du scénario. Le retour d'Irvina Svetlanova, les nouvelles cartes venant brouiller les pistes sur l'identité de XIII, la course-poursuite qui occupe la moitié de l'histoire (et qui se prolongera dans la suivante)... Rien que de très classique. Et rien de très passionnant, même si en bon lecteur de la série, je me suis laissé guider jusqu'à la dernière page sans trop résister. Mon seul étonnement aura été de découvrir un clin d'oeil à Bruno Brazil (de Greg et Vance, pour rappel) en tombant sur un sosie plus vrai que nature de Gaucho Morales (même les célèbres « tamale ! » sortent de sa bouche comme si c'était lui). Pour le reste, je me demande toujours jusqu'où pourra aller Jean Van Hamme avant de lasser ses lecteurs. Il est vrai que le succès croissant de la série ne peut pas déboucher sur son arrêt à plus ou moins court terme (quel éditeur et quels auteurs seraient assez fous pour s'arrêter en si bon chemin ?). Mais il est tout aussi vrai que si XIII n'avait pas dépassé les huit premiers épisodes, je ne serais pas en train de le critiquer aujourd'hui. De géniale, la série s'est transformée en... commerciale. Et même si les chiffres de vente viennent rappeler au journaliste que je suis que son avis est bien peu de chose face au succès public, je ne peux m'empêcher de regretter une inévitable baisse de régime depuis plusieurs années. Remettons quand même les pendules à l'heure : Jean Van Hamme est incontestablement un des grands scénaristes du moment. A eux seuls, le nouveau XIII et le nouveau Largo Winch dépasseront le million d'exemplaires à l'impression ! Ça force le respect... et ça vient rappeler, comme une évidence trop vite oubliée, que c'est aussi grâce à Jean Van Hamme que Dupuis peut publier des albums moins « rentables » comme ceux de la collection Aire Libre, ou Dargaud, ceux de la collection Poisson Pilote.
Pleine Lune par Thierry Bellefroid
Je viens de lire... « Pleine lune » par Chabouté. Chez vents d'Ouest.

« Zoé », le précédent opus de Christophe Chabouté, louchait trop vers le « maître » Comès pour qu'on puisse lui reconnaître de réelles qualités. Pourtant, il n'en manquait pas, comme l'avait déjà prouvé le précédent essai, « Quelques jours d'été », une petit album paru chez Pierre Paquet qui avait obtenu l'Alph'Art Coup de Cœur à Angoulême.
Et voici que paraît enfin l'ouvrage de maturité, la BD dans laquelle Chabouté laisse éclater son talent, libère son dessin, se dégage des influences et des héritages. Derrière une superbe couverture (sans doute une des plus réussies de l'année !), 120 pages en noir et blanc entre farce sociale et thriller haletant. On entre dans cet album sans aucune difficulté, car la scène du début est parfaite de vérité : un petit fonctionnaire coincé joue de son modeste pouvoir derrière son guichet. Discours raciste et réac, physique de beauf, Chabouté a tapé juste. Son « héros » est détestable, dès la première minute... et jusqu'à la dernière. C'est sans doute ce qui est le plus inattendu. Malgré toutes les horreurs qui lui tombent sur le coin de la gueule, Edouard Tolweck ne change pas d'un iota et reste le même con de la première à la dernière page. Pleutre, primaire, misanthrope, égoïste. Et jusqu'à la fin, on est totalement incapable d'éprouver quelque sympathie pour le personnage. Chabouté a totalement réussi son pari : faire un livre à la fois drôle, noir et « moral ». Cette BD parle peut-être mieux du racisme et de l'extrême-droite que des ouvrages plus politiques. Elle fait rire, mais jaune. Et puis, même si la descente aux enfers menée tambour battant paraît parfois accumuler trop de coups du sort, on se laisse faire avec un bonheur certain. D'abord parce que le rythme est remarquable. Ensuite parce que le dessin est extraordinaire. Il y a notamment quelques visions magistrales (je pense au clown et à l'éléphant, bien sûr). Enfin, il y a la fin, inattendue et magnifique, qui justifie tout. Un très grand album qui mérite bien de figurer dans la collection « Intégra » de Laurent Galmot, où l'on trouve aussi Ibicus, une collection qui réalise un véritable sans faute.
« Les spectres du Caire », tome 1 de la série Ada Enigma, par Dutreuil et Maingoval. Dans la collection « Carrément BD » de Glénat.

Voici enfin le deuxième album de cette collection au format carré. Après un troublant « Immondys », on était curieux de savoir ce que nous réservait ce nouveau concept. « Ada Enigma » vient nous prouver l'intérêt du format. Regardez le découpage de cet album, observez bien l'agencement des cases, vous verrez qu'il n'aurait pas été le même dans un format traditionnel. En cela, Paul Herman justifie pleinement la création de sa collection. Le plus curieux, sans doute, étant que c'est justement grâce au format carré que les auteurs jouent régulièrement sur de longues bandes plates un peu à la façon du 16/9 ou du cinémascope. En effet, les cases exploitées dans toute la largeur du format mais de faible hauteur sont les plus intéressantes de l'album (en plus des pleines pages, évidemment). Pour le reste, le dessin est superbe, ainsi que les couleurs, même si l'on reprochera (surtout dans les premières pages) un climat exagérément sombre. Vincent Dutreuil (dont c'est le premier vrai album de BD) a du talent et un sens du découpage. On lui pardonne volontiers quelques maladresses dans les proportions des visages. On aimerait en revanche qu'il évite d'entourer ses personnages de lignes blanches ou de traits d'encrage très prononcés qui en font des silhouettes en relief sur un décor de carton, ce qui accentue inutilement l'effet 2D de la BD. Pour ce qui est de l'histoire, il y a beaucoup de bon... et une grande frustration. La fin de l'album n'apporte pas les réponses que le lecteur espère. Mais il y a une héroïne attachante et intéressante, un décor bien exploité et un contexte historique qui ne l'est pas moins. Les personnages centraux et secondaires directs sont bien campés, le mystère plane d'un bout à l'autre, bref, tout ça fonctionne plutôt bien. On attend un deuxième tome aussi bon, avec des réponses en plus !
Petit Trent (Trent) par Thierry Bellefroid
« Petit Trent », tome 8 de la série Trent, par Rodolphe & Léo. Chez Dargaud.

Incontestablement, le fait d'avoir introduit un enfant au coeur de ce huitième tome a changé quelque chose à l'esprit de la série. Cet album est de loin le plus sensible, le plus humain de tous. Le personnage de Jeremy est très crédible, non seulement parce qu'il s'exprime comme un gosse, mais aussi parce qu'il réagit comme tel. A cet égard, la fin relativement inattendue est exemplaire, car elle donne à la fois du sens et de l'épaisseur à cet épisode. Rodolphe ne nous a pas habitués à jouer ainsi sur le velours, même si l'on sait depuis longtemps qu'il est l'un des scénaristes les plus portés sur l'aspect psychologique de ses personnages (ceux qui voudraient s'en convaincre liront « Le Blaireau », « Dock 21 » ou « Cliff Burton »). Ciselé tout en finesse, donc, ce scénario permet d'affiner le côté humain de Trent. C'est très réussi. Le policier n'en est que plus attachant. Belle idée également, celle de la lettre rendue invisible par un séjour dans l'eau, lettre par laquelle sa compagne semble avoir annoncé à Trent la venue d'un enfant. Basée sur le fantasme de paternité que nourrit la lettre d'Agnès, se construit une relation entre le policier et Jeremy, l'enfant dont il assure la sécurité. C'est le véritable objet de l'album. Bref, histoire après histoire, Rodolphe conçoit un monde et des personnages à taille humaine, ce qui ne peut que convenir à Léo qui a construit toute son oeuvre solo sur ce principe. Leur association se justifie pleinement, même si l'on préférerait voir Léo s'occuper exclusivement de « Bételgeuse » et, par conséquent, satisfaire plus rapidement nos envies de suite.
« Pourquoi toujours moi ? », tome trois de la série Doggyguard, par De Groot et Rodrigue. Au Lombard.

On reconnaît les séries de Bob De Groot à cent mètres, même lorsqu'il change de dessinateur. C'est le cas avec ce Doggyguard. Le premier album jouait déjà comme celui-ci sur les mêmes recettes que Léonard ou Robin Dubois. Avec cet humour gros comme une maison, où les balles font des trous inoffensifs et les chutes de 100 mètres ne débouchent jamais que sur de gros plâtres. Rien à dire, De Groot a regardé tous les Tex Avery. On retrouve dans son comique la même mécanique transformant la violence en dérision, proposant des héros indestructibles à qui l'on peut faire subir chausse-trappe sur chausse-trappe. Mais là où la vitalité du dessin animé peut faire oublier une certaine lourdeur et une certaine systématisation, la BD trouve vite ses limites. C'est le cas ici. Au point qu'on en vient parfois à avoir l'impression que De Groot se caricature lui-même. Gag après gag, ce sont les mêmes recettes, les mêmes mimiques, les mêmes trouvailles visuelles qui sont recyclées jusqu'à plus soif. A force, on finit par décrocher, d'autant que la bêtise affligeante des deux personnages centraux n'arrange rien. A tout prendre, mieux vaut relire un vieux Léonard...
Le fils de l'autre (Bitume) par Thierry Bellefroid
« Le fils de l'autre », tome 5 de la série Bitume, par Michel Constant et Michel Vandam. Chez Casterman.

On ne peut pas dire que cet album soit un modèle de délicatesse. Les deux auteurs foncent à travers tout vers leur dénouement en forme de fin inéluctable. Les intentions sont louables. Avec cette nouvelle histoire, les deux Michel ont voulu s'attaquer à la violence familiale et construire autour de ce thème une sorte de polar psychologique vengeur. Seulement, en la matière, il y a embouteillage, tant en littérature qu'au cinéma. Et pour inventer un profil de psychopathe valable et accrocheur, il ne suffit plus aujourd'hui de l'avoir fait s'interposer entre un père infidèle aux moeurs violentes et une mère éplorée. D'autant que les cartes sont dévoilées sans mystère, juste après le début de l'histoire. Semer les cadavres d'abord, donner les indices ensuite eût été plus percutant. On assiste donc à une sorte de démonstration sans surprise, le long d'un bitume lui-même peu excitant. Seules les trois premières pages m'ont semblé excellentes. Cette scène d'enterrement insolite est particulièrement bien imaginée et très bien découpée, un modèle de prologue. Dommage que tout soit si convenu ensuite. Et ce n'est pas la fine observation du milieu des routiers ni le carnet de route joint à l'album qui sauveront les meubles. Sans compter que les personnages de Michel Constant continuent d'afficher des gueules qui ressemblent à des masques de latex au nez retroussé et aux yeux étirés. Vous l'aurez compris, je n'ai pas craqué. Surtout après un assez joli et intimiste « Paris-Trottoir », de loin le meilleur album de la série.
Le chasseur (Gil Saint-André) par Thierry Bellefroid
« Le chasseur » tome 4 de la série « Gil St André » par Jean-Charles Kraehn et Sylvain Vallée. Dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Avant-dernier album de ce cycle qui est déjà un classique. Cette fois, on va droit vers le dénouement. Jean-Charles Kraehn a définitivement abandonné l'idée des fausses pistes qui caractérisaient les premiers albums et risquaient d'irriter le lecteur. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous aurons le moindre indice nous permettant de démêler l'écheveau. Kraehn est très fort. Il dilue sans ennuyer. Il prolonge sans lâcher de lest. En refermant cet album d'aventures, on se dit que si on ne s'est pas ennuyé une minute, on ne sait toujours pas qui a enlevé la femme de Gil St André et pourquoi. Evidemment, l'auteur sait jusqu'où il peut aller. Il terminera bel et bien cette histoire dans le cinquième tome, qui a intérêt à être particulièrement soigné pour ne pas décevoir l'attente que le lecteur y a placé.
Ce quatrième volume est sans doute le plus trépidant, le plus purement aventureux de la série. Gil y réalise quelques beaux actes de bravoure (un rien trop, même, parfois ?) et progresse, plus seul que jamais. Sa principale alliée, Djida, passe au second plan. Elle est surveillée de près par Fourrier, le flic qui veut rretrouver Gil St André. Mais elle reste un pion important sur un échiquier où Jean-Charles Kraehn avance ses tours, ses cavaliers son fou vers un implacable « échec et mat ». Quant au dessin de Sylvain Vallée, il fait désormais déjà partie des meubles. Vallée a réussi à faire oublier en deux albums qu'il n'était « que » le repreneur de la série. Un bon point aussi pour le résumé des épisodes précédents proposé en page une. On a pas toujours le temps ou l'envie de relire trois albums avant de commencer une nouveauté.
« Frontière sanglante », le tome trois de la série Marshal Blueberry. Par Giraud et Rouge.

Fin de ce cycle d'aventures commencé avec « Sur ordre de Washington », il y a tout juste neuf ans ! Neuf ans pour trois albums, c'est beaucoup, même si l'on sait que la cycle était destiné à être publié plus vite (après les deuxième tome en 93, Vance a abandonné de fait, en ne dessinant jamais le tome trois de la série). On peut dire que ce « marshal » aura créé l'attente. Et qu'il s'en tire, au final, au moins aussi bien que le « lieutenant » (aujourd'hui démobilisé et devenu « Mister », pour les spécialistes). Si pas mieux. Car à la fin de ce cycle, on n'a pas du tout l'impression d'avoir été trompé sur la marchandise. L'histoire est bonne, bien dosée, sans longueurs. Comme toujours, Blueberry n'arrive au bout de sa mission que grâce à sa ténacité et à l'aide de quelque jolie femme. Comme toujours, le coupable supposé n'est pas seul à tirer les ficelles. Comme toujours, il y a quelques surprises de taille et quelques scènes d'anthologie dans chacun des trois albums de ce triptyque. Ici, le final entre Sam, Harry et Jessica révèle un potentiel dramatique digne des grands scénaristes. Giraud sait comment ferrer son lecteur. Et il sait aussi que c'est justement ce que celui-ci attend de lui. Loin du huis-clos interminable qui se poursuit parallèlement et qui voit un Blueberry alité assister presque impuissant au film de sa vie (voir « Ombres sur Tombstone » et « Géronimo l'Apache », les deux derniers albums de la série), Giraud privilégie ici les recettes qui ont fait et qui continuent de faire le sel de cette BD : action, complots, coups tordus et retournements de situation. J'ai relu les deux premiers et terminé d'une traite avec ce troisième et dernier, passant un excellent moment en compagnie de ce marshal peu à l'écoute des problèmes de ses concitoyens. Frondeur et têtu comme il l'a toujours été, Blueberry m'est cependant apparu fort différent du shérif qu'il a déjà été dans une autre aventure (« L'homme à l'étoile d'argent »), imaginée par Jean-Michel Charlier, celle-là. Moins solitaire, plus fragile, plus humain, peut-être. J'avoue que ça ne me déplaît pas. Comme ne me déplaît pas la reprise du dessin par Michel Rouge. S'il n'a pas le talent de Jean Giraud, il a au moins le mérite de dessiner un Blueberry « dans l'esprit » de son créateur, ce qui n'était absolument pas le cas de William Vance. Son dessin me semble meilleur que sur la reprise de Comanche, plus précis, plus achevé. Et j'avoue qu'il est plus aéré que les derniers albums dessinés par Giraud lui-même, qui me donnent l'impression d'être très étriqués, en dépit de leurs qualités. Bref, cette digression imaginée par Giraud entre les albums « Général Tête Jaune » et « La mine de l'Allemand perdu » datant tous deux du début des années 70, est une vraie réussite.
Venise (7 Secondes) par Thierry Bellefroid
« Venise » tome 1 de la série « 7 secondes », par Morvan, Parel et Color Twins. Dans la collection Sang-Froid des éditions Delcourt.

« Venise n'est pas en Italie »... cette célèbre chanson de Serge Reggiani tombe à pic pour signaler en guise de préambule que le Venise qui donne son titre à cet album... est un prénom. Venise, c'est l'un des deux personnages principaux de ce premier tome de « 7 secondes », un porte-flingue chargé de récupérer un disque apparemment compromettant et d'éliminer quelques témoins gênants. Il fera une partie du boulot, choisissant d'épargner Gabe (l'autre personnage principal de l'album, son ami d'enfance) et décidant d'éliminer trois de ses coéquipiers pour mieux contrôler la situation. Dans ce premier album, difficile de savoir qui sont les bons et les méchants. Difficile aussi de voir où va l'histoire. Mais le rythme est là. Les bases du scénario jetées par Jean-David Morvan -l'un des scénaristes en forme du moment- sont intéressantes. Pour l'heure, c'est à peu près tout ce qu'on peut dire de ce « 7 secondes » qui promet d'être un bon thriller mais doit encore le prouver. Un reproche, à ce stade : même si le titre de la série est évidemment à l'origine de ce stratagème, le recours systématique à l'horloge pour introduire chaque action est assez fastidieux. Qu'on me trouve un lecteur qui se fatigue à mémoriser chacune des heures, minutes et secondes données toutes les deux pages et demies en moyenne ! Autre trait de scénario un peu troublant, le personnage de Lithal, dont on ne sait trop s'il est vraiment mort (et donc, si c'est en rêve qu'il apparaît mutilé à Venise) ou s'il s'agit d'une sorte d'androïde indestructible qui choisit de faire un bout de route avec celui qui est sensé l'avoir abattu. Pas clair, tout ça. Mais bien entendu, ce premier tome est une mise en place et l'on peut s'attendre à comprendre bien davantage de choses dès le tome deux. Pour le reste, on retiendra un dessin efficace sans être toujours très précis, des couleurs tout à fait dans l'air du temps (c'est évidemment ce qu'on pouvait attendre de Color Twins) et une superbe couverture qui devrait attirer l'attention d'un large public sur les présentoirs des libraires. Bref, on attend la suite et on en reparle.
Fleurs de sang (Bleu Lézard) par Thierry Bellefroid
« Fleurs de sang », le tome 3 de la série Bleu Lézard, par Benoît Roels, dans la collection Bulle Noire.

Après un beau diptyque, nous retrouvons Ellen Olivier dans cette nouvelle aventure imaginée et dessinée par Benoît Roels. Seule, désormais, (Matt, son mari, n'aura pas réussi à empêcher leur inéluctable séparation) elle semble avoir retrouvé une raison de vivre après le désenchantement de la fin de « Poings liés ». Benoît Roels nous propose un étrange parcours sur les traces d'une héroïne qui n'en est pas une et dont l'univers évolue radicalement d'un album à l'autre. On ne peut que s'en réjouir. Après une histoire qui avait tout du « Patient anglais » en version marine, nous voici la plupart du temps sur la terre ferme, dans le milieu des peintres amateurs. Le changement est radical. Mais pas l'esprit. « Fleurs de sang » est une petite histoire « policière » sans autre prétention que de faire mûrir Ellen, de la confronter à la douleur et à l'amour, une nouvelle fois. Une histoire où les gentils ne sont pas aussi gentils qu'ils en ont l'air, où les méchants ne sont pas forcément antipathiques. Une histoire sur la fragilité, la vengeance et la compassion. J'avoue, je l'ai lue avec plaisir, me disant qu'il y avait chez cet auteur une démarche décidément très proche de celle de Jean-Charles Kraehn (les deux premiers albums évoquaient bien entendu l'univers de « Tramp » mais cette similitude dans la démarche va au-delà d'une ressemblance de lieux ou de personnages) Bref, c'est plaisant et divertissant sans être gratuit. Dommage que le dessin de Benoît Roels louche un peu trop vers celui de Philippe Francq et que les couleurs soient si criardes.
« La ville des mauvais rêves, Urani » par Sfar et David B. Dans la collection « Poisson Pilote » des éditions Dargaud.

L'un publie depuis près de dix ans, l'autre six. On a pourtant l'impression qu'ils font partie des meubles et qu'on les a toujours connus. David B et Joann Sfar ont contribué, chacun à leur manière, au renouvellement de la BD. Avec des auteurs comme Lewis Tronddheim, Christophe Blain ou Emmanuel Guibert, tous plus ou moins proches de L'Association, ils essaiment gaiement aujourd'hui, parmi les « grandes maisons ». On l'a souvent dit, on croirait la collection « Poisson Pilote » faite pour eux. Ce n'est pas ce nouvel opus qui viendra démentir cette impression. La couverture nous prouve à elle seule à quelle osmose peuvent arriver les deux auteurs qui dessinent ici à quatre mains. Comme sur d'autres projets (Donjon, chez Delcourt, par exemple), cette génération de dessinateurs semble vouée à travailler en duo (ou plus si affinités, voir « Donjon », justement). Aucun des deux créateurs ne perd ou ne renie sa personnalité. Ainsi, on reconnaît tout de suite le trait de Sfar dans certains personnages, à commencer par « Europe », la créature en couverture. Mais on reconnaît tout aussi facilement à l'arrière-plan des maisons que seul David B peut avoir dessinées. Il en va de même à l'intérieur de la BD, mais un lecteur non averti croira, lui, qu'un seul dessinateur a réalisé l'ensemble. Cette complémentarité graphique est déjà en soi une réussite. Mais le duo n'a pas fait que dessiner à quatre mains. Il a pensé à quatre hémisphères, aussi. Et avec leurs imaginaires respectifs particulièrement féconds, David et Joann ne pouvaient que créer une histoire folle, originale, drôle (sans être comique, nuance), intelligente, inventive. C'est le cas d'Urani, qui vient prouver à quel point cette année 2000 est un grand cru, tant pour l'auteur de l'Ascension du Haut Mal (on pense au Capitaine Ecarlate ou aux Ogres) que pour celui du Professeur Bell (Petit Vampire, Merlin, Pascin, Donjon...).
Que dire de l'histoire sinon qu'elle étonne à chaque page ? L'idée du Super Héros qui échappe à son inventeur n'est pas neuve, amis elle trouve ici un prolongement totalement inattendu. Le fantastique n'est jamais gratuit et tout ce qui peut paraître trop gros (comme ce tigre qui parle et qui se tient sur deux pattes) finit par trouver une explication au bon moment. Car la force de ce récit tient aussi au rythme de ses explications. Et à son mode de narration, en chapitres très courts, très rythmés, stylisés à l'extrême. Pas de déchet, pas de digression inutile, rien que de l'aventure et de l'imagination pure distillées sur 46 planches avec brio. Vivement le prochain.
Le baiser (Emma) par Thierry Bellefroid
« Le baiser », tome 3 de la série Emma. Par Christian de Metter. Chez Triskel.

Parus à quelques mois d'intervalle, les trois tomes d'Emma constituent une des bonnes surprises de cette année, en BD. Un auteur atypique, au dessin attachant, nous propose une histoire de faux-semblants très esthétisante. Comme on pouvait s'en douter, la vraie question de ce triptyque n'est pas de savoir qui est le héros amnésique ni de révéler son passé. Cette question-là restera sans réponse. Ce qui importe, c'est le rapport obsessionnel du peintre au modèle, la fascination éprouvée pour une femme au visage d'ange, incarnation de ce que peut-être la féminité sur une toile. En cela, le pari est gagné. Cette BD imaginée par l'auteur il y a près de dix ans méritait amplement de sortir des cartons. Il aura fallu une maison d'édition confidentielle pour nous révéler un auteur de talent qui utilise la peinture comme d'autres l'encre de Chine. Chaque case de de Metter est un tableau, chaque planche est un parcours initiatique. Et dans ce dernier album mystérieux, plus sombre encore que les précédents, la maîtrise picturale de l'auteur s'affiche comme une évidence. Christian de Metter est depuis lors sorti définitivement de l'anonymat avec « Dusk » (voir critique par ailleurs), la très bonne histoire imaginée par Richard Marazano publiée en septembre par les Humanos. Mais Emma reste plus personnel, plus audacieux et de loin plus artistique que « Dusk ». Moins abouti au plan du scénario, soit, mais tellement réussi au plan du dessin qu'en parler devient inutile, il faut l'acheter et la lire...
« La marque du diable », tome un de la série « Le scorpion », par Marini et Desberg. Chez Dargaud.

Avec 60.000 albums tirés en français, Dargaud mise assurément sur cette nouvelle série (pour la comparaison, beaucoup de séries tout à fait honorables plafonnent à 20.000 exemplaires...). L'éditeur misait d'ailleurs dessus très tôt, commençant une campagne de communication plus de six mois avant la sortie de l'album ce qui est pour le moins exceptionnel... avec le risque d'agacer un peu les journalistes spécialisés, généralement méfiants face aux grosses machines marketing des éditeurs. Mais le résultat ne déçoit pas ! Rome, le dix-huitième siècle, la grande Aventure pimentée d'un zeste de mystère : tous les ingrédients réussissent aussi bien à Marini qu'à Desberg. L'histoire est plaisante et mouvementée tout en maniant sans cesse l'humour et la distance du second degré. Le dessin, magistral, convient parfaitement à un Marini au mieux de sa forme. Curieusement, le choix du format « standard » et non du grand format est une idée des auteurs. Ils voulaient privilégier ce côté populaire de Scorpion. L'album sera évidemment plus facile à écouler, car moins cher et plus conforme au souhait des grandes surfaces, principaux « faiseurs » de best-sellers. Ce n'est donc pas Dargaud (et en l'occurrence Yves Schlirff, le directeur éditorial) qui a conseillé à Marini et Desberg d'adopter ce format. Pourtant, plusieurs lecteurs seront sans doute un peu tristes, comme moi, de ne pas pouvoir bénéficier d'un album plus grand, mettant mieux en avant le formidable talent graphique du Suisse d'adoption (il est Italien et il y tient !). Bien sûr, la plupart des ingrédients ont déjà été utilisés ailleurs. Mais la force de Stephen Desberg est justement de nous rappeler les films de cape et d'épée et les livres de Dumas que nous avons tous en mémoire sans vraiment les plagier. C'est réussi. On ressort de cette lecture avec le sentiment qu'une telle série s'imposait dans le paysage BD actuel. Qu'on se rassure, le tandem n'est pas à court d'idées ni d'enthousiasme. Enrico souhaitait travailler sur le sujet mais cherchait des idées. Stephen les lui a amenées, sous la forme d'une dizaine de scénarios à peu près charpentés ! Scorpion est donc bien décidé à prendre sa place dans les grandes séries populaires de la BD. Et Dargaud fera sans doute tout ce qu'il faut pour ça. Quand ce n'est pas au détriment de la qualité, pourquoi pas ?
Sanctions (Alpha) par Thierry Bellefroid
« Sanctions », N°5 de la série Alpha, par Jigounov et Mythic. . Dans la collection Troisième vague du Lombard.

Alpha s'est imposé en peu de temps comme le chouchou de Troisième Vague. Au Lombard, on se frotte les mains :non seulement, la série cartonne, mais en plus, elle tire derrière elle toute cette jeune collection dont les chiffres de vente ne sont pas négligeables. Pourtant, Alpha a beaucoup changé. Passant du papier à l'ordinateur, Youri Jigounov a peut-être perdu un peu de spontanéité. Mais il a surtout gagné en efficacité et en propreté. Le côté un peu brouillon des débuts a maintenant disparu de son dessin, aujourd'hui plus précis et dégagé de traits inutiles. Les découpages ont suivi la même voie. Même les couleurs sont un peu moins criardes, mais l'ordinateur leur donne en revanche ce côté trop lisse et artificiel qui caractérise nombre de BD actuelles (et que certains, à tort, imputent à la technique informatique, faisant bien rire ceux qui arrivent à manier celle-ci sans qu'on se doute une seconde qu'ils y ont eu recours). Quant au personnage, il semble cette fois fort en retrait, presque spectateur de sa propre enquête ce qui ne peut que le rendre plus sympathique. Dommage qu'il effectue un triple salto arrière sur la fin en se posant comme le grand détenteur de la vérité en trois pages finales très bavardes qui gâchent l'ensemble. Il n'empêche, cet Alpha est plutôt à placer dans les bons que dans les mauvais albums de la série. Sans innover d'une virgule, Mythic recycle habilement des ingrédients déjà mille fois employés en BD et au cinéma pour faire monter la sauce. Qu'à cela ne tienne, l'intrigue n'est pas mauvaise, l'histoire bien menée et le public en redemandera.
« Anna des mille jours », Dallas Barr N°5 par Marvano et Haldeman. Dans la collection « Repérages » de Dupuis.

Nouvelle histoire pour notre immortel, Dallas Barr. Et là où on croyait s'installer dans une certaine routine, Haldeman parvient à nous surprendre. L'idée de faire surgir du passé une fille de plus d'une cinquantaine d'années qui vienne demander son dû au père qui ne l'a pas élevée est surprenante, car elle ne cadre pas avec l'esprit de la série. Anna est donc un beau cadeau, pour Dallas Barr. Un cadeau empoisonné, bien sûr. Mais Anna est-elle vraiment la fille de Dallas Barr ? Les auteurs s'amusent à jeter le lecteur sur des fausses pistes, et même les analyses d'ADN peuvent devenir suspectes dans un monde à la technologie aussi avancée que celui dans lequel vivent nos héros. Bref, les ingrédients sont à la fois originaux et intéressants, le rythme reste soutenu, les surprises sont nombreuses. Cerise sur le gâteau, l'album ne nous laisse pas sur notre faim et offre une fin provisoire à l'histoire, tout en laissant ouvertes une série de portes intriguantes pour la suite. Bref, tout cela est diablement bien mené, toujours aussi bien découpé, dessiné sans effets inutiles (mais avec des couleurs qui ne sont guère excitantes, elles). Du bon boulot, quoi.
« Aphrodite, livre troisième », par Pierre Louÿs et Claire Wendling, aux Humanoïdes Associés.

Incroyable, quand on y pense. Claire Wendling n'a derrière elle qu'une seule série -et quelle série- : « Les lumières de l'Amalou » (disponible -et hautement recommandable, même- sous forme intégrale aux éditions Delcourt. Scénario de Gibelin à qui l'on doit aussi les excellents « Vieux Ferrand » et « Ailes de plomb » chez le même éditeur) Pourtant, cette dessinatrice originaire de Montpellier a déjà une réputation internationale. En 1997, elle s'envolait d'ailleurs pour les Studios Warner, à Los Angeles, après avoir travaillé sur « The Quest for Camelot » (Excalibur) à la demande de Warner France. Delcourt a d'ailleurs réuni quelques-uns de ces dessins « américains » sous le titre « Desk », un petit bijou de 64 pages. C'est que Claire a de l'or dans les doigts. Elle le prouve en assurant le troisième volet de l'adaptation de Pierre Louÿs entreprise par les Humanos. Une troisième partie plus noire que les précédentes qui lui va à ravir. Car Claire, tournant le dos à son prénom, s'aventure dans les souffrances de l'âme humaine (en l'occurrence, celle d'Aphrodisia) et nous propose des dessins au fusain sur carton et quelques aquarelles dont le trait commun est avant tout la noirceur. Très loin des deux premiers essais magistralement assurés par Manara et Bess, Wendling ne se soucie plus d'évoquer ici la sensualité. Epousant parfaitement le tournant que prend le récit de Pierre Louÿs, elle se fond dans l'univers de peintres pratiquement contemporains de l'auteur d'Aphrodite.
Ainsi, comment ne pas penser à Gustav Klimt en découvrant la couverture, l'huile de la page 46 ou le fusain de la page 33 ? Il y a la même approche de la femme, le même type de postures, les mêmes ornements de décor (même si le dessin de la page 33 va beaucoup moins loin que les tableaux du maître autrichien dans le domaine de l'ornementation). En revanche, les corps noueux et décharnés des pages 7, 9, 21 ou 39, évoquent immanquablement Egon Schiele, né en 1890, soit six ans avant la sortie du livre de Pierre Louÿs et mort en 1918. Schiele qui a régné en maître sur l'expressionnisme autrichien. D'autres dessins rappellent également le namurois Félicien Rops, né en 1830 et mort en 1898. Bref, Claire Wendling n'a pas travaillé ses illustrations au hasard et a voulu rendre hommage aux expressionnistes qui étaient à la fois les contemporains de Pierre Louÿs et les meilleurs ambassadeurs de cette partie du récit. Elle réussit brillamment à rehausser le livre initial et ne souffre pas de la comparaison des grands maîtres dont elle s'inspire car elle prend suffisamment de distance avec leurs oeuvres. Surtout, elle met la barre très haut pour le quatrième et dernier illustrateur chargé de conclure cet essai de symbiose entre art, littérature, érotisme et bande dessinée.
Leopold (Le dernier Marduk) par Thierry Bellefroid
« Léopold », tome 1 de la série « Le dernier Marduk », par Eric Liberge. Chez PMJ.

Eric Liberge quitte provisoirement Monsieur Mardi-Gras Descendres (deux tomes parus chez Pointe Noire) et nous prouve qu'il a plus d'une corde à son arc. Infographiste, Liberge nous montre ici ce qu'il peut faire en mélangeant habilement diverses techniques de dessin. L'ordinateur n'est jamais loin dans ce « Marduk », mais il s'insère dans un graphisme très BD qui ne renie ni le coup de crayon ni le trait de la plume. Le résultat est étonnant, notamment parce que le noir et blanc est très bien exploité, parce que les décors oscillent entre réalisme architectural et fantastique. En fait, « Le dernier Marduk » a quelque chose des Cités Obscures de Schuiten et Peeters, et pas seulement parce que l'histoire raconte comment une ville est victime de la maladie de la pierre qui tue, une sorte de gangrène qui fait s'écrouler les immeubles les uns après les autres... et disparaître leurs occupants. Cette ville malade qui déteint sur ses tristes habitants, cette architecture rappelant Prague mais jamais totalement fidèle, cette utilisation des mondes parallèles ont en effet un côté « Cités Obscures ». Mais la comparaison s'arrête là. Notamment parce que le dessin d'Eric Liberge n'a rien à voir avec celui de François Schuiten. Très libre, très inventif aussi, il explore les mondes à la façon d'un aventurier touche à tout. Le résultat est réussi. Léopold, sur les traces du dernier Marduk, découvre comment se prépare l'avènement de la nouvelle Babylone sur les ruines de Krpeliany (merci le nom facile à prononcer dans les conversations entre amis.. ou les chroniques radiophoniques !). Il nous entraîne dans une histoire peut-être un rien trop courte pour décoller vraiment. Mais le prochain volume viendra sans doute combler ce petit manque.
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