Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Le dessin par Thierry Bellefroid
« Le dessin », par Marc-Antoine Mathieu. Chez Delcourt.

Marc-Antoine Mathieu a ses adeptes et je ne suis pas loin d'en faire partie. Ce dessinateur qu'on a envie de qualifier d'intelligent (pourquoi ? Les autres sont cons ? me direz-vous...) ne cesse de repousser les limites de la logique avec une rigueur et une volonté mathématiques qui peuvent aussi bien trouver leur aboutissement dans les histoires longues (Julius-Corentin Acquefacques) que dans les « gags » d'une page qu'il offre chaque mois au magazine Pavillon Rouge. Toujours à la recherche de nouvelles pistes d'exploration de la bande dessinée, ce scénographe reconnu nous revient avec un album composé de dessins en demi-page nous racontant l'obsessionnel pouvoir d'un tableau laissé par un peintre à son meilleur ami par-delà la mort. L'idée de départ est excellente. La réalisation a quelques côtés prétentieux mais reste de bonne facture jusqu'à la fin, qui gâche tout. A quoi bon faire du Schuiten-Peeters en moins bien ? Les inconditionnels ne seront forcément pas d'accord (l'auteur non plus, bien sûr) mais les autres auront sans doute du mal à avaler les huit dernières pages...
Ché par Thierry Bellefroid
« Le Che » par Alberto et Enrique Breccia, avec Hector Oesterheld. Chez Fréon.

Le livre date de 1968. Et pourtant, on le jugerait écrit aujourd'hui. A l'heure où les alter-mondialistes se cherchent de nouveaux héros, Che Guevara garde toute son actualité. Il n'a pas seulement été le compagnon d'armes de Castro. Ernesto Guevara est un véritable écorché vif, révolté par la misère chronique de son continent, l'Amérique Latine, qu'il a parcouru en tous sens. Oesterheld, qui a payé de sa vie sa contestation de la dictature argentine, avait eu l'ambition de raconter à travers ce livre le parcours étonnant de ce jeune médecin devenu guerillero, en jouant à la fois sur une biographie rigoureuse et sur le dernier combat imaginaire du Che, distillé au gré des chapitres et dessiné par le fils du grand Alberto Breccia. Le résultat est magnifique. Mais l'écriture écorchée et parfois hermétique d'Oesterheld rend difficile la lecture de cet ouvrage. Il faut s'accrocher, surtout au début, pour entrer dans cette narration éclatée sur deux temps, deux modes de pensée, deux logiques radicalement opposées. Mais le talent des Breccia père et fils éclabousse l'ensemble et fait de cette oeuvre entièrement détruite sous la dictature argentine un véritable témoignage de la meilleure BD sud-américaine. Il faut savoir en effet qu'après un démarrage foudroyant (60.000 albums vendus en 68), « Le Che » est devenu un objet encombrant. La plupart de ses lecteurs se sont séparés de cet album. Et après la mort d'Oesterheld, Breccia lui-même a brûlé les originaux, se contentant d'enterrer quelques exemplaires dans son jardin. Rien que pour le destin étonnant de ce livre, il n'est pas inutile de se plonger dans cette unique traduction française en un peu plus de 30 ans.
« Les sales blagues de l'Echo N°9 », par Vuillemin. Chez Albin Michel.

Le dessin de couverture annonce la couleur : Vuillemin est en forme, en grande forme. Le roi de la ligne crade enfile les albums sans prendre une ride. Son dessin est toujours aussi inventif sous ses apparences pas trop nettes et son sens de l'humour est un véritable antidote à la morosité. Il faut dire que Vuillemin a l'art de transformer une blague de comptoir en gag concis et imparable. Sans tirer en longueur, sans se préoccuper d'autre chose que de livrer l'essentiel -et rien que l'essentiel- à travers le dessin. On peut se livrer à un exercice amusant : que ferait un dessinateur plus « classique » pour raconter la même chose ? Il est à peu près certain que le résultat ne ferait rire que peu de monde. Cela n'a l'air de rien, mais derrière la mise en scène de Vuillemin, il y a réellement du génie. C'est vrai que ses sales blagues sont drôles par elles-mêmes, du moins racontées par un gars qui sait y faire. Mais lorsque vous les lisez transformées par ce grand artiste, c'est encore meilleur ! la preuve, même celles que vos amis vous ont déjà racontées vous font encore rire...

Promenade(s) par Thierry Bellefroid
« Promenade(s) de Wazem. Chez Atrabile.

Partiellement composé de récits déjà publiés dans « Bile noire » (mais retravaillés pour la parution en album), Promenade(s) est sans doute à ce jour ce que Wazem a fait de mieux. Le créateur suisse désormais installé dans la collection Tohu Bohu des Humanos comme un incontournable vieux meuble nous avait déjà prouvé qu'il savait à peu près tout dessiner. Mais le corollaire de cette démonstration était qu'il manquait d'une véritable personnalité graphique. Cette fois, non seulement le dessin se dégage des diverses influences (tout le monde en a, y a pas de honte...) mais en outre, il acquiert un langage propre. Le pingouin à oreilles qui tchatche avec beaucoup d'à propos et un curieux sens de l'humour est un compagnon idéal pour alléger le contexte introspectif très fouillé de ces promenades. Car Wazem va loin dans la confidence (ou la confession) et s'amuse à jouer sur les codes de l'autobiographie. Il le fait brillamment. Non seulement le lecteur s'amuse et oscille entre rêve et réalité. Mais en plus il entre dans l'univers de Pierre Wazem en passant directement par la salle de bains ! La lecture de cet album est à la fois réjouissante et touchante. Elle révèle un univers sensible et poétique ainsi qu'un vrai talent d'écriture, tout en nous proposant un régal graphique. Difficile de demander davantage...
« Tu comprendras quand tu seras grand », le Petit Spirou N°10, par Tome et Janry. Chez Dupuis.

Que dire encore du Petit Spirou ? Le succès exponentiel de la série est indéniable. Comme pour Titeuf, on flirte avec les 600.000 exemplaires à la nouveauté. Les ingrédients n'ont pas changé, les personnages secondaires non plus. Tome se fait le chantre d'une polissonnerie qui a décapé le petit personnage de groom du siècle dernier. On aime ou on déteste. On le trouve mignon ou vulgaire. On apprécie ou non cet humour « vu par le trou de la serrure » qui véhicule davantage de vices que de qualités dans le chef des personnages principaux (le Pépé obsédé sexuel, le prof de gym alcoolo au dernier degré, les maîtresses d'école aux tenues si serrantes que les boutons sont toujours prêts à craquer...) mais qui présente malgré tout un monde sympathique et potache à souhait. Quoi qu'il en soit, il est une chose qu'on ne peut reprocher aux auteurs, c'est de tromper sur la marchandise. Avec cette couverture osée (et plutôt vulgaire), ils affichent clairement leur propos en tête de gondole de l'hypermarché du coin. Les rares parents qui ne savaient pas à quoi s'en tenir sont désormais au courant : le Petit Spirou évolue très loin du monde de Franquin...
Des lendemains sans nuage par Thierry Bellefroid
« Des lendemains sans nuage », par Gazzotti, Meyer et Vehlmann. Dans la collection « Signé » des éditions du Lombard.

Déroutante au premier abord, cette succession de petites histoires prend tout son sens au fur et à mesure de la lecture de l'album. « Des lendemains sans nuage » m'a fait penser à « SOS Bonheur ». Comme dans la BD de Van Hamme, la société future imaginée par l'auteur (on pourrait dire par les auteurs puisque l'idée originale émane des deux dessinateurs qui en ont confié la réalisation scénaristique à Vehlmann après avoir écrit la première histoire courte) pousse à l'extrême les petits travers de notre monde d'aujourd'hui. La comparaison s'arrête là.

Dans un futur proche, F.G. Wilson, inventeur d'un implant cérébral qui accorde un quasi immortalité à l'homme, règne en maître sur la planète. Nolan Ska voudrait le tuer, mais Wilson a trouvé la parade : son implant comporte une clause neuronale qui interdit à quiconque d'attenter à ses jours. Ska n'a plus qu'une chose à faire : voyager dans le temps et tenter d'empêcher Wilson de devenir la maître du monde. Tout cela est d'un classicisme à faire peur. Aussi éculée que paraisse cette idée de départ développée en à peine plus d'une planche, la suite, elle, réserve bien des surprises. Et de bonnes surprises, surtout. Nolan Ska devient le nègre de Wilson pour faire de celui-ci un scénariste réputé et l'éloigner d'éventuelles recherches sur l'immortalité. Pour cela, Ska imagine simplement des histoires de science-fiction inspirées de sa propre époque. Et le récit prend tout son sens. Les histoires en question ne sont pas toutes du même niveau. Il n'empêche, elles vilipendent nos actuels travers avec un humour grinçant. Les Jeux Olympiques récompensent les athlètes les mieux dopés, la prison modèle est celle où chaque détenu est maintenu en état de dépendance grâce à la diffusion permanente d'un feuilleton télévisé...

Vehlmann s'est manifestement amusé dans ce registre à cheval sur la SF et la caricature. La fin de l'album est en outre assez inattendue, ce qui justifie pleinement la succession de courts tableaux qui le composent. Certains n'aimeront toutefois pas cet album composé de courts récits et lui objecteront un manque d'unité. Cette remarque ne s'applique certainement pas au dessin. Réalisé à quatre mains par Ralph Meyer (« Berceuse Assassine », avec Tome chez Dargaud, un triptyque très réussi dont le dernier volet paraît en janvier) et Bruno Gazzotti (dessinateur de la série « Soda », également sur scénario de Tome, le dernier album vient de paraître chez Dupuis), « Des lendemains sans nuage » propose la fusion entre le réalisme et l'école Spirou. Les deux dessinateurs ont tout fait ensemble, du story-board à l'encrage. Ils travaillaient à l'époque en atelier, ce qui leur permettait d'échanger leurs planches constamment, au gré de leurs envies. Le résultat est étonnant. Tantôt on reconnaît la patte de l'un, tantôt celle de l'autre. Mais « Des lendemains sans nuage » est incontestablement l'album d'un trio dont aucun des membres n'a voulu tirer la couverture à soi.
Buscavidas par Thierry Bellefroid
« Buscavidas », par Alberto Breccia et Carlos Trillo. Chez Rackham.

Un automne très Breccia cette année, avec la sortie presque simultanée de ce « Buscavidas » chez Rackham et celle du « Che » chez Fréon. Les deux albums sont très différents, leur propos aussi. Ils ont en commun d'avoir dû être restaurés avant leur publication en français. Les originaux de « Buscavidas » ont presque tous disparu. Les documents fournis par les éditeurs argentins et italiens qui ont publié ces récits dans différentes revues ont servi de base à la présente édition. Malheureusement, certains détails manquent de netteté. Mais ne boudons pas notre plaisir, cet album est un recueil qui flatte à la fois les yeux et l'esprit.

Carlos Trillo -aujourd'hui surtout célèbre chez nous pour ses récents ouvrages avec Eduardo Risso- magnifie dans ces petites histoires une bande dessinée grotesque, gentiment satirique. Nous sommes en 1981 et 82, la dictature argentine faiblit et la liberté d'expression renaît. « Buscavidas » n'est pas à proprement parler une BD politique. Un gros homme au visage poupon court les bistrots en quête d'histoires le plus souvent sordides pour sa « collection ». Chaque tableau est ainsi un fragment de vie ridicule, un reflet déformé de la société où petites lâchetés et destin conjuguent leurs efforts pour tendre des pièges subtils. Ainsi, dans « Zéro de conduite », l'histoire apparemment banale devient grinçante dès lors qu'un autre protagoniste vient renverser le point de vue. Carlos Trillo fait preuve dans ces très brefs récits d'un sens de la langue et de la concision qui force l'admiration. Dans « Persécuté », cette entrée en matière donne le ton : « Près du fleuve, aux heures les plus solitaires, se promènent ceux qui cultivent des projets de suicide. Il faut éviter ceux qui ont un parapluie. Qui se protège de la pluie tient encore trop à la vie. »

Tout cela ne vous dit rien encore du travail de Breccia. Deux ans avant son chef d'oeuvre absolu (« Perramus », un INDISPENSABLE dans votre bibliothèque, réédité en 99 par Glénat), il réalise ici un ouvrage personnel, parcouru de motifs grotesques et de visages hallucinés. On se croirait souvent dans un tableau de James Ensor. Ce n'est peut-être pas un hasard. Comme le peintre du début du 20ème siècle, Breccia utilise les masques et la panoplie du grotesque pour mieux provoquer la mort et dénoncer son insatisfaction face au monde dans lequel il vit. Les cases sont noires, Breccia utilise l'acrylique blanc pour les modeler. Un théâtre d'ombres de chaux qui touche à la perfection. Quand le texte et l'image sont aussi complémentaires, la BD est vraiment le neuvième art !
« Le fond du bocal », par Nicolas Poupon. Au Cycliste.

Pas la peine de faire de la littérature. Poupon a trouvé sa voie et c'est une voie d'eau. Les lecteurs de Bodoï le savaient déjà puisque ça fait un bout de temps que Poupon y livre ses gags. Avec un graphisme d'une simplicité confondante, il nous fait vivre les affres et les interrogations parfois absurdes des habitants du fond du bocal. C'est drôle, souvent grinçant, une bonne façon de vous décider à virer votre aquarium si vous en avez un. Les poissons de Poupon rêvent de liberté et de grands espaces, on les comprend. A les lire, on ne voudrait pas une minute être dans leur petit cerveau. Pourtant, je suis sûr que comme moi, vous dévorerez l'album jusqu'au bout, un sourire sur les lèvres. C'est que c'est cruel un homme...
PS. Faudrait peut-être que Nicolas Poupon regarde bien les chats et les chiens. Normalement, il y a des différences entre les deux races. Chez lui, le chat a des griffes non rétractables, un collier à pointes et une grosse truffe. Bizarre...
Luxe, calme et volupté par Thierry Bellefroid
« Luxe, calme et volupté », par Giardino. Chez Mosquito. Dans la collection « Raconteur d'images ».

Un petit livre magnifique, que l'on feuillette en rêvant. Que l'on dépose. Que l'on reprend et qu'on lit avec une pensée particulière pour l'auteur de Jonas Fink et Max Fridman. C'est l'autre Giardino qui se livre ici. Il se livre avant tout à travers le dessin. Des femmes, le plus souvent brunes, femmes-enfant, femmes-fleur ou femmes-fatales. Une galerie superbe, une collection éparse réunie et commentée par l'auteur. Les femmes de Giardino méritent bien quelques lignes, en effet. Non pas pour décrire leur plastique ou leur véritable identité, l'image se suffit à elle-même. Giardino se contente de nous éclairer sur les anecdotes qui ont conduit à leur naissance. Chaque petit texte nous permet d'en savoir un peu plus sur cet auteur discret. Et de regarder avec un oeil neuf les esquisses (trop peu nombreuses), aquarelles et dessins réunis dans ce beau livre. Les travaux les plus étonnants sont ceux réalisés pour le magazine Vogue. Mais il y a certains dessins personnels tout aussi remarquables qui établissent de manière irréfutable que la finesse de trait et la ligne claire apparemment un peu froide de Giardino ne sont pas incompatibles avec la grâce, la féminité et la sensualité. On flirte parfois gentiment avec l'érotisme, jamais avec la pornographie. Toujours avec l'art.
« Sam & Twitch N°2 », par Brian Michael Bendis et Angel Medina. Chez Semic.

L'excellent premier album ne tient pas toutes ses promesses dans ce dénouement un peu facile. Mais quand même, Sam & Twitch reste un polar noir des plus recommandables. Vous y découvrirez deux inspecteurs un rien losers au coeur d'une machination ourdie avec le concours de la plupart de leurs collègues, mouillés jusqu'au col dans le crime par une bande de drôles de sud-africains. Les personnages centraux sont parfaits, le duo (qui a tendance à se transformer en trio avec la légiste) est aussi décapant que crédible. Le dessin est d'une redoutable efficacité et la mise en page comme le découpage laissent pantois. Dommage que l'issue de l'histoire soit finalement un rien classique en regard des ingrédients jetés en pâture dans le premier album. Il faut dire que ça commençait très très fort et que tenir deux albums à un rythme pareil eût tenu du pur génie. Ne boudez toutefois pas ce diptyque : il mérite le détour !
Robinson par Thierry Bellefroid
« Robinson », par Sternis. Chez Vents d'Ouest.

Philippe Sternis au dessin et au scénario pour un « remake » de Robinson Crusoë bien différent de l'original. Et si l'homme échoué sur une île déserte n'était pas l'acteur principal de l'histoire ? Si on se plaçait du point de vue des habitants, c'est-à-dire des animaux ? C'est le point de départ de cet très bel album magistralement dessiné. Sternis commence par nous présenter une sorte de jardin d'Eden pour les animaux jadis sauvés par Noé et bien décidés à enterrer pour toujours la hache de guerre. Lions, éléphants, autruches, tigres, girafes, singes, hippos et rhinos vivent paisiblement ensemble, désormais tous herbivores. Et soudain débarque cette drôle de bête à deux pattes dont on ne comprend pas la langue, l'homme. Un parachutiste bien décidé à vendre chèrement sa peau et qui se comporte comme Rambo dans sa forêt. Tuer ou être tué, pour lui, il n'y a pas d'alternative. De quoi bousculer le bel équilibre immuable de ce coin de paradis...
L'idée est généreuse (peut-être un peu trop, diront certains) et le dessin ne l'est pas moins. Avec son style à la fois réaliste et poétique qui explose dans les couleurs pures, Sternis rejoint les meilleurs dessinateurs animaliers. On regrettera peut-être que son bestiaire se limite à un mélange de faune purement africaine et de tigres (pour la beauté du pelage, sans doute...). On appréciera en revanche une fin moins attendue qu'il y paraît. Et un climat général dominé par les bons sentiments mais qui évite la guimauve.
« Khaemouaset ou la loi de Maât », tome 1 de la série « Sur les terres d'Horus », par Isabelle Dethan.

A peine l'encre du premier tome d'Ingrid est-elle sèche qu'Isabelle Dethan nous propose un nouveau projet. Et celui-ci, loin des deux derniers albums intimistes en noir et blanc, renoue avec ses débuts dans la BD. Dethan plonge dans l'Egypte antique et nous en ramène une histoire quasi policière sur fond de Nil et de costumes traditionnels. Son travail de documentation crève les yeux (même pour ceux qui n'achèteraient pas la première édition augmentée de huit pages de croquis...) et ne peut qu'être salué. Crédible, intéressante, son histoire de secte déjouée par le prince Khaemouaset (appelez-le prince Khâ, comme tout le monde, c'est plus facile !) est peut-être desservie par un couple de personnages principaux un rien trop transparents. En dehors de cela, reste beaucoup de fraîcheur, malgré le travail. Et un dessin qui devrait ravir les lecteurs. J'avoue préférer Isabelle Dethan en noir et blanc et la trouver au mieux de ses possibilités lorsqu'elle travaille au lavis mais elle a un évident talent pour l'aquarelle aussi (la technique est d'ailleurs identique). Seul problème, elle en fait parfois un peu trop et n'évite pas toujours tous les pièges de la mièvrerie. Mais remettons les choses en parallèle : on est trois cents coudées au-dessus du dernier Alix !
De Selma à Montgomerry par Thierry Bellefroid
« De Selma à Montgomery », par Igor David. Dans la collection Tohu Bohu des Humanos.

Sans hésitation, je préfère le Igor David en noir et blanc de la collection Tohu Bohu (il réalise quelques pages également du premier numéro de la Tohu Revue parue en même temps que ces nouveautés d'automne). Plus lisible que dans « 9 Têtes », son dessin est aussi plus humain, plus expressif. Evidemment, l'histoire s'y prête. Bref road movie (l'album se déroule sur quelques heures en temps réel), « De Selma à Montgomery » nous propose l'histoire d'un couple qu'une simple panne d'essence va faire passer d'un monde à l'autre. Sur fond de lutte pour la reconnaissance des droits de la population noire, Winnie et son homme, deux jeunes Blancs, passent leur temps à se disputer. Lui, effacé, lâche même. Elle, acariâtre et castratrice. Tout cela n'évite pas les clichés, pas plus que l'histoire elle-même, qui est un peu trop attendue. Lui va se réveiller, elle se discréditer. Et les « bons » Noirs jouer les catalyseurs. On a l'impression qu'Igor David verse un peu trop facilement dans la démonstration. Le revers de la médaille des BD trop bien pensantes...
L'âge du sang (Tosca) par Thierry Bellefroid
« L'âge du sang », tome 1 de la série Tosca. Par Desberg et Vallès. Chez Glénat.

Après les brasseurs de Van Hamme, les maffieux de Desberg ; Vallès sait placer ses billes. D'autant que l'on sent bien qu'il est reparti pour un cycle de quelques albums puisque le principal reproche qu'on peut faire à ce premier tome est d'à peine mettre en place l'histoire et les personnages avant de « retirer la passerelle » et de laisser le lecteur barboter tout seul. Il faut dire qu'on ne risque pas de se noyer, Desberg ne quitte pas la « petite profondeur ». A part des clichés, y a-t-il quoi que ce soit dans cet album ? Oui, il y a du savoir-faire. Et un dessinateur qui n'est pas précisément doué pour les scènes d'action ou de mouvement, ce qui tombe plutôt mal.
Pinata par Thierry Bellefroid
« Piñata », par Pierre Maurel. Chez Six Pieds Sous Terre.

Un petit album composé de trois parties très différentes les unes des autres. J'avoue largement préférer la première, plus aboutie. Reprenant le principe de la piñata qui, au Mexique, est une coque remplie de friandises que les enfants doivent faire éclater avec un bâton pour en récupérer le contenu, Pierre Maurel commence par un récit déroutant d'un peu plus de vingt pages. « Récits croisés » joue avec les codes de la narration pour nous raconter à travers différents personnages impliqués dans la même scène (répétée sous des angles différents, donc) comment une réalité unique peut avoir des significations multiples. La « coque » éclate et le lecteur peut se jeter sur les friandises en question. C'est amusant et plein d'esprit. Plus absconses, les deux histoires suivantes privilégient la forme plutôt que le sens. Elles prouvent en tout cas que Pierre Maurel possède une personnalité au-delà de l'apparente simplicité de son graphisme.
« La ligue des gentlemen extraordinaires », l'intégrale, par Alan Moore et Kevin O'Neill. Editions USA.

Lire l'intégrale de la « Ligue », c'est plonger dans un monde fantasque et fantastique qui semble ne pas connaître de limites. Pour Alan Moore, cet exercice mi-ludique mi-parodique est une occasion supplémentaire de prouver qu'il est l'un des plus (ou le plus ?) grand(s) scénariste(s) vivant(s) en bande dessinée. Il offre en outre à Kevin O'Neill l'occasion de montrer l'étendue d'un talent virevoltant qui s'exprime tout au long de ces 144 pages. Hommage à Jules Vernes, « La ligue » exalte nos récits de jeunesse et ceux de nos pères (voire des pères de nos pères) pour les transcender et donner une vie nouvelle aux mythes. Unis à la manière d'un gang de super héros américains, le capitaine Nemo, Docteur Jekyll, Alan Quatermain, l'Homme Invisible et la mystérieuse Whilhelmina Murray travaillent pour le compte d'un Monsieur Bond lui-même aux ordres d'un Monsieur « M » dont les motivations et le passé ne se découvrent qu'au-delà du cinquième chapitre. Une galerie de portraits décoiffante qui joue avec l'image de ces célébrités et oscille sans cesse entre les références et l'invention pure.

Le cadre de ces aventures fantastiques est Londres. Mais comme les acteurs de cette étrange comédie, la ville est revue à la sauce Moore. On est loin ici du Londres de « From Hell », le chef d'oeuvre absolu de Moore récemment porté au grand écran et paru en français chez Delcourt il y a deux ans. Dans cette fresque presque historiquement obsessionnelle retraçant le parcours de Jack L'Eventreur, la ville victorienne plongée dans le brouillard était une sorte de cliché. Dans « La ligue », elle est au contraire rêvée, reconstruite par l'imagination de Kevin O'Neill, réinventée comme un décor de carton-pâte destiné à mieux encore souligner l'aspect fantastique et irréel du récit. Tout cela témoigne à la fois d'une maîtrise et d'une inventivité que peu d'auteurs peuvent afficher aujourd'hui.
La saveur du Songrong (Jonathan) par Thierry Bellefroid
« La saveur du songrong », tome 13 de la série Jonathan. Par Cosey. Au Lombard.

Douce-amère, la saveur de ce songrong (qui, pour les incultes dans mon genre, est donc un champignon, ndla). Douce-amère parce que Cosey renoue à la fois avec la vocation politique de son personnage-fétiche et avec un côté romanesque qui était peut-être trop absent du précédent album.

Après onze ans d'absence, le retour de Jonathan, il y a quatre ans, avait en effet marqué un tournant dans la série. Plus sensible que jamais au drame de la population tibétaine, Cosey avait envie de profiter de son héros pour faire passer un message, attirer l'attention sur le génocide entrepris il y a plus de cinquante ans par les autorités chinoises. Noble intention, piètre résultat. Trop premier degré, l'album résonnait comme une thèse à charge, une conférence de presse d'Amnesty mise en images (bon, j'exagère un peu, mais c'est pour me faire comprendre...) Et voilà que la suite directe de cette histoire renoue avec la magie de cette série culte des années 80. Tout y est : le message politique et philosophique, mais aussi la fragilité des protagonistes, la nuance dans le choix des personnages secondaires, l'amour et l'exotisme, la pédagogie et la création artistique. Un album complet, complexe, qui ne se laisse apprivoiser qu'avec lenteur et délectation.

« Les livres brûlent. Ils ne meurent jamais ». Sur cette phrase qui résonne comme un hommage à l'écriture, Cosey a construit un récit d'une grande intelligence et d'une tout aussi grande sensibilité. Jonathan, acteur de l'Histoire malgré lui, y apparaît tel qu'on l'aimait il y a une vingtaine d'années. Le contexte tibétain est exploité avec beaucoup de justesse et de rigueur. Le clin d'oeil aux minorités, les personnages magnifiques de la vieille Naxi ou de H.P. (en référence tant à Hugo Pratt qu'à l'auteur de « 7 ans au Tibet », adapté au grand écran par Jean-Jacques Annaud) constituent l'indéniable supplément d'âme de cet album splendide.

Et puis, il y a ces petits riens, ces lumières et ces couleurs captées sur place et restituées avec un talent qu'on ne présente plus, ces quelques habitudes alimentaires ou matriarcales que Cosey a su, comme jadis, intégrer à son scénario sans en faire des ingrédients incongrus ou simplement journalistiques. Sans compter une narration aux apparences compliquées mais réellement passionnante qui emmène le lecteur dans une histoire kaléïdoscopique à la fois touchante et engagée. Une grande réussite.
« Les avatars de Lou Chrysoée », tome 1 de « Lumière froide », par Makyo et Sicomoro. Chez Glénat.

Peu adepte du graphisme réaliste de Sicomoro, j'ai dû faire un peu d'auto-suggestion pour entrer dans cet album. Il faut dire que la couverture suggère d'emblée une histoire de série B, ce que ne dément pas le début de cette série. Pourtant, qui connaît Makyo et son talent de conteur fantastique ne peut s'arrêter à ces signaux avant-coureurs. Et c'est vrai que « Lumière froide » se laisse finalement gentiment lire. Il est trop tôt pour dire si les éléments de ce premier épisode peuvent déboucher sur une histoire réellement intéressante. Mais ce qu'on peut déjà dire, c'est que ce n'est pas du grand Makyo. Ceux qui ont lu et vénéré les débuts de « La Balade au bout du monde » ne retrouveront pas dans cette énième histoire fantastique les germes d'un nouveau best-seller. Reste un début d'histoire qui fera penser à la « Maison-Dieu » de Rodolphe (chez Albin) ou à d'autres BD récentes, sans parler des exemples du genre dans d'autres disciplines. Bref, une impression de déjà-lu...
Le déclic 4 (Le déclic) par Thierry Bellefroid
« Le Déclic N°4 » par Manara. Chez Albin Michel.

Qu'il est dur de voir un monument comme « Le Déclic » s'enfoncer plus avant dans la médiocrité à chaque album ! Le système est immuable et Manara semble bien décidé à le recycler jusqu'à plus soif.
1° Prenez une Claudia Cristiani bien prude.
2° Appliquez-lui un coup de « machine infernale »
3° Transformez-la en « truie » lubrique, ici lors d'un défilé de mode
4° Montrez le mari outré
5° Renvoyez-la dans sa chambre ou cachez-la dans un couvent (c'est le cas ici)
6° Profitez-en pour remettre un coup de « machine infernale ».
Et le tour est joué.

Avec quelques poses suggestives et le crayon de Manara, vous obtenez la potion magique du parfait voyeur en BD. Faut-il vraiment qu'on lui fasse de la pub en plus ?
Tante Lydie et Moi par Thierry Bellefroid
« Tante Lydie et moi », par Barranger et Bernatets. Au Cycliste.

Il y a à boire et à manger dans ce « Tante Lydie et moi ». Tant et si bien qu'on se demande à certains moments si le scénario n'a pas été contracté en cours de route pour être parfois si étrangement décousu. Histoires parallèles, oui. A condition que les parallèles se rejoignent (je sais, c'est pas très mathématique, tout ça...) ce qui n'est pas forcément le cas ici. Il y a un sens certain de l'observation, des personnages attachants, des dialogues réussis et des situations cocasses dans cet album. Mais la sauce a du mal à prendre. Et comme le dessin, sympathique sans plus, ne suffit pas à attirer le regard, on a plutôt l'impression d'un banc d'essai à confirmer lors d'un prochain album.
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