Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Le jardin des lys », tome 1 de la série « Gibier de potence », par Capuron, Duval, Jarzaguet et Rabarot. Chez Delcourt.

Voilà une nouvelle série de western enthousiasmante. De l'action savamment dosée, des premiers rôles féminins plutôt rares dans ce domaine, une intrigue solide, un dessin et des couleurs soignés : « Gibier de potence » promet. Bien sûr, il ne m'a pas fallu longtemps avant de comprendre qu'on allait une fois de plus nous reparler du mythe du trésor confédéré, sur lequel on a déjà écrit des tonnes de fictions. Mais il y a ici une approche familiale totalement différente, qui colle en outre parfaitement à l'esprit du Sud. L'histoire est bien racontée, tout n'est pas donné d'emblée, ce qui n'empêche pas le lecteur d'être ferré dès la première scène, excellente au demeurant. Certaines images sont relativement inédites et ajoutent à la crédibilité de l'ensemble. Par exemple, ce fort intégrant une fonderie dont les hautes tours accrochent le regard. Les auteurs n'ont pas réussi à éviter tous les clichés pour autant. Le méchant capitaine Lopeman a un peu trop la gueule de l'emploi, par exemple. Mais dans l'ensemble, ils se démarquent bien de tout ce qui a déjà été fait sur le sujet, tout en construisant une ambiance qui sonne un peu comme « La jeunesse de Blueberry ».
« Les idées noires », l'intégrale, par Franquin. Aux éditions Fluide Glacial.

Pas besoin de faire de longs discours. Les idées noires, si vous ne les avez pas encore lues, doivent être votre prochaine lecture. Chef d'oeuvre d'humour, de concision, de dessin aussi, elles constituent quelque part le sommet d'une oeuvre dont on a surtout retenu les créations plus sages, « Spirou et Fantasio » (qui n'est pas une création de Franquin, mais une reprise, comme chacun sait) ou « Gaston Lagaffe ». Pourtant, cette série lancée dans l'éphémère « Trombonne Illustré » (supplément gentiment irrévérencieux encarté dans le Journal de Spirou en 1977 et qui survivra trente numéros) est un véritable concentré de tout ce que Franquin savait faire. Ces gags fustigent volontiers ce qu'il abhorrait par-desus tout : la chasse, les armes, la pollution et de manière générale, la bêtise humaine. Mais ils ne sont jamais moralisateurs. Le ton est léger, caustique, grinçant parfois. Mais le noir et blanc en silhouette fait tout passer, même les scènes les plus « gore ».
Quant à cette intégrale, qui remplace désormais les deux livres, l'un au format album, l'autre au format italien, elle aura le mérite d'attirer l'attention d'un nouveau public sur cette oeuvre magistrale. Personnellement, je regrette le papier mat des précédentes éditions et surtout les gags présentés en demi-pages dans l'ex tome 2. Mais c'est un combat d'arrière-garde. D'autant que Fluide a même repris les pages de garde des anciens albums pour que le lecteur ne perde rien dans cette nouvelle édition. Alors, ne boudez pas votre plaisir ; si vous n'avez pas encore les Idées noires, précipitez-vous dessus. Et ne loupez surtout pas la lecture des petites maximes de Yvan Delporte qui ornent les hauts de page des gags de ce qui fut jadis le tome 1. C'est un régal.
« La rose des sables », tome 17 des aventures de Johan et Pirlouit. Au Lombard.

Quand on aborde un nouveau Johan et Pirlouit, tout comme un nouveau Benoît Brisefer ou un nouvel album des Schtroumpfs, il faut oublier ce qu'on a lu du temps de Peyo. Sinon, la déception est inévitable. Et la comparaison ne pardonne pas. Comparez cette histoire à la « Flûte à six schtroumpfs »... vous aurez compris ce que je veux dire.
Ce nouvel album est donc plus à prendre comme le prolongement d'un univers familier, qui remonte à notre enfance. Ouvrir « La rose des sables », c'est déjà un peu humer le papier jauni de nos vieux albums. On pense au « Châtiment de Basenhau », au « Lutin du bois aux roches », au « Serment des vikings ». Et immédiatement vous reviennent en mémoire quelques caractéristiques des personnages et de la série. Ce sont ces caractéristiques que Luc Parthoens et Thierry Culliford, le fils de Peyo, ont su cultiver. J'ai aimé dans cet album un humour bon enfant qui met gentiment le mauvais caractère de Pirlouit en valeur. Le gag récurrent de la sacquebute (mais qui rappelle dangereusement le barde Assurancetourix d'Astérix) ou celui de la cruche marchandée au triple de son prix (qui rappelle, elle, le capitaine Haddock). J'ai moins aimé les grosses ficelles d'un scénario cousu de fil blanc. Et des personnages parfois trop différents du graphisme de Peyo, comme celui de la princesse Aïcha, qui doit plus à Walthéry ou à De Gieter qu'au père des Schtroumpfs. Bref, un plaisir un rien nostalgique mais un peu court.
Les ombres du passé (Vasco) par Thierry Bellefroid
« Les ombres du passé », tome 19 des aventures de Vasco. Par Gilles Chaillet. Au Lombard.

Cette fois ça y est, c'est la fin de la saga entamée il y a plus de vingt ans dans « L'or et le fer », le tout premier tome de la série. On peut dire que Cola di Rienzo aura été un bon filon pour Gilles Chaillet, qui raconte dans cette ultime histoire la seconde marche du tribun sur Rome et sa fin que l'on ne pouvait imaginer que tragique. Peu de surprises, dans cet album. Les personnages sont si connus qu'on sait presque par avance ce qui va leur arriver. Où est la magie des débuts ? Sûrement pas dans le dessin de Chaillet dont le héros parfois carrément méconnaissable (comme en haut de la page 5) est la plupart du temps montré de loin, en plan large ou américain. Seul le siège de Palestrina ménage quelques moments plus forts. Pour le reste, ça sent le pilotage automatique.
« La résolution », tome 4 de « Je suis un vampire », par Trillo et Risso. Chez Albin Michel.

J'ai l'impression d'avoir déjà tout dit sur cette remarquable série. Pas la peine d'épiloguer à l'infini : « Je suis un vampire » reste d'un niveau supérieur à toutes les autres histoires du genre. Ce quatrième volume ne donne aucun signe de faiblesse ou d'essoufflement. Trillo propose un thriller à la fois haletant, fantastique, inquiétant et touchant. C'est une performance rare. L'enfant sans nom est un héros magnifique. Même lorsqu'il tient sa rivale en son pouvoir, il cherche davantage à comprendre qu'à se venger, à se protéger qu'à punir. L'arme suprême qui permet aux vampires de quitter la vie éternelle est à la fois simple et inattendue. Plus inattendue encore, la transformation de l'enfant sur la fin. Un conte noir qui se clôt en laissant la porte entrouverte pour une éventuelle suite ou simplement, pour permettre au lecteur de s'en imaginer une. Quant au dessin de Risso, il est d'une beauté et d'une efficacité redoutables. Sans doute l'un des plus grands dessinateurs en noir et blanc du moment.
Gargantua et Pantagruel par Thierry Bellefroid
« Gargantua et Pantagruel », par Battaglia et Rabelais. Chez Mosquito.

L'éditeur grenoblois haut de gamme Mosquito poursuit son oeuvre de traduction et de réédition de quelques classiques italiens méconnus chez nous. Après le fameux Sharaz-de de Toppi qui exaltait l'univers des Mille et Une Nuits, voilà le tour d'un Rabelais revisité par Dino Battaglia. Connu pour ses adaptations nombreuses d'oeuvres littéraires, Battaglia s'attaquait ici non pas à un livre mais à la fois à un monde et à une pensée. Le monde, c'est celui de Gargantua et Pantagruel. Drôle, fantasque, démesuré pour faire passer son côté caustique, l'univers de Rabelais ne perd rien de son intérêt sous la plume de Battaglia. Quant à l'esprit rabelaisien, il trouve ici son juste prolongement. Lire ces récits vous persuadera de la modernité de l'oeuvre. C'est truculent, joyeux, parfois incroyablement irrévérencieux. Le trait du dessinateur italien est tantôt austère tantôt d'une insoupçonnable légèreté. Il confère à cet album un parfum de chef d'oeuvre que les couleurs de Laura Battaglia viennent compléter très à propos. Rien à dire, du beau travail. D'autant que le texte « original » est magnifique.
Frida Kahlo par Thierry Bellefroid
« Frida Kahlo », par Marco Corona. Chez Rackham.

Frida Khalo est un album audacieux, difficile d'accès, à cheval entre BD et biographie illustrée. Passionnant à de nombreux égards, il devrait cependant dissuader de nombreux lecteurs de par son austérité. Très bavard, au point parfois de proposer des pages où une case sur deux ne contient que du texte et l'autre du dessin, il nous fait pénétrer l'univers d'une femme fascinante, marquée par la douleur, la maladie, la mort, l'amour et l'art. Peintre mexicaine, Frida Kahlo doit son talent aux nombreux revers qui l'ont marquée dès sa plus tendre enfance. Poliomyélite, puis accident de la circulation, elle aura très vite connu les affres de la douleur et la libération que peut représenter la peinture. Surtout, elle aura été confrontée à la contrainte, celle de devoir peindre dans son lit, une contrainte qui peut s'avérer déterminante dans une démarche artistique. Raconter sa vie est donc un pari passionnant que Marco Corona relève avec plus ou moins de bonheur. On regrettera ce côté parfois outrageusement bavard, au détriment d'un traitement plus graphique, plus propre à la BD. On a également l'impression que le parti-pris esthétique qui constitue à figer Frida dans quelques positions et expressions récurrentes nous la rend plus lointaine et rend parfois très mal les véritables conditions dans lesquelles elle a vécu. Il n'empêche, la lecture de cet album est particulièrement instructive et intéressera tous ceux qui veulent en savoir plus sur cette artiste peintre qui a en quelque sorte préfiguré le surréalisme. Une biographie qualifiée de « surréelle » par l'éditeur. A juste titre.
Western par Thierry Bellefroid
« Western » par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski. Dans la collection « Signé » des éditions du Lombard.

Comme pour chaque album de Van Hamme, désormais, il y aura les pour et les contre, les enthousiastes immodérés et les déçus chroniques. Plus encore sans doute dans les « one shot » que dans les albums de ses séries (« XIII » mis à part), Van Hamme déchaîne les passions et les polémiques. Pourtant, avec sa maîtrise sans pareille du scénario, il continue de s'illustrer dans ces one shot mieux que n'importe où ailleurs. Ce « Western » en est la preuve. Le scénario est une machine, une machine de guerre pourrait-on dire. Elle va se refermer sur les héros et tout broyer sur son passage. Comme dans la tragédie antique, on sait que le destin est le véritable et peut-être même le seul héros de l'histoire. On sait que les personnages n'ont pas les moyens de lui résister, que les fils sont déjà noués. C'est le cas dans Western. Dès la deuxième page, Jean Van Hamme nous aide à nous faire à cette idée en installant un récitatif dans lequel le personnage central de l'histoire (que l'on n'identifiera que plus tard) évoque les caprices du hasard (« Ce que Jess n'avait pas prévu, c'est que Van Deer ne serait pas seul »). Le jeune Nate va donc se laisser mener par le destin et sa fin sera tragique, on s'en doute très vite. Pourtant , ce récit n'a rien de mathématique. Jean Van Hamme l'a construit à sa manière, c'est-à-dire avec intelligence, s'appuyant autant que possible sur des éléments réels sans jamais leur donner plus d'importance qu'ils ne doivent en avoir. Résultat : au bout de quelques pages, le personnage de Nate et son univers existent bel et bien. Ils sont crédibles. Et le lecteur, lui, est ferré. Il ne refermera l'album qu'au terme d'une lecture soutenue par un suspense savamment entretenu. Bien sûr, comme dans la tragédie antique ou dans certains récits policiers, on pourrait dire que le destin en remet un peu, que les personnages qui ont des comptes en suspend se retrouvent toujours. A la manière de ces pièces de théâtre de Feydeau où le mari, l'amant, la femme et les enfants naturels qui s'ignorent arrivent toujours à se retrouver dans le même lieu. Mais lorsqu'il s'agit justement de montrer la main-mise du destin sur les personnages, lorsque c'est bel et bien cette mécanique qui est le coeur du récit, où est le mal ? Western est un hymne à l'Ouest hollywoodien autant qu'à Antigone, si l'on peut caricaturer à l'extrême. Ce grand écart permet à Jean Van Hamme et à Rosinski de jouer sur les ambiances autant que sur les personnages et de construire un suspense dans un décor épique. Les doubles pages hors-texte de Rosinski viennent d'ailleurs renforcer cette impression tout en permettant au dessinateur de laisser libre cours à sa passion pour la peinture (de la même manière que Rudi Miel avait prévu de laisser de tels espaces à Will dans « L'arbre des deux printemps » paru lui aussi dans la collection « Signé »). Bref, Western mérite bien son nom et prouve que ces deux « monuments » de la BD ont d'abord pensé à se faire plaisir et à réaliser un rêve de gosse. Rosinski, peut-être plus encore que Jean Van Hamme, puisqu'il s'est lancé dans l'album en remettant totalement son dessin en cause. L'expérience était risquée. Le dessinateur de Thorgal a changé sa palette autant que sa technique. Le résultat est à la hauteur et ne ressemble à aucune des deux séries qu'il dessine par ailleurs. A soixante ans, cet album en couleurs directes est une véritable bouffée d'oxygène dans sa production.
« Les évadés de Kanash » tome 1 de la série « La cicatrice du souvenir », par Ange et Paty. Chez Soleil Production.

Et une nouvelle série, une. Le rythme ne faiblit décidément pas chez Soleil. Avec des ingrédients presque immuables, au premier rang desquels on retrouve la quête. Cette fois, c'est l'héritier dépossédé d'un royaume qui se met en tête de laver son honneur et de venger l'injustice qu'il a subi. Le prince Erkor a en effet été condamné par son oncle à mourir dans une vallée prison (où l'espérance de vie des condamnés ne dépasse guère la demi journée) après que celui-ci eût fait tuer sa femme et ses enfants. De cette situation simple, les auteurs (ils sont deux à se « cacher » sous le pseudo de « Ange ») sont partis pour inventer une histoire qui sonne comme un jeu de rôles. Il y a trois personnages centraux, tous les trois rescapés de la vallée prison : Erkor, le prince dépossédé, Sylvan, jeune magicien inexpérimenté mais plein de ressources et Amida, une redoutable guerrière qui fait partie de la « guilde des assassins ». Tous les trois vont faire alliance, d'abord pour s'échapper du piège que constitue cette vallée. Ensuite pour rendre son dû au prince spolié. Et les scénaristes de parsemer cette quête d'épreuves dans lesquelles les qualités de chacun des élus seront primordiales. Le festival peut commencer. Avec ces trois héros typés et dotés de dons personnels complémentaires, le lecteur ne sera pas déçu ! Tout au plus trouvera-t-il le personnage d'Erkor peu sympathique et souvent exagérément autoritaire (mais cela fait partie du rôle de guerrier qui lui colle à la peau). En résumé, il faut reconnaître que ça se laisse lire comme un scénario de jeu vidéo. Christian Paty y apporte sa touche, efficace mais sans grande surprise, appuyée sur un bon casting.
« Adalbert ne manque pas d'air », tome 1 de la série « Le roi catastrophe », par Sfar et Parme, dans la collection Jeunesse des éditions Delcourt.

Avec Adalbert, Lewis Trondheim confirme qu'il n'est jamais meilleur que dans les histoires de gosses. Et que plus elles sonnent « cour de récré », plus elles font rire. Les « Cosmonautes du futur » l'avaient déjà prouvé. La série « Monstrueux... » (Monstrueux Bazar, Monstrueux Noël, etc...) l'avait confirmé. Ce « Roi catastrophe » nous en donne la preuve éclatante. Non seulement le langage de Trondheim est juste, mais en plus son univers est d'une féroce drôlerie que le dessin très cartoon de Parme vient presque souligner en contrepoint. Car si jusqu'ici, les BD « enfantines » de Trondheim étaient volontiers poétiques et exaltaient une imagination foisonnante, cette fois, il y a un côté délibérément « sale gosse » qui est purement jouissif. Adalbert est un petit roitelet capricieux, colérique, égoïste au dernier degré. A tel point qu'il rêve de régner sur un monde où tous les enfants auraient ses traits et son caractère. Aussitôt rêvé, aussitôt ordonné : et voilà que des clones d'Adalbert remplacent tous les petits enfants du royaume. Mais bien vite, surgissent d'énormes problèmes que le tyran en culottes courtes n'avait pas prévus. Chaque histoire est un modèle d'humour, de dérision et de sympathique ironie. Celle du pique-nique est très drôle même si le lecteur aura assez vite compris où l'auteur veut en venir. Celle des mémoires d'Adalbert est peut-être moins comique, mais elle n'en est pas moins traitée avec brio. Il faut dire que le dessin « libre » de Fabrice Parme, à la manière des albums de la série « Monstrueux » (c'est-à-dire sans bords de cases sur un papier de couleur) met en valeur une stylisation remarquable qui donne en quelques traits des éléments d'une grande lisibilité et des visages très expressifs. Les enfants devraient adorer ce nouveau personnage, mais les adultes ne devraient pas le bouder non plus. Il renvoie à tous les côtés capricieux que nous avons développés, chacun à notre manière, lorsque nous pensions être les rois du monde, testant notre autorité d'enfant sur les adultes qui nous entouraient. L'une des très bonnes surprises de cette collection pourtant déjà d'un excellent niveau !
Pirate (Sang et Encre) par Thierry Bellefroid
« Pirate », tome 2 de la série « Sang et Encre » par Omond et Martin. Dans la collection Conquistador des éditions Delcourt.

Suite des aventures de « La Plume », le jeune lettré embarqué malgré lui avec les corsaires du capitaine Sneak. Des corsaires qui, grâce -ou à cause- de lui (voir tome 1), ont rompu leur lien d'allégeance avec la couronne et sont devenus de vulgaires pirates. « La Plume » raconte comment ce fier équipage se laisse entraîner dans un cercle d'oisiveté et de violence. L'album est très différent du précédent. Au destin inattendu du jeune homme s'est substituée une histoire de piraterie assez barbare qui fait la part belle à l'hémoglobine et aux gueules de brutes avinées et de tueurs hébétés. Ce travers est heureusement contrebalancé par la rencontre inattendue de Jean-le-Glabre qui relance l'intérêt de l'histoire. Jean-le-Glabre, pirate masqué dont « La Plume » va découvrir la véritable identité et qui va provoquer la perte de tout un équipage pour assouvir une simple vengeance personnelle. Jean-le-Glabre qui va aussi révéler à « La Plume » ce qu'est la véritable littérature et lui montrer les limites de son propre travail d'écrivain de bord. Bref, un album inégal (comme le précédent, d'ailleurs, mais sans doute meilleur quand même ) qu'Olivier Martin a abordé avec un dessin plus dur, à la plume plus visible. Mais lorsqu'on relit « Isaac le Pirate », la série que Christophe Blain a entamée il y a peu chez Dargaud, on mesure toute la différence entre cet exercice de genre et ce que peut être une véritable oeuvre personnelle.
Une plume pour Clovis par Thierry Bellefroid
« Une plume pour Clovis », par Gébé, à L'Association.

Après la réédition du mythique « An 01 », L'Asso s'est penchée sur une autre perle de Gébé, introuvable aujourd'hui... et jamais éditée dans sa version originale, c'est-à-dire en couleurs. Curieusement, en effet, « Une plume pour Clovis » a été publié en 1968-69 dans Pilote en couleurs et éditée en livre quelques années plus tard, mais... en noir et blanc. Le moindre des paradoxes n'est pas que cette édition originale « colorisée » paraisse plus de trente ans après sa création chez un éditeur jusqu'ici connu pour son catalogue intégralement en noir et blanc !
« Une plume pour Clovis » est un récit débordant de poésie dans lequel un homme de plus de 70 ans se lance à la recherche de son passé. Accusé d'être un vieil acariâtre par sa femme de ménage, Clovis se souvient de ses amis passés. Et lui revient, en regardant une vieille photo de classe, que son copain Casimir lui avait promis de lui offrir une plume de faisan avant de disparaître à jamais de la circulation. Clovis, 65 ans plus tard, retourne dans son village natal en pleine campagne et mène son enquête : qu'est devenu Casimir ? Complètement parano et pas loin d'être tout aussi givré, il va bousculer la vie du village et l'entraîner dans une folle aventure. Le vieil original est attachant malgré ses défauts et les trouvailles de Gébé sont touchantes d'une poésie qui sent bon les années post-68. Rien que de revoir cette Deuche dans le décor, c'est déjà tout un univers révolu qui se réveille, à fleur de dessin. Bon, c'est vrai, c'est parfois un peu naïf, surtout dans l'humour (le coup de la pipe mal éteinte qui met le feu au siège, on le voit venir à 2000 km !). Mais qu'est-ce que c'est frais !
Wendling par Thierry Bellefroid
« Wendling » aux éditions du Cycliste.

Claire Wendling, vue par elle-même. Dans un livre magnifique mais peu commenté, cette dessinatrice exceptionnelle livre quelques-uns de ses plus beaux cartons à dessin. Et on est à la fois étonné par la diversité de ses oeuvres et par la progression de sa technique. Remarquée dès le premier album de la série « Les lumières de l'Amalou » paru chez Delcourt il y a une dizaine d'années, Claire Wendling a depuis lors multiplié les expériences périphériques, délaissant (un peu trop à notre goût) la BD elle-même. Animation, dessins publicitaires et illustration l'ont monopolisée ces dernières années. Mais lorsqu'on découvre ses croquis préparatoires ou ses crayonnés au détour des pages de cet album, on est conquis, quel que soit le support final. Les animaux réalisés dans le cadre de recherches pour Warner Bros rivalisent de beauté avec les plus belles créatures de Disney. Cela n'empêche pas Wendling de s'inspirer du peintre Egon Schiele quelques pages plus loin pour ses croquis préparatoires à l'album d'illustration d'Aphrodite réalisé l'an dernier pour le compte des Humanos. Les dessins retouchés ou réalisés à l'ordinateur démontrent sa maîtrise de l'outil qui arrive à se faire totalement oublier. Et son imagination semble tout à fait intacte à la vue des dernières études de personnages pour des BD à venir. Bref, on peut se demander : mais qu'attend-elle pour s'y mettre ? Espérons que ce très beau libre ne constituera pas le seul zakouski « wendlingien » de l'année !
Rebelote par Thierry Bellefroid
« Rebelote », les aventures des Carroulet. Par Tofépi. Au Seuil.

Le Seuil est le spécialiste des BD « campagnardes ». Avec les albums de Bruno Heitz, l'éditeur n'a pas seulement lancé un héros (celui du privé à la cambrousse), il a osé un ton. Tofépi nous propose donc lui aussi sa cambrousse, elle est habitée par une famille très beauf (si ce n'étaient pas les enfants mais les parents Carroulet qui étaient les principaux protagonistes, ça pourrait être du Rabaté) avec des mômes qui ne manquent pas d'imagination pour occuper leurs journées. Ces trois-là sont gentiment gaffeurs mais surtout, s'inventent un monde avec deux fois rien. Leurs incessantes chamailleries sonnent juste et leurs rêves sont aussi terre à terre que peuvent parfois l'être ceux des gosses : avoir la collec complète des auto-collants Vache Qui Rit quitte à se rendre malade à bouffer boîte sur boîte... ou rêver d'argent de poche et tout faire pour en gagner, y compris transvaser tout le vin du père dans des bouteilles non consignées pour aller récupérer l'argent des consignes. Le moment le plus drôle étant sans doute la chasse aux moustiques pour nourrir « Looping », un bébé hirondelle trouvé dans la cour par les enfants. Bébert a imaginé une technique bien à lui qui consiste à transformer Sophia, sa soeur, en piège vivant. Dans la chambre aux fenêtres grandes ouvertes, allongée sur son lit en petite culotte, elle attire les moustiques que son frère assomme sans ménagement lorsqu'ils se posent sur son corps. Tofépi a un sens de l'observation aigu et son dessin apparemment naïf fait mouche. Cette famille de loufdingues m'a bien fait rire.
Julien (Le fer et le feu) par Thierry Bellefroid
« Julien », tome 4 de la série « Le fer et le feu », par Eric Stalner. Chez Glénat.

S'achevant par un clin d'oeil à la série qu'il dessine chez Dargaud sur scénario de Pierre Boisserie (« La Croix de Cazenac », pour ne pas la citer), Eric Stalner signe donc avec ce quatrième volume la fin d'une saga historico-romantico-familiale qui ne fera pas partie du panthéon de la BD mais qui aura su mêler les ingrédients de la grande aventure à ceux de l'Histoire... sans oublier l'amour. Ce quatrième tome devait clore le récit. Ce qui veut dire apporter toutes les réponses et dénouer les écheveaux patiemment tressés pendant les trois précédents. L'exercice est parfois dangereux. Combien de lecteurs, impatients d'avoir enfin la fin d'une saga qu'ils lisaient depuis plusieurs années, n'ont-ils pas été déçus à la lecture d'un tome de conclusion ? Souvent indigestes, bavards, trop ramassés, ce sont les albums auxquels on ne pardonne pas leurs erreurs. Si elle n'étonne pas vraiment, la conclusion imaginée par Stalner ne déçoit pas non plus. Elle fait même une incursion inattendue du côté de la folie et de la cruauté. Mais elle en frustrera quelques-uns car après nous avoir fait courir derrière un certain document pendant plus de deux cents pages, on pensait être en droit d'attendre davantage de précision sur son contenu. Le dessin d'Eric Stalner, fidèle à lui-même -c'est-à-dire statique et parfois maniéré- semble parfois vouloir se libérer sans vraiment y parvenir. Pour ma part, je regrette le tandem qu'il formait avec son frère. Leurs styles se mélangeaient bien et leurs défauts respectifs avaient plutôt tendance à s'annihiler qu'à s'additionner.
La nuit du lièvre par Thierry Bellefroid
« La nuit du lièvre », par Georges Van Linthout et Yves Leclercq. Dans la collection « Encrages » des éditions Delcourt.

Ceux qui ont lu les trois tomes de Falkenberg parus au Lombard seront sans doute étonnés de découvrir ce récit en noir et blanc publié dans l'excellente collection « Encrages ». Parce que le ton, le propos, l'univers et même le dessin sont totalement différents dans « La nuit du lièvre ». Privilégiant une BD plus adulte, un ton radicalement noir et proche du polar américain, une période -les années cinquante- et un lieu -un trou perdu des Etats-Unis- qui ne rappellent en rien leur précédent essai commun, les deux liégeois sont à la fois plus à l'aise et plus intéressants dans cet exercice. Sans doute le doivent-ils non seulement aux choix décrits plus haut mais aussi à une narration bien construite, fonctionnant par flash-back successifs pour aboutir à l'explication d'une situation donnée en début d'histoire. Cette construction, pour artificielle qu'elle soit, emmène le lecteur dans une histoire en forme de poupées russes. Au bout du compte, on ressort de ce livre noir avec le sentiment d'avoir lu un honnête polar aux ingrédients tantôt classiques tantôt originaux (le combat de boxe truqué qui foire d'un côté, le coup de grisou qui fait détaler les lièvres de l'autre) servi par des personnages humains, attachants, tous englués dans leurs petits défauts. Le dessin hésite entre réalisme et caricature, pas toujours pour le plus grand bonheur du lecteur. Il plante de belles ambiances mais manque souvent de justesse dans les proportions. Georges Van Linthout a au moins eu le mérite de faire table rase de tout ce qu'il avait acquis au travers des trois tomes de Falkenberg. Loin du dessin classique et semi-réaliste proche de la ligne claire qu'il y avait développé, il privilégie cette fois les personnages et les lumière, approchant parfois la fraîcheur d'un Etienne Davodeau.
« Le tombeau de l'ange », tome 1 des Immortels, par Desberg et Reculé. Chez Glénat.

Si cette BD ne se vend pas, qu'est-ce qu'il faut faire, alors ? Les Immortels, c'est un peu de tout ce qui marche ailleurs, revu à la sauce Desberg/Reculé. Un peu des Stryges de Corbeyran, un peu du trait de Marini, un peu de la mise en page, des couleurs et du casting du Troisième Testament (l'explorateur, père de l'héroïne Rio, ressemble vraiment beaucoup à Conrad de Marbourg, lui-même pompé sur Sean Connery...). Desberg et Reculé se connaissent bien. Ils ont déjà réalisé ensemble deux tomes du « Crépuscule des anges » qui n'ont rien à voir avec les anges ici présents, en dépit d'un titre qui pourrait semer la confusion. Dans ce nouvel univers, Desberg nous montre un ange victime de sa compassion pour les hommes et nous propose une nouvelle variation de la lutte du Bien et du Mal. En jouant sur des époques différentes et sur l'opposition entre la Terre et les scènes se déroulant au paradis, il nous offre aussi la possibilité d'entrer dans la vie de ces anges et de jouer une carte un peu plus inédite : celle des sentiments amoureux entre ces êtres « divins ». C'est sans doute dans cette tentative d'humanisation des anges que résident les qualités d'un scénario somme toute assez classique. Mais comme Reculé a mis toute la sauce, épaississant son trait (parfois à la limite de faire du Pellejero comme cette vignette en bas de la planche 14 par exemple) et dynamisant son dessin, tout cela fonctionne plutôt bien. Le rythme y est, et même si l'on pense à Rossi ou à Marini au gré des pages, on doit reconnaître que le dessinateur du dernier tome du Cercle des Sentinelles (toujours avec Desberg au scénario, en remplacement de Wurm, qui avait créé la série) a fait des progrès. Le visage d'Ashra semble sorti tout droit du Crépuscule des Anges mais c'est bien l'une des rares répétitions que l'on trouve entre les deux séries, tant Reculé semble s'être réinvesti dans ce nouvel univers. On aimerait l'y voir débarrassé de ses influences.
« Juste un île », tome 1 de la série « Les compagnons de fortune ». Par Franz, aux éditions Delcourt.

C'est une farce, une grosse farce, que nous a concoctée Franz. « Les compagnons de fortune » utilise en effet toutes les ficelles du burlesque, même si les premières pages ne le laissent guère penser. Car c'est vrai que les débuts sont un rien difficiles. On ne s'identifie guère aux personnages et les situations ont un côté trop éculé pour qu'on suive l'histoire avec enthousiasme. La mise en page étriquée de Franz achève de consumer les bonnes volontés. Mais les lecteurs plus assidus sont récompensés ensuite, lorsque surviennent les véritables ingrédients de la saga d'Andrew. Il y a d'abord la rencontre de « la » sauvage sur son île déserte, baptisée Tim. Puis celle « du » pirate, « Pas-de-quartiers », qui va emmener Andrew avec lui. Ces deux personnages font basculer le récit et permettent à Franz d'enfin prendre ses distances avec toutes les autres aventures du genre. A partir de là, c'est une pièce de théâtre de boulevard qu'il nous joue sur le mode de la flibuste. Pour peu qu'on accepte la règle du jeu, on s'amuse, notamment grâce aux apartés de la plupart des personnages. Bon, d'accord, c'est gros, souvent même très gros. Et le scénario use de ficelles un rien trop évidentes (la fin est en effet très facile) mais c'est tellement inattendu dans l'univers de Franz (pensez donc, il n'y a même pas de chevaux dans cet épisode !)... Bref, un moment de détente sans prétention qui ne pourra se prolonger dans d'autres albums qu'à condition de jouer à fond sur l'humour. Car pour le reste, il y a dix exemples de BD de flibuste cent coudées au-dessus.
Pascin - tome 5 (Pascin) par Thierry Bellefroid
« Pascin Tome 5 » par Joann Sfar. A L'Association.

L'air de rien, Joann Sfar nous a déjà pondu plus de cent cinquante pages d'aventures « pasciniennes ». On commence à frôler le monument ! Il faut dire qu'en plus, ce cinquième opuscule est certainement l'un des plus réussis. S'éloignant de plus en plus de l'exégèse (qui n'a jamais été son but premier, d'ailleurs), Sfar promène « son » Pascin sous la lumière crue du Midi et joue pour une fois du pinceau presque autant que de la plume, s'amusant à traiter certaines cases au lavis. La planche 140 et surtout la 145 (magistrale !) nous montrent qu'il sait y faire lorsqu'il faut mélanger l'encre de Chine pure et l'encre délayée dans un même dessin. Les planches 134 et 135, si elles jouent en revanche sur l'encre de Chine non diluée, proposent une palette subtile qui trouve sa raison d'être dans cette première histoire « Villa America » où lumière et chaleur sont très perceptibles. Ce récit -le plus touchant depuis le début de la série- est superbement découpé et traité par Joann Sfar qui semble s'amuser comme un fou à faire cohabiter l'ingénuité de la jeune Ada et le trouble qu'elle provoque chez le peintre. Je crois que j'ai relu ces neuf pages trois ou quatre fois, tellement je les trouvais belles, équilibrées, artistiques.. et emplies de la tendresse complice que Sfar a pour ses personnages.
Portrait de femmes avec tueur par Thierry Bellefroid
« Portrait de femmes avec tueur », par Katou et Andréa H. Japp. Dans la collection « Petits Meurtres » des éditions du Masque.

Un thriller psychologique comme on les aime. Une enquête « à l'américaine », avec serial killer complètement psychotique et fausses pistes en pagaille. Des héroïnes qui nous changent des pelletées de privés et autres enquêteurs du « effbihaïe » qu'on a trop vus ou lus. Elles sont deux. L'une est profileuse (un métier très à la mode) et l'autre est une spécialiste de la lutte antiterroriste qui échoue un peu par hasard dans ce tandem. Elles vont se retrouver face à une « épidémie » de cadavres savamment dépecés et mis en scène par un détraqué qu'elles doivent pousser à l'erreur. C'est classique et pourtant, on a l'impression de ne pas avoir lu « ÇA » souvent en BD. Peut-être la formation de biochimiste et de toxicologue d'Andréa H. Japp (aujourd'hui romancière chez Flammarion et aux éditions du Masque, où elle est directrice de collection) est-elle à l'origine de cette approche presque scientifique du serial killer à laquelle la BD ne nous a pas habitués. Toujours est-il qu'on dévore ce bouquin de près de 120 pages d'une traite. Le dessin de Katou (l'un des fondateurs des « Requins Marteaux ») est noir, sec et ombragé juste ce qu'il faut pour servir une histoire qui peut être considérée comme l'une des meilleures de la collection.
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