« L'étrange rendez-vous », une aventure de Blake et Mortimer, par Ted Benoît et Jean Van Hamme, aux éditions Blake et Mortimer.
Il est toujours difficile, pour le critique, d'aborder un tel album. D'un côté, un certain public de nostalgiques manque totalement de distance par rapport à ce type de nouveauté. Il est prêt à tout acheter et à tout aimer, pour autant que cela lui rappelle les délices de son enfance ou de son adolescence. De l'autre, quelques irréductibles ne supportent pas l'idée que l'on touche à l'univers de Jacobs, encouragés par le refus d'un Hergé de voir poursuivre son uvre. Enfin, il y a le club de plus en plus affirmé des « anti-Van Hamme », qui grossit à mesure que le succès du scénariste s'affirme. Bref, ceci n'est qu'un avis noyé dans la masse des critiques d'internautes, forums de discussions et autres conversations de salon qui ne manqueront pas de se multiplier dès ce samedi 29 septembre, date officielle de la mise en vente de l'album (mais il y a eu tant de prépublications qu'on se demande qui ne s'est pas encore forgé un avis...)
Je l'ai déjà écrit, je ne crois pas qu'il faille absolument conserver les récitatifs redondants pour coller à l'esprit de la série. Mais apparemment, c'est ce que certains attendent. Alors, soit. Acceptons cela comme un axiome de base et passons. Van Hamme nous propose une histoire qui rompt sur deux choses au moins, avec l'univers original de nos deux héros. Un, elle se déroule aux Etats-Unis. Deux, on y trouve des petits hommes verts, qui ont tout d'extraterrestres hideux. Bigre ! Y a-t-il déjà matière à envoyer le scénariste sur un bûcher ? Pour ma part, je ne le pense pas. Je crois que Van Hamme a réussi la meilleure des trois reprises tentées depuis la résurrection de la série. Même en confrontant ses héros à un nouvel univers, il arrive à se fondre dans l'esprit de Jacobs. Non seulement en s'inspirant du Secret de l'Espadon pour créer son histoire et ses personnages, ce qui est déjà habile. Mais en outre, en plaçant son récit entre deux récits de l'époque « jacobsienne », en 1954.
Au final, « L'étrange rendez-vous » n'est pas un album désagréable à lire, même s'il est truffé de petites choses énervantes, de grosses ficelles et de propos parfois très dispensables (genre : « Puis, tandis que Mrs Kaufman s'occupe de débarrasser la table... »). Le plus énervant est sans doute que tous les rebondissements sont annoncés avec gyrophare et sirène, au point qu'il est vraiment difficile d'être étonné par quoi que ce soit. En revanche, l'intrigue possède sa propre cohérence et renvoie bel et bien à l'univers de Jacobs (d'autant que les extra-terrestres ne sont finalement pas si extra-terrestres que ça). On s'étonnera de découvrir une femme dans cette nouvelle aventure, mais le temps de la censure étant révolu, les auteurs n'ont pas pu s'empêcher d'importer cette pièce d'origine indienne dans leur histoire. Soit, on n'en mourra pas. Mais on verrait volontiers un dépoussiérage général de la série, dans ce cas-là. Car à quoi bon faire des concessions à la modernité dans un sens et rester désespérément suranné pour le reste ?
Côté dessin, Ted Benoît ne sera jamais E.P. Jacobs, mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on sent qu'il y travaille. Comme toujours, des imperfections parfois rudes pour l'il du lecteur demeurent malgré les efforts du dessinateur, mais le plus gênant tient dans le choix de couleurs, dominées par un rouge d'assez mauvais goût. La couverture, elle, est très réussie. Evidemment, tous les admirateurs de Ted Benoît auront quand même l'impression qu'il gâche un peu son talent. Ce qui vaut d'ailleurs aussi pour Juillard. Mais la pérennité de la série est à ce prix.