« La ville des mauvais rêves, Urani » par Sfar et David B. Dans la collection « Poisson Pilote » des éditions Dargaud.
L'un publie depuis près de dix ans, l'autre six. On a pourtant l'impression qu'ils font partie des meubles et qu'on les a toujours connus. David B et Joann Sfar ont contribué, chacun à leur manière, au renouvellement de la BD. Avec des auteurs comme Lewis Tronddheim, Christophe Blain ou Emmanuel Guibert, tous plus ou moins proches de L'Association, ils essaiment gaiement aujourd'hui, parmi les « grandes maisons ». On l'a souvent dit, on croirait la collection « Poisson Pilote » faite pour eux. Ce n'est pas ce nouvel opus qui viendra démentir cette impression. La couverture nous prouve à elle seule à quelle osmose peuvent arriver les deux auteurs qui dessinent ici à quatre mains. Comme sur d'autres projets (Donjon, chez Delcourt, par exemple), cette génération de dessinateurs semble vouée à travailler en duo (ou plus si affinités, voir « Donjon », justement). Aucun des deux créateurs ne perd ou ne renie sa personnalité. Ainsi, on reconnaît tout de suite le trait de Sfar dans certains personnages, à commencer par « Europe », la créature en couverture. Mais on reconnaît tout aussi facilement à l'arrière-plan des maisons que seul David B peut avoir dessinées. Il en va de même à l'intérieur de la BD, mais un lecteur non averti croira, lui, qu'un seul dessinateur a réalisé l'ensemble. Cette complémentarité graphique est déjà en soi une réussite. Mais le duo n'a pas fait que dessiner à quatre mains. Il a pensé à quatre hémisphères, aussi. Et avec leurs imaginaires respectifs particulièrement féconds, David et Joann ne pouvaient que créer une histoire folle, originale, drôle (sans être comique, nuance), intelligente, inventive. C'est le cas d'Urani, qui vient prouver à quel point cette année 2000 est un grand cru, tant pour l'auteur de l'Ascension du Haut Mal (on pense au Capitaine Ecarlate ou aux Ogres) que pour celui du Professeur Bell (Petit Vampire, Merlin, Pascin, Donjon...).
Que dire de l'histoire sinon qu'elle étonne à chaque page ? L'idée du Super Héros qui échappe à son inventeur n'est pas neuve, amis elle trouve ici un prolongement totalement inattendu. Le fantastique n'est jamais gratuit et tout ce qui peut paraître trop gros (comme ce tigre qui parle et qui se tient sur deux pattes) finit par trouver une explication au bon moment. Car la force de ce récit tient aussi au rythme de ses explications. Et à son mode de narration, en chapitres très courts, très rythmés, stylisés à l'extrême. Pas de déchet, pas de digression inutile, rien que de l'aventure et de l'imagination pure distillées sur 46 planches avec brio. Vivement le prochain.