Western par Thierry Bellefroid « Western » par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski. Dans la collection « Signé » des éditions du Lombard.
Comme pour chaque album de Van Hamme, désormais, il y aura les pour et les contre, les enthousiastes immodérés et les déçus chroniques. Plus encore sans doute dans les « one shot » que dans les albums de ses séries (« XIII » mis à part), Van Hamme déchaîne les passions et les polémiques. Pourtant, avec sa maîtrise sans pareille du scénario, il continue de s'illustrer dans ces one shot mieux que n'importe où ailleurs. Ce « Western » en est la preuve. Le scénario est une machine, une machine de guerre pourrait-on dire. Elle va se refermer sur les héros et tout broyer sur son passage. Comme dans la tragédie antique, on sait que le destin est le véritable et peut-être même le seul héros de l'histoire. On sait que les personnages n'ont pas les moyens de lui résister, que les fils sont déjà noués. C'est le cas dans Western. Dès la deuxième page, Jean Van Hamme nous aide à nous faire à cette idée en installant un récitatif dans lequel le personnage central de l'histoire (que l'on n'identifiera que plus tard) évoque les caprices du hasard (« Ce que Jess n'avait pas prévu, c'est que Van Deer ne serait pas seul »). Le jeune Nate va donc se laisser mener par le destin et sa fin sera tragique, on s'en doute très vite. Pourtant , ce récit n'a rien de mathématique. Jean Van Hamme l'a construit à sa manière, c'est-à-dire avec intelligence, s'appuyant autant que possible sur des éléments réels sans jamais leur donner plus d'importance qu'ils ne doivent en avoir. Résultat : au bout de quelques pages, le personnage de Nate et son univers existent bel et bien. Ils sont crédibles. Et le lecteur, lui, est ferré. Il ne refermera l'album qu'au terme d'une lecture soutenue par un suspense savamment entretenu. Bien sûr, comme dans la tragédie antique ou dans certains récits policiers, on pourrait dire que le destin en remet un peu, que les personnages qui ont des comptes en suspend se retrouvent toujours. A la manière de ces pièces de théâtre de Feydeau où le mari, l'amant, la femme et les enfants naturels qui s'ignorent arrivent toujours à se retrouver dans le même lieu. Mais lorsqu'il s'agit justement de montrer la main-mise du destin sur les personnages, lorsque c'est bel et bien cette mécanique qui est le coeur du récit, où est le mal ? Western est un hymne à l'Ouest hollywoodien autant qu'à Antigone, si l'on peut caricaturer à l'extrême. Ce grand écart permet à Jean Van Hamme et à Rosinski de jouer sur les ambiances autant que sur les personnages et de construire un suspense dans un décor épique. Les doubles pages hors-texte de Rosinski viennent d'ailleurs renforcer cette impression tout en permettant au dessinateur de laisser libre cours à sa passion pour la peinture (de la même manière que Rudi Miel avait prévu de laisser de tels espaces à Will dans « L'arbre des deux printemps » paru lui aussi dans la collection « Signé »). Bref, Western mérite bien son nom et prouve que ces deux « monuments » de la BD ont d'abord pensé à se faire plaisir et à réaliser un rêve de gosse. Rosinski, peut-être plus encore que Jean Van Hamme, puisqu'il s'est lancé dans l'album en remettant totalement son dessin en cause. L'expérience était risquée. Le dessinateur de Thorgal a changé sa palette autant que sa technique. Le résultat est à la hauteur et ne ressemble à aucune des deux séries qu'il dessine par ailleurs. A soixante ans, cet album en couleurs directes est une véritable bouffée d'oxygène dans sa production.