Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

L'enfer en retour par Thierry Bellefroid
« L'enfer en retour », dans la collection Sin City de Frank Miller. Chez Rackham.

Pas à dire, Frank Miller manie le noir et blanc (et même un brin de couleur, à l'occasion, comme dans cet album) avec une aisance à faire pâlir d'envie des générations de dessinateurs. Et quand on atteint un tel niveau de virtuosité, on court le risque de se moquer du scénario comme de sa première bouteille d'encre de Chine. C'est un peu ce qui arrive ici. Variation sur le mode Rambo, le héros de cet album est du genre indestructible pas content qui ne laisse pas grand chose debout derrière lui. Tout seul -ou presque-, il s'attaque à une armée de méchants qui ont eu le tort de kidnapper une fille qu'il connaît à peine mais sur laquelle il a eu le malheur de flasher. Prétexte à des scènes d'action voire de baston dans lesquelles le noir et blanc de Miller colle parfaitement au monde manichéen de son scénario, l'album reste quand même d'une tenue visuelle suffisante pour vous laisser scotché à votre fauteuil. Souvent un rien trop vulgaire pour être parfait, Miller est tout de même l'un des meilleurs dessinateurs de la planète. C'est déjà pas mal...

Le Juif de New York par Thierry Bellefroid
« Le Juif de New York », par Ben Katchor. Chez Amok.

La vision de New York développée au travers de cet étonnant album est tout sauf conforme à l'Histoire. Pourtant, les éléments historiques coexistent étrangement avec les personnages inventés par l'auteur. Les Indiens d'Amérique ne sont peut-être pas l'une des douze Tribus d'Israël, le Lac Erié ne donne peut-être pas d'eau gazeuse.. Mais l'idée de fonder sur Grand Island une sorte d'ersatz de la Terre Promise a bien existé. Et New York a bel et bien connu un exode juif si important qu'elle demeure aujourd'hui une métropole marquée du sceau de la culture hébraïque. Mêlant habilement le faux au vrai ou le mythe à la création, Ben Katchor a conçu un récit qui donne le tournis et emmène le lecteur dans un tourbillon parfois un rien ésotérique. S'y croisent des personnages aussi amusants que l'ancien boucher kasher déchu devenu millionnaire SDF, le vendeur de bas nylon pour actrice à prothèse, le gaspilleur de semence, le dramaturge antisémite ou le montreur d'Indien parlant hébreu. C'est juif jusqu'à la dernière virgule, on se délecte de cet univers unique et inimitable mais on ne peut s'empêcher de penser que tout cela est un peu vain. Créé pour une parution hebdomadaire avant d'être retravaillé pour une édition en album, « Le Juif de New York » souffre des défauts du genre : décousu, victime de ses longueurs et du manque de vision scénaristique originale, il rebutera plus d'un lecteur malgré ses évidentes qualités. Des qualités auxquelles s'ajoutent une édition française soignée, à la forme irréprochable, mais que l'on aurait voulue totalement dépourvue de fautes d'orthographe...
« Cupidon s'en fout », tome 1 de la série Grand Vampire, par Sfar. Chez Delcourt.

On le sait, les vampires de Sfar ne sont pas là pour faire peur. Ils participent d'un imaginaire personnel, une sorte de bestiaire que l'auteur met en place d'album en album. Après le « Petit Vampire», voici donc le « Grand ». Pas très différent physiquement. Mais bien plus abouti. Et je ne parle plus du vampire, ici, mais de l'album. Un conte subtil, d'une humour tout personnel et d'une imagination libérée de toute contrainte (ce qui n'est pas neuf chez notre ami Joann). Les soeurs Aspirine et Josacine d'un côté, Liou de l'autre, les « femmes » de Grand Vampire sont bel et bien les vraies héroïnes de cette BD pleine de poésie et d'insouciance. Ce « Grand Vampire » pourrait bien n'être qu'une façon déguisée pour notre Sfar de déclarer son amour aux femmes. C'est en tout cas une pétillante et rafraîchissante histoire qui complète la galerie de personnages merveilleux d'un auteur de plus en plus prolifique.
Le singe et la sirène par Thierry Bellefroid
« Le singe et la sirène », par Dumontheuil et Angéli. Chez Casterman.

Découvert avec son deuxième album (« Qui a tué l'idiot ? », paru en 96 et primé à Angoulême), Nicolas Dumontheuil s'est surtout fait attendre, depuis. Un seul album, « Malentendus », est paru en 1999. Ça fait peu en cinq ans. Mais à chaque fois, Dumontheuil explose de talent. C'est encore le cas dans « Le singe et la sirène » qui vient de sortir chez Casterman. Mais cette fois, il y a autre chose. L'auteur s'est associé à une scénariste. Et le résultat est pour le moins décoiffant. La galerie de portraits d'Eliane Angeli sent bon l'observation sur le terrain. Cette fille de la Gironde a manifestement passé du temps sous les piles du pont d'Aquitaine, dans la quartier de Bacalan où se situe l'action de cette histoire très noire marquée par la misère sociale. Cette chronique des parias est une plongée truculente dans un univers que Dumontheuil prend un malin plaisir à enlaidir tant qu'il le peut. Museline, l'ancienne fille du trottoir qui s'est établie à son compte après avoir estourbi son souteneur dans un train est un vrai remède contre l'amour (ce qui n'empêche pas les mâles du quartier de faire la queue (sic) devant son lit) : grasse, dégoulinante et vulgaire, on a du mal à imaginer qu'elle sort de l'imagination d'une femme. Il faut dire qu'Eliane Angeli n'y est pas allée avec le dos de la cuiller. Tous ses personnages sont glauques à souhait.

Il est évident que « Le singe et la sirène » ne plaira pas à tout le monde. Trop noir, trop miséreux, trop violent, même. Mais pour ceux qui n'ont pas peur de lire une BD qui appelle un chat un chat et qui montre la banlieue dans tout ce qu'elle a de sordide et de folklorique à la fois, « Le singe et la sirène » est un album parfait. Le ton est finalement plus proche de la satire sympathique que du misérabilisme ou du voyeurisme. Evidemment, on n'évite pas toujours le cliché, mais comment faire de la caricature sans y avoir recours ? Bref, cette histoire de serial killer pathétique est un de ces bouquins qu'on se prend en pleine tronche de la première à la dernière page. De toute façon, se priver d'un Dumontheuil serait déjà tellement dommage en soi... On regrettera juste qu'un dessinateur possédant une personnalité aussi forte se soit commis à bêtement copier le style de Dany pour le personnage de « Perle ». Dès la couverture, cet emprunt saute aux yeux.
Dream Land (Nash) par Thierry Bellefroid
« Dreamland », tome 6 de la série Nash, par Damour, Pécau, Schelle et Rosa. Chez Delcourt.

Nash s'enfonce dans la forêt à la recherche de sa fille, le voyage ne sera pas de tout repos. Il débouche même sur une fin tragique inattendue (mais on peut faire confiance aux auteurs pour nous arranger tout ça dans le prochain épisode...) au terme d'un album efficace mais finalement assez classique dans son genre. On peut se demander si le récit n'aurait pas gagné à être plus ramassé. C'est vrai que la deuxième partie de l'album, avec ses airs d'Apoclaypse Now, aurait pu être moins longue ; il y a un côté un peu gratuit à traîner cette expédition sur un peu plus de 20 pages. Mais rassurez-vous, si vous êtes un fan de la série, vous ne vous ennuierez pas à la lecture de ce tome 6. Ça bouge beaucoup et Damour semble inspiré par le décor.
« Les maléfices de la thaumaturge », tome 5 de la série Trolls de Troy. Par Arleston et Mourier. Chez Soleil.

Arleston pareil à lui-même. « Troll » », c'est sa récréation, la série dans laquelle il se laisse aller aux jeux de mots les plus idiots, celle où il crée une joyeuse galerie de bouffons gloutons, celle où aventure et quête cèdent le pas à l'ingrédient n°1 : l'humour. Et on peut dire qu'en la matière, ce nouvel album n'a rien à envier à ses prédécesseurs. Ce n'est pas toujours des plus subtils (comme les inventions du post-it et de l'aspirateur mises au point par la thaumaturge) mais c'est plein de bonne humeur et ça ne se prend pas au sérieux. En clair, si on rit rarement aux éclats, l'album est parcouru de petites scènes sympathiques (comme le coup des cheveux de la sirène qui se mettent automatiquement devant ses seins) et de trouvailles amusantes qui en rendent la lecture agréable. Et comme les personnages de Mourier sont de vrais petits nounours, même les méchants (qui sont souvent plus bêtes que vraiment méchants) font sourire. Une série qui brille par sa constance et qui vous fera passer le temps en attendant l'avènement de Lanfeust des étoiles.
La révélation (Tirésias) par Thierry Bellefroid
« La révélation », tome 2 de la série Tirésias. Par Le Tendre et Rossi. Chez Casterman.

Rien à dire, la suite de Tirésias ne déçoit pas les nombreux lecteurs enthousiastes du premier album. Au contraire, Le Tendre réussit à nous étonner en retournant le « sortilège » sur lui-même et en imaginant que la punition infligée par Athéna puisse transformer le cœur de celui qui fut un fier guerrier macho avant de devenir une femme. Le retournement de situation intervenant au milieu de ce deuxième tome rend l'histoire réellement passionnante. Le dessin de Rossi s'est simplifié, laissant de côté le travail sur les ombres par la couleur, jouant davantage la carte des aplats et de la lisibilité maximum. On ne peut que saluer le travail réalisé par ces deux complices depuis l'excellente « Gloire d'Héra » dont on a si longtemps attendu une suite. Ensemble, ils ont renouvelé un genre à bout de souffle. On est loin d'Alix, loin d'une vision figée, surannée, de l'antiquité. On ne peut qu'espérer que Rossi et Le Tendre continuent longtemps à nous enchanter avec d'aussi bons et beaux albums !
Un goût de cendres (4th avenue) par Thierry Bellefroid
« Un goût de cendres », par Dan Christensen, à La Comédie Illustrée.

C'est un polar bien huilé, une mécanique qui s'emballe jusqu'à la toute dernière case. On entre dedans par la petite porte, on ne perçoit pas tout de suite la noirceur des personnages, le dessin très ligne claire (qu'on croirait franco-belge alors qu'il s'agit d'une traduction) laissant augurer de prime abord une histoire moins sombre et des personnages aux contours tranchés. Mais derrière les blessures apparentes du libraire, derrière les gestes nerveux de la cliente armée d'un revolver, des plaies plus profondes et une fragilité insoupçonnée affleurent, que Dan Christensen va creuser tout au long du récit. On se laisse prendre par ce mélange de noirceur, de violence et de fausse candeur. Le dessin est d'une grande lisibilité et la narration est efficace. Seul problème, la lecture de ce premier album d'une série qui s'appellera « 4ème avenue » est rapide, très rapide. Au point que certains lecteurs pourraient regretter d'avoir donné 10,50 Euros pour un si bref moment de lecture. Mais quand le moment en question est bon...
Montorgueil (Le Ruistre) par Thierry Bellefroid
« Montorgueil », tome 1 de la série Le Ruistre. Par Jean-Charles Kraehn.

Après avoir travaillé sur une partie des « Aigles décapitées », Jean-Charles Kraehn revient à l'Histoire avec cette série qui risque de faire parler d'elle. Malheureusement défendu par une couverture très faible (pour ne pas dire moche, n'ayons pas peur de le dire...) ce premier volume gagne à être lu. L'auteur y déploie tout son talent de scénariste en évitant l'écueil du déjà-vu et nous propose de suivre des héros très peu recommandables dans un monde cruel et violent (qui en choquera assurément certains) reposant sur une documentation qu'il a su dépasser. Ce premier album est une bonne surprise dans un créneau, l'histoire médiévale, que l'on croyait définitivement ronronnant. Le seul problème de ce Ruistre est peut-être la volonté de l'auteur de faire une BD qui sonne médiéval jusque dans l'usage intensif du vieux français. Cela en rend la lecture parfois fatigante. Mais passé ce petit handicap, dessin efficace et scénario intelligent font mouche, pour autant qu'on accepte cette vision réaliste et sans compromission de la chevalerie. Pourvu que Kraehn reste aux commandes jusqu'à la fin... ce ne serait pas la première fois qu'il se lancerait dans une série en solo pour en confier ensuite le dessin à quelqu'un d'autre ; on aimerait que ce ne soit pas le cas ici !
Papier Peint (Les filles) par Thierry Bellefroid
« Papier peint » tome 2 de la série « Les filles », par Christopher. A La Comédie Illustrée.

« Papier Peint » relègue « Pyjama Party », précédent -et premier- opus des « Filles » au rang de vulgaire brouillon. Même si le premier album de cette sympathique série m'avait plu, je dois reconnaître qu'il est franchement faible en regard de celui-ci. En clair, mon enthousiasme irait plutôt croissant.
On savait déjà que Christopher avait mis à parti les heures entières passées dans les placards de ses copines et pouvait placer dans la bouche de « ses » filles de papier des dialogues qui sonnaient juste. On sait maintenant qu'il est entré de plein pied dans l'univers de ses personnages (aussi bien les cinq filles du début que leurs mecs ou que les nouveaux « personnages secondaires »). Les dialogues sont naturels, drôles, légers. Les personnages crédibles. Cette petite chronique douce-amère (on pourrait presque dire « sans prétention ») sur la « post-adolescence » est à la fois distrayante, drôle et joliment observée. Le dessin de Christopher prend de l'assurance, privilégiant la fluidité et la lisibilité, se centrant sur les personnages sans pour autant négliger des décors plus importants que dans le premier album. Car si « Pyjama Party » pouvait parfois énerver par son côté confiné, à la limite du huis-clos, « Papier peint » ne sent pas, comme lui, l'exercice de style. Non, ça sent la vie, la vraie, la-tout-à-fait-ordinaire et pourtant toujours si agréable à lire quand elle est bien racontée.
« Le Cri du Peuple », tome 1 : Les canons du 18 mars. Par Tardi et Vautrin, Casterman.

Tardi, champion de l'adaptation. Après Léo Malet, Didier Daeninckx, Pennac ou Manchette, le voilà qui s'attaque à l'adaptation en bande dessinée de ce roman de Jean Vautrin. Un roman qu'on jurerait taillé sur mesure pour lui tant le père d'Adèle Blansec y trouve d'inspiration. « Le cri du peuple » est un grand Tardi ; un album brillant, rigoureux et inspiré, intelligent et personnel. Un de ces livres qu'on referme en se disant qu'il contribue incontestablement à redorer le blason d'un art trop souvent considéré comme mineur.
Pour ce projet, Tardi a choisi le format italien. Il en tire parti avec brio. Les pages se répondent les unes aux autres, les cases s'équilibrent : proportions, formes, grandeur des décors, puissance d'évocation du cinémascope, chaque planche est un bijou. Tardi nous décrit la Commune comme personne. Forcément, ce fou de noir et blanc, de documentation, d'histoire et de Paris y trouve un défi à la mesure de son talent. Pourtant, il n'est pas le premier, loin de là, à décrire cette page d'Histoire de France en BD. On se souviendra entre autres de « L'Exécution » du regretté Jean-Paul Dethorey paru il y a cinq ans dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis (et disparu du catalogue depuis en raison du manque d'intérêt du public pour cet album magnifique... cruel destin !). Plus près de nous, Jean Dufaux a lui aussi choisi de placer l'action des « Voleurs d'Empires » (Glénat) durant cette période troublée. Mais le roman de Jean Vautrin adapté par Tardi est cent coudées au-dessus. Il nous propose réellement de vivre la Commune de l'intérieur. Petites gens et argot du cru contribuent à crédibiliser le propos. Pour le reste, deux protagonistes opèrent de savants chassés-croisés, entraînant autour d'eux une galerie de personnages secondaires truculents. Plus qu'une page d'Histoire, il s'agit bel et bien ici d'une chronique sociale se superposant à un récit policier. L'ensemble n'est pas donné d'office et il sera demandé au lecteur de faire quelques efforts pour recomposer le puzzle à partir des morceaux épars laissés en l'état par l'auteur, non sans un certain génie doublé d'un zeste de malice...
Peep Show par Thierry Bellefroid
« Peep show », par Joe Matt. Dans la collection Tohu Bohu des Humanoïdes Associés.

Joe Matt, tout comme Seth, découvert par Charles Berberian et publié dans la même collection, est un auteur canadien. Avec ce « Peep show », il nous raconte l'histoire tragico-pathétique d'une dessinateur de BD inadapté social chronique. Joe a un problème, il mate. Et sans arrêt. Même quand il est avec Trish, sa petite amie, il regarde chaque nana et ne peut s'empêcher de fantasmer sur celle qu'il ne peut pas tenir dans ses bras plutôt que sur celle qui est à côté de lui dans son lit. Eternel insatisfait, il croque les gens autour de lui dans ses BD, ce qui lui vaut de se disputer avec à peu près toutes ses connaissances. Et comme il a un caractère de chien et quelques obsessions sur ce que doit être pour lui une jolie fille, Joe est constamment en chasse. Pendant un peu plus de cent cinquante pages, on assiste à sa pitoyable errance solitaire. Le personnage est antipathique, primaire, d'un égoïsme à toute épreuve et c'est ce qui fait son charme. Avec un humour très personnel et une cruauté libératrice, Joe Matt nous fait pénétrer les rêves et les frustrations de ce pauvre type et c'est un pur bonheur de l'y suivre !
Accident du travail par Thierry Bellefroid
« Accident du travail », par Matthieu Blanchin. Chez Ego Comme X.

Après l'excellent récit d'enfance paru chez le même éditeur (Le val des ânes), Blanchin poursuit dans la veine autobiographique « légère ». Il y a un ton chez lui qui présente chaque événement de la vie comme une péripétie tantôt amusante tantôt attendrissante. Cet « accident du travail » n'échappe pas à la règle. Au contraire. Partant d'un récit de jeunesse authentique, l'auteur s'amuse à raconter le petit univers fantaisiste de l'atelier où il travaillait au moment des faits. C'est d'une grande fraîcheur et on s'amuse beaucoup, tout comme lors du séjour en clinique où Blanchin a superbement croqué les personnages qu'il a fréquentés durant son séjour. Le tout est dessiné avec une plume nerveuse, d'une grande vivacité, sans doute plus mûre que dans « Le val des ânes », mais qui conserve une belle part de fraîcheur.
« Bitchy Bitch en vacances », par Roberta Gregory. Chez Vertige Graphic.

Brétecher n'a qu'a bien se tenir. Roberta Gregory est sur le point de lui voler son public ! Bitchy Bitch, traduit par Jean-Paul Jennequin pour Vertige Graphic semble faire un malheur en France. C'est vrai que l'auteur de cette BD a su trouver un personnage et un ton qui renouvellent le genre. Underground mais populaire, pourrait-on dire... Midge est l'exemple-type de la nana détestable, vulgaire, irascible et râleuse que rient ne contente, pas même de gagner un voyage au soleil ! Frustrée, paranoïaque au dernier degré, cette névrosée perpétuelle vous fera forcément craquer. Roberta Grégory force le trait tant qu'elle peut, mais c'est pour mieux nous faire rire. Pas de gags, dans sa façon de faire de l'humour, mais de la caricature poussée à l'extrême où chacun (et chacune) croit reconnaître une emmerdeuse patentée croisée dans un club de vacances. Même le dessin est corrosif et contribue à rendre le personnage détestable.
Commencer par mourir (Aberzen) par Thierry Bellefroid
« Commencer par mourir », tome 1 de la série « Aberzen », par N'Guessan et Gibelin. Chez Soleil.

Le dessinateur de la série « Petit d'homme » (autre produit Soleil, cette variation sur le Livre de la Jungle est écrite par Crisse) paraît très à l'aise dans ce faux conte animalier mis en couleurs par Gibelin et dont ce premier tome nous plante le décor. L'idée de départ de son scénario est intéressante, ses personnages sont bien campés et leur rencontre apparemment improbable augure d'une série aux rebondissements multiples. En fait, ce qui fait le sel de ce premier album, c'est le nombre d'éléments inattendus qui s'enchaînent. Chaque fois que l'on pourrait sombrer dans quelque ronronnement scénaristique, l'auteur redonne de l'intérêt à l'intrigue. Son dessin est à la fois classique et efficace ; il invente des créatures plutôt réussies au rang desquelles Aberzen, cet espèce de Milou mutant, qui a tout pour plaire aux lecteurs.
Nepharius (Lock) par Thierry Bellefroid
« Nepharius », tome 1 de la série « Lock » par Valp. Chez Paquet.

Valentine Pasche nous invente un monde à énigmes qui est peut-être moins innocent que ce que son (joli) dessin mâtiné d'influences issues de l'animation japonaise peut laisser penser. A première vue, on se demande ce que cette très jeune nouvelle venue (elle a 22 ans) va pouvoir apporter de neuf. Ca sonne comme deux cents autres albums parus cette année, chez Soleil, Glénat ou Delcourt. Mais c'est vrai qu'à mesure qu'on entre dans l'univers entièrement conçu par Valp (scénario, dessins, décors, couleurs, costumes, tout est d'elle...), on en mesure un peu plus l'originalité. Il y a un ressort dramatique qui doit beaucoup à la tragédie grecque, teintée ici de fausses innocences et de faux-semblants. Le résultat est donc un album moins gratuit qu'il y paraît, mais qui possède la fraîcheur de la jeunesse. Parfois, Valp en remet un peu mais comme ce n'est pas au détriment de la visibilité, on ne lui en veut pas. En revanche, il est urgent qu'elle élargisse la palette des expressions de ses personnages.
« Raymond Calbuth N°7 » par Tronchet. Chez Glénat.

Qu'est-ce qui a bien pu décider Tronchet à aller rechercher Raymond Calbuth dans le fond d'armoire où il l'avait laissé ? Personnellement, je n'en sais rien ; après une première parution en albums, une autre sous forme d'intégrale puis une réédition en albums durant l'été, le fond de commerce semblait avoir déjà été bien rentabilisé... et le sujet bien utilisé. Pour ne pas dire usé. L'aventure au quotidien, c'est bien deux secondes, mais au bout de sept albums, ça recycle forcément les mêmes recettes. Bon, il y a quand même quelques bons moments (comme le voyage à Venise ou l'un ou l'autre des bons trucs à Raymond), mais franchement, vous ne trouvez pas que ça a un air de déjà-vu, tout ça ? On pourrait presque écrire les chutes à la place de Tronchet...
Incertain Silence par Thierry Bellefroid
« Incertain Silence », par François Ayroles. A L'Association.

Ayroles a un trait, c'est clair. Ou plutôt, c'est sombre. Son noir est tranchant, il cisaille les paysages, découpe les joues en creux, taille des costards aux personnages peu recommandables que croise le héros. Pour le dessin, l'achat de cet album se justifie déjà pleinement. Pour le reste, c'est moins évident. Le coup du personnage muet qui révèle le monde autour de lui par son mutisme, son absence, sorte de miroir « en creux », on nous l'a déjà fait, à commencer par Comès, avec Silence (ou de Crécy avec le Bibendum pour ne citer que ces deux exemples). L'idée n'est donc pas neuve et à force, commence à ressembler à une recette un peu facile. Mais on se laisse quand même entraîner parce que Ayroles raconte bien, parce que son dessin est beau. Et parce que son histoire nous parle d'art et plus précisément de peinture (sujet très en vogue, actuellement, parmi les auteurs de BD). Sans compter la muette étincelle de l'amour...
Pilules Bleues par Thierry Bellefroid
« Pilules bleues », par Frederik Peeters. Chez Atrabile.

On peut dire que Frédérik Peeters a signé avec « Pilules bleues » l'un des plus beaux romans autobiographiques jamais parus en bande dessinée. Il n'y peut rien, c'est la vie qui a choisi pour lui, qui lui a fourni le matériau de base de cette histoire, pourrait-on dire. Oui et non. C'est vrai que Peeters ne fait rien d'autre que de raconter une tranche de sa vie sur près de deux cents pages en noir et blanc. Mais il raconte si bien ce qu'il a vécu en compagnie de Cati, sa compagne, et du fils de celle-ci, que l'on peut parler d'un petit chef d'oeuvre. 34 pages de légèreté durant lesquelles Frédérik et Cati se rencontrent, se manquent, se retrouvent et se reperdent. Puis, un rendez-vous plus sérieux. Et en deux planches, tout bascule. De la chronique amoureuse, on passe à la baffe dans la gueule. Cette fille inaccessible que Frédérik a toujours rêvé de séduire, la voilà enfin disponible. Le mari n'est plus dans la place, Cati est seule avec son fils. Elle et Frédérik se plaisent, le courant passe. Alors, elle lui dit ce qu'elle ne peut pas lui cacher plus longtemps : elle est séropositive.
Tout le talent de l'auteur est de nous raconter la suite sur le même ton : les doutes, les questions posées ou passées sous silence, la relation exceptionnelle qui va se nouer avec cet enfant en sursis (lui aussi est séropositif) ou encore avec leur médecin, les petits bonheurs et les victoires sur la mort, tout cela est décrit avec une apparence de légèreté qui trahit une volonté de ne pas se prendre au sérieux, de ne pas raconter autre chose qu'une belle histoire d'amour. C'est ce regard simple, humble même, qui transforme cette histoire et en fait un conte de l'ordinaire. Peeters refuse de prendre la plume pour se poser en héros, en juge ou en exemple, encore moins en martyr. Il se livre avec une désarmante sincérité. Son dessin est à l'image du reste : simple, dépouillé, débarrassé de toute envie d'en faire trop ou d'épater. Le résultat est touchant, bouleversant même, parfois. Un livre qui vous plonge au coeur de l'émotion et qui ne vous lâche pas, même longtemps après l'avoir refermé.
Uncle Sam par Thierry Bellefroid
« Uncle Sam » par Steve Darnall et Alex Ross. Chez Semic.

Avec son dessin hyper-réaliste, Uncle Sam commence comme un vrai épisode de la série « Urgences ». Alex Ross joue les axes de caméra et réinvente les avant-plan, Steve Darnall, lui, n'hésite pas à créer une bande-son innovante pour de la BD, puisque certains phylactères ne sont là que pour crédibiliser la scène, n'apportant pas une information utile à l'histoire. Puis arrive ce personnage, vous le reconnaîtrez tout de suite. Logique, Uncle Sam est un archétype. Un mythe, même. Et c'est là toute l'originalité du propos de ce livre. Il nous fait entrer dans la peau de ce mythe. Par la magie de la BD, Uncle Sam prend corps. Et se souvient. Son errance continuelle se double de visons qui sont autant de souvenirs de l'Histoire de l'Amérique. Darnall s'attaque aux pages les moins glorieuses de l'histoire de son pays et les dépeint avec une froideur clinique teintée de pessimisme. Ce n'est pas un hasard si son Uncle Sam court pieds nus et habillé comme un clodo. Ce n'est pas un hasard s'il se fait jeter de partout. Il est la mémoire d'une nation qui s'est parfois construite sur l'amnésie, souvent sur le mensonge. Dommage que la forme un rien systématique de ce projet rende parfois cet « Uncle Sam » indigeste, car il a le courage de regarder l'Histoire de son pays dans le blanc des yeux.
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