Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Au passage du Pourquoi-Pas par Thierry Bellefroid
« Au passage du pourquoi-pas » par Stanislas et Baraou. A L'Association.

Tout est permis au Passage du pourquoi-pas. Tout y est permis parce que le lieu est vierge. Le passage du pourquoi-pas, c'est une feuille blanche en forme d'impasse ombragée. Anne Baraou y jette des choses et des gens -des gens surtout, quoique le terme « gens » soit peu approprié à certains des personnages de ces courts récits- et leur invente des possibles. Au jeu de la mise en images de ces rêves étranges tantôt surréalistes tantôt gentiment terre à terre, on retrouve un dessinateur qu'on adore : Stanislas. Avec sa ligne claire en noir et blanc et ses petits nez pointus, il sait comme personne nous rendre vrai ce lieu de pure création littéraire. Un régal de finesse, tant dans le dessin que dans l'écriture. Car les petites phrases qu'Anne Baraou a délicatement ciselées tout au long de cet ouvrage sont comme des perles qu'on aligne en collier.
« Bon millénaire m'sieur Luberlu ! », premier tome de « Moustic », par Moski. Chez Dargaud.

La relève de Boule et Bill commence à pointer le nez, chez Dargaud. A côté de l'excellent Jules d'Emile Bravo ou du Merlin de Sfar et Munuera, voici, une vraie BD pour enfants qui convainc d'emblée. Il faut signaler que comme les deux précédentes, elle se présente sous forme d'histoires complètes et non de gags. Les tentatives du genre semblent jusqu'ici nettement moins convaincantes, mais n'est pas Roba qui veut...
Moustic est une histoire à la fois drôle et tendre, aventureuse et onirique. Grâce à l'irruption du fantastique dans son récit, Moski renverse toutes les situations et relance constamment le rire et l'attention du lecteur. Sa recette ? C'est un petit animal, Ratzy, qui ressemble à un fennec mais qui n'est autre qu'un Ratapus, une bestiole donnant vie aux objets sur lesquels elle éternue. Avec cet animal à ses côtés, Moustic peut vivre les aventures les plus folles et les plus merveilleuses. Il y a un petit côté marsupilami dans la création de ce quadrupède. Mais la comparaison s'arrête là. Pour le reste, on retrouve un humour parfois proche de celui de Jojo (de Geerts, chez Dupuis) sans pour autant que Moustic soit « pompé » sur qui que ce soit. Les situations sont cocasses, les personnages attachants et la deuxième histoire (il y aura dans chaque album une première histoire de 38 pages et une seconde, plus courte, dans laquelle Moustic essaiera de se trouver une « nouvelle » maman), bien que moins aboutie, est assez mignonne. Vous l'aurez compris, pour un premier album, il s'agit d'une jolie surprise.
« Comme s'il en pleuvait », tome 5 de Monsieur Jean, par Dupuy et Berberian. Aux Humanos.

Que n'a-t-on pas encore dit ou écrit à propos de Monsieur Jean ? Désormais élevé au rang de « classique de la BD », l'écrivain imaginé par Dupuy et Berberian poursuit son petit bonhomme de chemin après une aventure hors-format dans la collection Tohu Bohu désormais dirigée par ses concepteurs. Et ce que de nombreux lecteurs pensaient impossible il y a trois ans à peine s'est matérialisé sur la feuille : Monsieur Jean est papa. Un papa qui connaît quelques moments de doute et de frustration dans la grande ville de New York, seul avec sa fille, pendant que Cathy, sa compagne, semble avoir trouvé le parfait équilibre.

Mais bien vite, cet univers un peu trop ronronnant se peuple de personnages connus et de repères géographiques parisiens : Jean rentre dans la famille. Et sa famille, chacun sait qu'elle ne s'arrête pas à papa-maman. Félix, Madame Poulbot et les autres sont de retour. Tous, dans des situations où on ne les attendait pas. Le miracle opère. On se laisse emporter par la dépression de Madame Poulbot et sa riposte énergique. Ou par les rêves de music hall de Félix, décidé à ressusciter Fernand Reynaud sur scène pour retrouver une santé financière... et conserver la garde du petit Eugène. On rit des dialogues en « kotop » du même Eugène, le roi de la « gameboa ». On s'amuse du quiproquo qui enflamme les medias au moment de la sortie du troisième roman de Jean. On compatit devant les lourdes tentatives de drague de Félix. Le dessin, lui, est toujours aussi beau (les premières pages new- yorkaises viennent rappeler tout le talent d'affichistes de Charles et Philippe !). Il donne toute sa mesure dans les scènes de rêve (ou de cauchemars ?) qui traversent l'album d'un bout à l'autre. Entre fantaisie et observation, nos compères connaissent la musique. Mais ils ajoutent cette fois un poil de gravité qui leur va bien. Les grands-parents collabos de Félix viennent bousculer les certitudes et nous interroger sur la valeur de l'argent. Le bonheur n'est pas dans le pré. Mais dans l'amour. Et ça, Dupuy et Berberian le savent depuis longtemps.
« Le dernier printemps », premier tome de « Amours fragiles », par Beuriot et Richelle. Chez Casterman.

Philippe Richelle ne se contente pas de l'excellente série « Les coulisses du pouvoir » avec son complice Jean-Yves Delitte (avec qui il a déjà réalisé « Donnington » paru chez Hélyode). Son autre complice, Jean-Michel Beuriot, avec lequel il a fait les beaux jours d'(A SUIVRE) est de retour. A deux, ils signent l'un des plus beaux albums de l'année. Certainement la plus belle histoire sur fond de guerre depuis l'inoubliable « Sursis » de Gibrat. Avant toute chose et comme le titre de la série l'indique, c'est une histoire d'amour que Richelle a voulu raconter. Et pour cela, il nous parle d'abord d'une liaison adultérine qui lie un soldat de l'armée allemande à une Française, sous l'occupation. Très vite, cependant, cette histoire cède le pas à un long flash-back. Il durera tout l'album.

1932. A Berlin, le soldat du début d'album n'est encore qu'un adolescent boutonneux, timide et pétri de littérature. Il s'appelle Martin Mahner. Son père est un sympathisant nazi notoire. Et il n'est pas le seul. Mais Martin veut croire en des lendemains meilleurs et refuse la doctrine d'Hitler. Richelle plante admirablement le décor. La famille Mahner est emblématique. Un fils adolescent que ses lectures, ses fréquentations et son idéal poussent à rejeter le fascisme. Un père qui n'a pas digéré les humiliations subies par l'Allemagne et qui suit les rêves d'Hitler comme des rêves de revanche sur l'Histoire, mais qui aura ses doutes, aussi, quand viendra l'heure. Et une mère effacée, qui prend le parti du silence. Beaucoup plus subtils qu'il y paraît, beaucoup plus fragiles aussi, les Mahner incarnent parfaitement la famille type d'Allemands d'avant-guerre. Et leurs voisins juifs tombent à point nommé pour ébranler leurs petites certitudes. Le talent de Richelle est de distiller tout ça sur fond d'histoire d'amour impossible. Avec un héros tiraillé entre sa timidité, ses convictions, son amour absolu et l'honnêteté qui le conduit à ne pas céder aux avances d'une femme qu'il n'aime pas. Les rôles sont distribués avec beaucoup de justesse et joués avec une grande sensibilité par les protagonistes. Le contexte est parfaitement exploité sans être pesant. L'histoire, magnifique, ne magnifie personne et fait la part belle aux petites (et grandes) faiblesses dont sont victimes les hommes lorsqu'ils doivent faire face à des périodes aussi troublées. Bref, ces 84 premières planches somme toute assez tragiques se lisent d'un trait et vous emmènent dans une Allemagne à la fois peu sympathique (l'incident qui oppose Karl Erlinger à Martin et Katarina en dit long sur le climat de l'époque) et fascinante. Le dessin de Beuriot privilégie limpidité et ambiances. Ses couleurs rappellent le travail de Juillard (sur « Le cahier bleu » et plus encore sur « Après la pluie ») mettant en avant une palette d'aquarelle simple et presque nostalgique. Certaines pages sont magnifiques. Principalement la scène du ballon, au début (planches 7 et 8) et l'impression générale que laisse l'album est celle d'être entré, le temps de sa lecture, dans un monde subtil, complexe... et vrai !
« Imaginaire : 1/Raison : 0 », tome 1 de « Norbert l'Imaginaire », par Guéret et Vadot. Dans la collection Troisième Degré des éditions du Lombard.

Deuxième livraison de Troisième Degré. En attendant l'arrivé de Foerster et de ses « Silex Files » qui risquent d'être décoiffants. Aux commandes de ce « Norbert », deux jeunes auteurs pas forcément inconnus, du moins en Belgique. Nicolas Vadot écorche l'actualité chaque semaine dans le magazine « Le Vif L'Express » qui est la version belge de L'Express français. Et Olivier Guéret est un critique de cinéma reconnu. Ensemble, ces deux faux débutants ont donc voulu donner vie au rêve que nourrissait Nicolas Vadot : entrer dans l'usine que constitue un cerveau. Et pas n'importe quel cerveau, celui de Simon Glonek, leur héros. Jouant sur les codes (notamment le rouge des verres de lunettes de Simon) pour permettre au lecteur de s'y retrouver, les auteurs s'amusent à passer du dedans au dehors. C'est une gymnastique un peu éprouvante au début, mais elle devient vite automatique. A l'intérieur du cerveau de Simon, on trouve de tout : exécutants, dictateur, comité d'éthique, prisonnier politique, monstre et unités anti-terroristes. L'idée n'est pas totalement neuve. D'autres ont exploré les recoins du « mental » humain et se sont permis de jolies allégories du genre. Mais Vadot et Guéret vont plus loin. Avec cette histoire où amour et logique s'affrontent comme s'affrontent le Capitaine et Norbert (ou l'hémisphère droit et le gauche), ils tentent de rejouer le petit théâtre du monde. On est donc aussi bien en prise avec l'extérieur à l'intérieur du cerveau de Nora ou de Simon que « dans la vraie vie ». On y trouve les mêmes ingrédients : complots, répression, presse.. tout ce que Vadot aime croquer lorsqu'il ne fait pas de la BD ! Bref, Norbert l'imaginaire est à la fois une fable, une métaphore et un exercice de style. Il lui manque peut-être un petit quelque chose pour devenir émouvant. Car si l'on salue l'imaginaire des auteurs (et leur humour parfois salvateur qui s'exprime tant au travers de jeux de mots souvent tordus qu'au travers de joyeux délires sur les paroles de Joe Dassin) on cherche en revanche un peu d'émotion pure dans tout ça. Parfois proche d'un monde comme celui de Rêverose, Norbert reste avant tout une démonstration. C'est son seul défaut.
La meilleure des mères (Murena) par Thierry Bellefroid
« La meilleure des mères », tome 3 de la série Murena. Par Dufaux et Delaby. Chez Dargaud.

Album après album, Philippe Delaby confirme qu'il a de l'or dans les doigts. Son style est classique, certes, mais saisissant de réalisme. Dans ce troisième volume, le dessin s'est encore affiné, fourmillant de détails tout en restant d'une grande lisibilité. Quant à l'histoire, calquée sur l'Histoire... elle se suffit à elle-même ! Jean Dufaux a choisi de raconter la Rome antique dans tout ce qu'elle a de plus effrayant et fascinant à la fois. Néron et Agrippine : fameux casting ! On est constamment surpris par la cruauté, l'absence totale de scrupules des personnages, par la soif de pouvoir et de sang qui les domine, par le peu de valeur d'une vie. Au bout de ce troisième tome, j'avoue être totalement réconcilié avec un genre qu'Alix semblait avoir figé pour l'éternité et que ce duo renouvelle... en puisant à la source. Rien à dire, c'est du beau travail !
Vestiges (Le chant des Stryges) par Thierry Bellefroid
« Vestiges », le tome 5 du Chant des Stryges, par Corbeyran et Guérineau. Chez Delcourt.

Mais qu'est devenue Isabelle Merlet ? On lancerait bien un avis de recherche tant l'absence de la coloriste du Chant des Stryges se ressent à la lecture de cet album ! Remplacée par Ruby, Isabelle Merlet a donc quitté le navire après quatre albums. Et le résultat, pour cet avant-dernier tome du premier cycle, est une mise en couleur avec des effets qui se veulent modernes mais qui sont d'une désespérante platitude. Dommage. Pour ma part, ces visages lisses comme Michael Jackson sortant d'un lifting et entourés d'un halo clair autour des yeux m'ont un peu gâché le plaisir. Enfin, ne résumons pas cet excellent album à sa mise en couleur, ce serait lui faire injure. L'histoire, comme toujours, est captivante. Et Corbeyran est de moins en moins chiche sur les apparitions de Stryges, que Guérineau transforme à chaque fois en grands moments de BD. Les trois « pôles » de l'enquête suivent chacun leur piste... et accumulent des points. L'Ombre d'un côté, Josh et Graham de l'autre, Nivek au milieu ; les morceaux du puzzle commencent à s'assembler. D'autant que Corbeyran ménage dans cet album un petit retournement d'alliance qui donnera du sel au dernier épisode du cycle. On attend ça avec impatience, comme on attend une quatrième série dans l'univers strygien, annoncée pour la fin 2001. Au dessin, on trouvera Marc Moreno, dont les clients de Canal BD peuvent voir en avant-première quelques dessins dans l'album hors-collection intitulé « Les Stryges, mythes et réalités », joint au tome 5 dans un très joli coffret.
Rural ! par Thierry Bellefroid
« Rural ! », par Etienne Davodeau. Dans la collection Encrages des éditions Delcourt.

Il fallait le faire et il l'a fait. Davodeau, le plus « social » de nos auteurs de BD, le Ken Loach du neuvième art, est tout simplement passé au stade du documentaire. Le terme reportage serait inexact. Comme dans le documentaire, il y a ici une notion de longueur dans le temps, mais aussi de point de vue personnel qui vont au-delà du reportage. Pourtant, la méthode de départ est la même : s'immerger, avec un carnet et un crayon, dans une réalité et la décrire.

J'avoue ne pas être un spécialiste de l'agriculture et encore moins du bio. A ce sujet, chaque page de cet ouvrage, ou presque, m'a appris quelque chose. Etienne ne s'est pas contenté de raconter l'histoire de ces quelques agriculteurs et habitants menacés d'expulsion par la construction d'une autoroute. Par un travail de fourmi, il a réussi à nous faire pénétrer leur univers au jour le jour. Le résultat, c'est un album de près de 140 pages réalisé en plusieurs mois, une plongée rurale comme l'indique son titre, qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Pour moi, l'objectif est atteint. Non seulement je ne me suis jamais ennuyé (Davodeau distille parfaitement les informations « didactiques »), non seulement j'ai appris beaucoup de choses, non seulement j'ai lu cette BD de la même manière qu'une fiction (ce qui veut dire qu'on y trouve les mêmes ingrédients : suspense, trame, personnages, etc...) mais en plus je me suis attaché à son univers, ses protagonistes, son propos.
Avec « Rural ! », Etienne Davodeau ne fait oeuvre ni de journaliste, ni de cinéaste, ni d'écrivain, ni même d'auteur de BD. Il fait tout ça à la fois !
La mission (Wayne Shelton) par Thierry Bellefroid
« La mission », tome 1 de Wayne Shelton, par Van Hamme et Denayer. Chez Dargaud.

Bruno Brazil est de retour ! Il s'appelle Wayne Shelton. Scénariste : LE faiseur de best sellers, Jean Van Hamme. Dessinateur : Christian Denayer. Après le dessin assez mièvre de Génération Collège, le père de Yalek, des Casseurs et d'Alain Chevallier renoue avec les scènes d'action et les gros camions (y compris sur la couverture, d'ailleurs). Rien à dire, ça lui va mieux. D'autant que Van Hamme lui a concocté une histoire sur mesure.
Parti d'un fait réel, le scénario est donc un hommage à peine déguisé à feu Bruno Brazil. Ce n'est pas la première fois que Van Hamme louche sur l'oeuvre de Greg. C'est peut-être la première fois qu'il s'en inspire aussi ouvertement. Le héros, un moustachu (c'est rare, de nos jours, parmi les héros de BD) aux tempes grisonnantes qui quitte rarement son imper, accepte un très juteux contrat dont l'objet est la libération d'un Français prisonnier dans une petite -et fictive- république de l'ex-URSS. A la manière du Commando Caïman, Wayne Shelton va se constituer une équipe pour partir à l'assaut de la forteresse. Il va même mettre tout l'album à la constituer, cette équipe. Un joli prétexte pour nous emmener un peu partout et nous distiller du frisson et de l'action à toutes les pages. Problème : le héros n'est pas très sympathique. Et tout ça ne « sue » pas l'humour. Mais Jean Van Hamme connaît son affaire. Wayne Shelton devrait rencontrer le succès. Et donc... d'autres épisodes après l'inévitable N°2 ?
« Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? », tome 1 de la série « Les olives noires » par Sfar et Guibert, dans la collection « Repérages » des éditions Dupuis.

Personne n'a oublié « La fille du professeur », qui avait révélé l'immense talent graphique de Guibert et l'imaginaire débridé de Joann Sfar au grand public. Aujourd'hui, tout le monde apprécie leur contribution essentielle au renouvellement de la BD française. En solo, en duo ou en association à géométrie variable, Joann multiplie les projets et ne cesse de surprendre. Plus discret mais tout aussi intéressé par le fait de travailler avec des partenaires qui sont avant tout des amis, Emmanuel a prouvé qu'il était l'un de ceux avec lesquels il faudrait compter dans les années à venir. « Le Capitaine écarlate » et « La guerre d'Alan » ont assis son talent. Il manquait toutefois encore l'album où ces deux-là pourraient livrer ensemble le meilleur d'eux-mêmes. Et ce n'est pas avec cet album qu'ils arrivent mais carrément avec une série dont ce « Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? » n'est que le prologue. Un prologue magistral, touchant, drôle, caustique, magnifiquement mis en scène et « joué » par les personnages qu'Emmanuel a mis sur le papier.
« Les olives noires », c'est du Sfar pur jus. On y retrouve à la fois une prédilection pour l'histoire juive, un ton résolument moderne, un traitement mêlant parfaitement humour et émotion. Mais l'album ne serait pas le même sans l'intelligence et la sensibilité qu'apporte Emmanuel Guibert. Un gaufrier basique à six cases, un dessin qui s'approche des visages et nous fait partager émotions, frayeurs, interrogations et même... humour. Et tout ça sans le moindre artifice. C'est ça, Guibert. L'efficacité au service de l'histoire, la mise en scène confiée au seul crayon et non au tube de colle... Résultat, un album vibrant, vivant, léger et grave à la fois, qu'on a envie de relire aussitôt refermé.
Il y a dans le traitement des deux soldats déserteurs un humour désespérément salutaire. Pour nous faire « avaler » l'injustice de ces deux Gaulois enrôlés de force dans l'armée romaine et craintifs face au sort qui les attend, Sfar choisit la carte de l'humour (et de l'amour). Cette légèreté dans le désespoir, cette façon de rire dans le malheur (ils se font quand même circoncire, les pauvres) est sans doute l'une des manifestations de l'humour juif qui caractérise Joann. S'y ajoute ici une volonté de traiter de l'Histoire antique avec un langage contemporain. Ce traitement amplifie encore le côté décalé, drôle mais aussi personnel de l'album. Emmanuel Guibert apporte sa pierre à l'édifice. Ses deux soldats sont terriblement expressifs, proches de nous aussi (l'un des deux est même une copie assez conforme de Christophe Blain). Quant au héros, le petit garçon qui a perdu sa maman (comme Sfar, voir interview sur ce site !) et que le destin va à son tour séparer de son père, il prend des traits proches de ceux que l'on pourrait prêter à Sfar lui-même, enfant. Dans un jeu de zoom avant délicat et dosé, Guibert nous rapproche de ses yeux, de ce regard pur et triste à la fois, bouleversant d'humanité. Il n'y a qu'à lire les quatre cases reprises en quatrième de couverture pour voir à quel point ces deux-là ont du talent quand ils conjuguent leurs qualités respectives !
Rapaces - tome 3 (Rapaces) par Thierry Bellefroid
« Rapaces III » par Dufaux et Marini. Chez Dargaud.

Difficile de nier le talent époustouflant d'Enrico Marini. Le dessinateur de Rapaces le prouve cette fois encore : il sait tout faire. Et il dessine les ambiances, campe les couleurs directes, travaille les lumières comme personne. Rapaces vaut avant tout pour ce témoignage d'un grand dessinateur qui, en plus des qualités que je viens de citer, est aussi un maître des scènes d'action. Chaque page est remarquablement équilibrée, nourrie d'un rapport à la couleur qui ne cesse de s'affiner au fil des albums. Pour le reste, ce troisième tome est clairement un album de transition. Le scénario ne fait pas de surplace, mais il n'avance pas à pas de géant pour autant. Dufaux s'amuse quand même au passage. « Ses » créatures en viennent à se demander s'il ne serait pas temps de préserver la race humaine dont les derniers specimens sont en voie d'extinction. A part ça, pour résumer l'ensemble, disons que les forces du mal se livrent un combat sans fin, ce qui permet à Marini de continuer à dessiner les combattants dans des tenues de latex ultra sexy en leur faisant des biscottos d'enfer. Bref, tout le monde est content.
« Farces macabres », tome 2 de Comptine d'Halloween, par Callede, Denys et Hubert. Dans la collection Sang Froid des éditions Delcourt.

Deuxième volume de cette trilogie très hollywoodienne. Betsy continue sa descente aux enfers. Les cadavres se ramassent à la pelle dans cet album où l'on commence à comprendre ce qui motive le tueur. Il faut dire que l'histoire démarre par un flash-back qui permet de mieux saisir ce que les auteurs avaient jusque-là volontairement laissé dans l'ombre. Tout comme le premier opus, ce deuxième tome nous emmène dans une histoire de serial killer à l'américaine, bourrée de références cinématographiques et de clichés, mais qui fonctionne grâce à un bon découpage et à son personnage central, la fragile comédienne prise dans une toile aux enjeux inquiétants. Le suspense est bien construit. Et sans parler de chef d'oeuvre, on recommandera la lecture de ces deux albums aux fans de films du genre et de romans de Stephen King.
« De cendre et d'or », tome III de la série « Le Triangle Secret », par Convard, Falque, Gine, Kraehn, ... Chez Glénat.

Annonçant discrètement la mise en place de la collection « La loge noire » confiée à Didier Convard, ce tome trois a pour invité Jean-Charles Kraehn. Comme ses prédécesseurs, il offre un panorama de deux mille ans de duperie en postulant que l'Eglise a toujours caché ce qu'on pourrait appeler « le mensonge originel » : Jésus a envoyé son frère jumeau sur la croix. Partant de là, intrigues de pouvoir et documents secrets (dont le Cinquième Evangile écrit de la main du Christ) vont se croiser pendant des siècles jusqu'à ce qu'un historien par ailleurs franc-maçon se mêle de découvrir la vérité. L'intrigue construite par Convard est solide, même si ce troisième album est celui qui me semble le moins utile au récit. On reste cependant captivé par cette enquête policière menée par-delà les siècles et par les personnages principaux tout à fait crédibles dans leurs rôles respectifs. Dommage que le dessin de Falque ne convainque pas davantage. Dommage que le propos certes sérieux mais pas pour autant dénué d'intérêt soit parfois un peu noyé par un intellectualisme forcené. Pour le reste, rien à dire, on attend d'avoir les sept albums de la série en mains pour les relire d'une traite !
Petits miracles par Thierry Bellefroid
« Petits miracles », par Will Eisner, chez Delcourt.

Si vous ne croyez pas aux miracles, peut-être conviendrez-vous qu'il est temps de revoir votre jugement à la lecture de cet album. Ici, les miracles n'ont pas grand chose à voir avec la foi. Ils se produisent presque à l'insu de tous et prennent l'apparence « d'heureux hasards » (mais s'agit-il vraiment d'autre chose ?). Eisner décrit comme personne les rues et les gens de son enfance new yorkaise, campant des personnages et des situations qui flirtent avec le merveilleux. C'est d'une poésie et d'un génie confondants. Il faut dire qu'Eisner n'a plus de leçon de dessin à recevoir de personne depuis quarante ans, au moins. Sa patte, qui élimine tout élément inutile de la page pour se concentrer sur la lisibilité du sujet, est l'une des plus belles qui soit. Difficile de ne pas aimer.
London Dakota (Mille Visages) par Thierry Bellefroid
« London Dakota », tome 1 de la série « Mille visages », par Thirault et Malès. Aux Humanos.

Voilà un western qui ne ressemble pas à un western. Normal, ce n'est pas un western. Ça commence dans l'Ouest lointain et impitoyable, ça trompe avec un petit côté Buddy Longway pour adultes et puis... surprise, on vire de bord ! Thirault nous raconte le parcours incroyable d'un médecin anglais, jeune chirurgien prodige, qui se laisse entraîner dans des expériences occultes par son mentor, le docteur Laney. Ces expériences dans lesquelles il approfondit des méthodes de transfusion sanguine encore à leurs balbutiements, vont précipiter sa chute et le pousser à partir pour les Etats-Unis. Dans un incessant aller-retour entre présent et passé, l'auteur nous raconte à la fois un destin tragique et passionnant sur les terres de l'Oncle Sam et les origines d'une malédiction. Tout cela avec la plume qu'on connaît à Philippe Thirault (auteur de l'excellent « Miss », entre autres). Les textes récitatifs sont soignés (l'ouverture de l'album est à ce sujet remarquable) et les héros ont une belle épaisseur au terme de ces 54 premières pages. Le dessin de Malès que l'on connaît surtout pour la série « Les révoltés » (avec Jean Dufaux chez Glénat) est plus enthousiasmant quand il se « déploie » sur deux pages à la fois, mais il gagnerait à être plus spontané et surtout, plus aéré. Certaines pages croulent littéralement sous le nombre de cases.
« Cas de conscience », tome 3 de la série « Les coulisses du pouvoir » de Delitte et Richelle. Chez Casterman.

Album après album, cette série s'impose comme une des plus remarquables histoires de politique-fiction de la BD. Philippe Richelle parvient à maintenir le suspense tout en faisant avancer une intrigue intelligente et parfaitement plausible. Chaque tome apporte son lot de petites révélations, ce qui rend la lecture agréable et la frustration moins grande. Mais rien ne permet pour autant de deviner comment l'histoire s'achèvera. Le talent de Philippe Richelle tient notamment au fait qu'il s'intéresse aux deux côtés de l'enquête. Le lecteur ne suit en effet pas les seuls inspecteurs du Yard qui tentent de savoir pourquoi on a tué l'ancien ministre Stuart Parkinson. Comme le dit très bien le titre de la série, il pénètre en même temps les coulisses du pouvoir et suit, de l'intérieur, l'évolution des personnages qui sont concernés, de près ou de loin, par cette affaire. Le postulat est intéressant. Il permet au scénariste de raconter deux histoires à la fois. Celle de Clive, le héros, écrivain raté mais brillant rédacteur politique. Ancien collaborateur de Stuart Parkinson, il est passé au service d'un autre membre influent du parti et passe son temps dans les coulisses de la course au pouvoir. Et puis celle de l'enquête sur le meurtre de Parkinson. Ces deux histoires commencent à dangereusement se rejoindre. Comme on pouvait s'en douter, Clive ne va pas tarder à se retrouver au coeur de l'affaire. Mais la psychologie que lui a inventé l'auteur ne permet pas encore de dire comment il réagira. Clive, comme beaucoup d'autres personnages dans cet histoire, offre un profil ambigu. C'est vrai que Richelle soigne ses protagonistes. Tant les bons que les méchants. Ils ont de l'épaisseur et n'arrivent jamais par hasard dans le récit. Bref, un scénario brillant, captivant aussi. Le dessin de Jean-Philippe Delitte est fidèle à lui-même : efficace et lisible, mais en même temps très fouillé. Delitte dessine tout : ses décors sont extrêmement crédibles et ses intérieurs regorgent de détails. On regrettera juste une mise en couleur parfois exagérément agressive qui commence à souffrir de quelques tics. Ainsi, les lumières verticales jaunes sur le nez et la lèvre inférieure des personnages qui étaient discrètes dans les volumes précédents deviennent ici une véritable obsession, avec pour effet de transformer certains visages en leur donnant une apparence clownesque qui ne sied pas au récit. Mais hormis ce petit bémol, rien à dire, tout cela fonctionne rudement bien.
Blue Ice (I.R.$.) par Thierry Bellefroid
« Blue Ice », tome 3 de la série I.R.S. par Vrancken et Desberg. Dans la collection Troisième Vague du Lombard.

Le James Bond du fisc américain est de retour pour une nouvelle aventure en deux tomes et, ma foi, elle me plaît davantage que la première. Pourquoi ? Parce que Desberg a mis les côtés les plus extravagants de son personnage en veilleuse, au profit de l'intrigue elle-même. Si je n'arrive pas à vraiment « épouser » Larry B. Max, son train de vie et ses contours trop parfaits, je reconnais en revanche que je conçois tout-à-fait l'existence de super-agents du fisc américain, aux prérogatives à peu près équivalentes à celles du FBI ou de la DEA. Et c'est justement parce qu'il collabore au moins en partie avec la DEA (sur fond de guerre des polices au début) dans cette nouvelles aventure que Larry B. Max y est plus crédible. L'idée de base imaginée par Desberg est redoutable : la revente d'un cartel de drogue à un intermédiaire spécialisé dans le blanchiment d'argent. C'est tout-à-fait plausible et c'est un excellent préalable à un « thriller économico-policier ». Reste à voir où tout cela nous mènera. Et si tout le monde arrivera à suivre un début d'album à la structure complexe, parfois bavard (comme le briefing des pages 14-15) et qui multiplie peut-être exagérément les effets de « planting » (le coup de fil à Gloria en première page d'abord, la rencontre avec la soeur de Larry ensuite). Quant au dessin de Vrancken, il garde la même rigidité que dans les deux premiers tomes. Tout est carré, froid, métallique, y compris les regards étincelants des protagonistes. On est loin de la rondeur parfois « romantique » du Sang Noir. C'est un choix. Il faut dire que le propos est différent.
Le météore (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« Le météore » tome 3 de la série « Le décalogue » par Giroud et Charles. Chez Glénat.

Même si j'avoue une préférence pour le tome 4 que je trouve remarquable et très bien dessiné, ce troisième opus de la fresque lancée en janvier par Giroud est intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord, parce que les ingrédients de base sont excellents. Le troisième des dix commandements du décalogue de Franck Giroud -qui n'est pas celui de la Bible, rappelons-le- qu'explore cette histoire est : « Tu n'attribueras point d'image à ton dieu ». Partant de là -et de l'obligation de construire son histoire transversale où l'on retrouve « Nahik » le livre-clé, à travers les siècles-, Franck nous a concocté un très bon suspense. Jean-François Charles lui donne des allures un peu surannées avec un traitement graphique « à l'ancienne » et nous propose une vision de la Grèce enneigée qui est aux antipodes des clichés du genre. Le principe d'introduire un psychopathe dans un petit groupe de gens coupés du monde et qui ne se connaissent que par la correspondance qu'ils ont échangée est radical. Le lecteur, qui ne sait pas qui est le tueur, suit les fausses pistes du scénario et entre dans le jeu. Résultat : ce tome trois est un bon cru, peut-être moins intellectuel et moins subtil que le suivant mais aux éléments dramatiques incontestables.

La veuve Pigeon (Sales mioches) par Thierry Bellefroid
« La veuve Pigeon », tome 5 de la série « Sales mioches ! », par Berlion et Corbeyran. Chez Casterman.

La bande à Mig est de retour. Et comme dans chaque album de la série, elle nous propose une histoire mêlant habilement une certaine nostalgie à l'esprit d'aventure. Une vieille femme d'apparence inoffensive attire l'attention de nos amis. La veuve Pigeon a-t-elle un secret ? On la soupçonne de voler des bijoux mais personne n'a jamais pu la prendre en flagrant délit. Avec sa détermination et son humour habituels, Nino enquête. Il veut savoir. Et cette enquête est une fois encore un prétexte pour nous parler de l'amitié qui règne entre les membres de cette étrange petite communauté, pour nous parler de la ville de Lyon, aussi. Et de ces gens à peu près normaux qui font parfois les héros des histoires. Ce ton, propre à la série, on le retrouve d'album en album ; Corbeyran semble ne pas l'oublier au moment d'aborder une nouvelle histoire. Tant mieux. C'est ce qui rend « Sales mioches ! » attachant, de même que les dialogues savoureux et plein d'esprit que l'auteur s'amuse à mettre dans la bouche de ses jeunes héros. Quant au dessin de Berlion, il acquiert de plus en plus de personnalité. Les nouveaux visages sont davantage réalistes, s'éloignant d'un style BD qui les caractérisait au début. Et les ambiances de couleur qu'on reconnaît désormais de loin ont un petit côté impressionniste qui sied bien à la série.
Seconde chance (Mobilis) par Thierry Bellefroid
« Seconde chance », deuxième tome de la série Mobilis, par Andréas et Durieux, chez Delcourt.

Avec un certain étonnement, j'ai découvert à la fin de ce deuxième tome que la conclusion se trouverait déjà dans le suivant. Au terme de ces 92 premières pages, il est pourtant bien difficile de savoir où Andréas veut en venir. Mystérieux, le premier tome plantait le décor. Sulfureux, le deuxième brouille les pistes. Depuis les débuts, on sait que le héros, Ross Nevada, est manipulé. On sait que l'un des manipulateurs, au moins, est le général Heirsch Breitenbach. Mais on ne sait toujours pas à quelles fins. Et le suspense est joliment entretenu dans ce deuxième album très différent du premier. L'écrivain raté qui s'était fait jeter de l'agence de pub pour laquelle il travaillait se retrouve ici dans un inquiétant huis-clos. Payé pour écrire à la main la biographie d'un milliardaire chez qui il est logé, nourri et blanchi, il débarque au milieu d'un fameux panier de crabes. Je l'avoue, ce récit m'intrigue. Ce qui n'a rien d'étonnant pour du Andréas, car on sait que le bonhomme n'est pas du genre à nous livrer des histoires prévisibles. Et même si j'ai une préférence pour le dessin « naïf » de Durieux, façon Bénito Mambo ou plus récemment façon « Oscar » (la nouvelle série qu'il dessine chez Dupuis sur scénario de Denis Lapière), j'avoue que son trait réaliste a beaucoup progressé ces dernières années. Après de bons débuts avec Jean Dufaux sur la série Avel chez Glénat, on avait plutôt eu le sentiment d'une régression lors de son passage au Lombard, sur la série Foudre. Aujourd'hui, la page est tournée. Son dessin est plus fluide, plus aéré, plus clair. Et ses personnages ont physiquement acquis de la maturité, même s'il reste quelques tics chez certains d'entre eux. Bref, un dessinateur qui « vieillit » plutôt bien. Et qui parvient, pour le moment, à maintenir deux styles radicalement opposés dans sa production.
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