Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Les survivants (Bételgeuse) par Thierry Bellefroid
« Les survivants », tome 2 de la série Betelgeuse. Par Léo. Chez Dargaud.

Après un enthousiasme tout à fait justifié à la sortie du précédent album, mes attentes étaient grandes lorsque j'ai entrepris la lecture de ce deuxième volume de Betelgeuse. Elles n'ont pas été déçues une seconde. Non seulement Léo est un grand (un très grand ?) scénariste, mais il arrive en outre à doser à la perfection les aspects d'aventure et de suspense qui rendent son histoire attractive et les côtés humains -pour ne pas dire humanistes- qui en font le véritable sel. Kim et ses quatre compagnons d'infortune vont ici en fournir une preuve éclatante. Il y a des scènes percutantes (la rencontre avec une énorme créature verte aux planches trois et quatre, par exemple ou la bagarre entre les « affreux » et l'ourson aux planches 32-33). Il y a des décors toujours aussi incroyables et fascinants. Il y a des relations complexes entre les personnages principaux, une intrigue solide où rien n'est donné d'avance. Et puis il y a le rôle que Léo choisit de donner à Kim dans cette aventure, avec toute la sensibilité qu'on lui connaît. Fragile, balancée entre des attitudes contradictoires, Kim doute plus qu'autre chose. Elle est pourtant la clé qui réconciliera les clans opposés installés -ou plutôt échoués- sur Betelgeuse, on le sent. En deux albums, Léo nous a presque fait oublier combien Aldébaran était génial. Son nouveau monde est encore plus passionnant. Et son intrigue au moins aussi intelligente. Quant à ces « bestioles » qui naissent dans l'imagination de l'auteur, elles sont toujours à la fois surprenantes et superbes. Un « must ».
Mémoires 99 (XXe Ciel.com) par Thierry Bellefroid
« Mémoires 99 », tome 2 de « XXème Ciel.com » par Bernard Yslaire. Aux Humanoïdes Associés.

Il est décidément bien ardu de suivre Bernard Yslaire sur la voie du XXème Ciel. Non pas que l'album soit compliqué. Au contraire, ce deuxième tome est sans doute plus direct, plus fluide que le premier. Mais il n'empêche que la forme est désarçonnante. Ni à proprement parler BD. Ni roman photo. Encore moins roman tout court. Un assemblage, sorte de tirage papier d'un récit informatique qui pousse Bernard à livrer des dessins soit très proches du document photographique soit, au contraire, au crayonné apparent, presque non achevés. Yslaire donne très peu de réponses aux questions que se pose son lecteur. Il remplit tout de même certains vides et propose, à l'aide de flash-back, d'apporter quelques éclaircissements aux prémisses du premier tome. Certains continueront de penser que l'auteur ne sait pas où il va, voire qu'il n'a rien à dire. D'autres, au contraire, trouveront ça génial. Je me contenterai de patienter jusqu'à ce que l'oeuvre prenne vraiment forme. Car si les deux premiers volumes me parlent, notamment au travers de leur vision extrêmement noire du siècle qui vient de s'achever, je ne dirai pas qu'ils me comblent. On ne peut pas empêcher un auteur comme Yslaire d'aller au bout de ce qu'il ressent comme une forme ultime d'expression. Mais on peut espérer qu'on sera en mesure de l'y suivre. Certains ont malheureusement déjà décroché.
« Les Icariades, tome 1 », par Termens et Efa. Chez Paquet.

Si vous ouvrez cet album, vous serez forcément frappés par ses couleurs et même par son dessin en général. On aurait presque envie de ne parler que de ça, tant on reste séduit par la forme. Pourtant, ce n'est pas au détriment du fond. « Les Icariades » racontent comment un peuple simple mais pacifique vivant dans une grande steppe au bord de lacs sacrés voit son destin basculer à cause de la mésentente régnant entre ses voisins. Le territoire du centre est en effet une sorte de no man's land sur une planète dont on devine (on n'en voit encore presque rien dans ce premier tome) qu'elle est en grande partie dévolue à la guerre. Le destin de ce bout de terre va changer grâce à l'arrivée inopinée d'une vaisseau venu du Nord pour des repérages photographiques. Pris en chasse et abattu au-dessus de la région des lacs sacrés, le vaisseau en question s'écrase. Un jeune homme survit et est recueilli par les autochtones. Il va devenir l'ami inséparable de Clio, une jeune fille qui n'a pas froid aux yeux et vivre avec elle des aventures parfois palpitantes pour sauver la paix...
Mais revenons au splendide dessin de Efa, pratiqué sur des papiers de couleur qui permettent de garder des fonds uniformes tantôt bruns, tantôt bleus ou verts. Un travail en négatif, si l'on peut dire, où l'artiste se sert de la matière première pour donner une couleur générale à la planche ou à une partie de planche. Sur ce fond coloré, la peinture et la craie se mélangent avec beaucoup de grâce et une vivacité exemplaire. Il y a une véritable magie dans le dessin d'Efa. Il y a aussi beaucoup de maîtrise, à la fois dans l'art des gros plans et dans celui des paysages. Difficile de trouver des défauts à cet album, si ce n'est qu'on le voudrait plus long pour être moins frustré lorsqu'on arrive en bas de la page 50...
Racken (ARQ) par Thierry Bellefroid
« Racken » tome 4 de la série « Arq » par Andréas, chez Delcourt.

Cette fois, on entre dans le vif du sujet avec ce quatrième album. Après une mise en place particulièrement réussie et deux albums de transition (« Mémoires 1 » et « Mémoires 2 ») qui exploraient le passé et la psychologie des protagonistes, Andréas peut s'attaquer à leur devenir dans le monde parallèle où ils ont échoué tous en même temps, à la première page de la série. Le personnage principal de cet album est Pascoe Montana, le criminel au visage bandé. Il apparaît plus que jamais comme totalement dénué de scrupule ou d'humanité. Assoiffé de pouvoir, il tente de s'imposer dans ce monde dont il ne connaît pas les règles. Face à lui va se dresser Nonac, le Maître des Esprits qu'il a tenté de supprimer dans le premier album. Un combat entre le Bien et le Mal ? Pas sûr, car le caractère de Nonac n'est pas encore défini avec beaucoup de précision. Ce qui est sûr, apparemment, c'est qu'Andréas se sert de ce monde parallèle pour livrer une métaphore sur l'âme humaine. L'entreprise semble réussir. Du moins jusqu'ici. Son histoire est forte, bien charpentée. Ses personnages sont intriguants, denses. La narration, plus fluide peut-être que dans d'autres de ses séries, est efficace et soutenue par un rythme régulier ; Andréas est un éclusier à la main sûre, il sait quand et comment il doit « lâcher les eaux ». Arq est peut-être la série la plus « tous publics » qu'il ait faite jusqu'ici. Moins ésotérique que d'autres, elle n'en pose pas moins un certain nombre de questions. Les réponses arrivent au compte-goutte. Mais il faut bien dire qu'on ne sait toujours pas vraiment où tout ça va nous mener. Laissons-nous faire...
« The Magic of Aria », tome 1, par Brian Holguin et Jay Anacleto, chez Semic Books.

Quand les Américains s'emparent du monde des fées et des elfes, ça donne forcément autre chose que ce qu'on en fait chez nous. Aussi, ne vous étonnez pas de voir ce récit commencer en plein New York. Lady Kildare a quitté son royaume il y a quelques siècles pour partager la vie des humains dans la « Grande Pomme ». Et apparemment, elle ne le regrette pas. Elle prend d'ailleurs du bon temps. Mais la vie d'une fée ne se cantonne pas à la consommation oisive des siècles. Le Mal rôde toujours quelque part. En l 'occurrence, le Mal a investi le ventre de sa cousine Gwynnion il y a longtemps déjà... et elle ne s'en est jamais vraiment remis. Le Mal sillonne aussi les artères de la ville et laisse derrière lui des corps mutilés ou des monstres à la tête d'insecte géant. Bref, Lady Kildare va prendre le chemin du combat, comme on pouvait s'y attendre. Le choc des cultures et des décors est bien exploité par Brian Holguin qui est secondé par le dessin très « aérographe » du philippin Jay Anacleto, sauf pour le troisième chapitre où Roy Martinez prend le relais (habitude aux Etats-Unis où les dessinateurs sont interchangeables et ne sont pas attachés à une série) avec un graphisme sensiblement différent. Ce premier tome est plaisant, typiquement US (mais c'est tout ce qu'on demande quand on lit du comics, non ?) et parsemé de scènes efficaces. Bien sûr, tout cela est parfois très convenu et sans le mélange entre époque contemporaine et royaume des elfes, ça manquerait franchement d'intérêt. Mais Holguin et Anacleto ont su créer une alchimie qui fonctionne plutôt bien.
« C'est la vie, t.1 », par Carlos Trillo et Laura Scarpa. Aux éditions La Mascara (groupe Semic)

Judicieusement sous-titré « à quoi bon tomber amoureux quand on est jeune, timide et con ? », ce petit opus de l'Argentin Trillo est un vrai régal. Plus proche de la chronique quotidienne que du polar où il excelle généralement, l'auteur nous fait entrer dans l'intimité de deux jeunes ados aussi mal dans leur peau l'un que l'autre. Un jeune boutonneux, Toine, dont le père ne pense qu'à sauter des filles plus jeunes que son fils. Et une fille introvertie, Anne, coincée entre les rêves égocentriques d'une soeur anorexique qui se voit mannequin et les névroses d'une mère elle-même obsédée par ses prothèses en silicone. Le tableau ! D'autant que tout ce petit monde vit dans le même immeuble. Voisins, les deux adolescents n'en finissent pas de se rater. L'un comme l'autre, ils aimeraient profiter des hasards d'une rencontre pour faire mieux connaissance. Mais Trillo a parfaitement reproduit les comportements maladivement timides que l'on peut avoir à cet âge-là. Il n'y a pas que leurs comportements qui soient finement observés. Cette galerie de portraits avec amant jaloux, nymphomane aux identités multiples et élève de dessin réfugié dans ses fantasmes est parfaite. On suit le cours du récit, entre quiproquos, disputes, frustrations, peines et faux espoirs avec ce mélange de jubilation et de complicité que provoquent les bonnes BD. Quant au dessin de l'italienne Laura Scarpa, il est le complément parfait de l'histoire imaginée par Trillo (excellents, ces « portraits » de la soeur anorexique devant sa glace !) et oscille parfois entre plusieurs genres -jusqu'à approcher le comics américain dans sa mise en page- sans jamais pour autant dévier d'une volonté de simplicité et de clarté.
Dixie Road - tome 4 (Dixie Road) par Thierry Bellefroid
« Dixie Road » tome 4. Par Labiano et Dufaux. Chez Dargaud.

Fin de cycle pour Dixie, la jeune ado ballottée au gré du vent par des parents en cavale, dans le Sud des Etats-Unis, au beau milieu des années trente. Pour rappel, son père est une petite frappe qui ne ramène que des ennuis à la maison (quand il y passe) et sa mère est l'héritière d'une grande famille qu'elle a fui pour suivre l'homme qu'elle aimait. Dixie ne rêve que d'une chose : que ces deux-là fassent la paix et repartent d'un bon pied. Mais ses parents sont bien mal assortis. Et le destin ne les laisse pas souvent souffler. Cette fois, dans le camp où ils se sont réfugiés, un camp où la grève des ouvriers menace de faire éclater la violence la plus grave, la dysenterie vient exécuter sa danse de mort. Le danger est partout (un peu trop peut-être, depuis le début de la série) et Dixie ne sait plus à qui se fier. On comprend ce que Jean Dufaux a voulu faire. Dixie Road est à la fois un road-movie en BD, une « mini-saga » familiale, une peinture de moeurs et d'époque, une fresque sociale à la « gloire » des plus pauvres, une histoire policière... le tout, vu par les yeux d'une gamine. C'est peut-être courir trop de lièvres à la fois. A force de vouloir faire le grand écart, on a l'impression que tout cela manque de chaleur, d'unité, d'humanité, de cohérence. C'est plus encore le cas dans cet album de dénouement, où la mécanique semble suivre son cours par elle-même. Le dessin de Labiano est agréable, certes, l'histoire aussi d'ailleurs. Mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il y avait moyen de faire mieux. Et on a bien du mal à croire, à certains moments, que c'est bien une jeune adolescente qui parle à travers la voix-off .
« Montmartre No Future », une aventure d'Eugène de Tourcoing-Startrec, peintre visionnaire, par Edith et Corcal. Chez Casterman.

Le scénariste des Zorilles (album N°2 récemment paru aux éditions Dupuis, soit dit en passant) et des « Enfants-hiboux » (voir critique par ailleurs) est décidément très en forme. Avec ce nouveau héros, il invente un monde fantasque, à cheval sur des genres aussi opposés que l'aventure, l'humour, le fantastique, l'onirique et l'historique. Peut-être certains lecteurs auront-ils justement du mal à se retrouver dans ce « melting-pot » scénaristique. Mais c'est justement ce qui fait tout le sel d'un album magnifique, qui doit aussi beaucoup à sa dessinatrice, Edith. Deux peintres un rien bohèmes et très portés sur l'absinthe, Eugène de Tourcoing-Startrec et Paumelle, vont vivre une étonnante aventure. L'alcool aidant, Eugène se met à peindre des tableaux en partie visionnaires. Il peint les modèles qu'il a devant lui, mais les décors, eux, sont ceux de la fin du siècle, alors qu'il vit au début des années 1900. Partant de là, une histoire rocambolesque nous emporte sur les ailes de l'aventure où tout est permis : le rêve, la prémonition éthylique, le viandisme (une nouvelle forme de peinture très odorante à laquelle s'initie Paumelle), les très drôles comparses révolutionnaires à l'accent espagnol (les O.R.T.E.I.L.S., pour Organisacion Revolucionar y Terriblé por la Expansion Illimitad de la Libertad) et surtout... la poésie. Un très bel album qui révèle toute la palette d'une dessinatrice trop longtemps absente du monde la BD, Edith. Sa mise en couleurs impressionniste, ses personnages et ses décors sont parfaits. Voilà bien une des ces BD que ni le cinéma ni la littérature ne pourraient égaler. N'est-ce pas tout ce que l'on demande à la bande dessinée : créer ses propres mondes ?...
« Mes voisins sont formidables », l'album. Par Gnaedig et Thirault. Aux éditions du Cycliste.

J'avais déjà eu l'occasion d'écrire tout le bien que je pensais du premier et deuxième volet de « Mes voisins sont formidables ». Ils étaient alors parus dans la collection Comix du Cycliste. Cette fois, agrémentés d'un troisième volet, « mes voisins » sortent au grand jour, en album cartonné, avec un port-folio signé Andréas, Dupuy-Berberian, Dérian, Boiscommun, Taduc, Durieux, Robin et quelques autres. On y trouve donc les deux excellentes histoires intitulées « Mes voisins sont formidables » (26 pages, dans une version revisitée ici) et « Un bon plan de chez bon plan » (24 pages). Quant à l'inédit (26 pages lui aussi), il s'appelle « Je vous demande de vous arrêter » et nous met sur la piste d'un détective privé totalement coincé que ne pouvait inventer que Philippe Thirault (l'auteur, pour rappel, de la série « Miss » (aux Humanos) et de quelques romans noirs au Serpent à Plumes) L'écriture de Thirault reste un pur bonheur, d'autant que les récitatifs nous mettent ici dans la tête du privé en question, puceau, soutien d'une mère acariâtre et malade dont il ramasse les sarcasmes aussi bien que les excréments. La voix-off est décidément un genre dans lequel Philippe Thirault excelle. Quant à l'histoire, elle se mord la queue. Au bout de cette non enquête, on s'aperçoit que l'auteur nous a baladés une fois de plus dans sa galerie de portraits et que les meurtriers n'étaient peut-être pas là où on les attendait. Le dessin de Sébastien Gnaedig, devenu entre-temps directeur de collection chez Dupuis (il dirige les collections « Repérages » et « Aire Libre » après avoir présidé aux destinées éditoriales des Humanos), reste toujours aussi spontané et clair. Bref, si vous aimez le polar et l'écriture à l'encre de seiche... ne ratez pas cet album.
« Les superhéros injustement méconnus » de Larcenet. Chez Fluide Glacial.

On connaît l'humour de Larcenet, qui essaime de plus en plus vers les grandes maisons d'édition. La sortie conjointe de ce nouvel album chez Fluide et du tome 1 de Pedro Coati chez Dupuis (avec Gaudelette au dessin) prouve qu'il n'est pas à court d'idées. Difficile de résister à l'humour décalé qui pave cet album d'un bout à l'autre. Ces superhéros injustement méconnus n'ont rien à envier au Super Dupont de Gotlib. Ils sont tout aussi ridicules et maladroits. Exemple, Super Timide Boy qui laisse une jeune fille se faire dévorer par Godzilla (et qui lui laisse raser le XIVème arrondissement au passage) parce que dès qu'il voit une donzelle il perd tous ses moyens. Ou Wonder Mecanicien, qui finit sa carrière méritoire en commettant une bévue de la taille d'une catastrophe naturelle. Ou encore Combustion Man qui n'est autre que Landru. Tous plus drôles et plus loufoques les uns que les autres, voilà des superhéros qui tournent généreusement le dos à leurs cousins d'Amérique. Si Larcenet devait recevoir une bourse pour soutenir l'humour français, cet album serait gagnant à tous les coups. Bref, c'est drôle, décalé, parfois gentiment cynique et toujours parfaitement dessiné par un Larcenet à qui le noir et blanc va comme un gant. Mention spéciale pour les mots de passe que doivent s'échanger Hyper défoncé Man et son dealer, ils m'ont bien fait rire...
« Comme un vol de flamants », tome 2. Par Ramon Finster et Franck Dumouilla. Chez Pointe Noire.

Suite et fin de cette histoire dessinée par Franck Dumouilla à partir du roman de son ami Ramon Finster. On retrouve tous les personnages du premier album pour un final presque allégorique. C'est vrai que lorsqu'on referme ce deuxième tome, on se dit qu'on vient de lire une histoire totalement idéaliste, qui n'a pas de rapport avec le monde tel qu'il est. Cette variation sur Don Quichotte est en effet trop pétrie de bons sentiments et trop merveilleuse pour pouvoir être prise au pied de la lettre. Car si Julien et son jeune ami narrateur se contentaient de jouer les « garnements irrévérencieux » dans le premier album, ils passent ici à la vitesse supérieure avec une facilité un rien déconcertante. Sans foi ni loi, ils expérimentent ce que peut vouloir dire le mot liberté lorsqu'on le prend dans son acception la plus dangereuse. « Carpe diem » est leur devise. Leur folle cavale les pousse loin au-delà de ce que la morale peut accepter, mais leur soif de justice et de fraternité excuse tout. C'est donc une fable plus qu'un roman que composent les auteurs. Une fable sur la vieillesse, la mort, l'amour, la liberté. Une fable sur la difficulté de rester en dehors des codes, de sortir des marges. Mais ces marginaux-ci sont finalement tellement ordinaires qu'ils nous renvoient au petit grain de folie qui sommeille en nous et ne demande qu'à se faire arroser. Non, l'histoire de Julien, en tant que telle, n'est guère crédible. Mais aidé du dessin « naïf » de Franck Dumouilla (qui a considérablement mûri depuis les premières planches !), Ramon Finster réussit, par delà la mort (pour rappel, il a disparu avant la fin du premier album) à nous faire rêver à ce monde d'utopies auquel il aspirait. C'est beau, généreux et presque désespéré à la fois.
Kyoto Béziers par Thierry Bellefroid
« Kyoto Béziers », par Pierre Duba et Daniel Jeanneteau, chez Six Pieds Sous Terre.

« Kyoto Béziers » est à la fois une bande dessinée, un livre et une expérience. Deux amis, Pierre Duba et Daniel Jeanneteau, décident d'établir une correspondance quotidienne pendant les quelques mois que le second, scénographe, va passer au Japon pour étudier le Nô. Pierre Duba dessine ce qu'évoquent pour lui les textes reçus de son ami, tout en racontant son quotidien : ses enfants, la région où il vit entre vignobles et mer, celle d'où il vient (l'Alsace), ses rêves et ses voyages intérieurs. L'ensemble pourrait être décousu, sans intérêt. Au contraire, cet aller-retour entre le Japon et la France fonctionne admirablement, parce qu'il a les accents de la sincérité. Daniel Jeanneteau commence tout naturellement par le récit de son voyage. Il en a retenu exactement les mêmes choses que le héros du livre « Attentat », d'Amélie Nothomb. Impossible de ne pas penser à elle, d'ailleurs, en lisant cette bande dessinée. Le Nô renvoie à son dernier ouvrage, où la romancière parle de sa prime enfance (« Métaphysique des tubes » chez Albin Michel). La différence entre les deux cultures rappelle d'autres ouvrages comme « Stupeur et tremblements » (même éditeur). Bref, il y a d'inévitables rapprochements. Et même si la langue de Daniel Jeanneteau ne peut rivaliser avec celle de la célèbre romancière, il y a une véritable musicalité dans les textes des deux auteurs, que ce soit chez Jeanneteau ou chez Duba (si l'on pardonne quelques fautes d'orthographe vraiment peu élégantes !). Une musicalité qui se double d'une approche du dessin très poétique. Déjà très proche d'Edmond Baudoin dans son graphisme, Pierre Duba assume encore davantage cette filiation dans le traitement de l'imaginaire intérieur. Son trait à l'encre de Chine fait fi des cases et se promène n'importe où sur la feuille, évoquant plus qu'il ne raconte, éthéré, léger, libre. En deux carnets, les auteurs ne racontent pas seulement le monde autour d'eux, ils se racontent, eux. Sans fausse pudeur. Sans artifice. C'est touchant, parfois grave, toujours sincère.
Le val des ânes par Thierry Bellefroid
« Le val des ânes » par Matthieu Blanchin. Chez Ego Comme X.

Il y a des gens qui sont doués pour se raconter. C'est le cas de Matthieu Blanchin. Dans cette chronique de son enfance, il nous emmène à la découverte du « Val des ânes », ce petit bout de campagne où il échoue avec ses deux frères, à l'âge où l'on a peur de rien, si ce n'est dormir dans le noir. Les trois Blanchin vont faire les 400 coups et Matthieu semble n'avoir rien oublié. Anecdotes, souvenirs émus et scènes d'anthologie se succèdent sur ce petit bout de terre. On met des pétards dans les bouses de vaches, on en teste l'un ou l'autre dans l'arrière-train d'une poule, on compare les anatomies des garçons et des filles, on terrorise le cadet en lui racontant d'horribles histoires, on fait des concours de lance-pierre sous les fenêtres, bref, une enfance insouciante et drôle, que Matthieu Blanchin raconte avec fraîcheur et spontanéité pour notre plus grand bonheur. La lecture de ce livre est un régal, elle a ce parfum d'authenticité des bons albums de récits de jeunesse, ceux qui vous touchent, vous font rire et vous rappellent vos propres bêtises d'enfant. Un beau moment.
Gabrielle par Thierry Bellefroid
« Gabrielle », par Kara. Chez Pointe Noire.

A lire cet album sans connaître son auteur, on pourrait croire qu'il s'agit d'une femme. Il se dégage en effet de cette histoire une « féminité » qui s'exprime tant dans le dessin que dans les caractères des personnages. Kara est pourtant un homme. Et ses personnages principaux ne sont pas tout à fait des femmes. Il s'agit plutôt de deux gamines, Gabrielle et Raphaëlle. Archanges de leur état, elles vont se livrer un étrange et terrible combat. L'une est revenue de tout ; elle sait que le Paradis a été anéanti et s'est associée au Diable pour gagner une place en Enfer, le seul lieu où la vie éternelle semble encore avoir un sens. L'autre est restée pure, idéaliste, jusqu'à mettre sa propre vie en péril. La confrontation peut avoir lieu.
Influencé par la manga et peut-être même surtout par le dessin animé japonais, Kara n'a pas hésité à dessiner deux fillettes aux grands yeux, qui semblent aussi innocentes que l'enfant qui vient de naître. Elles évoluent dans un décor qui doit beaucoup à l'Art Nouveau et qui pourrait s'inspirer au moins en grande partie du New York du début du XXème siècle. Couleurs et architecture témoignent en tout cas d'une recherche évidente. Quant à l'histoire, elle surprendra par son apparente cruauté. Kara ne ménage pas ses héroïnes à l'apparence trop innocente. Il les confronte à un monde violent, cynique et désabusé. Le résultat est intéressant. Même si le scénario est un peu convenu, l'univers, lui, est inventif.
La Prophétie de Korot (La roue) par Thierry Bellefroid
« La prophétie de Korot », tome 1 de la série « La roue », par Goran Skrobonja et Drazen Kovacevic. Dans la collection « Vécu » des éditions Glénat.

Pas à dire, ces deux-là n'ont pas usurpé leur première place au concours organisé en 99 par les éditions Glénat sur le thème du troisième millénaire. La Roue est une série qui promet. Et même si le dessin de Drazen Kovacevic est encore hésitant, voire imparfait, il laisse transparaître une certaine personnalité et une sensibilité intéressante dans le traitement des couleurs. Les choix chromatiques du dessinateur sont en effet très opportuns. Dans la partie « contemporaine » de l'histoire (futuriste serait plus judicieux si l'on se place du point de vue du lecteur, puisque l'action se passe en 2053), il privilégie les gris et les dominantes ternes, métalliques. Dans cette société futuriste dominée par la technologie, le héros « Chester », ancien sportif déchu aujourd'hui condamné pour le meurtre de sa femme, croupit en prison avant d'être soumis à « La roue ». Dans la partie « médiévale », en revanche, on retrouve une gamme de couleurs beaucoup plus vives dominée par les bleus (le cyan, surtout). Ces choix chromatiques balisent parfaitement deux univers que tout oppose... jusqu'au sexe du héros, transformé en femme lorsqu'il est soumis à l'autre époque.
L'idée sur laquelle repose la nouvelle de Goran Skrobonja est excellente. Afin de désengorger les prisons, on dissocie l'esprit du corps des prisonniers grâce à un procédé scientifique et l'on garde l'enveloppe charnelle du condamné pendant une durée déterminée dans des caissons cryogénisés, cela pendant que son âme est « aspirée » dans un vortex qui l'envoie dans une autre dimension. En l'occurrence, l'esprit de Chester se retrouve dans le corps d'une princesse, sur une planète inconnue, à une époque médiévale, à l'heure de conflits de pouvoir sanglants. Pour survivre, Chester doit s'adapter tout en jouant le rôle qu'on attend de lui. Tout cela fonctionne à merveille et permet à l'auteur de toucher à tout. Ni historique à proprement parler, ni fantastique au sens propre, son récit touche à la SF, à l'héroïc-fantasy, à l'anticipation... Flirtant avec tous les genres, il entraîne le lecteur dans une dimension proche du jeu de rôles (l'auteur avoue d'ailleurs avoir été en partie influencé par « Donjons et Dragons ») où l'imagination est sans limite. C'est original, vif, difficilement classable (ce qui déplaira forcément aux adeptes des étiquettes en tout genre...). Les défauts sont ceux d'une première BD (qui plus est adaptée d'une nouvelle) : trop bavard, parfois confus, tiré en longueur au risque de paraître creux ou gratuit à certains moments (trop de scènes de combat) et bien sûr, imparfait au plan du dessin. Mais ces petits défauts ne doivent en aucun cas vous arrêter, ce serait vous priver d'une bonne histoire.
Craquelures (Les faussaires) par Thierry Bellefroid
« Les faussaires », tome 1. Par Bazile. Chez Hors Collection.

Bruno Bazile, vous le connaissez peut-être déjà. Il a signé deux albums chez Dargaud, les Forell, sur scénario de Plessix. Le voilà qui débute en solo. Et on peut dire que ça lui réussit. Sur le thème de la peinture et de la création, il nous propose quatre nouvelles « policières », qui vont du milieu du XIXème à 1945. Quatre histoires qui rappellent le récent « Green manor » paru chez Dupuis, parce qu'elles puisent ici aussi aux sources de la logique. « Les faussaires » ne raconte pas nécessairement des histoires de faussaires, mais bien des histoires d'usurpation, de tricherie, de veulerie dont le point commun est d'avoir un rapport avec la peinture. C'est à chaque fois subtil et inattendu, intelligent et original. C'est aussi dessiné de main de maître par Bruno Bazile. Sur un fond gris tirant sur le beige, son noir et blanc granuleux fait des merveilles. Personnages, ambiances, décors, tout est donné sans effort apparent, mais avec une étonnante justesse. Un très bel album.
Love Story par Thierry Bellefroid
« Love Story », par Eco, chez Paquet.

Eco n'est pas le premier à tenter l'aventure de l'histoire muette. Mais il est peut-être le premier à avoir si brillamment joué sur des phylactères iconiques. Car contrairement à des expériences comme celles de Trondheim ou Robin, il y a ici une série d'informations complémentaires qui passe par les petits dessins contenus dans les phylactères. Un peu comme si le cinéma muet avait été doublé d'une bande sonore en chansons. Eco arrive à faire sourire aussi bien à travers l'histoire qu'il raconte que grâce à ces petits rébus placés au-dessus des personnages. Son dessin dépouillé au découpage ultra-classique (un gaufrier à six cases le plus souvent) est plaisant et fonctionne à l'économie. Le héros -qui se fait larguer par sa compagne au début de l'histoire- est plus une victime de l'amour qu'autre chose. Le titre « Love Story » est en effet un peu trompeur, car ce brave garçon s'en va expérimenter un large éventail de désillusions tout au long de l'album. Entre des filles qui lui préfèrent un grand blond baraqué, une voisine à la libido déchaînée aussi laide qu'un pou et un vieux marin qu'il croise de ci de là, il n'a en tout les cas pas le temps de s'ennuyer. Le lecteur non plus.
« Dans la peau d'une femme », par Walthéry, Di Sano et Mythic, chez Joker éditions.

Changement d'équipe pour le tome deux de cette histoire érotico-policière qui correspond parfaitement au catalogue des éditions Joker (ex-P&T). Le premier volume, « Une femme dans la peau », brillait davantage par ses défauts que par ses qualités. Le scénario de Fritax était confondant d'invraisemblance et se traînait en longueur. L'histoire était simple : un type qui s'est fait écraser par un bus se réveille dans le corps d'une superbe blonde à la suite d'une expérience diabolique perpétrée par un savant fou dans les sous-sol de la morgue. Décidément, les scénaristes masculins aiment beaucoup les histoires d'hommes emprisonnés dans des corps de femmes, puisqu'il y a deux autres albums conçus sur cette idée : « La roue » (chez Glénat) et « Tirésias » (Chez Casterman). Passé ce constat, le premier volume n'apportait pas grand chose, y compris au plan du dessin. Walthéry, qui a son nom en grand sur l'album, ne dessine pas grand chose, il se « contente » de diriger l'équipe. Pour le premier album, c'était Georges Van Linthout (« Falkenberg » au Lombard ou « Les enquêtes Scapola » chez Casterman) qui s'y collait et on sentait bien qu'il « faisait » du Walthéry comme un Tibet qui ferait du Peyo. Comble de l'affaire : les filles qui étaient censées nous faire perdre le sommeil étaient tout simplement vulgaires et pour tout dire... pas très jolies. Le dessin échoit désormais à Di Sano (qui a bien profité de « l'effet Dany » pour lancer sa propre carrière chez P&T) et on ne peut que constater que c'est beaucoup plus agréable à lire. Mais surtout, Mythic (déjà complice de Walthéry sur « Rubine ») a repris le scénario. Et là, il y a une vraie différence. Spécialiste des reprises au pied levé (c'est lui qui a déjà sauvé « Alpha » des eaux, lui construisant le succès que l'on sait), Mythic s'est attaché à trouver une suite originale, plus nourrie. L'histoire prétexte du mec devenu une fille passe au second plan et devient un récit plus ou moins policier dans lequel des anciens nazis fatigués veulent profiter de l'invention dont a bénéficié l'héroïne pour reconquérir le monde dans le corps de... jeunes filles de la bonne société. Ca paraît un peu n'importe quoi dit comme ça, mais j'avoue que j'ai trouvé l'idée amusante et que l'humour de Mythic fait passer la pilule. C'est finalement beaucoup plus drôle et beaucoup plus fin qu'annoncé dans le premier album. Mythic a même tenté de gommer toutes les incohérences du premier scénario (mais une entreprise de scénaristes dirigée par Van Hamme lui-même ne suffirait pas à la tâche ! ) et Di Sano semble s'amuser à ses côtés. Une surprise réjouissante, donc, après le sinistre du premier opus. A confirmer dans le prochain volume : « Au malheur des dames ».
« Extraits Naturels de carnets, t.2 », par Lolmède, à La Comédie Illustrée.

« Ce matin, avec ma femme, on est allé faire les courses. En sortant, on a croisé la voisine, elle nous a raconté qu'elle avait perdu son chat. La voiture était givrée. On a dû s'y prendre à trois fois pour la faire démarrer. »
Voilà à peu près le genre d'histoires que raconte Lolmède dans ses carnets. Totalement dénuées d'intérêt, d'une vacuité à peu près sans équivalent, ses petites histoires narcissiques n'ont même pas l'heur d'être bien dessinées. L'auteur est-il persuadé de son génie ou surfe-t-il sans inspiration sur la vague de la BD autobiographique, très en vogue depuis quelques années ? Toujours est-il qu'on est loin du « Journal » d'un Fabrice Neaud (Ego Comme X) ou de l' « Approximativement » d'un Trondheim (Cornélius). Aucune distance, un humour qui flirte avec le degré moins vingt, des personnages aussi inconsistants que les histoires... n'est pas Mattt Konture qui veut ! Ces carnets (datant de 1994 et publiés en 2000) méritaient de rester dans un tiroir, pas d'être publiés. Pour amis de l'auteur, uniquement !
L'Expédition perdue (Darkan) par Thierry Bellefroid
« L'expédition perdue », tome 1 de Darkan. Par Plongeon, Mougne et Pinchon. Chez Nucléa.

Beaucoup d'éléments de cette bande dessinée viennent en droite ligne d'autres ouvrages ou films. Le début m'a d'ailleurs paru un rien trop prévisible. Mais il faut reconnaître qu'on aurait tort de ne pas la lire jusqu'au bout. Empruntant beaucoup à A.L.I.E.N., l'histoire nous propulse dans une lointaine galaxie où des humanoïdes chauves semblent régner sans partage. Ils sont soumis à l'autorité d'une caste supérieure (merci Jodo) dont est issu le héros, Darkan, Commandeur, fils du Commandeur Suprême, en mission dans l'espace au début de cette histoire. Darkan et les siens vont entrer en contact avec des aliens, qui essaiment dans leur communauté en « piquant » leur victime et en intégrant leur corps, semant la confusion dans leurs rangs. Rien que de très classique jusque-là. Ce qui sauve l'histoire, c'est la découverte d'une femme, une Terrienne, que fait Darkan à bord d'un vaisseau étranger échoué. Maintenue en caisson cryogénique, cette « créature » possédant des cheveux (et un assez joli minois, d'ailleurs) pourrait bien être l'une des descendantes d'une expédition jadis disparue corps et biens, mais dont les anciens ont longtemps parlé. L'histoire peut rebondir et vraiment démarrer. Mais on n'est plus très loin, déjà, de la fin de ce premier album qui est donc surtout une mise en place. Dommage, sur la fin, on a vraiment envie d'en savoir plus. Mais Isabelle Plongeon, la scénariste, a au moins réussi à ferrer son lecteur, ce qui n'est pas si mal dans un genre où tant d'histoires se ressemblent. Reste à voir où nous mènera cette histoire dessinée « façon SF » par François Mougne et mise en couleurs par Emmanuel Pinchon.
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