Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Bijoux de Famille par Thierry Bellefroid
« Les bijoux de famille » par Papazoglakis et Witko. Aux Requins Marteaux.

Nikola Witko doit être un fan de cinéma. Ses « bijoux de famille » doivent beaucoup à des réalisateurs comme Tarentino. Mais il va encore plus loin qu'eux. Aidé par le dessin semi-réaliste de Christian Papazoglakis, il campe une bande de fous furieux qui ne respectent rien ni personne. Au départ de l'album, un joli casse perpétré par quatre malfrats déguisés en Simpsons. Les quatre types embarquent un beau paquet de diamants et décident de fêter ça en se défonçant à qui mieux mieux. Sur la route, ils embarquent une auto-stoppeuse (forcément nymphomane) et tout ce petit monde continue de sniffer tant qu'il peut jusqu'au lendemain matin. Mais au réveil, dans la salle de bains du motel, la belle auto-stoppeuse gît, du sang plein les cuisses... et les bijoux ont disparu. S'en suit une joyeuse partie de « si c'est pas toi ni moi, c'est forcément lui » où tout le monde soupçonne tout le monde. Dans cette descente aux enfers où tout est permis, même et surtout les coups sous la ceinture, personne n'est épargné. Et tout ça pour des diams qu'un lecteur avisé aura tôt fait de localiser ! Pour amateurs de road-movies violents et déjantés.
Premiers Pas (Inspecteur Moroni) par Thierry Bellefroid
« Premiers pas », une aventure de l'inspecteur Moroni, par Guy Delisle, dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

En un an d'existence, Poisson Pilote n'a déjà plus rien à prouver. A part un dispensable « Venezia » (et encore, c'est surtout en regard des autres albums de la collection qu'il est dispensable), rien à jeter. Et certainement pas cet inspecteur Moroni. Ceux qui ont lu « Shenzhen » à L'Asso ne seront pas nécessairement étonnés de retrouver Guy Delisle dans cet exercice. L'humour tout en auto-dérision qu'il déployait dans son journal de bord d'un Français en Chine se retrouve à l'état plus travaillé dans ce faux polar. Moroni est un héros taillé sur mesure pour la collection Poisson Pilote. Parce qu'il parle avec son chien (qui lui répond, oui, madame). Parce qu'il est névrosé. A côté de ses pompes. Sous Lénax ou sous Fébrilox, voire sous placebo, il passe sa vie entre une mère envahissante avec laquelle il n'arrive pas à couper le cordon ombilical et un travail qu'il idéalise complètement. Absurde, décalé, exaltant le second degré à l'extrême, ce nouveau héros est le prototype du flic beauf intègre et con. Parfait pour le service. Surtout que Delisle l'envoie se faire les dents sur une affaire de trafic d'essence qui n'a a priori rien de Starsky et Hutch. Pas d'action -ou très peu, mais d'excellents dialogues et un dessin clair, convenant parfaitement à l'esprit de la série. Bref, efficace, plaisant . Et déjà mûr.
Morphing Amer (Alvin Norge) par Thierry Bellefroid
« Morphing amer », le tome 2 de la série Alvin Norge, dans la collection Troisième Vague des éditions du Lombard.

Chris Lamquet est vraiment ce que l'on peut appeler un auteur à part entière. Et dans le domaine où il oeuvre, ils ne sont pas si nombreux. Là où la concurrence affiche souvent trois noms au générique (voire plus), lui additionne avec le même bonheur les rôles de scénariste, dialoguiste, concepteur d'univers et dessinateur. Voilà sans doute pourquoi Alvin Norge est si cohérent. Et pourquoi Lamquet a choisi de modifier son dessin en profondeur en abordant cette nouvelle série. Les lecteurs du premier album avaient pu apprécier un scénario charpenté, une voix-off bien écrite, un humour parfaitement dosé dans un album qui se voulait avant tout thriller réaliste, une connaissance parfaite de son sujet, un découpage d'une redoutable efficacité et des héros joliment taillés. Que dire d'autre pour ce deuxième album ? Pas de chute de régime, pas d'erreur de rythme, on est replongé dans l'univers de Norge dès la première page, sans pour autant avoir l'impression de lire une suite. Car la force de ce deuxième album est de commencer radicalement là où on ne l'attend pas, en feignant de refermer la parenthèse « Kimberley », objet du premier opus. Mais Lamquet sait que ses lecteurs attendent encore des réponses. Il les fait reculer pour mieux sauter et nous offre un nouveau récit haletant qui vient s'ajouter au précédent à la manière d'une pièce de puzzle. Bien malin qui pourrait deviner à ce stade où tout cela va nous mener. Mais on ne s'en plaindra pas. Ce n'est pas tous les jours qu'on lit des BD qui sont à la fois aussi intelligentes que divertissantes. De toute évidence : le fleuron de la collection Troisième Vague.
« Un misérable petit tas de secrets », une enquête de l'inspecteur Canardo. Par Sokal. Chez Casterman.

Ça y est ! Voilà que Canardo se prend pour Valérian. Sokal nous avait habitués à la comédie humaine en version animalière, au ton désabusé et décalé de « son » privé. Du polar avec des dialogues cinglants et des clopes au coin du bec, nous voilà passés au voyage spatio-temporel. Une machine à remonter le temps renvoie Canardo sur les traces d'un magot dérobé aux Allemands et qu'une brave fille craint de voir lui passer sous le nez cinquante ans plus tard, à l'heure du dernier souffle du détenteur de ce trésor : son père. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les lecteurs de la série vont avoir un peu de mal à se laisser entraîner sur un terrain aussi miné. D'une part, on cherche ce que cet épisode peut apporter à l'univers pourtant très cohérent d'un Canardo. De l'autre, on peut se demander ce qui n'a pas encore été écrit, dit, dessiné ou filmé dans le genre et qui mériterait que Sokal s'y attache. A la lecture de l'album, il faut reconnaître qu'il s'en tire plutôt bien. Dans un genre éculé, Benoît Sokal parvient à mettre des ingrédients personnels qui rendent la sauce buvable. Et il joue très bien avec le paradoxe temporel (même si c'est la énième variation sur ce thème qui deviendra bientôt aussi banal que l'amnésie chez les héros de BD). Mais on ne pourra pas refermer ce Canardo sans penser avec nostalgie à des épisodes comme « La marque de Raspoutine », « Noces de brume » ou « L'Amerzone ». Comme pour retourner le couteau dans la plaie, Casterman a eu la bonne idée d'offrir aux lecteurs une petite plaquette réunissant les femmes de Canardo. Pour souligner combien elles nous manquent dans cet album ?
Palooka - tome 1 (Palooka) par Thierry Bellefroid
« Palooka, tome 1 » par Fowler et Vanloffelt. Chez Paquet.

Il y a tout d'abord une nervosité pour ne pas dire une violence dans le dessin de Tom Fowler qui s'exprime au-delà des cases, jusque dans les dessins du port-folio. Le trait est épais, vif, coupant. Certaines pages sont très réussies, comme la scène de boxe des pages 20 à 24 (surtout les pages 20-21) ou comme celle du baiser (page 48). Il y a quelque chose de Baru dans tout ça, dans cette énergie libératrice, dans cette violence urbaine. Mais il y a aussi un scénario qui n'a l'air de rien au départ et se fait de plus en plus intéressant à mesure que l'on avance dans l'album. Le seul reproche qu'on lui fera peut-être est de justement traîner un peu avant de décoller vraiment, ou en tout cas, avant de justifier sa pleine originalité. Peut-être aurais-je préféré un album plus ramassé qui aille un peu plus loin et ne me laisse pas si frustré à la fin. Quoiqu'il en soit, Palooka est une histoire musclée qui ne laisse pas indifférent. On lui pardonne volontiers les quelques maladresses de style ou de dessin qui se laissent voir de-ci de-là.
Promethea - tome 1 (Promethea) par Thierry Bellefroid
« Prométhéa », tome 1, par Alan Moore et J.H. Williams III. Chez Semic.

Il n'est pas utile de rappeler qui est Alan Moore. Mais il est toujours étonnant de voir combien ce génial scénariste est capable de nous étonner. Moore a plusieurs visages. Il n'en montre qu'un à la fois, réservant aux lecteurs la surprise de ses métamorphoses à mesure qu'ils pénètrent ses autres univers. Avec Prométhéa, il explore un mythe littéraire et s'offre le luxe de faire exister des personnages différents sous la même identité. C'est que l'idée qui sous-tend cette série est particulièrement intéressante : Prométhéa se met à exister dès lors qu'on croit en son existence. Et ce postulat vaut aussi bien pour celles qui vont « devenir » Prométhéa à travers les âges que pour ceux avec qui elles vont être en interaction. Le résultat, c'est ce récit intelligent et original où Alan Moore joue sur la mise en abîme pour désorienter son lecteur et le forcer à adopter une lecture active. J.H. Willimas III arrive à donner cohérence et rythme à cet audacieux projet grâce à son trait énergique, mais aussi grâce à une mise en page dynamique, inventive, qui ne craint pas de recourir aux structures éclatées ou aux « enluminures » pour installer son propre code de langage.
Empanadas par Thierry Bellefroid
« Empanadas » par Damien Rocour. A La Cinquième Couche.

Difficile de donner une appréciation « objective » sur un travail aussi personnel. Damien Rocour a choisi de parler du Chili et il le fait à sa manière, en confrontant deux visions de la dictature. Celle de la jeune Alice, marquée par un documentaire montrant ce qu'a été le Chili sous Pinochet, d'une part. Celle de Mirta, de l'autre, c'est-à-dire la vision de l'intérieur, celle du souvenir. L'auteur confronte ces deux mondes pendant quelques pages, jouant sur le mélange des techniques, utilisant les pixels pour suggérer l'univers télévisuel d'Alice, jouant sur les traits fins de la plume et sur les métaphores pour retranscrire la conversation qu'elle a avec Mirta. La forme est originale même si elle est parfois difficile à suivre. Mais que penser du fond ? Tout cela paraît bien court. D'accord, le format ne permet guère d'aller au fond des choses. Mais on reste sur un sentiment de malaise, l'impression d'être devant une oeuvre inachevée ou un travail de fin d'études d'école graphique. Les quelques belles trouvailles ne suffisent pas à rendre l'ensemble vraiment solide. Et le recours à Gabriel Garcia Marquez n'y change rien. Reste une histoire sur la mémoire et sur une certaine vision du monde presque douce-amère qui se veut comme un témoignage artistique au milieu de la froideur « clinique » des médias.
« La colère d'Ahès », tome 1 de la série « Merlin », par Istin, Lambert et Stambeco. Chez Nucléa.

Il y a déjà le Merlin enfantin de Sfar et Munuera chez Dargaud et celui de Chauvel et Lereculey (rebaptisé « Myrddin » dans la série Arthur) chez Delcourt. Ca fait du monde sur le même sujet. Laissons de côté le Merlin des éditions Dargaud qui ne court pas vraiment sur les mêmes terres. Mais comment éviter la comparaison entre cet album et ceux de la série « Arthur » ? David Chauvel avait agréablement surpris avec cette version proche du mythe original, véritable retour aux sources de la légende. Difficile de faire mieux. Jean-Luc Istin a eu la bonne idée de s'éloigner suffisamment de Chauvel pour ne pas risquer la comparaison. Son « Merlin » est davantage un récit fantastique qu'une transcription fidèle de la légende. Le mythe sert de base, de fondations à l'intrigue. Mais c'est bien de la lutte entre le Bien et le Mal, de la quête du Graal qu'il s'agit dans cet album. A tel point que ce premier tome a des allures de « fourre-tout » fantastique qui prend ce qui l'intéresse un peu partout pour recomposer une histoire faisant la part belle aux événements surnaturels, aux dragons et à la colère du Diable. C'est parfois tellement loin du mythe en question qu'on en oublie qu'on est en train de lire l'histoire de Merlin, mais après tout, c'est peut-être ce que les auteurs pouvaient faire de mieux. Le dessin d'Eric Lambert gagnera à mûrir un peu, mais il est tout-à-fait à la hauteur des autres production du genre. Le problème est peut-être justement qu'il y en a beaucoup, des productions du genre. Et qu'il n'y pas forcément de place pour tout le monde. Ce « Merlin » arrivera-t-il à se faire son trou ?
Breiz Atao (Odilon Verjus) par Thierry Bellefroid
« Breiz Atao », le tome 5 de la série Odilon Verjus. Désormais dans la collection « Troisième Degré » des éditions du Lombard.

Troisième Degré est né... et ça ne changera pas la face de la terre. Avec cette collection, le Lombard complète son panel de « tiroirs étiquetés » où ranger ses auteurs et s'aligne définitivement sur des concurrents qui avaient tous -ou presque- leur collection d'humour (Humour Libre chez Dupuis, Humour de rire chez Delcourt, Poisson Pilote chez Dargaud, etc...). Pourquoi pas ? D'autant que cette collection devrait permettre à certains albums de connaître une meilleure visibilité (c'est d'ailleurs clairement le but puisque chacun sait qu'une collection, ça intéresse à peu près autant le lecteur que de connaître le nom d'un directeur éditorial...) et aux libraires de s'y retrouver un peu mieux dans le catalogue. A la manière de Troisième Vague (qui en termes de marketing est une réussite totale, il faut l'admettre), le Lombard n'a pas pris beaucoup de risques. La recette avait bien fonctionné, on remet donc le couvert et on crée du neuf... avec du vieux. Trois titres pour démarrer la collection : un vraie nouveauté (Space Mounties), une vraie fausse nouvelle série (Lait Entier, qui n'est autre que « La Vache » de Desberg et De Moor émigrée de la rue Royale (Casterman) à l'avenue Paul Henri Spaak (Lombard) en changeant de nom de série) et le jusqu'ici inclassable Odilon Verjus de Yann et Verron. Force est de constater que le meilleur des trois est bel et bien le Verjus. Notre Vache a connu de meilleurs épisodes (principalement le précédent, dernier opus livré à Casterman, qui était un monument de drôlerie, de fraîcheur et de second degré servi par un dessin des plus brillants, ce qui est toujours le cas mais qui se voit moins dans ce récit plus urbain). Space Mounties est relativement dénué d'intérêt : une paire de flics oisifs tente tant bien que mal de faire rire le lecteur avec une aventure qui se termine à la planche 33 sans jamais avoir commencé. Et enfin, Odilon Verjus, album sans doute le plus réussi depuis les débuts de la série, un vrai bonheur tout en finesse servi par un dessin énergique qui a trouvé sa personnalité propre quelque part entre Franquin, Walthéry et Roba. Il y a quelque chose d'Astérix dans ce Verjus et ça ne tient pas seulement au fait qu'il se déroule en Bretagne. Yann fait flèche de tout bois, comme à l'accoutumée. Avec talent, il mêle l'humour, l'érudition, l'histoire et les clichés. Le contexte de cette aventure chez les nationalistes bretons est parfaitement exploité. Les personnages secondaires sont truculents. Le rythme est constant. Bref, c'est du tout bon.
Résurrection (Razoredge) par Thierry Bellefroid
« Résurrection », le tome 1 de Razoredge, par Vincent Fourneuf, chez Pointe Noire.

Vous aimez les gros biscottos ? La castagne en BD ? Les femmes aux allures de championnes de body building ? Alors, vous aimerez certainement cette série qui marche sur les plates-bandes de la BD américaine. Un scénario qui n'empêche pas de dormir mais de l'action à toutes les pages, c'est ce que nous propose Vincent Fourneuf dans ce premier tome des aventures de Chris Slade, alias Razoredge. Slade, c'est son nom humain, Razoredge, celui de loup-garou qu'il tente d'oublier. Exilé parmi les humains, les vrais, après le meurtre de sa compagne, Razoredge-Slade est très vite rattrapé par son passé... et par ses frères de race dont les plus pourris ont eux aussi quitté leur royaume pour régner en maîtres sur la ville, une sorte de New York revisitée. La psychologie des personnages est aussi épaisse que leur écorce, on s'envoie des bateaux à la gueule et on arrache les conduites de gaz avec le petit doigt, bref, rien que de la dentelle... d'acier ! Un récit violent parmi d'autres...
« Un justicier dans l'ennui », le tome -98 de la série Donjon Potron Minet, par Sfar, Trondheim et Blain . Chez Delcourt.

La multinationale Donjon ne devrait pas tarder à être cotée en bourse. Il faut dire que Sfar et Trondheim y sont au moins aussi prolifiques que dans leurs activités parallèles. Les nouveautés se suivent au rythme d'une par mois, c'est dire si les idées sont là ! Encore faut-il les traduire sur le papier. L'apport de nouveaux dessinateurs devient donc une nécessité. Blain et Larcenet seront bientôt rejoints par Mazan et Jean-Christophe Menu. Qu'on ne s'y trompe pas : toutes ces signatures ne rejoignent pas la multinationale Donjon pour se faire leur pécule de vacances mais parce qu'on s'y amuse. Et parce que ces dessinateurs font partie de cette « nouvelle » génération issue de L'Asso et consorts pour qui le talent se combine aussi avec le partage. Le paysage BD est en train de changer sous leur influence. Un peu partout essaiment leurs projets communs. A L'Association, bien sûr, mais aussi chez Dargaud, Dupuis ou ici, chez Delcourt. Ces « gens » aiment travailler les uns avec les autres et ça se sent ! La preuve, les deux Potron Minet dessinés par Christophe Blain sont parmi les meilleurs albums des séries Donjon. Après une excellente « mise en bouche » (La chemise de la Nuit, ndlr), ce deuxième Potron Minet nous emmène dans un monde d'une insoupçonnable poésie médiévale. On réinvente à la fois « Donjon et Dragon » (mais ça, c'est la marque de fabrique de tous les albums Donjon), les histoires de justicier masqué, celles de cape et d'épée, les amours romantiques aussi. Tout ça avec un humour omniprésent, une totale envie de ne pas se prendre au sérieux et un imaginaire débordant. Hyacinthe de Cavallère, dit « La chemise de la Nuit » est sans doute l'un des héros les plus attendrissants du Donjon. Et Blain lui donne vie avec un évident plaisir. Pour le nôtre !
« Des hommes à genoux », tome 1 de Little Big Joe, par Lupano et Campoy (mise en couleur par Scarlett). Chez Delcourt.

La parodie de western dans toute sa splendeur. Pour qui n'a pas lu Lucky Luke dans sa jeunesse, cet album peut encore faire illusion. Les autres se souviendront d'un petit shérif bigleux que sa boîte de pilules sauvait de la mort. Little Big Joe lui ressemble. Beaucoup. Un peu trop à mon goût. Non pas que je soupçonne les auteurs de plagiat. Mais qu'ils me semblent proposer le quarante-troisième anti-héros du genre. Little Big Joe ne renouvelle rien, bien au contraire, il enfonce quelques portes ouvertes. On a l'impression que Lupano a « emprunté » le running gag du docteur coureur de jupons à Alexis ou à Gotlib, on sait dès la deuxième page que son héros, pour ridicule qu'il est, parviendra bel et bien à terrasser le « méchant » de service. Aucun suspense, aucune surprise, même le pasteur alcoolique ne surprend personne. Le sympathique dessin de Campoy ne sauve pas l'entreprise à mes yeux. Attention, je ne dis pas qu'il s'agit d'un mauvais album. Mais que son arrivée sur un marché déjà saturé en la matière le rend très dispensable. Cotton Kid lui est de loin préférable.
Le roi de la piste par Thierry Bellefroid
« Le roi de la piste » par Nicolas de Crécy. Chez PMJ Jeunesse.

Qu'est-ce qu'il nous manque, Nicolas de Crécy ! A croire que le succès du reste de la famille dans le domaine de la musique et de la vidéo doit nous faire oublier qu'il néglige la BD. A voir les quelques dessins de ce magnifique livre pour enfants, on salive rien qu'à l'idée d'un prochain album ! « Le roi de la piste » est presque une leçon de dessin. Et de couleurs. Le format italien de ce livre est un écrin idéal pour des images magnifiques servant de support à la sympathique histoire de Monsieur Coin, le skieur le plus rapide et le plus kamikaze des Alpes. Une histoire que les enfants apprécieront et que les adultes se plairont à leur lire. Les dessins -et c'est la force de Nicolas- conviendront aussi bien aux premiers qu'aux seconds. Car ils ont à la fois la lisibilité et la simplicité nécessaires pour plaire aux plus jeunes et l'éclat qui ravira les vrais amateurs de dessin.
« La collection d'anatomies » 2ème partie. Par Sevrin et Pourbaix. Chez Paquet.

Pierre Pourbaix et Marc Sevrin réussissent avec « La collection d'anatomies » un récit captivant, à la frange du fantastique et de la comédie humaine. Les personnages qu'ils nous proposent sont d'une épaisseur inattendue. Notamment le héros, Félix Demy, qu'il ont doté d'un passé et d'un univers personnel très fouillé. Les ingrédients qu'ils ont injectés dans cette histoire personnelle (drame de la soeur tuée sur un parking de supermarché (allusion évidente, pour les Belges, à la célèbre affaire des « Tueurs du Brabant »), psychanalyste aussi vénale que pertinente dans ses analyses, ami libraire au coin de la rue ...) crédibilisent un héros qui doit justifier à la fois un profil sympathique et une déviance grave -pour ne pas dire totalement obsessionnelle- dans ses comportements. Le peintre qui rêve de réaliser d'après nature un tableau montrant le corps humain de l'intérieur (la « nudité de la nudité » comme il l'appelle dans le tome 1) se perd dans les méandres de sa folie monomaniaque. Mais en dépit de ce thème sordide, jamais Sevrin et Pourbaix ne tombent dans le glauque. Les dessins de l'un y sont pour autant que l'humour de l'autre, ce second degré proche d'un certain détachement surréaliste qui caractérise parfois les créateurs belges. Bref, cette histoire qui rappelle par son goût immodéré pour l'anatomie humaine quelques autres productions récentes (Gloria Lopez, Autoportrait du vampire d'en face, Montmartre No Future...) n'est pas loin de la perfection. Le ton est original. Le graphisme magnifique. Et l'apparente naïveté de l'ensemble masque bien mal la profondeur du travail de ces deux jeunes auteurs.
« Hyter de Flok », tome 1 de la série « Le Monde des Nombreux Noms », par Trillo et Domingues,chez Albin Michel.

Trillo, là où on ne l'attendait pas. La surprise est totale. Le scénariste sulfureux de « Vieilles canailles », « La grande arnaque », « Je suis un vampire » et quelques autres BD tout aussi noires comme « Vidéo Noire » se met à l'Héroïc Fantasy. Et l'essai est plus que concluant. Parce que Trillo transcende le genre. Dans son monde imaginaire peuplé de petits êtres aux oreilles pointues (les Callicantzarois) et d'autres à la peau bleue -plus ou moins frustes et poilus selon qu'ils appartiennent à l'une des deux autres races (les Orques ou les Fankenmannikins)- l'homme existe sous forme de légende. Un conteur raconte des histoires d'humains. Mais sans croire qu'il en rencontrera un jour. Vous allez me dire : avec des ingrédients pareils, on peut déjà deviner qu'il va en rencontrer, des hommes. Oui, mais ce qui est moins attendu, c'est que l'homme en question est le fruit des amours « bâtardes » d'une « Orque » et d'un « Callicantzarois ». L'Homme, accident de la nature, produit du hasard, dans le monde de Trillo ? Presque. Car à la fin de ce premier tome, le génial scénariste redistribue toutes les cartes.
Faut-il le dire ?, cet exercice de style m'a emballé. D'autant plus que pour le mener à bien, Trillo a fait appel à un dessinateur très différent de ses habituels comparses. Domingues propose un dessin plus humoristique, plus stylisé et une mise en couleur ad hoc, aux antipodes des habituels albums en noir et blanc tranché scénarisés par Trillo. Bref, « Hyter de Flok » se présente comme une incursion réussie d'Albin Michel sur les terres très protégées de Soleil et de Dargaud (La quête de l'oiseau du temps).
Niaq Micmac (Spoon & White) par Thierry Bellefroid
« Niaq micmac », tome 3 des aventures de Spoon & White, par Léturgie et Yann. Dans la collection Humour Libre des éditions Dupuis.

Le trio composé de Yann et des Léturgie père et fils continue de sévir avec sa paire de flics aussi grotesque qu'hilarante. Pour ce troisième album, Spoon & White changent de décor. Tout se passe à Chinatown. Mais les ingrédients restent les mêmes. Castagne tournée en totale dérision. Bêtise humaine érigée en religion. Et Courtney Balconi, pareille à elle-même, c'est-à-dire arriviste, à la recherche du bon scoop... et délicieusement appétissante. Pas de chance, les deux flics les plus cons de toute l'histoire de la BD feraient n'importe quoi pour s'attirer ses faveurs. Ce qui les pousse, une fois de plus, à se tirer dans les pattes l'un de l'autre et à provoquer un nombre impressionnant de catastrophes. Yann et « les » Léturgie s'amusent comme des fous. Au passage, ils truffent leur album d'hommages ou d'allusions. On retrouve les caïmans, la bande à Tatane, dans un terrain vague qui a tout de celui de la Ribambelle (merci Roba), on s'offre une caricature de Jean-Claude Vandamme en vendeur de frites belges décidé à faire son « trou » aux States, un « 13 » en chiffres romains tatoué sur son gros bras. Tout ça sent bon la complicité dans la dérision. Un album qu'on ne pourra apprécier qu'à condition de ne pas le prendre au sérieux, comme ses prédécesseurs, d'ailleurs. Spoon & White, c'est la farce « hénaurme », la grosse artillerie du rire...jusque dans les noms des protagonistes, qui sont autant de jeu de mots (parfois très gros, d'ailleurs). L'indic Hû-Ghî rappellera Starsky et Hutch. Quant aux méchants, ils s'appellent Pi Soo Lui et Chee Soo Lui (je vous laisse deviner le parfum de ce jeu de mots) etc... Mais à force de s'amuser en ne respectant plus rien, on se dissipe parfois un peu trop.
La première page est un véritable mode d'emploi pour la rubrique du pinailleur de BoDoï. Pour obtenir le reflet de la statue de la Liberté dans les lunettes du personnage tel que présenté, il faut être imaginatif. Mais bon, c'était juste pour dire quelque chose. Car dans l'ensemble, Simon Léturgie éclabousse cette BD de son insolent talent. Et sa paire de compères dont son père n'est pas le moindre n'a rien à lui envier !
La Ville Jaune (Sky Doll) par Thierry Bellefroid
« La ville jaune », tome 1 de Sky Doll par Barbucci et Canepa. Chez Soleil.

Comment réinventer la SF ? La question mérite d'être posée quand on voit la multiplication des séries qui ont souvent l'air d'être de vagues clones les unes des autres. Peut-être en la confiant à des mains féminines ? Ou en exaltant des personnages qui sentent un peu moins l'univers macho et confiné que la plupart des récits du genre. Barbara Canepa et Alessandro Barbucci y sont parvenus. Leur récit est à cheval entre la SF et la fable onirique. On y retrouve une sensibilité assez proche de celle développée dans « Fée et tendres automates » (par Téhy et Béatrice Tillier, chez vents d'Ouest). L'idée d'avoir choisi pour personnage principal une poupée de plastic incapable de pleurer mais pourtant bien plus humaine dans ses sentiments que de nombreux héros de BD permet d'installer d'emblée un climat différent, merveilleusement rehaussé par un dessin (Barbucci) qui exalte les seventies et des couleurs acidulées (Canepa)qui viennent renforcer le côté « jouet » de l'ensemble. Sky Doll doit sans doute beaucoup au fait que les deux auteurs se sont partagé le travail du début à la fin et ont mélangé leur savoir-faire et leurs univers durant toutes les étapes. Mais tout ça ne nous dit rien de l'histoire. Sans en dévoiler la teneur, sachez qu'elle tient parfaitement la route et que, comme beaucoup d'autres, elle va chercher dans le fanatisme religieux les fondements nécessaires à une société duale, partagée entre une dévotion obligatoire pour une déesse « officielle » et l'attraction irrésistible qu'exerce Agape, la papesse reniée dont le culte est interdit. Tout est dit. Ne reste qu'à embarquer à la suite de ce duo italien pour un univers trompeusement rose aux allures de Barbie du futur. A découvrir.


« Le grand passage », tome 1 de la série « les processionnaires », par Séra et Saimbert. Chez Albin Michel.

Ouvrir cet album et le feuilleter ne vous laissera forcément pas indifférent. Le dessin de Sera est hallucinant. Il opte pour le mélange des techniques à chaque page et même à chaque case. Sa mise en couleur est audacieuse, expressionniste. Ses encrages sont faussement maladroits et induisent une étrange impression de malaise qui transforme souvent la plume en couteau. Ses décors sont oppressants -et c'est bien le but de cette histoire. Mais ce premier tome des « Processionnaires » ne se résume pas à des qualités graphiques évidentes. Il nous emmène dans une version de l'Enfer où rien ne nous est donné. A nous de comprendre entre les lignes, de lire au-delà des cases et des codes, de combler les blancs en attendant « la grande explication ». Ce faisant, Saimbert ne choisit pas de noyer le poisson, il ne dilue pas pour le plaisir, il met tout simplement son lecteur dans la situation du héros. Lui non plus ne comprend rien à ce qui lui arrive, lui non plus n'a plus de repère. La lecture de cet album est donc une plongée malsaine dans une jungle qui rappelle peut-être l'Amazonie vénézuélienne par la présence de « tepuyes » (les grandes montagnes plates) mais qui n'en connaît pas les lois. On attend avec impatience de savoir où les auteurs veulent nous mener avec cet univers parallèle.
Le prisonnier du Kibu (Ginger) par Thierry Bellefroid
« Le prisonnier du Kibu », une aventure de Ginger, par Jidéhem. Chez Joker éditions.

Vous vous souvenez de Jidéhem ? Oui, évidemment. Qui a oublié les chroniques de Starter dans Spirou ? Ou les aventures de Sophie ? Ou encore, justement, celles de Ginger ? Jidéhem -pour Jean De Maesmaker, un nom qui inspira Franquin pour l'un des personnages les plus célèbres de Gaston Lagaffe- a commencé Ginger en 1954, c'était d'ailleurs sa première BD. Deux ans plus tard, il mettait un terme à la série, faute de support, vu la disparition d'Héroïc-Albums où elle était publiée. Passé chez Spirou, Jidéhem assiste André Franquin sur les aventures du célèbre reporter et sur les décors de Lagaffe, lance Starter et Sophie. Puis, en 1979, retrouve son héros de jeunesse, Ginger. Un détective qui, dans cette deuxième vie, reçoit l'appui de Véraline, une blondinette qui rappelle un peu la Seccotine de Spirou et Fantasio. Les éditions Joker ont eu l'idée de rééditer les épisodes des aventures de Ginger datant de cette deuxième période... et d'y ajouter un inédit. Sont ainsi ressortis « Les yeux de feu », « L'affaire Azinski » et « Les mouches de Satan ». Puis, un nouvelle aventure intitulée « Le prisonnier du Kibu ». Pas loin de quarante-cinq ans après avoir créé son héros, Jidéhem s'est replongé dans l'ambiance. A tel point qu'il est allé chercher pas mal d'ingrédients chez les détectives de son époque, les Félix, Marc Jaguar et autres Gil Jourdan. Difficile d'accepter sans ciller que l'enquête de Ginger commence ici presque exactement comme l'une des enquêtes de Jourdan : le frère qui a reçu une lettre codée de son jumeau, scientifique exilé en Afrique. Passé ces « emprunts » (il y en a d'autres, une cascade qui masque une anfractuosité naturelle par exemple, merci Hergé), on retrouve avec plaisir le talent de décorateur de Jidéhem. Son histoire se passe dans un pays imaginaire, le Kibu, dont le nom rappellera bien sûr le Kivu, une région du Congo. Dommage que cette BD soit si bavarde (on croule parfois sous la taille des phylactères) et que Jidéhem ait mis tant de cases sur chaque page (il n'est pas rare d'en trouver de douze à quinze, voire vingt sur une seule planche, comme à la planche 34 !) car son sens des décors fait merveille. L'histoire ultra-classique n'est finalement pas désagréable à lire et dégage un sympathique parfum de nostalgie. Saluons en tout cas l'idée des éditions Joker d'avoir pris le risque d'exhumer les anciens albums et de leur ajouter cet inédit.
Hé Nic, tu rêves par Thierry Bellefroid
« Hé, Nic, tu rêves ? », par Hermann et Morphée. Chez Semic.

Abandonnée faute de succès, cette très belle incursion d'Hermann dans le monde du rêve a désormais les honneurs de la réédition chez Semic. Elle est pourtant parue dans l'hebdomadaire Spirou entre 1980 et 1983. Trois albums avaient vu le jour chez Dupuis (qui ne les a pas davantage réédités que les Ginger de Jidéhem aujourd'hui réédités chez Joker) avant que Morphée et Hermann ne jettent l'éponge. Pour la petite histoire, derrière le pseudo de Morphée se cachait celui qui était à l'époque le rédacteur en chef de Spirou, Philippe Vandooren, beau-frère d'Hermann qui lança celui-ci dans la BD bien des années auparavant.
Cet hommage évident au Little Nemo de Winsor Mc Cay (pour ceux qui ne l'auraient pas compris tout de suite en lisant l'album, les auteurs avaient décidé de lui dédier un chapitre) est sans doute ce qui s'est fait de mieux dans le genre (sorry pour Bruno Marchand qui poursuit aujourd'hui un hommage à Little Nemo chez Casterman). Hermann est dans cette période de remise en question de son dessin qui se situe entre la fin de Comanche et l'apogée de Jérémiah. Il n'a pas encore découvert la couleur directe (ce sera pour bien plus tard) mais il est retourné à un trait plus « gravé », moins épais. Ses dessins d'animaux sont stupéfiants (même Boucq n'arrive pas à faire aussi bien) et les scénarios sont des rêves délicieusement poétiques qui vous emportent dans un imaginaire à la fois riche et universel. Le personnage du capitaine Bang qui disparaît chaque fois qu'il est en colère et réapparaît là où est resté sa casquette est très drôle, surtout dans sa façon de parler toute en rimes originales. Bref, il n'est jamais trop tard pour lire ou relire une bonne histoire et le moins que je puisse dire c'est que celle-ci le mérite.
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