Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Enquêtes parallèles », tome 5 de la série Gil Saint André, par Kraehn et Vallée. Chez Glénat.

Pilier fondateur de la collection Bulle Noire, Gil St André trouve son aboutissement avec ce cinquième épisode. Kraehn nous a bien baladés, surtout durant les trois premiers volumes, explorant davantage de fausses pistes que d'éléments pouvant nous mettre la puce à l'oreille. Evidemment, cette fois, il faut résoudre l'énigme, conclure sans décevoir. Et ce n'est jamais facile, surtout après une si longue attente. L'explication de l'enlèvement de la femme de Gil St André n'est heureusement pas livrée d'un bloc, et se laisse deviner par fragments avant que Kraehn se décide à entamer « la grande explication ». Il prouve une fois de plus son talent de conteur d'histoires populaires. Bien entendu, la série ne fera pas partie des trente meilleures BD de l'histoire, mais qu'importe, la mécanique fut parfaitement maîtrisée d'un bout à l'autre par un scénariste qui sait y faire. Van Hamme a connu des succès pour moins que ça !
K, une jolie comète par Thierry Bellefroid
« K une jolie comète », par Flip et Efix. Aux éditions Petit à Petit.

Cette « jolie comète » porte bien son nom. Parce que le récit est bref, ramassé, comme le passage d'une comète. Parce que le format de l'album, le dessin, l'héroïne elle-même confèrent à ce petit livre l'aspect d'un joli conte. Une histoire d'amour toute simple, contrariée par l'imminence de la mort. Des instants volés au quotidien et très « joliment » racontés par Flip et Efix. La petite Kate est à la fois innocente et délicieusement sensuelle, femme et enfant. Avec un graphisme qui évoque un peu Crisse (non, je ne dis pas ça parce qu'il signe la préface...), mais qui privilégie une certaine économie de moyens, les auteurs parviennent à nous la rendre proche, mignonne, touchante même. On referme ce livre de 34 pages avec un petit spleen ; c'est vrai que le passage de la comète fut bref. Trop court, peut-être, mais assez long en tout cas pour s'y attacher.
Le secret du Pape (Le Scorpion) par Thierry Bellefroid
« Le secret du Pape », tome 2 de la série « Le Scorpion », par Marini et Desberg. Chez Dargaud.

Après un premier album flamboyant, les deux compères n'ont plus l'avantage de la surprise. La résultat est donc un peu moins enthousiasmant. Mais cela ne veut pas dire que ce deuxième tome manque totalement d'arguments, loin de là. Le premier tient sans doute dans le talent de Marini. Enrico le magnifique ! Il dessine comme il respire, met en couleur comme il parle. D'une vivacité incroyable, sa palette fait vibrer l'aventure et s'offre des décors plus réussis que jamais. Rien que pour le dessin, on ne boudera pas cet album. Peut-être faudrait-il quand même qu'il fasse attention à ne pas en faire trop ; à force, ça commence à faire « regardez comme je dessine bien... ». Au cinéma, on dirait que tout ça est un rien « surjoué ». L'histoire, elle, suit son cours. C'est un peu ce qu'on lui reproche. Deux tomes et déjà cette impression que le Scorpion est installé sur des rails. Les femmes, plus belles que jamais, ont des rôles peu gratifiants. Quant à l'humour, il brille à peu près par son absence. Tout cela ne serait-il pas un peu trop premier degré alors que le projet fleurait justement bon les rêves d'adolescent ? On peut se poser la question, même si la lecture de cette BD reste évidemment avant toute chose un bon moment de détente.
« Hergé, Chronologie d'une oeuvre, tome 2 : 1931-1935 », par Philippe Goddin. Aux éditions Moulinsart.

Aussi volumineux et magnifique que le premier volume, voici donc le deuxième des cinq tomes qui seront consacrés à la recension et à l'analyse des trésors de la Fondation Hergé. Georges Remi n'a pas encore trente ans. Mais il a déjà livré le meilleur de lui-même. Car cette période allant de 1931 à 1935 couvre les albums allant de Tintin en Amérique au Lotus Bleu. Rien que des chefs d'oeuvre ! Mais Goddin ne se contente pas de réunir documents et dessins plus ou moins inédits sur cette fabuleuse aventure ; il explore en même temps les autres productions d'Hergé, notamment dans le domaine de la publicité. Où l'on voit que le père de Tintin ne s'est pas contenté de dessiner des affiches ou des logos, mais qu'il a parfois créé des personnages ou des situations récurrentes ; en témoigne par exemple sa participation à la revue d'une entreprise de matériel sanitaire...
Comme à la lecture du premier volume, ce qui frappe, c'est aussi le travail de dissociation qui s'opère chez l'artiste, selon qu'il dessine de la BD ou autre chose. Tintin et Quick et Flupke sont déjà des modèles de lisibilité et de narration graphique. Mais les portraits ou les affiches publicitaires montrent un tout autre trait, plus artistique qu'expressif, à cent lieues de ce que l'on appellera plus tard la ligne claire. L'intérêt de ce faux catalogue raisonné (malgré la richesse de cette encyclopédie, elle ne prétend pas faire le tour de tout ce que l'auteur a laissé derrière lui !) c'est à la fois cette mise en perspective chronologique (éclairée par le commentaire sobre mais connaisseur de Philippe Goddin) et les méthodes de reproduction et d'impression à la pointe de la technique qui permettent à chacun de voir les dessins présentés aussi bien que s'il s'agissait des originaux. La moindre retouche est visible, tout comme le crayon sous l'encrage ou les traits à la mine de plomb. Certains dessins sont d'une beauté stupéfiante, principalement ceux de Germaine, la première épouse d'Hergé.
Nous ne sommes qu'en 1935... et Hergé a déjà tout inventé ! Au fil des pages, vous retrouverez des travaux préfigurant aussi bien Loustal que Tardi en passant par Dupuy-Berberian. Il est leur père à tous !
Un monde de différence par Thierry Bellefroid
« Un monde de différence », par Howard Cruse. Chez Vertige Graphic.

Des livres comme celui-là, on n'en lit pas plus de trois ou quatre par an. On peut pourtant dire avec une absolue certitude que « Un monde de différence » ne sera pas un best seller. Il faut dire qu'il accumule les handicaps pour faire la course en tête : traduction d'un « graphic novel » américain, ce gros bouquin de plus de 200 pages en noir et blanc traite de l'homosexualité et du racisme dans le Sud des Etats-Unis, au cours des années soixante. Le dessin de Howard Cruse correspond parfaitement à ce qu'on trouve dans la vague underground US, il n'est donc pas nécessairement attractif au premier abord et se caractérise par un travail de trame et de hachures parfois à la limite de l'exagération. Il n'est pas aisé de distinguer les personnages au début, mais tout cela, on l'oublie vite lorsqu'on se plonge durant plusieurs heures dans ce chef d'oeuvre politico-social d'une sincérité désarmante.

En racontant l'histoire du jeune Toland Polk, homosexuel refoulé dans une Amérique sudiste encore presque féodale au début des années soixante, Howard Cruse a choisi le dangereux pari d'entretenir une certaine ambiguïté. Etant lui-même homosexuel, il risque de faire croire qu'il s'agit d'un récit autobiographique, puisque l'histoire est narrée à la première personne par le héros, Toland, devenu adulte ; il intervient fréquemment à l'image en compagnie de son ami actuel pour commenter certains des épisodes de sa jeunesse. Le ton fait donc penser à une plongée dans les souvenirs personnels de Howard Cruse. Ce pourrait l'être, tant l'histoire sonne juste et les anecdotes sont précises. En fait, l'auteur a préféré raconter ce récit à la manière d'un journal de bord pour mieux nous faire « communier » aux sentiments de son héros -ou plutôt de son anti-héros. Car Toland n'est pas un vrai militant. Au contraire. Obsédé par son homosexualité latente, décidé à la combattre de toutes les manières -à commencer par avoir une petite amie avec qui il entend construire une relation solide et durable-, il se retrouve malgré lui au milieu des contestataires partis en guerre contre la ségrégation raciale. Mais c'est surtout pour suivre Ginger, sa petite amie, qu'il met le doigt dans l'engrenage. Et plus encore, c'est parce que de nombreux militants pour la tolérance raciale sont justement ceux qui militent aussi pour une certaine ouverture d'esprit sexuelle. Le combat des autres l'arrange et le fascine. Mais lui reste paralysé par ses propres peurs, incapable de prendre son destin en mains.

On assiste donc à une page d'histoire passionnante de l'Amérique en même temps qu'à un périple initiatique qui va amener Toland à sortir définitivement de l'adolescence. Les deux lignes directrices se confondent ; en fait, elles sont indissociables et rendent le récit aussi captivant qu'indispensable. Mieux comprendre le Sud, c'est aussi replonger dans les heures les moins glorieuses de son histoire. C'est ce que fait Cruse à travers l'exemple de cette ville fictive pourtant rigoureusement implantée dans le terreau de la réalité. Pour ce faire, il a collecté des faits réels dans la presse et des anecdotes auprès de nombreux témoins venus de plusieurs endroits différents du Sud. Clayfield, cette ville imaginaire, concentre ainsi un commissaire raciste omnipotent, une antenne meurtrière du Ku Klux Klan, une communauté noir non-violente soutenue de manière inégale par différents pouvoirs religieux et bien d'autres ingrédients dont aucun n'a été exagéré. Howard Cruse a mis quatre ans à terminer cette histoire au lieu des deux qu'il s'était accordé. Il a dû imaginer toutes sortes de stratagèmes pour continuer à gagner de quoi manger durant toute cette période. Mais le « monument » qu'il laisse derrière lui témoigne de l'intérêt de l'entreprise !
« La reine des mouches », tome 4 des aventures de Georges et Louis. Par Goossens. Chez Fluide.

Goossens est un génie du dessin, on le dit trop peu souvent. Ses pairs l'ont au moins fait savoir haut et clair, il y a quelques années, en lui décernant le Grand Prix de la Ville d'Angoulême. Comme Boucq, qui l'a reçu après lui, il a un coup de crayon incroyable. Et comme Boucq, Goossens a un imaginaire assez peu compatible avec les lois du marché. « La reine des mouches » trouvera son public, comme les autres ouvrages de Daniel Goossens. Mais avec cet humour absurde et cette façon de faire du scénario en dilettante qui le caractérisent, l'auteur « ne fera pas mouche » au-delà de son public d'habitués. C'est dommage. Il y a de bons moments dans cet album. Nos deux crétins de héros romanciers sont capables de dire plus d'âneries dans une seule case qu'Achile Talon et son père réunis. Les clins d'oeil à Tintin et Blake & Mortimer sont amusants. La folie « ordinaire » est traitée avec une légèreté réjouissante. Mais tout cela est un rien décousu et semble parfois être pondu au fur et à mesure de l'inspiration de l'auteur, sans plan précis.
Inch'Allah (Niklos Koda) par Thierry Bellefroid
« Inch Allah », troisième tome de Niklos Koda. Dans la collection Troisième Vague du Lombard.

Derrière une couverture très réussie (si l'on excepte le cou un peu long du sujet), l'album le plus agréable à lire de la série. D'abord parce qu'il est en un tome et offre donc une fin au terme de 46 planches. Ensuite parce qu'il évite le fantastique pour se concentrer sur les personnages et leurs interactions. Enfin, parce qu'Olivier Grenson ne cesse de progresser et dessine des femmes plus belles les unes que les autres. L'histoire est parfois un peu difficile à suivre, mais Jean Dufaux nous a habitué à bien plus sinueux encore. Peut-être le problème vient-il des nombreux protagonistes qu'il n'est pas toujours aisé de centrer dès le départ. On reprochera aussi au projet son côté catalogue de vacances un peu trop prononcé. Les lieux ont manifestement inspiré Olivier et on le comprend : de la Mamounia de Marrakech à Essaouira en passant par la vallée d'Erfoud, il a choisi un écrin magnifique. Son dessin et les couleurs de Bertrand Denoulet rappelleront à beaucoup le Maroc qu'ils ont connu durant l'un ou l'autre séjour merveilleux, mais on aurait aimé découvrir davantage de lieux inédits et voir sonner l'album moins comme le résultat d'un excellent repérage.
La vigie par Thierry Bellefroid
« La Vigie ». Par Chauzy et Thierry Jonquet. Chez Casterman.

Les inconditionnels de Jean-Christophe Chauzy auront peut-être la surprise de découvrir à travers cette adaptation un dessinateur quelque peu assagi. En choisissant de raconter cette histoire du romancier Thierry Jonquet, Jean-Christophe Chauzy est allé chasser sur les terres du père Tardi. Bon, d'accord, il ne s'agit pas d'un album sur les tranchées. Mais quand même, elles y occupent suffisamment de place pour que leur traitement graphique doive être à la hauteur. Le Chauzy « habituel » aux couleurs débridées cède donc la place à un dessinateur plus sobre, plus économe de ses effets. Le résultat est réussi. La Vigie flirte tantôt avec le fantastique, tantôt avec la chronique sociale. Chauzy s'approche au maximum des visages, scrute leurs expressions et s'en sert plus encore lorsqu'il s'agit de montrer la guerre. Avec ces trois générations d'invalides de guerre dont le plus jeune s'avérera être bien moins sympathique que prévu, Jonquet réussit un joli tir groupé et nous balance une histoire corrosive qui n'épargne personne. Mais tout cela est vite lu et vite oublié, c'est le problème...
« Seul contre toutes », les aventures du jeune Grégoire. Par Saféris et Chauvet. Chez Hors Collection.

Difficile de ne pas aborder cet album en se disant : encore un clone de Monsieur Jean ! Et pourtant, faut-il jeter tous les « ersatz » de Dupuy et Berberian qui fleurissent depuis quelques années, aux quatre coins de la BD francophone ? Non, sans aucun doute. Il faut juste rappeler que jusqu'ici, on a toujours préféré l'original aux copies, que ce soit pour la justesse du propos, la talent d'écriture ou la beauté du trait. Mais passée cette petite mise au point, « Seul contre toutes » se révèle être un album attachant, plein d'humour et de tendresse pour des personnages inévitablement inspirés du quotidien. Le jeune Grégoire est finalement moins lourd qu'il y paraît et il finit par trouver chaussure à son pied, même si le pied en question a encore du mal à l'idée de ne plus courir nu où bon lui semble. C'est joliment amené par Camille Saféris, à travers de petits récits qui, mis bout à bout, prennent leur sens et leur sel. Certaines situations sont un peu téléphonées et les quiproquos ont un côté théâtre de boulevard qui force parfois le trait, mais dans l'ensemble, on sourit gentiment. Le graphisme de Philippe Chauvet vous en rappellera dix autres, mais il est loin d'être désagréable. La bichromie permet de mettre en avant les moments de rêve (plus proches du cauchemar, parfois) mais même ce petit artifice a un côté déjà-vu...
Le mangeur d'âmes (Fog) par Thierry Bellefroid
« Le mangeur d'âmes », tome 3 de la série Fog, par Bonin et Seiter. Chez Casterman.

Bonin et Seiter confirment tout le bien qu'on pensait d'eux au terme du diptyque formé par « Le tumulus » et « Le destin de Jane ». Après une scène d'ouverture en plein désert qui rappelle un peu Toppi, on replonge avec délices dans ce Londres de la fin du XIXème siècle où nous retrouvons les protagonistes de la première enquête aux prises, cette fois, avec une affaire dans les milieux du spiritisme. D'étranges suicides s'enchaînent, obligeant Andrew à confier une enquête officieuse pour le compte du Yard à ses amis Rupert et Mary. Le mystère s'épaissit un peu plus à chaque page, Roger Seiter ne commet aucun faux pas dans la scénario et Cyril Bonin continue ses expériences graphiques pour le plus grand bonheur du lecteur. Son traitement de la couleur est remarquable, il est sans doute la véritable griffe de la série. Du Sherlock Holmes avec un côté plus humain qui tient au choix des personnages principaux et aux sentiments qui les animent...
Persepolis - tome 2 (Persepolis) par Thierry Bellefroid
« Persépolis 2 » par Marjane Satrapi. A l'Association.

Après un premier album remarquable et remarqué, Marjane Satrapi revient nous parler de la révolution islamique iranienne avec ce regard de l'enfant et de l'adolescente qu'elle fut au moment des faits. Fait de petites histoires racontées comme autant d'anecdotes, ce livre vous emporte dans un univers inconnu ou insoupçonné. On ne choisit pas la famille où l'on naît. Si Marjane Satrapi était née dans un milieu moins aisé et moins libéral, elle aurait sans doute pu développer des talents de dessinatrice, mais jamais être éditée en France. Le hasard de la vie a voulu que ses parents s'attachent à lui donner une éducation largement occidentalisée (en la plaçant au lycée français, entre autres). Ils ne savaient pas en le faisant qu'ils fournissaient en même temps la matière d'une histoire originale. Car les récits de Marjane Satrapi sont à l'opposé de tout ce qu'on s'attend à lire sur l'Iran. Le premier album était celui de la petite fille qui découvre, mi-naïve mi-insouciante, la montée de l'islamisme. Celui-ci consacre presque une forme de résistance permanente et raconte comment la famille Satrapi a tenté de conserver sa liberté et sa façon de vivre dans l'Iran des années de plomb et comment elle a vécu le conflit Iran-Irak. L'auteur manie l'humour avec beaucoup d'aisance et mêle une certaine forme de nostalgie à cette étonnante leçon d'histoire non-officielle. Dans la catégorie BD autobiographique où l'on trouve parfois des choses d'une vacuité confondante, elle donne le ton, rehausse le niveau, emporte l'adhésion du lecteur. Remarquable !
La suite 13 (Arlequin) par Thierry Bellefroid
« La suite 13 », tome 4 de la série Arlequin. Par Jytéry et Rodolphe. Chez Joker Productions.

Bon, tout d'abord, une petite mise en garde. En dépit des noms écrits en grand et du dessin de couverture (assez moche) signé Dany, les deux créateurs d'Arlequin ne sont pas aux commandes de cet album de « résurrection ». Jean Van Hamme cède la place à Rodolphe pour le scénario. Et Dany à Jytéry pour le dessin. C'est écrit en si petit et en bleu sur bleu, qu'on se demanderait presque si Joker n'a pas voulu nous cacher quelque chose...
Les trois premiers albums d'Arlequin ont planté un décor, des personnages, une ambiance. Les retrouve-t-on dans cette deuxième vague d'aventures, malgré une interruption de plus de quinze ans ? Oui. Mâtinés d'un zeste de surnaturel (dont on se doute qu'il trouvera très vite des explications rationnelles), mais pourquoi pas ? Pourtant, si Arlequin n'a pas trouvé le public escompté dans les années 80 (l'expérience est abandonnée après trois albums alors qu'elle devait en compter cinq), c'est justement à cause des ingrédients en question, au rang desquels on trouvait essentiellement le second degré et le mélange d'aventure et d'humour ou de fantaisie. Est-ce à dire que le public a changé ? Ou peut-on davantage compter sur la clémence d'un lectorat prêt à dévorer aujourd'hui tout ce qui porte la signature de Van Hamme ? Difficile à dire. En tout cas, Rodolphe a très bien su se fondre dans l'univers Arlequin, même s'il n'offre pas ici un scénario des plus originaux. Quant à Jytéry, il fait du Dany, avec beaucoup d'application et parfois un peu trop de labeur. Mais comme ces deux-là ne bénéficient pas du plan média d'un Blake et Mortimer, on peut au moins les accueillir avec clémence.
Apparitions (Kenya) par Thierry Bellefroid
« Apparitions », tome 1 de la série Kenya, par Léo et Rodolphe. Chez Dargaud.

Au départ, il y a quelque chose d'Hemingway dans ce « Kenya ». Pas seulement parce que le célèbre écrivain fait partie de ceux qui ont construit le mythe kényan dans la littérature. Pas seulement parce que les auteurs ont choisi de placer leur récit en 1947, à l'heure où Ernest Hemingway connaît la gloire (il reçoit le Prix Nobel de l'écriture quelques années plus tard). Cela tient aussi au climat de l'album et au choix des personnages. Et puis tout bascule. Il y a la brusque arrivée du fantastique. Et on se dit que quand Léo devient le co-scénariste de son scénariste (Rodolphe scénarise les aventures de Trent pour ceux qui ne le sauraient pas. Il n'a évidemment aucun rôle dans la conception des mondes d'Aldébaran que Léo imagine et dessine en solo), on ne peut que s'attendre à voir des créatures étranges fleurir au détour d'une page. Le résultat est assez vite captivant. Les personnages principaux sont étoffés et parés de mystère, les personnages secondaires ne sont pas en reste comme le comte Valentino Di Broglie. Sur fond de guerre froide et d'intérêts des grandes nations pour la zone de l'Est africain, les deux auteurs ont su construire un récit accrocheur et prometteur.
Sra (Le Monde d'Edena) par Thierry Bellefroid
« Sra » et « Les réparateurs », deux albums parus dans « Le monde d'Edena », par Moebius. Chez Casterman.

Une explosion graphique et onirique finale que les fans attendaient depuis sept ans ! Voici enfin l'album qui boucle la boucle et conclut « Le monde d'Edena », oeuvre fantastique dans tous les sens du terme. « Sra » est un récit d'une incroyable liberté de ton ; Moebius est à l'écoute de son monde intérieur et de ses rêves jusqu'à la frange étroite du surréalisme. Mais le lecteur peut suivre ces méandres sans jamais se perdre vraiment. Il peut interpréter, rêver à son tour, plonger dans ce monde d'une richesse graphique et imaginative rare. Prolonger son plaisir, aussi, en lisant « Les réparateurs », album publié en même temps que « Sra » dans lequel on découvre quelques histoires courtes plus ou moins anciennes réalisées en marge du « Monde d'Edena ». Là encore, la talent du dessinateur explose à chaque case. Mention spéciale pour « Les réparateurs », le récit muet qui ouvre l'album, publié pour la première fois en 97 dans (A SUIVRE) et pour « Mourir et voir Naples », récit lui aussi muet, dessiné l'an dernier, treize ans après une première version de quatre pages.
« Les quatre saisons » de Boule et Bill et « L'intégrale Tome 1 » de la Ribambelle, par Roba. Chez Dargaud.

Le problème de la BD familiale, ou tout public, c'est que quand elle marche, personne n'en parle. Boule et Bill se vend comme des petits pains. Il n'y a même pas besoin de nouvel album pour que le fonds s'écoule, dans les pays les plus divers où les gags de cette sympathique famille sont traduits. Et pourtant... à regarder de plus près ce vingt-huitième album, le talent de dessinateur de Roba saute plus que jamais aux yeux ! La mécanique du gag privilégie aujourd'hui une certaine tendresse. Tendresse d'un créateur pour ses personnages. Tendresse d'un homme pour le monde qui l'entoure et surtout, pour l'enfance. Mais plus encore, ce qui frappe dans ce premier Boule et Bill publié depuis cinq ans, c'est que le talent graphique de son auteur le place parmi les plus grands dessinateurs de la BD « classique ».

Pour s'en convaincre, et pour partager un superbe et délicieux moment de nostalgie, la lecture de la première des deux intégrales consacrées aux aventures de la Ribambelle est hautement recommandée. Reprenant les trois meilleures histoires imaginées pour cette bande de gosses par Roba sur une proposition éclairée de Franquin, cette intégrale vous prouvera à quel point Jean Roba excelle dans l'humour et explose dans la lisibilité d'un trait léger et virtuose. Souvent réédités par de petites maisons d'édition, les albums de la Ribambelle rejoignent désormais le catalogue Dargaud et on ne peut que se réjouir à l'idée que peut-être, certains enfants vont découvrir cette BD sans penser que leurs parents l'ont lue à leur âge. Car la force de Roba, c'est de rendre presque indémodable tout ce qu'il touche !
Fantômes par Thierry Bellefroid
« Fantômes » par Soren Mosdal chez Amok.

Amok publie pour la rentrée deux albums en sérigraphie numérotés. Des courts récits pour amateurs de graphisme et de beaux objets. Papier épais, impression superbe, Soren Mosdal ne risque pas de se plaindre du résultat ! Auteur de « Feuerwerk » publié dans la collection de courts récits en grand format « Feu ! », Mosdal livre ici une histoire sombre mais encore plus brève, qui apparaît davantage comme un fragment de vie. Un homme apprend que la liaison secrète qu'il a eue avec la soeur de son ex-petite amie a précipité celle-ci dans la folie. Cette phrase pourrait résumer les éléments de départ de l'histoire ; elle la résume en fait toute entière. Mais le graphisme tranchant de Soren Mosdal, son noir et blanc désoeuvré et sombre, font oublier la brièveté du récit. Reste un écueil : le prix, près de 14 Euros pour une histoire de 37 cases...
L'épinard de Yukiko par Thierry Bellefroid
« L'épinard de Yukiko », par Frédéric Boilet. Chez Ego Comme X.

Dans un « manifeste de la Nouvelle Manga » envoyé en guise de communiqué de presse par l'éditeur, Frédéric Boilet explique sa vision de la BD japonaise et raconte comment son travail, publié au Japon avant d'être traduit en France, est perçu là-bas. Il tord le cou à quelques idées reçues qui ont la peau dure. Boilet parle de « la » manga. Il insiste sur le féminin qui est la véritable traduction, par opposition « au » manga, terme masculin qui évoque chez nous des BD violentes ou pornographiques pour adolescents. Et il relève le fait que la manga appréciée par le plus grand nombre au Japon est celle qui raconte le quotidien. Ainsi, les Japonais apprécient d'abord des histoires et non un graphisme. Le dessin n'est pas au centre de leur culture BD : c'est le récit, la narration. Et à la manière du cinéma français, ils aiment la BD française actuelle qui raconte la vie quotidienne. C'est ce qu'on peut appeler de la nouvelle manga et c'est ce que fait Boilet. Avec brio !

« L'épinard de Yukiko » est un livre remarquable. Long, il nous plonge dans l'univers japonais de ce Français en nous permettant tantôt de jeter un oeil sur ses carnets de notes et de croquis, tantôt de suivre sa reconstruction du réel en jouant la caméra subjective. Très influencé par les techniques du cinéma et de la photo, Boilet nous propose une BD inventive, personnelle, où l'émotion réussit à affleurer en dépit d'apparences parfois très lisses. Cette très jolie histoire d'amour racontée au jour le jour, c'est aussi une réflexion sur la narration elle-même. Boilet joue de la mise en abîme, tente de revivre certaines scènes plusieurs fois, presque à la manière du refrain, installe un rythme tout à lui. Cette sorte de lenteur intérieure qui correspond finalement aux vagabondages de l'esprit amoureux est magnifiquement rapportée. Le lecteur, quelque part spectateur et quelque part acteur, se laisse emporter et assiste à quelques très beaux moments pourtant presque anodins. C'est la force de ce récit. Avec humour et légèreté, il transcende le quotidien pour en offrir l'essence.
Rex par Thierry Bellefroid
« Rex », par Zezelj. Chez Mosquito.

Danijel Zezelj est de retour. En plus grand format mais toujours en noir et blanc, son nouvel album « Rex », chasse sur la terre des grands classiques américains. Le scénario ne vous fera pas perdre la tête : un flic vertueux piégé par les politiques corrompus mêlés au trafic de la drogue échoue en prison. Là, il rencontre tous ceux qu'il a fait arrêter et qui lui font passer le goût du pain. Quand il s'évade, se rebaptisant « Rex », il n'a qu'une idée : se venger. Bon, c'est vrai, Zezelj aime bien aller chercher des idées chez les autres. Même l'excellentissime « Congo Bill » n'était jamais qu'une variante géniale de « Apocalypse Now ». Ceci étant, ce Yougoslave émigré aux States n'a pas son pareil pour dramatiser un récit. Son noir et blanc moucheté est traversé de visions d'apocalypse et de violence débridée. Ses cadrages sont audacieux, il y a dans cette BD une sorte de cri de désespoir, de hurlement continu et assourdissant qui passe notamment par l'utilisation de lettrages de grande taille barrant certains dessins. Zezelj s'époumone, il crie dans le désert de la grande ville, il crache son venin et sa hargne. Le résultat est brillant, ça bouge dans tous les sens, ça bouillonne d'une énergie libératrice. Un très grand dessinateur.
Rodrigo (Bois-Maury) par Thierry Bellefroid
« Rodrigo », tome 12 de la série « Bois-Maury ». Par Hermann et Yves H. Chez Glénat.

Sans doute le plus bel album depuis les débuts des « Tours de Bois-Maury », en 1984.

Avant de le lire, je l'ai feuilleté, page par page, pour le plaisir d'entrer dans le dessin d'Hermann. Les couleurs, comme à l'accoutumée, sont un véritable régal, même si de temps à autre, il m'a semblé qu'un rien moins de bleu n'eût pas nui à l'ensemble. Mais il y a surtout ces cases magiques où l'on se dit que personne ne peut faire mieux. L'arrivée à Tolède, page 8 ; les rêves de Rodrigo, pages 13 et pages 28 à 31 ; les deux premières vignettes de la page 26 ; la vue de Cordoue à la page 32 et celle de Grenade à la page 40 ; la scène dans la Mezquita de Cordoue à la page 33... sans parler de l'équilibre qui règne à l'intérieur même des planches ni du découpage sans faille qui saute aux yeux !

Et puis j'ai lu. Je suis entré dans cette histoire avec une aisance déconcertante. Les deux personnages principaux sont parfaits. Ce n'est pas un hasard s'ils sont père et fils. Le scénario est signé par le fils de Hermann avec qui il avait déjà réalisé « Liens de sang » dans la collection Signé des éditions du Lombard, une autre BD marquée par les liens de la filiation. Yves H. signe ici un scénario brillant, surprenant aussi, au regard des précédents opus de la série. L'histoire est à la fois magnifique et universelle parce qu'elle ne se contente pas de verser dans la fresque historique. Le combat des « Castillans » contre les Maures d'Andalousie, les hésitations de certains religieux à suivre la haine du musulman professée par le haut-clergé, leur admiration face à une culture qui a élevé l'art, la poésie et la science au plus haut alors même que la vieille Europe a sombré dans un certain obscurantisme... tout cela constitue une fabuleuse toile de fond à ce récit espagnol situé en 1325 ! Un récit qui est par ailleurs parfaitement dans l'esprit de la série. L'époque, les lieux, les personnages n'ont rien de dissonant. Bref, cette association père-fils trouve tout son sens dans cet album où l'aîné a pu donner le meilleur de lui-même dans le dessin et le plus jeune a jeté un regard neuf sur le scénario. On regrettera juste le recours à une ficelle grosse comme un câble d'ascenseur : les révélations du « méchant » en fin d'album qui donne la clé de l'énigme vite fait, entre deux râles. Mais pour le reste, un grand album !
Helvethika - tome 3 (Helvethika) par Thierry Bellefroid
« Helvéthika III » par Kalonji. Chez Pierre Paquet.

Enfin ça y est ! Après une très longue et très complexe mise en place qui a monopolisé plus de cent pages, le tome trois apporte des réponses aux nombreuses interrogations des lecteurs. Touffu, truffé de personnages, ce récit de politique-fiction situé aux confins de la confédération helvétique dans une dictature imaginaire du nom de St Hélène prend véritablement corps. Le nom de code qui a donné son nom à la série, « Helvéthika », cesse d'être un mystère savamment entretenu. Bref, le lecteur a soudain l'impression de recouvrer la raison et la vue. Il faut bien reconnaître que ce n'est pas désagréable ! « Hlevéthika » est un récit charpenté, captivant et bien raconté. A condition d'être patient. Kalonji nous propose un noir et blanc très personnel qui colle parfaitement à l'atmosphère lourde de son récit. Son dessin est sombre, tranchant, parfois presque désespéré. L'opposition des noirs très encrés et de décors ou de cases entières laissés dans un gris proche du crayonné confère à l'ensemble une facture très américaine. Et si la complexité du scénario peut rebuter de prime abord, l'auteur sait récompenser ceux qui l'ont suivi jusque-là. Il laisse augurer d'un dénouement cataclysmique dans le quatrième et dernier album !
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio