Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La couleur de l'enfer (Lapinot) par Thierry Bellefroid
« La couleur de l'enfer », septième tome des « formidables aventures de Lapinot », par Lewis Trondheim. Dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

A force de produire comme un forcené, il faut bien que le génial Lewis Trondheim finisse par livrer un album ou l'autre un peu moins excitant. Celui-ci en est l'exemple parfait. Parcouru d'un bout à l'autre d'excellents dialogues (Trondheim est vraiment un grand dialoguiste) il n'en est pas moins faiblard en regard des premiers épisodes de la série, récemment réédités dans leur version Poisson Pilote par les éditions Dargaud. Lapinot devient de plus en plus réaliste et perd du même coup l'intérêt qu'il avait à ses débuts, ce côté inclassable et surprenant qui déroutait à chaque nouvelle histoire. Désormais, comme s'il identifiait l'univers de la série aux tribulations qu'il fait vivre à son héros, Trondheim a choisi la continuité. Une continuité en forme de « tranche de vie ». La bande de copains s'est réduite, Nadia et Lapinot qui ont si longtemps joué à cache-cache travaillent ensemble en attendant de faire le grand plongeon de la vie commune. Bref, ça ronronne sec. Ça ronronne même un peu trop. On se laisse faire sans grand enthousiasme, on sourit gentiment. Les choses semblent presque prévisibles. Dommage parce qu'il y a tout de même quelques très bons moments dans cet album. Le meilleur est sans aucun doute la visite de l'appartement du vieil homme sur lequel Nadia fait un reportage avec l'aide de Lapinot. Appartement qui semble tout d'abord très ordinaire et qui est finalement... tout à fait fou. Toujours efficace, également, le bon copain Richard et ses aventures avec la « créature » du voisin de palier, un animal nommé Dark Vador. Bref, il y a la patte de Trondheim, l'humour de Trondheim, le talent de Trondheim, mais pas la magie de Lewis.
Déogratias par Thierry Bellefroid
« Deogratias » de Stassen. Dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis .

Le génocide des Tutsis en 1994 (un million de morts, pour rappel) a frappé toutes les mémoires. Plus que les Français sans doute, les Belges n'ont pas oublié. Parce qu'ils ont administré le pays dans leur lointain passé colonial. Parce qu'ils en ont façonné les structures. Parce que l'Eglise missionnaire belge y a joué un rôle déterminant, souvent dénoncé depuis. Parce que la Belgique y a perdu dix Casques Bleus, assassinés dans des circonstances atroces en avril 94 dans un climat de haine propagé par une radio locale (radio Mille Collines, à laquelle Stassen fait d'ailleurs allusion dans cet album). Parce que la Belgique a été le premier pays à mettre sur pied une commission d'enquête parlementaire pour analyser son propre rôle dans cette terrible page d'histoire. Mais le Rwanda n'est pas qu'une histoire belge, loin s'en faut. Souvent montrée du doigt, la France n'a jamais admis sa part de responsabilité dans l'un des plus graves échecs de l'après-guerre, comme dans l'imbroglio politique autour de l'assassinat du président Habyarimana qui a finalement servi d'excuse au déclenchement du génocide. La publication de cet album permettra donc peut-être aux plus jeunes de poser ou de ses poser des questions à propos des événements de 94. En cela, « Deogratias » est déjà un album salutaire. A l'instar des « Oubliés d'Annam » ou « d'Azrayen », il vient empêcher le temps de refermer les mémoires.
Jean-Philippe Stassen y ajoute une part personnelle primordiale. Car cet album n'est ni un pamphlet ni un essai. C'est une belle histoire, tragique sans doute, mais touchante, humaine, pudique surtout. En suggérant le génocide, Stassen ne lui donne que plus de poids. Certains lecteurs comprendront peut-être enfin ce qu'ils n'ont pas ressenti en voyant les infos à la télé. Car le pouvoir de suggestion de ces images est incroyable. Il tient sans doute essentiellement à la qualité des personnages, tous plus vrais que nature. Le principal d'entre eux -et sans conteste le plus touchant en dépit du sang qu'il a sur les mains- est Deogratias, le héros. Pauvre gosse devenu fou d'avoir tué celles qu'il aimait, d'avoir suivi le troupeau, cédé à la haine gratuite, sanguinaire, bestiale et veule. En choisissant de raconter l'histoire à travers lui, Stassen se grandit. Car il choisit la difficulté. Car il transcende les questions de culpabilité ou de responsabilité un peu trop vite évacuées.
Il y a des images magnifiques dans cet album. Notamment celles où Deogratias se transforme en chien (une transformation qui est un thème cher à Stassen comme en témoigne notamment son précédent album). Mais aussi la scène de l'école où l'instituteur prêche la haine entre Tutsis et Hutus. Ou ces fillettes qui sortent de leur cachette immonde (les latrines où elles ont passé des semaines) pour implorer les tueurs de les épargner. Une BD poignante, empreinte de respect, d'émotion et d'une justesse rare. Une BD comme seule la collection « Aire Libre » nous en livre. Et je n'ai même pas parlé ici du talent pictural de Stassen, tant cela semble presque secondaire...
« Diablo et Juliette », le tome trois de la série « Un drôle d'ange gardien ». Par Filippi et Revel. Chez Delcourt Jeunesse.

Trente nouvelles pages de bonheur pour les lecteurs d'un « drôle d'ange gardien ». Chaque histoire apporte la confirmation du talent des auteurs. Avec cette légèreté qui les caractérise, ils arrivent à emmener les enfants dans un monde imaginaire particulièrement riche tout en ravissant les adultes par les côtés esthétiques de leur projet. Car le dessin de Sandrine Revel reste l'atout majeur de la série. Toujours plus beau, avec des couleurs toujours plus soignées, il nous emmène cette fois des toits parisiens aux canaux de Venise et aux maisons bigarrées de Burano. Un enchantement. Tout ça sur fond d'histoires très mignonnes où même les méchants n'arrivent pas à l'être vraiment (sauf, peut-être, la cousine de Diablo, Diablotta qui est le moteur de ce troisième tome) et où les créatures de l'Enfer révèlent leur bon coeur à chaque page. C'est drôle, enlevé, magique, inattendu. Pour les enfants, ça se lit comme un conte et pour les adultes, c'est une bonne BD enfantine. L'irruption des enfants de Diablo et Juliette (qui sont respectivement le bon petit diable et l'ange gardien, pour rappel) a ajouté du piment à la série. Elle permet aussi aux plus jeunes lecteurs de s'identifier plus encore au monde qui y est développé. Mais les parents ne résisteront pas non plus. Rien que pour la qualité époustouflante du dessin, n'hésitez pas, plongez-vous dans cet album !
« La Guilde du Safran », tome 1 de la série « Le prophète de Tadmor », par Gomez, Montero et Tarek. Chez Vents d'Ouest.

Une belle surprise, cette nouvelle série. Projeté dans un futur pas si lointain (l'histoire se passe en 2070), le lecteur découvre un univers imaginaire intéressant. Istanbul, puis Tunis et surtout Dakar offrent des visages inconnus et intriguants. On est parfois proche des visions d'un Sergio Garcia dans les Géographies Martiennes. L'idée d'interdire l'utilisation des épices dans les rites religieux est originale. C'est une variation sur un thème connu, celui de la prohibition religieuse. Mais elle débouche sur une situation bien exploitée par les auteurs qui emmènent leur héros dans des situations troubles et difficiles où il s'aperçoit qu'il y a un prix à payer pour la liberté. Car les personnages de cette nouvelle saga ne sont pas plus sympathiques les uns que les autres, ne fût-ce que par les « gueules » que leur a faites le dessinateur, Ivan Gomez Montero. C'est d'ailleurs le dessin qui m'a attiré le premier. Des cases larges, d'une très grande lisibilité, des couleurs cohérentes et typées à la fois, des personnages aux visages anguleux, coupants, malheureusement trop souvent caricaturaux mais pour autant plutôt accrocheurs. Le côté Iznogoud du physique de Elzar le Mourid me gêne un peu, de même que ses mimiques très dessin animé (mâchoires crispées, dents en exposition) lorsqu'il est en colère ou lorsqu'il se bat, mais bon, ce n'est pas pour ça qu'il faut refermer l'album ! Le crayonné se veut apparent, même après la mise au net, un peu comme celui de Delaby sur le premier Murena. Tout cela confère une atmosphère à cet album. Malgré les quelques passages un peu faciles ou bâclés de l'histoire, on a envie d'en lire davantage, pour confirmer cette bonne impression.
La boîte noire par Thierry Bellefroid
« La boîte noire » de Ferrandez et Benacquista. Chez Futuropolis/Gallimard.

Après un très beau duo chez Casterman (L'outremangeur), on espérait au moins aussi bien. C'est raté. « La boîte noire » aurait dû rester cette nouvelle de Benacquista publiée dans le recueil « Tout à l'ego ». Inadaptable en BD, l'histoire de cet accidenté de la route dont la mémoire se débloque le temps d'une nuit, lui donnant la clé de son existence, est une aventure intérieure et comme telle, est tout sauf imagée. Résultat, la BD n'apporte rien, si ce n'est de plaquer des images redondantes sur un texte qui n'en avait nul besoin pour vivre. Les trois quarts des cases montrent Laurent Aubier, 35 ans, réparateur de photocopieuses et présentement héros de l'histoire, en train de déambuler d'un endroit à l'autre pour recoudre le patchwork de son existence. Qui plus est, le dessin de Jacques Ferrandez paraît bâclé. Il suffit de rouvrir « L'outremangeur » pour s'en convaincre. La différence est flagrante. Elle l'est encore davantage si vous relisez les derniers Carnets d'Orient. Tout ceci manque de finesse, de vision, de finition. Le dessin de cette « Boîte noire » paraît aussi brouillon que les pensées de son héros et ce n'est pas peu dire ! Bref, un objet dispensable, qui prouve qu'on ne peut pas sortir deux BD par an et faire deux cartons, uniquement parce qu'elles sont écrites par des romanciers. C'est pourtant l'impression qu'on a en voyant que Gallimard s'offre cette « Boîte noire » après un Tardi-Pennac (La débauche) qui a beaucoup fait parler de lui en janvier dernier. Comme si cet éditeur voulait s'approprier les duos « dessinateur-romancier » sans autre vision que d'aligner les noms disponibles dans sa bibliothèque. Un vrai directeur éditorial de BD n'aurait sans doute pas publié cet album tel quel... Dommage, parce que l'histoire est loin d'être mauvaise.
Auschwitz par Thierry Bellefroid
« Auschwitz » de Pascal Croci. Un album du label « Atmosphères » des éditions du Masque.

Publié à peu près au même moment que « Déogratias » (par Stassen, chez Aire Libre, Dupuis, voir critique par ailleurs), cet album sur Auschwitz frappe par son côté brut, presque documentaire. D'un côté, Stassen propose de mieux comprendre le génocide rwandais en créant un vrai récit de fiction, avec des enfants pour principaux protagonistes. Son but est de permettre au lecteur une certaine identification qui va entraîner un intérêt pour l'Histoire. De l'autre, la démarche de Pascal Croci est de combattre l'oubli avec un album dur, entièrement basé sur des témoignages réels, très peu « fictionnalisé », si l'on me permet ce néologisme. En dépit du temps et de l'énergie qu'il y a consacré, force est de constater que le résultat est moins probant. « Auscwhitz » reste un livre d'école, une BD pour professeurs de morale. Cela n'enlève rien à son talent graphique. Car Croci dessine remarquablement bien et donne à travers son noir et blanc une vision parfois plus effrayante que ne l'eût fait la couleur. Les décors rigoureusement reproduits, le souci du détail, le travail sur les gris : tout cela est remarquable. Mais on aime moins les regards exagérément agrandis pour insister sur l'horreur des camps, les phylactères aux formes tourmentées qui rappellent un peu les BD d'épouvante et surtout, ces personnages sans véritable histoire personnelle auxquels on ne peut que difficilement s'attacher. Outre le fait qu'il est difficile de croire que c'est à la fin de leur vie qu'un couple de rescapés se racontent mutuellement l'horreur des camps et la façon dont leur fille y a laissé la vie, le fait d'avoir placé ce récit en flash-back dans une guerre en ex-yougoslavie dont l'auteur n'exploite finalement que le nom paraît inutile. Bien sûr, l'idée est de dire que rien n'est fini et que l'Histoire peut se répéter. Mais à force de collectionner les bonnes intentions, on sabote son propre discours. C'est une peu ce qui apparaît à la lecture de cet album. Pascal Croci semble s'être laissé enfermer dans les souvenirs de ses témoins, comme s'il n'avait plus eu le droit de faire une vraie fiction. Cela manque d'humanité. Le regard est froid, clinique, extérieur. On est loin de films qui ont ému comme « La liste de Schindler » ou, dans un registre plus discuté mais pas moins efficace, « La vie est belle ». Bref, si j'ai frissonné plus d'une fois en lisant cet album (certaines scènes sont vraiment très fortes. Notamment, les pages 45-55 qui constituent véritablement le pivot et le coeur de ce récit, lorsque le héros, Kazik, doit entrer dans la chambre à gaz encore fumante pour en enlever les corps), je suis resté sur un malaise. L'impression que vouloir faire une fiction réaliste a finalement moins d'impact sur le lecteur que le « Maus » de Spiegelman, avec ses souris et ses chats dans la situation des Juifs et des Allemands. Mais cet avis peut-être un peu sévère ne doit pas masquer le fait que « Auscwhitz » est une oeuvre utile (s'il l'est ne fût-ce que dans les classes d'école, c'est déjà gagné, non ?) et courageuse. Croci s'est manifestement très bien documenté et beaucoup investi, ce qui est d'autant plus remarquable qu'il n'est pas Juif lui-même ; il a simplement voulu témoigner d'une réalité de son siècle. La lecture de l'album ne laissera pas indifférent. J'ai simplement peur que l'option retenue n'éloigne une partie du public et notamment la cible principale : les plus jeunes.
L'usine électrique par Thierry Bellefroid
« L'usine électrique » de Vincent Vanoli. A L'Association.

L'usine électrique est sans doute l'un des meilleurs ouvrages de Vincent Vanoli, si pas le meilleur. D'abord pour le ton qui y est développé. Intimiste et mystérieux, industriel et poétique, social et fantastique. Les contraires s'attirent, dit-on. Ils le font ici très naturellement et composent une toile narrative étonnante, en marge de ce que la BD traditionnelle nous propose. Vanoli est aussi au sommet de son art graphique et profite d'un huis-clos dans les paysages enneigés des Vosges pour nous prouver sa maîtrise des gris et des compositions. Tant dans l'usine (où l'on repense à certains dessins de Christophe Blain dans « Le réducteur de vitesse ») qu'à l'extérieur, son style s'affiche avec beaucoup d'aisance et de grâce. « L'usine électrique » réserve en effet quelques cases magnifiques et un dessin que l'on peut véritablement qualifier d'esthétique. Dommage, d'ailleurs, que la couverture soit si pauvre, alors que l'album recèle, lui, quelques très beaux tableaux qui eussent pu donner du souffle à l'album en paraissant en couverture à la place de ce personnage attablé un rien tristounet. Mais ne boudons pas notre plaisir. J'ai dévoré cet album sans m'ennuyer une seconde, tant le ton du début (pas un seul phylactère pendant les 22 premières pages ! Seulement une alternance de voix-off et de dessins muets...) m'a enthousiasmé d'emblée. Et comme la suite était tout-à-fait inattendue, le plaisir n'a fait que croître.
Secret Défense (XIII) par Thierry Bellefroid
« Secret Defense », le tome 14 de la série XIII. Par vance et Van Hamme. Chez Dargaud.

La couverture annonce le programme. Il y aura des femmes et des flammes dans ce nouvel épisode. Elle révèle surtout que William Vance est tombé dans le pot de couleur orange. En ouvrant et feuilletant l'album, vous verrez que sa coloriste, Petra, a elle aussi un faible pour le rouge et le roux qui tranchent dangereusement sur des tons de base assez ternes. Mais ne résumons pas cette nouvelle aventure aux qualités et défauts de sa mise en couleur. L'histoire ? Attendue, dans tous les sens du terme. Car il est évident qu'après trois ans sans nouveauté (en dehors du treizième album, hors collection, « The XIII Mystery, l'enquête »), l'attente du public est forte, très forte. Dargaud fait tout ce qu'il faut pour l'attiser, d'ailleurs, puisque XIII fait l'objet d'une campagne de promotion phénoménale avec pour ambition de vendre 500.000 albums de cette nouveauté (soit 150.000 de plus que « Le Jugement », paru en septembre 97 !)
Attendu, ce XIII l'est aussi au plan du scénario. Le retour d'Irvina Svetlanova, les nouvelles cartes venant brouiller les pistes sur l'identité de XIII, la course-poursuite qui occupe la moitié de l'histoire (et qui se prolongera dans la suivante)... Rien que de très classique. Et rien de très passionnant, même si en bon lecteur de la série, je me suis laissé guider jusqu'à la dernière page sans trop résister. Mon seul étonnement aura été de découvrir un clin d'oeil à Bruno Brazil (de Greg et Vance, pour rappel) en tombant sur un sosie plus vrai que nature de Gaucho Morales (même les célèbres « tamale ! » sortent de sa bouche comme si c'était lui). Pour le reste, je me demande toujours jusqu'où pourra aller Jean Van Hamme avant de lasser ses lecteurs. Il est vrai que le succès croissant de la série ne peut pas déboucher sur son arrêt à plus ou moins court terme (quel éditeur et quels auteurs seraient assez fous pour s'arrêter en si bon chemin ?). Mais il est tout aussi vrai que si XIII n'avait pas dépassé les huit premiers épisodes, je ne serais pas en train de le critiquer aujourd'hui. De géniale, la série s'est transformée en... commerciale. Et même si les chiffres de vente viennent rappeler au journaliste que je suis que son avis est bien peu de chose face au succès public, je ne peux m'empêcher de regretter une inévitable baisse de régime depuis plusieurs années. Remettons quand même les pendules à l'heure : Jean Van Hamme est incontestablement un des grands scénaristes du moment. A eux seuls, le nouveau XIII et le nouveau Largo Winch dépasseront le million d'exemplaires à l'impression ! Ça force le respect... et ça vient rappeler, comme une évidence trop vite oubliée, que c'est aussi grâce à Jean Van Hamme que Dupuis peut publier des albums moins « rentables » comme ceux de la collection Aire Libre, ou Dargaud, ceux de la collection Poisson Pilote.
Pleine Lune par Thierry Bellefroid
Je viens de lire... « Pleine lune » par Chabouté. Chez vents d'Ouest.

« Zoé », le précédent opus de Christophe Chabouté, louchait trop vers le « maître » Comès pour qu'on puisse lui reconnaître de réelles qualités. Pourtant, il n'en manquait pas, comme l'avait déjà prouvé le précédent essai, « Quelques jours d'été », une petit album paru chez Pierre Paquet qui avait obtenu l'Alph'Art Coup de Cœur à Angoulême.
Et voici que paraît enfin l'ouvrage de maturité, la BD dans laquelle Chabouté laisse éclater son talent, libère son dessin, se dégage des influences et des héritages. Derrière une superbe couverture (sans doute une des plus réussies de l'année !), 120 pages en noir et blanc entre farce sociale et thriller haletant. On entre dans cet album sans aucune difficulté, car la scène du début est parfaite de vérité : un petit fonctionnaire coincé joue de son modeste pouvoir derrière son guichet. Discours raciste et réac, physique de beauf, Chabouté a tapé juste. Son « héros » est détestable, dès la première minute... et jusqu'à la dernière. C'est sans doute ce qui est le plus inattendu. Malgré toutes les horreurs qui lui tombent sur le coin de la gueule, Edouard Tolweck ne change pas d'un iota et reste le même con de la première à la dernière page. Pleutre, primaire, misanthrope, égoïste. Et jusqu'à la fin, on est totalement incapable d'éprouver quelque sympathie pour le personnage. Chabouté a totalement réussi son pari : faire un livre à la fois drôle, noir et « moral ». Cette BD parle peut-être mieux du racisme et de l'extrême-droite que des ouvrages plus politiques. Elle fait rire, mais jaune. Et puis, même si la descente aux enfers menée tambour battant paraît parfois accumuler trop de coups du sort, on se laisse faire avec un bonheur certain. D'abord parce que le rythme est remarquable. Ensuite parce que le dessin est extraordinaire. Il y a notamment quelques visions magistrales (je pense au clown et à l'éléphant, bien sûr). Enfin, il y a la fin, inattendue et magnifique, qui justifie tout. Un très grand album qui mérite bien de figurer dans la collection « Intégra » de Laurent Galmot, où l'on trouve aussi Ibicus, une collection qui réalise un véritable sans faute.
« Les spectres du Caire », tome 1 de la série Ada Enigma, par Dutreuil et Maingoval. Dans la collection « Carrément BD » de Glénat.

Voici enfin le deuxième album de cette collection au format carré. Après un troublant « Immondys », on était curieux de savoir ce que nous réservait ce nouveau concept. « Ada Enigma » vient nous prouver l'intérêt du format. Regardez le découpage de cet album, observez bien l'agencement des cases, vous verrez qu'il n'aurait pas été le même dans un format traditionnel. En cela, Paul Herman justifie pleinement la création de sa collection. Le plus curieux, sans doute, étant que c'est justement grâce au format carré que les auteurs jouent régulièrement sur de longues bandes plates un peu à la façon du 16/9 ou du cinémascope. En effet, les cases exploitées dans toute la largeur du format mais de faible hauteur sont les plus intéressantes de l'album (en plus des pleines pages, évidemment). Pour le reste, le dessin est superbe, ainsi que les couleurs, même si l'on reprochera (surtout dans les premières pages) un climat exagérément sombre. Vincent Dutreuil (dont c'est le premier vrai album de BD) a du talent et un sens du découpage. On lui pardonne volontiers quelques maladresses dans les proportions des visages. On aimerait en revanche qu'il évite d'entourer ses personnages de lignes blanches ou de traits d'encrage très prononcés qui en font des silhouettes en relief sur un décor de carton, ce qui accentue inutilement l'effet 2D de la BD. Pour ce qui est de l'histoire, il y a beaucoup de bon... et une grande frustration. La fin de l'album n'apporte pas les réponses que le lecteur espère. Mais il y a une héroïne attachante et intéressante, un décor bien exploité et un contexte historique qui ne l'est pas moins. Les personnages centraux et secondaires directs sont bien campés, le mystère plane d'un bout à l'autre, bref, tout ça fonctionne plutôt bien. On attend un deuxième tome aussi bon, avec des réponses en plus !
Petit Trent (Trent) par Thierry Bellefroid
« Petit Trent », tome 8 de la série Trent, par Rodolphe & Léo. Chez Dargaud.

Incontestablement, le fait d'avoir introduit un enfant au coeur de ce huitième tome a changé quelque chose à l'esprit de la série. Cet album est de loin le plus sensible, le plus humain de tous. Le personnage de Jeremy est très crédible, non seulement parce qu'il s'exprime comme un gosse, mais aussi parce qu'il réagit comme tel. A cet égard, la fin relativement inattendue est exemplaire, car elle donne à la fois du sens et de l'épaisseur à cet épisode. Rodolphe ne nous a pas habitués à jouer ainsi sur le velours, même si l'on sait depuis longtemps qu'il est l'un des scénaristes les plus portés sur l'aspect psychologique de ses personnages (ceux qui voudraient s'en convaincre liront « Le Blaireau », « Dock 21 » ou « Cliff Burton »). Ciselé tout en finesse, donc, ce scénario permet d'affiner le côté humain de Trent. C'est très réussi. Le policier n'en est que plus attachant. Belle idée également, celle de la lettre rendue invisible par un séjour dans l'eau, lettre par laquelle sa compagne semble avoir annoncé à Trent la venue d'un enfant. Basée sur le fantasme de paternité que nourrit la lettre d'Agnès, se construit une relation entre le policier et Jeremy, l'enfant dont il assure la sécurité. C'est le véritable objet de l'album. Bref, histoire après histoire, Rodolphe conçoit un monde et des personnages à taille humaine, ce qui ne peut que convenir à Léo qui a construit toute son oeuvre solo sur ce principe. Leur association se justifie pleinement, même si l'on préférerait voir Léo s'occuper exclusivement de « Bételgeuse » et, par conséquent, satisfaire plus rapidement nos envies de suite.
« Pourquoi toujours moi ? », tome trois de la série Doggyguard, par De Groot et Rodrigue. Au Lombard.

On reconnaît les séries de Bob De Groot à cent mètres, même lorsqu'il change de dessinateur. C'est le cas avec ce Doggyguard. Le premier album jouait déjà comme celui-ci sur les mêmes recettes que Léonard ou Robin Dubois. Avec cet humour gros comme une maison, où les balles font des trous inoffensifs et les chutes de 100 mètres ne débouchent jamais que sur de gros plâtres. Rien à dire, De Groot a regardé tous les Tex Avery. On retrouve dans son comique la même mécanique transformant la violence en dérision, proposant des héros indestructibles à qui l'on peut faire subir chausse-trappe sur chausse-trappe. Mais là où la vitalité du dessin animé peut faire oublier une certaine lourdeur et une certaine systématisation, la BD trouve vite ses limites. C'est le cas ici. Au point qu'on en vient parfois à avoir l'impression que De Groot se caricature lui-même. Gag après gag, ce sont les mêmes recettes, les mêmes mimiques, les mêmes trouvailles visuelles qui sont recyclées jusqu'à plus soif. A force, on finit par décrocher, d'autant que la bêtise affligeante des deux personnages centraux n'arrange rien. A tout prendre, mieux vaut relire un vieux Léonard...
Le fils de l'autre (Bitume) par Thierry Bellefroid
« Le fils de l'autre », tome 5 de la série Bitume, par Michel Constant et Michel Vandam. Chez Casterman.

On ne peut pas dire que cet album soit un modèle de délicatesse. Les deux auteurs foncent à travers tout vers leur dénouement en forme de fin inéluctable. Les intentions sont louables. Avec cette nouvelle histoire, les deux Michel ont voulu s'attaquer à la violence familiale et construire autour de ce thème une sorte de polar psychologique vengeur. Seulement, en la matière, il y a embouteillage, tant en littérature qu'au cinéma. Et pour inventer un profil de psychopathe valable et accrocheur, il ne suffit plus aujourd'hui de l'avoir fait s'interposer entre un père infidèle aux moeurs violentes et une mère éplorée. D'autant que les cartes sont dévoilées sans mystère, juste après le début de l'histoire. Semer les cadavres d'abord, donner les indices ensuite eût été plus percutant. On assiste donc à une sorte de démonstration sans surprise, le long d'un bitume lui-même peu excitant. Seules les trois premières pages m'ont semblé excellentes. Cette scène d'enterrement insolite est particulièrement bien imaginée et très bien découpée, un modèle de prologue. Dommage que tout soit si convenu ensuite. Et ce n'est pas la fine observation du milieu des routiers ni le carnet de route joint à l'album qui sauveront les meubles. Sans compter que les personnages de Michel Constant continuent d'afficher des gueules qui ressemblent à des masques de latex au nez retroussé et aux yeux étirés. Vous l'aurez compris, je n'ai pas craqué. Surtout après un assez joli et intimiste « Paris-Trottoir », de loin le meilleur album de la série.
Le chasseur (Gil Saint-André) par Thierry Bellefroid
« Le chasseur » tome 4 de la série « Gil St André » par Jean-Charles Kraehn et Sylvain Vallée. Dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Avant-dernier album de ce cycle qui est déjà un classique. Cette fois, on va droit vers le dénouement. Jean-Charles Kraehn a définitivement abandonné l'idée des fausses pistes qui caractérisaient les premiers albums et risquaient d'irriter le lecteur. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous aurons le moindre indice nous permettant de démêler l'écheveau. Kraehn est très fort. Il dilue sans ennuyer. Il prolonge sans lâcher de lest. En refermant cet album d'aventures, on se dit que si on ne s'est pas ennuyé une minute, on ne sait toujours pas qui a enlevé la femme de Gil St André et pourquoi. Evidemment, l'auteur sait jusqu'où il peut aller. Il terminera bel et bien cette histoire dans le cinquième tome, qui a intérêt à être particulièrement soigné pour ne pas décevoir l'attente que le lecteur y a placé.
Ce quatrième volume est sans doute le plus trépidant, le plus purement aventureux de la série. Gil y réalise quelques beaux actes de bravoure (un rien trop, même, parfois ?) et progresse, plus seul que jamais. Sa principale alliée, Djida, passe au second plan. Elle est surveillée de près par Fourrier, le flic qui veut rretrouver Gil St André. Mais elle reste un pion important sur un échiquier où Jean-Charles Kraehn avance ses tours, ses cavaliers son fou vers un implacable « échec et mat ». Quant au dessin de Sylvain Vallée, il fait désormais déjà partie des meubles. Vallée a réussi à faire oublier en deux albums qu'il n'était « que » le repreneur de la série. Un bon point aussi pour le résumé des épisodes précédents proposé en page une. On a pas toujours le temps ou l'envie de relire trois albums avant de commencer une nouveauté.
« Frontière sanglante », le tome trois de la série Marshal Blueberry. Par Giraud et Rouge.

Fin de ce cycle d'aventures commencé avec « Sur ordre de Washington », il y a tout juste neuf ans ! Neuf ans pour trois albums, c'est beaucoup, même si l'on sait que la cycle était destiné à être publié plus vite (après les deuxième tome en 93, Vance a abandonné de fait, en ne dessinant jamais le tome trois de la série). On peut dire que ce « marshal » aura créé l'attente. Et qu'il s'en tire, au final, au moins aussi bien que le « lieutenant » (aujourd'hui démobilisé et devenu « Mister », pour les spécialistes). Si pas mieux. Car à la fin de ce cycle, on n'a pas du tout l'impression d'avoir été trompé sur la marchandise. L'histoire est bonne, bien dosée, sans longueurs. Comme toujours, Blueberry n'arrive au bout de sa mission que grâce à sa ténacité et à l'aide de quelque jolie femme. Comme toujours, le coupable supposé n'est pas seul à tirer les ficelles. Comme toujours, il y a quelques surprises de taille et quelques scènes d'anthologie dans chacun des trois albums de ce triptyque. Ici, le final entre Sam, Harry et Jessica révèle un potentiel dramatique digne des grands scénaristes. Giraud sait comment ferrer son lecteur. Et il sait aussi que c'est justement ce que celui-ci attend de lui. Loin du huis-clos interminable qui se poursuit parallèlement et qui voit un Blueberry alité assister presque impuissant au film de sa vie (voir « Ombres sur Tombstone » et « Géronimo l'Apache », les deux derniers albums de la série), Giraud privilégie ici les recettes qui ont fait et qui continuent de faire le sel de cette BD : action, complots, coups tordus et retournements de situation. J'ai relu les deux premiers et terminé d'une traite avec ce troisième et dernier, passant un excellent moment en compagnie de ce marshal peu à l'écoute des problèmes de ses concitoyens. Frondeur et têtu comme il l'a toujours été, Blueberry m'est cependant apparu fort différent du shérif qu'il a déjà été dans une autre aventure (« L'homme à l'étoile d'argent »), imaginée par Jean-Michel Charlier, celle-là. Moins solitaire, plus fragile, plus humain, peut-être. J'avoue que ça ne me déplaît pas. Comme ne me déplaît pas la reprise du dessin par Michel Rouge. S'il n'a pas le talent de Jean Giraud, il a au moins le mérite de dessiner un Blueberry « dans l'esprit » de son créateur, ce qui n'était absolument pas le cas de William Vance. Son dessin me semble meilleur que sur la reprise de Comanche, plus précis, plus achevé. Et j'avoue qu'il est plus aéré que les derniers albums dessinés par Giraud lui-même, qui me donnent l'impression d'être très étriqués, en dépit de leurs qualités. Bref, cette digression imaginée par Giraud entre les albums « Général Tête Jaune » et « La mine de l'Allemand perdu » datant tous deux du début des années 70, est une vraie réussite.
Venise (7 Secondes) par Thierry Bellefroid
« Venise » tome 1 de la série « 7 secondes », par Morvan, Parel et Color Twins. Dans la collection Sang-Froid des éditions Delcourt.

« Venise n'est pas en Italie »... cette célèbre chanson de Serge Reggiani tombe à pic pour signaler en guise de préambule que le Venise qui donne son titre à cet album... est un prénom. Venise, c'est l'un des deux personnages principaux de ce premier tome de « 7 secondes », un porte-flingue chargé de récupérer un disque apparemment compromettant et d'éliminer quelques témoins gênants. Il fera une partie du boulot, choisissant d'épargner Gabe (l'autre personnage principal de l'album, son ami d'enfance) et décidant d'éliminer trois de ses coéquipiers pour mieux contrôler la situation. Dans ce premier album, difficile de savoir qui sont les bons et les méchants. Difficile aussi de voir où va l'histoire. Mais le rythme est là. Les bases du scénario jetées par Jean-David Morvan -l'un des scénaristes en forme du moment- sont intéressantes. Pour l'heure, c'est à peu près tout ce qu'on peut dire de ce « 7 secondes » qui promet d'être un bon thriller mais doit encore le prouver. Un reproche, à ce stade : même si le titre de la série est évidemment à l'origine de ce stratagème, le recours systématique à l'horloge pour introduire chaque action est assez fastidieux. Qu'on me trouve un lecteur qui se fatigue à mémoriser chacune des heures, minutes et secondes données toutes les deux pages et demies en moyenne ! Autre trait de scénario un peu troublant, le personnage de Lithal, dont on ne sait trop s'il est vraiment mort (et donc, si c'est en rêve qu'il apparaît mutilé à Venise) ou s'il s'agit d'une sorte d'androïde indestructible qui choisit de faire un bout de route avec celui qui est sensé l'avoir abattu. Pas clair, tout ça. Mais bien entendu, ce premier tome est une mise en place et l'on peut s'attendre à comprendre bien davantage de choses dès le tome deux. Pour le reste, on retiendra un dessin efficace sans être toujours très précis, des couleurs tout à fait dans l'air du temps (c'est évidemment ce qu'on pouvait attendre de Color Twins) et une superbe couverture qui devrait attirer l'attention d'un large public sur les présentoirs des libraires. Bref, on attend la suite et on en reparle.
Fleurs de sang (Bleu Lézard) par Thierry Bellefroid
« Fleurs de sang », le tome 3 de la série Bleu Lézard, par Benoît Roels, dans la collection Bulle Noire.

Après un beau diptyque, nous retrouvons Ellen Olivier dans cette nouvelle aventure imaginée et dessinée par Benoît Roels. Seule, désormais, (Matt, son mari, n'aura pas réussi à empêcher leur inéluctable séparation) elle semble avoir retrouvé une raison de vivre après le désenchantement de la fin de « Poings liés ». Benoît Roels nous propose un étrange parcours sur les traces d'une héroïne qui n'en est pas une et dont l'univers évolue radicalement d'un album à l'autre. On ne peut que s'en réjouir. Après une histoire qui avait tout du « Patient anglais » en version marine, nous voici la plupart du temps sur la terre ferme, dans le milieu des peintres amateurs. Le changement est radical. Mais pas l'esprit. « Fleurs de sang » est une petite histoire « policière » sans autre prétention que de faire mûrir Ellen, de la confronter à la douleur et à l'amour, une nouvelle fois. Une histoire où les gentils ne sont pas aussi gentils qu'ils en ont l'air, où les méchants ne sont pas forcément antipathiques. Une histoire sur la fragilité, la vengeance et la compassion. J'avoue, je l'ai lue avec plaisir, me disant qu'il y avait chez cet auteur une démarche décidément très proche de celle de Jean-Charles Kraehn (les deux premiers albums évoquaient bien entendu l'univers de « Tramp » mais cette similitude dans la démarche va au-delà d'une ressemblance de lieux ou de personnages) Bref, c'est plaisant et divertissant sans être gratuit. Dommage que le dessin de Benoît Roels louche un peu trop vers celui de Philippe Francq et que les couleurs soient si criardes.
« La ville des mauvais rêves, Urani » par Sfar et David B. Dans la collection « Poisson Pilote » des éditions Dargaud.

L'un publie depuis près de dix ans, l'autre six. On a pourtant l'impression qu'ils font partie des meubles et qu'on les a toujours connus. David B et Joann Sfar ont contribué, chacun à leur manière, au renouvellement de la BD. Avec des auteurs comme Lewis Tronddheim, Christophe Blain ou Emmanuel Guibert, tous plus ou moins proches de L'Association, ils essaiment gaiement aujourd'hui, parmi les « grandes maisons ». On l'a souvent dit, on croirait la collection « Poisson Pilote » faite pour eux. Ce n'est pas ce nouvel opus qui viendra démentir cette impression. La couverture nous prouve à elle seule à quelle osmose peuvent arriver les deux auteurs qui dessinent ici à quatre mains. Comme sur d'autres projets (Donjon, chez Delcourt, par exemple), cette génération de dessinateurs semble vouée à travailler en duo (ou plus si affinités, voir « Donjon », justement). Aucun des deux créateurs ne perd ou ne renie sa personnalité. Ainsi, on reconnaît tout de suite le trait de Sfar dans certains personnages, à commencer par « Europe », la créature en couverture. Mais on reconnaît tout aussi facilement à l'arrière-plan des maisons que seul David B peut avoir dessinées. Il en va de même à l'intérieur de la BD, mais un lecteur non averti croira, lui, qu'un seul dessinateur a réalisé l'ensemble. Cette complémentarité graphique est déjà en soi une réussite. Mais le duo n'a pas fait que dessiner à quatre mains. Il a pensé à quatre hémisphères, aussi. Et avec leurs imaginaires respectifs particulièrement féconds, David et Joann ne pouvaient que créer une histoire folle, originale, drôle (sans être comique, nuance), intelligente, inventive. C'est le cas d'Urani, qui vient prouver à quel point cette année 2000 est un grand cru, tant pour l'auteur de l'Ascension du Haut Mal (on pense au Capitaine Ecarlate ou aux Ogres) que pour celui du Professeur Bell (Petit Vampire, Merlin, Pascin, Donjon...).
Que dire de l'histoire sinon qu'elle étonne à chaque page ? L'idée du Super Héros qui échappe à son inventeur n'est pas neuve, amis elle trouve ici un prolongement totalement inattendu. Le fantastique n'est jamais gratuit et tout ce qui peut paraître trop gros (comme ce tigre qui parle et qui se tient sur deux pattes) finit par trouver une explication au bon moment. Car la force de ce récit tient aussi au rythme de ses explications. Et à son mode de narration, en chapitres très courts, très rythmés, stylisés à l'extrême. Pas de déchet, pas de digression inutile, rien que de l'aventure et de l'imagination pure distillées sur 46 planches avec brio. Vivement le prochain.
Le baiser (Emma) par Thierry Bellefroid
« Le baiser », tome 3 de la série Emma. Par Christian de Metter. Chez Triskel.

Parus à quelques mois d'intervalle, les trois tomes d'Emma constituent une des bonnes surprises de cette année, en BD. Un auteur atypique, au dessin attachant, nous propose une histoire de faux-semblants très esthétisante. Comme on pouvait s'en douter, la vraie question de ce triptyque n'est pas de savoir qui est le héros amnésique ni de révéler son passé. Cette question-là restera sans réponse. Ce qui importe, c'est le rapport obsessionnel du peintre au modèle, la fascination éprouvée pour une femme au visage d'ange, incarnation de ce que peut-être la féminité sur une toile. En cela, le pari est gagné. Cette BD imaginée par l'auteur il y a près de dix ans méritait amplement de sortir des cartons. Il aura fallu une maison d'édition confidentielle pour nous révéler un auteur de talent qui utilise la peinture comme d'autres l'encre de Chine. Chaque case de de Metter est un tableau, chaque planche est un parcours initiatique. Et dans ce dernier album mystérieux, plus sombre encore que les précédents, la maîtrise picturale de l'auteur s'affiche comme une évidence. Christian de Metter est depuis lors sorti définitivement de l'anonymat avec « Dusk » (voir critique par ailleurs), la très bonne histoire imaginée par Richard Marazano publiée en septembre par les Humanos. Mais Emma reste plus personnel, plus audacieux et de loin plus artistique que « Dusk ». Moins abouti au plan du scénario, soit, mais tellement réussi au plan du dessin qu'en parler devient inutile, il faut l'acheter et la lire...
« La marque du diable », tome un de la série « Le scorpion », par Marini et Desberg. Chez Dargaud.

Avec 60.000 albums tirés en français, Dargaud mise assurément sur cette nouvelle série (pour la comparaison, beaucoup de séries tout à fait honorables plafonnent à 20.000 exemplaires...). L'éditeur misait d'ailleurs dessus très tôt, commençant une campagne de communication plus de six mois avant la sortie de l'album ce qui est pour le moins exceptionnel... avec le risque d'agacer un peu les journalistes spécialisés, généralement méfiants face aux grosses machines marketing des éditeurs. Mais le résultat ne déçoit pas ! Rome, le dix-huitième siècle, la grande Aventure pimentée d'un zeste de mystère : tous les ingrédients réussissent aussi bien à Marini qu'à Desberg. L'histoire est plaisante et mouvementée tout en maniant sans cesse l'humour et la distance du second degré. Le dessin, magistral, convient parfaitement à un Marini au mieux de sa forme. Curieusement, le choix du format « standard » et non du grand format est une idée des auteurs. Ils voulaient privilégier ce côté populaire de Scorpion. L'album sera évidemment plus facile à écouler, car moins cher et plus conforme au souhait des grandes surfaces, principaux « faiseurs » de best-sellers. Ce n'est donc pas Dargaud (et en l'occurrence Yves Schlirff, le directeur éditorial) qui a conseillé à Marini et Desberg d'adopter ce format. Pourtant, plusieurs lecteurs seront sans doute un peu tristes, comme moi, de ne pas pouvoir bénéficier d'un album plus grand, mettant mieux en avant le formidable talent graphique du Suisse d'adoption (il est Italien et il y tient !). Bien sûr, la plupart des ingrédients ont déjà été utilisés ailleurs. Mais la force de Stephen Desberg est justement de nous rappeler les films de cape et d'épée et les livres de Dumas que nous avons tous en mémoire sans vraiment les plagier. C'est réussi. On ressort de cette lecture avec le sentiment qu'une telle série s'imposait dans le paysage BD actuel. Qu'on se rassure, le tandem n'est pas à court d'idées ni d'enthousiasme. Enrico souhaitait travailler sur le sujet mais cherchait des idées. Stephen les lui a amenées, sous la forme d'une dizaine de scénarios à peu près charpentés ! Scorpion est donc bien décidé à prendre sa place dans les grandes séries populaires de la BD. Et Dargaud fera sans doute tout ce qu'il faut pour ça. Quand ce n'est pas au détriment de la qualité, pourquoi pas ?
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