« Entretiens avec Edmond Baudoin », par Philippe Sohet, aux éditions Mosquito.
Récemment, quelqu'un me demandait quel était l'auteur de BD pour lequel j'avais le plus d'admiration. Sans réfléchir, un nom s'est imposé, un seul : Edmond Baudoin. Perplexité de mon interlocuteur. Il n'avait visiblement jamais entendu parler de mon auteur de bandes dessinées fétiche. Baudoin est en dehors du circuit commercial et le restera. Mais il n'est pas pour autant ce que l'on peut appeler un auteur « underground ». Il suit simplement sa voie. Ou plutôt son chemin, pour reprendre cette image qui traverse toute son oeuvre et dont il use tant et plus dans ces entretiens. Baudoin est un artiste, un vrai. La première chose que j'ai remarquée chez lui, c'est un trait, son trait. Ces dessins incroyablement simples que le pinceau compose à même la feuille, sans crayonné. A près de soixante ans, Baudoin est aussi un auteur en recherche perpétuelle. Il ne se contente ni d'une oeuvre prolifique (et dispersée) ni d'une pensée unique. Il cherche. Il interroge. Il nous interroge. Et surtout il nous émeut. Parce que Baudoin, ce n'est pas que ce trait extraordinaire qui m'a fasciné dès la première fois que je l'ai vu. C'est aussi -c'est surtout- un homme qui a mal aux hommes. Ecorché vif mais désespérément accroché à l'amour et à l'art comme à une planche de salut. Tout cela, je le savais ou peut-être je le sentais avant de lire ce livre d'entretiens. Car Baudoin se raconte dans ses BD et dans les livres auxquels il collabore comme illustrateur. Mais je ne me doutais pas un instant de la surprise qui allait être la mienne à la lecture de cette interview d'un peu plus d'une centaine de pages. Philippe Sohet fait preuve à la fois d'une connaissance encyclopédique de l'oeuvre du Niçois et d'une sensibilité indispensable pour entrer dans son univers. Résultat : Baudoin se raconte, avec une incroyable humilité, une sincérité sans doute encore plus grande que dans ses livres. Et il ne parle pas que de lui. Il parle des hommes et des femmes qui l'ont marqué -Pasolini, Le Clézio, Vargas, Giacometti, Tahar Ben Jelloun, Jean Genet, Kamel Kélif, Picasso, Nietzsche et tant d'autres. Il parle du monde autour de lui -l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui, la violence, Vitrolles, Nice, Villars, Cuba, Beyrouth et l'Egypte. Il parle du corps, de la danse, de sa mère. (... « elle ne se souvenait plus que de trois airs et quand je les chantais, son oeil s'illuminait un peu (...) Là, vaguement, elle parvenait encore à frapper dans ses mains, à faire comme font les idiots ; il y avait quelque chose qui remuait en elle et c'était extraordinaire ! Naturellement, je chialais : je chantais, je riais. »)
La lecture de cet ouvrage ne peut laisser personne indifférent. Et si vous n'avez jamais lu une BD d'Edmond Baudoin, vous ne pourrez qu'avoir envie d'aller en acheter une après cette « confession » à la fois grave, sensible, émerveillée et douloureuse. Une confession qui vous fera entrer dans la musique intérieure d'un des auteurs les plus complets que la BD ait connus ces trente dernières années. Baudoin, ou l'éloge de la fragilité. Baudoin, ou l'homme que la courbe d'un chemin peut bouleverser. Baudoin, cet artiste qui a un coeur en forme d'encrier.