Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Soyons fous dans la dignité N°2 », par Manu Larcenet. Chez Fluide Glacial.

La couverture est en soi un bon moyen de tester votre perméabilité à l'humour de Larcenet. Si ce gag ne vous fait pas rire, peut-être n'êtes-vous pas assez fou (ou assez digne ?) pour apprécier cet album. Si comme moi, vous sentez un léger rictus poindre avant d'avoir découvert la première page, c'est que vous êtes mûr. Et que vous n'allez pas être déçu.
Passant en revue quelques personnages célèbres (Dieu en tête) et quelques professions connues (pirate, ingénieur, paysan, gangster...), Manu Larcenet nous brosse de courts tableaux truculents bourrés de second degré, de joyeuse absurdité et de dérision. Mention spéciale pour le gangster et l'ingénieur qui sont particulièrement réussis. Chaque petit chapitre est aussi l'occasion de faire un clin d'oeil à un collègue, soit en glissant l'un de ses personnages dans une case ou l'autre, soit en l'invitant à les dessiner lui-même. Ce côté « album fait avec les copains » est typiquement Fluide et montre qu'on peut être fou, digne et drôle sans être solitaire. Un excellent cru parmi les sorties et/ou contributions pléthoriques de Larcenet.
« Foutoir au manoir », tome 4 de la série « Le vent dans les saules ». Par Michel Plessix. Chez Delcourt.

Fin de l'adaptation en BD du roman de Kenneth Grahame. L'aventure aura charmé plusieurs dizaines de milliers de lecteurs. Il faut dire qu'elle avait de quoi. Un dessin sensible, soigné, minutieusement mis en couleur et en lumière, des personnages attachants, une poésie et un humour immédiatement perceptibles...
Plessix a su donner un véritable souffle à cette histoire animalière pourtant déjà presque centenaire et exploitée dès 1949 par Walt Disney. Son graphisme y est pour beaucoup. Enchanteur, son monde renoue quelque part avec le meilleur des fables de Lafontaine tout en se plaçant dans l'esprit Disney. Les caractères des animaux sont tranchés, mais pas seulement à travers les rôles que leur a attribués l'auteur écossais dans son histoire originale ; Michel Plessix leur a donné de véritables personnalités graphiques. Ses ambiances renouent aussi avec l'univers d'un Macherot, même si les deux auteurs n'ont pas du tout le même style de dessin. On peut juste regretter que des planches si riches de détails soient imprimées à un format réduit qui les dévalorise trop souvent. Plessix méritait un grand format, mais cela eût entraîné un changement de prix de vente. Même si la série ne se place pas sous le label « Delcourt Jeunesse », elle s'identifie immédiatement à cette collection par son format et sa pagination, il était donc difficile pour l'éditeur de la vendre à un autre prix. Dommage.
Pour le reste, tout est bien qui finit bien, évidemment, personne n'en doutait. Mais si cet album apporte moins de surprises et se concentre surtout autour de la (re)prise du château de Crapaud, l'ensemble dégage un parfum délicieusement désuet et enfantin qui pourra ravir les plus jeunes autant que... leurs grands-parents.
Ubu Roi par Thierry Bellefroid
« Ubu roi », par Alfred Jarry et Daniel Casenave. Aux 400 Coups.

Merdre de merdre, quel coup de crayon -ou plutôt de plume- que celui de Daniel Casenave ! Plus de cent ans après la création de cette pièce d'anthologie écrite par Alfred Jarry et qui donna naissance à l'adjectif « ubuesque », non seulement on s'aperçoit que le texte n'a rien perdu de sa puissance (qui en doutait ?) mais qu'il s'accommode en outre parfaitement d'une adaptation dessinée. Les cinq actes de la pièce originale sont conservés, les textes sont habilement replacés dans les phylactères et l'ensemble prend vie, sous nos yeux étonnés. La nervosité du trait, la virtuosité graphique et la générosité de cette adaptation font de cet album une perle absolument somptueuse. Comment mieux traduire cette farce grotesque mais grinçante qu'avec ce noir et blanc acéré et vif ? Personne n'aurait misé un zloty sur cette adaptation. Et pourtant, le résultat est tel qu'il remplace à lui seul le meilleur des metteurs en scène, une troupe théâtrale professionnelle et un décorateur hors pair !
« Les frères », tome 1 de la série « La gardien de la lance », par Ferry et Ersel. Dans la collection Loge Noire des éditions Glénat.

Jacques Glénat fait partie des éditeurs qui ont intégré le Festival d'Angoulême dans leur politique éditoriale. L'an dernier, il profitait de l'occasion pour lancer « Le Décaloge » avec deux albums d'un coup. Cette fois, ce sont pas moins de quatre nouvelles séries qui démarrent en janvier avec pour point commun leur appartenance à la nouvelle collection dirigée par Didier Convard, « Loge Noire ». Parmi ces quatre séries, « Le gardien de la lance », quatrième projet mené de front par Ersel, le dessinateur des Pionniers du Nouveau Monde, fils spirituel de Jean-François Charles. Heureusement, cette démultiplication se sent moins ici que dans « Les derniers jours de la Géhenne » où le dessin d'Ersel n'est qu'une suite navrante d'imperfections (principalement dans les scènes où apparaissent des voitures). Pour autant, ce « Gardien de la lance » ne séduit guère par son graphisme. Ersel se défend plutôt bien dans ses décors minutieux, mais il ne tient pas ses promesses dans le dessin des personnages. (Un exemple ? Le visage difforme et bigleux d'Aurore dans la septième case de la planche 29. Mais il y en a d'autres...)

Quant à l'histoire, on peut dire qu'au terme de ce premier tome elle reste pour le moins confuse. La ressemblance entre les personnages de Laurent et de Klaus reste inexpliquée, le lecteur devant se contenter d'une mise en place encombrée d'éléments inutiles. Le mystère tient au simple fait que rien n'est approfondi. Ferry joue à fond la carte éculée de l'égyptologie « maudite », on sort les uniformes nazis et les croix gammées comme dans le Prince de la Nuit, on y ajoute des scènes de fesse parfaitement inutiles (comme dans la première page ou, plus incompréhensible encore, comme en bas de la planche 19) et on se demande déjà si « Loge Noire » entend davantage se singulariser par la prétention de son pseudo-intellectualisme ésotérique que par sa qualité.
Le savant fou par Thierry Bellefroid
« Le savant fou », par Stanislas. Aux éditions Reporter.

Stanislas poursuit sa collaboration avec les éditions Reporter, la maison qui avait publié ses très remarquées « aventures d'Hergé ». Il y revient avec cet album au format italien compilant des gags prépubliés durant plusieurs années, d'abord dans la revue « Je Bouquine », puis dans « Fusée » et « Lapin » (Rappelons à ce sujet que Stanislas est l'un des co-fondateurs de L'Association). Ces strips très courts (généralement trois à quatre cases, jamais plus de dix) racontent quelques-unes des expériences souvent loufoques d'un savant qui a le tort d'être génial, distrait, gaffeur et incompris à la fois. Principale source de rire : la famille du savant en question (surtout sa femme), qui fait les frais d'inventions aussi poétiques qu'inutiles, voire encombrantes... et qui garde toujours les pieds sur terre. Pour Stanislas, c'est l'occasion d'opposer le monde de l'invention et sa logique farfelue aux préoccupations pragmatiques des enfants ou de l'épouse du savant -télé, vaisselle, confort... Le choc donne lieu à des situations piquantes, drôles, qui pimentent la lecture de chacune de ces courtes histoires. C'est fin. Aussi fin que le dessin imparable de ce fils naturel de Chaland et Hergé.
« Le premier cercle de l'enfer », tome 2 des Teutoniques, par Rodolphe et Capo. Chez Hors Collection.

Il en aura fallu du temps pour voir enfin cette suite des Teutoniques, série lancée aux éditions du Téméraire peu avant leur disparition et reprise par Hors Collection. Le tome 1 réédité, les deux auteurs peuvent compter sur un nouveau public pour poursuivre cette adaptation du roman de Sienkiewicz. S'il n'y avait pas l'environnement polonais, on pourrait se croire dans un Chevalier Ardent (pas le dernier, qui est en-dessous de tout !) ou à la rigueur dans un Vasco. L'univers des Teutoniques est d'un classicisme de bon ton, il ne risque pas de faire fuir les amateurs d'histoires médiévales, il ne risque pas non plus d'en amener d'autres à découvrir ce genre. Rivalités, amours, traîtrises et coups fourrés en tout genre attendent le lecteur. Le dessin de Bernard Capo manque parfois singulièrement de finesse mais jamais d'ardeur ; ça sent le travail à défaut de grand talent.
Je ne t'ai jamais aimé par Thierry Bellefroid
« Le playboy » et « je ne t'ai jamais aimé » de Chester Brown. Aux 400 Coups.

En publiant presque en même temps ces deux albums du Canadien Chester Brown, la jeune maison d'édition « Les 400 Coups » a frappé fort. Elle nous propose de faire connaissance avec l'univers introspectif d'un maître de la BD autobiographique qui n'a pas peur de ternir son image. Plus « jusqu'auboutiste » encore que Joe Matt (Peep show, paru cet automne aux Humanos) et beaucoup plus sordide que Seth « La vie est belle malgré tout », paru il y a deux ans aux Humanos lui aussi), deux compatriotes de Chester Brown. Ici, l'auteur nous propose un autoportrait décapant dans lequel il passe au scanner ses années d'adolescence. Il le fait au travers d'un graphisme en négatif, dessin blanc sur fond noir, économe et caricatural à la fois.
Dans « Le playboy », l'auteur montre comment une éducation ultra-religieuse castratrice l'a poussé vers la pornographie et comment il s'y est enfermé. On ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise à la lecture de cette confession intime qui n'hésite pas à montrer l'auteur dans les situations les plus scabreuses. Mais il faut lui reconnaître une sincérité désarmante qui va jusqu'à l'humour.
Même constat à la lecture de « Je ne t'ai jamais aimé » qui narre les années d'adolescence durant lesquelles l'auteur fait le dur apprentissage des relations avec les filles. Amoureux transi mais complètement incapable de communiquer, adolescent confronté à une mère malade, il est tantôt touchant tantôt pitoyable. Toujours juste.
Le playboy par Thierry Bellefroid
« Le playboy » et « je ne t'ai jamais aimé » de Chester Brown. Aux 400 Coups.

En publiant presque en même temps ces deux albums du Canadien Chester Brown, la jeune maison d'édition « Les 400 Coups » a frappé fort. Elle nous propose de faire connaissance avec l'univers introspectif d'un maître de la BD autobiographique qui n'a pas peur de ternir son image. Plus « jusqu'auboutiste » encore que Joe Matt (Peep show, paru cet automne aux Humanos) et beaucoup plus sordide que Seth « La vie est belle malgré tout », paru il y a deux ans aux Humanos lui aussi), deux compatriotes de Chester Brown. Ici, l'auteur nous propose un autoportrait décapant dans lequel il passe au scanner ses années d'adolescence. Il le fait au travers d'un graphisme en négatif, dessin blanc sur fond noir, économe et caricatural à la fois.
Dans « Le playboy », l'auteur montre comment une éducation ultra-religieuse castratrice l'a poussé vers la pornographie et comment il s'y est enfermé. On ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise à la lecture de cette confession intime qui n'hésite pas à montrer l'auteur dans les situations les plus scabreuses. Mais il faut lui reconnaître une sincérité désarmante qui va jusqu'à l'humour.
Même constat à la lecture de « Je ne t'ai jamais aimé » qui narre les années d'adolescence durant lesquelles l'auteur fait le dur apprentissage des relations avec les filles. Amoureux transi mais complètement incapable de communiquer, adolescent confronté à une mère malade, il est tantôt touchant tantôt pitoyable. Toujours juste.
« Sergent Logan », tome 5 de la série « Le pouvoir des Innocents », par Laurent Hirn et Luc Brunschwig. Aux éditions Delcourt.

Suite et fin de l'un des meilleurs scénarios de politique-fiction jamais écrits pour la bande dessinée. Tout amateur de bonne BD devrait désormais posséder cette série au complet dans sa bibliothèque. Commencée il y a une dizaine d'années, cette histoire n'a jamais cessé d'étonner le lecteur. Quand il croit avoir mis le doigt sur une chose, il finit par découvrir stupéfait, vingt ou trente pages plus loin, qu'elle signifie exactement son contraire. Un exemple ? Au tout début de la série, tout le monde se doute que les bandes de petites frappes qui mettent le Queens à feu et à sang en pleine campagne électorale travaillent pour le candidat de droite, Gedeon Sikk. Plus loin, on se rend compte que ces bandes, tout comme le groupement de citoyens pour l'autodéfense appelé « Le Pouvoir des Innocents »... ont été crées de toutes pièces par le camp d'en face, pour piéger le candidat en question. Mais le lecteur qui continue la lecture de la série découvrira finalement que le complot n'est pas ourdi par celle qui doit en récolter les fruits, la candidate démocrate Jessica Ruppert. Il en va de même de toutes les histoires parallèles qui tressent ce suspense absolument magistral. Jusqu'aux dernières pages du tout dernier tome, Brunschwig a pris plaisir à nous surprendre, à dépasser les clichés et les issues attendues.

Le plus surprenant est toutefois que la grande force de cette série ne réside pas là ! Elle vient de l'attention particulière des auteurs pour leurs personnages. Les « héros » de cette machination américaine sont décortiqués au fil des albums. En explorant leur passé, en tissant autour d'eux une toile incluant d'autres personnages, on finit non seulement par en dresser un profil psychologique redoutable mais on permet aussi au lecteur d'entrer dans leurs motivations secrètes, de comprendre chacun de leurs gestes, même les plus fous. Ainsi, le maître-mot qui préside à la réalisation de cette histoire, et qui vaut tant pour le scénario que pour le dessin, est la crédibilité. Le traitement graphique et le découpage empêchent l'attention du lecteur de retomber et le font passer sans prévenir de la tension la plus totale à l'émotion la plus pure. Sans doute se trouvera-t-il quelques esprits chagrins pour trouver le monde de Luc Brunschwig et Laurent Hirn trop noir, trop violent et trop pessimiste. Mais ce monde est aussi celui d'une très belle utopie politique, d'une grande générosité. Les personnages principaux croulent sous leurs défauts, mais la plupart de ces défauts, ils les doivent au monde dans lequel ils vivent, un monde qui ne fait pas de cadeaux et qu'ils rêvent meilleur pour ceux qui viendront après eux.
Rarement, une série aura traité de tout cela avec tant de brio et d'intelligence. Cela vaut bien l'achat des cinq albums d'un coup pour ceux qui ne les posséderaient pas encore...
« Le jour de la Saint Braconne », tome 2 de « La Région », par Jouvray et Roland. Chez Paquet.

Jouvray et Roland ont planté un joli décor surréaliste dans le premier tome. De quoi « rêver » à des situations et des pays bien réels... tout en partant sur un délire visionnaire et décalé. La suite s'annonçait périlleuse. Les deux auteurs s'en sortent plutôt bien, sinon qu'une fois la surprise passée, on ne marche plus aussi facilement sur leurs traces. Avec quelques efforts -et une relecture impérative du premier tome-, on se laisse cependant aller de Village Natal au Lac Mou en bouffant de la proutasse. Et on aboutit en Absurdie -mais pas celle de Greg ; « La région » n'a pas grand chose à voir avec Olivier Rameau. Ici, l'absurde est proche de la fable politique, voire du pamphlet. Le dessin de Jouvray est aussi faussement innocent que l'est le scénario de Roland. Après un prologue d'une page qui, comme dans le tome 1, se donne des airs de Blutch, Jouvray retrouve et installe ce style qui constitue l'habile fusion entre plusieurs « écoles » de dessin à la fois proches et complémentaires. Le scénario, lui, n'évite pas quelques lourdeurs, mais se développe comme un bon vin, sur une très belle note finale.
« Welcome Land », tome 2, par Tronchet et Al Coutelis. Chez Fluide.

Al Coutelis continue de manier le noir et blanc avec une aisance réconfortante, à côté d'un « A.D. Grandrivière » en couleurs (trois tomes chez Casterman) qui semble lui correspondre assez peu et dans lequel on a l'impression qu'il s'est fourvoyé par mégarde (d'autant que le scénario manque cruellement d'originalité). Cela n'empêche Coutelis de faire un petit clin d'oeil à « A.D. » en page 17 de ce Welcome Land, on se fait plaisir comme on peut. Mais l'intérêt de ce deuxième tome en collaboration avec l'un des plus brillants scénaristes d'humour est ailleurs. Al Coutelis est le complice idéal pour donner vie à cet univers caustique jusqu'à l'excès. Une croisière sur un paquebot tiré par de pauvres zombies sur la terre sèche jusqu'à ce qu'on leur balance un passager récalcitrant à bouffer, une caméra cachée dirigée par un fou sanguinaire qui applique des méthodes de commando pour piéger ses victimes, un voyant surdoué qui paye d'avance à une prostituée les futures passes qu'il voit dans sa boule de cristal... voilà quelques-unes de visions idylliques imaginées par Tronchet dans ce livre à la fois amoral et cruel. Certaines des histoires sont plus réussies, d'autres un peu attendues (celle du cancéreux, par exemple, dont la fin est téléphonée), mais dans l'ensemble, le cynisme de Welcome Land est proche de la quintessence. Et le noir et blanc à la précision chirurgicale de Al Coutelis est son parfait complément.
« Joachim Overbeck », tome 1 de la série « Le legs de l'alchimiste », par Tanquerelle et Hubert. Dans la collection Loge Noire des éditions Glénat.

S'il faut choisir un album à sauver des eaux dans cette piètre première livraison de « Loge Noire », c'est sans doute ce legs de l'alchimiste, même si cette histoire charrie un sacré parfum de « J'ai déjà vu ça quelque part »...
Bon, évacuons d'emblée le problème du graphisme. A vue de nez, Tanquerelle -dont c'est le premier album- est loin d'être un mauvais dessinateur. Mais pomper à ce point ses petits collègues le discrédite dangereusement. Sfar et Blain peuvent se féliciter : ils ont fait école. Blutch aussi, soit dit en passant. Sans parler de Fred, qui est leur père à tous. Cher Monsieur Tanquerelle, utilisez donc votre talent à des fins plus personnelles, personne ne vous en voudra. Même votre petit génie a l'air sorti d'une BD de Sfar.
Il en va de même pour le scénario. Le père Joann a dû parler durant son sommeil en présence de ce fils spirituel nommé Hubert. On a l'impression de lire un « Poisson Pilote » ou un Delcourt revendu sous le manteau à Jacques Glénat. Bon, ne jetons pas tout d'un coup pour autant ; s'il n'y avait eu des prédécesseurs aussi prestigieux dans la même voie (relisez « Le petit monde du Golem » pour vous en convaincre...), cet album eût pu être une jolie surprise hivernale. Car il faut bien le dire, sa lecture est agréable. Et sa facture honorable. Bref, on a quand même envie d'encourager ces deux jeunes auteurs à persévérer et à nous revenir dans un an, avec un nouvel album « toiletté » où éclaboussera leur véritable talent. Car ils en ont, c'est sûr.
Caz roman, un américain paysage par Thierry Bellefroid
« Caz roman, un américain paysage », par Joe G. Pinelli. Chez 6 Pieds Sous Terre.

Pinelli, c'est tout d'abord un ton, une écriture, qui ne respecte pas toujours les codes de la langue, qui se construit quelque par du côté des tripes. La première phrase de ce récit l'illustre déjà : « Comment qu'on s'est reproduit. A regarder autour on voit que nous. A se demander où sont passés les autres. ». Plus loin, on trouve ceci : « Et d'un coup à dix mètres tribord... un dos immense un terril qui jaillit souple, il plonge sous la coque, bondit au même instant même distance, bâbord. Ejaculé d'océan. On lui voit l'oeil. C'est vivant. Ça nous ressemble. »
Aucun phylactère dans Caz Roman, mais bien une voix off continue et écorchée, qui se fout de la syntaxe comme un PC se moquerait d'une gomme. Et puisqu'il a chois d'oublier les phylactères, Pinelli en a profité pour « zapper » les cases aussi. Son récit est fait de dessins juxtaposés sur des pleines pages. L'ensemble lui donne du souffle, on redécouvre parfois la force de son dessin. Mais il l'éloigne définitivement de certains lecteurs (qui ne sont de toute façon pas son fond de commerce) et frôle parfois l'illustration. Sans éviter les écueils de certains clichés, Pinelli arrive à nous raconter de l'intérieur, l'histoire imaginaire de l'immigration dans une Amérique fantasmée et obsédante. Comme toujours, ça ne ressemble à personne d'autre.
« Dernier train pour Washington », tome 12 de la Jeunesse de Blueberry. Par Corteggiani et Blanc-Dumont. Chez Dargaud.

Comme on aimerait que ce titre soit prémonitoire, et que le jeune Blueberry ne prenne plus jamais d'autre train, ni pour Washington ni pour aucune autre destination, sous la plume de Corteggiani et le crayon de Blanc-Dumont ! Ces deux-là feraient bien de relire l'oeuvre de Charlier et Giraud de toute urgence ; avec un peu de chance, confus de s'être à ce point fourvoyés, ils s'en iraient sur la pointe des pieds. La pauvreté intellectuelle et scénaristique de cet album atteint des sommets. Les ficelles de Corteggiani sont si grosses qu'on pourrait s'en servir pour faire une descente en rappel ou du saut à l'élastique. Faites l'exercice ; au moins une fois sur deux, vous êtes capables de deviner tout seul ce qui se passera à la page suivante. Un tel manque d'imagination serait encore pardonnable si l'esprit de la série était intact. Mais que viennent faire ces textes récitatifs redondants à la « Blake et Mortimer » dans la série Blueberry ? ! Quant au dessin de Blanc-Dumont, il manque cruellement de vérité. Blueberry n'est pas une gravure, c'est un indécrottable (le mot est à prendre dans son acception la plus large) teigneux, toujours mal rasé (ici, il est carrément imberbe, dirait-on), hirsute, indiscipliné, individualiste, se battant pour sauver sa peau, un loser magnifique, un écorché vif, un... bon, passons, tout ça n'en vaut même pas la peine.
« Je suis trop génial », tome 21 de la série Calvin & Hobbes, par Bill Watterson. Chez Hors Collection.

Ils ont fait la fortune des éditions Hors Collection qui, pendant des années, n'ont même pas eu besoin de publier autre chose. Calvin, le petit garçon facétieux et Hobbes, son inséparable tigre en peluche plus vrai que nature par la force de son imagination. 1 million deux cents mille exemplaires vendus en France en dix ans. Des chiffres qui font rêver. Surtout que la qualité est bel et bien au rendez-vous, album après album. Bill Watterson a su constamment se renouveler et produire une quantité phénoménale de gags très courts sans jamais donner l'impression d'être à court d'imagination. Dans ce nouveau recueil, le vingt-et-unième publié en français, beaucoup de neige, de devoirs et d'interrogations. L'occasion de placer de très bons strips sur les bagarres de boules ou sur les bonshommes de neige (des thèmes qui semblent inspirer Watterson) mais aussi de nous concocter quelques belles réflexions sur la vie, le travail, l'intelligence. Et c'est sans doute dans ce mélange de « philosophie enfantine » du bon sens et de poésie constante que s'exprime pleinement le talent de Watterson. Sans oublier cette virtuosité sans prétention qui lui permet de dessiner n'importe quelle mimique d'un petit coup de crayon habilement placé.
Morceaux choisis :
« Je suis génial ! Je suis un des plus grands génies de la terre ! » s'écrie Calvin. « Tu n'es pas génial ! Tu es le plus gros vantard prétentieux que j'ai jamais vu » lui répond sa copine Susie. Et Calvin conclut « Quand vous êtes génial, les gens prennent souvent la franchise pour de la vanité ».
Un autre ;
Calvin dégage la neige devant chez lui. Au lieu de jeter la neige sur les côtés, il la replace juste derrière lui. Commentaire final : « Pourquoi d'autres profiteraient de mon dur labeur ? »
Sur les interrogations ;
Calvin sèche devant une feuille blanche, c'est l'heure de l'interro. Il lit : « Quel événement important s'est déroulé le 14 juillet 1789 ? » Et il écrit : « Je ne crois pas en la linéarité du temps, il n'y a ni passé ni futur, tout n'est qu'un et l'existence, au sens temporel du terme, est illusoire. Par conséquent, la question ne sert à rien et il m'est impossible d'y répondre ». Il relève la tête, contemple sa feuille et lance : « En cas de doute, nier tous les termes et leurs définitions ».
Un dernier, du même genre ;
« Expliquez la première loi de gravitation de Newton avec vos propres mots ». Calvin écrit : « Yakka foob mog grug pubbawup zink wattoom gazork. Chumble spuzz » et relève la tête, l'œil malicieux en s'écriant « J'adore ces échappatoires ».
Voilà quelques exemples typiques de l'humour de Watterson qui peut pour autant tout aussi bien s'exprimer graphiquement sans recours, ou presque, au texte.
Calvin et Hobbes fait partie de ces BD qui parlent de l'enfance avec un mélange de vérité et de fantasme, de vrai et d'imaginaire, mais qui réveille chez nous trop de choses enfouies pour ne pas nous faire passer du rire à l'émotion.
Bile Noire par Thierry Bellefroid
« Bile Noire N°11 », Collectif des éditions Atrabile.

Les éditions Atrabile nous auront offert deux très beaux albums en 2001 : Promenade(s) de Wazem et surtout, l'un des plus beaux livres de l'année, le « Pilules bleues » de Fredérik Peeters. Mais ces albums ne doivent pas cacher que l'éditeur suisse fourbit d'autres armes tout au long de l'année. D'une part à travers Le Drozophyle qui publie des albums sérigraphiés de grande qualité et de l'autre, par l'intermédiaire de cette revue, Bile Noire, publiée deux à trois fois par an, et dans laquelle la scène indépendante suisse (et plus spécifiquement genevoise) peut s'exprimer en toute liberté. On y retrouve des signatures plus ou moins connues. Celles de Ba ladi, Wazem et Peeters en tête. (La série de gags de Wazem sur la cueillette des champignons vaut le détour. La nouvelle « Un tapis en hiver » adaptée en 7 pages par Frederik Peeters est superbement découpée et dessinée en bichromie). On y retrouve aussi l'infatigable Ibn Al Rabin qui n'hésite pas à s'auto-éditer à l'occasion, l'impertinence de François Olislaeger, le trait très underground US de Jason ou le dessin très off de Markus Huber. Bref, à la manière d'un « Lapin » en France ou d'un « Frigobox » en Belgique, un bel échantillon de ceux qui feront sans doute partie des classiques de demain dans leur pays, mais aussi un laboratoire graphique et narratif.
« Un, deux... Troy », Tome 1 de Lanfeust des Etoiles. Par Arleston et Tarquin. Chez Soleil.

On peut difficilement reprocher à deux auteurs en plein succès de stopper une série fleuve pour prendre une autre direction. On devrait même les féliciter. Scotch Arleston perdra peut-être quelques irréductibles en route. Il y gagne en tout cas en crédibilité (il n'en avait guère besoin, mais bon, c'est jamais mauvais d'avoir un capital bien fourni !). Et il prend sans doute davantage de plaisir à retrouver ses personnages. Exit, donc, « Lanfeust de Troy », série déjà culte alors qu'elle est née il y a moins de dix ans. On prend les mêmes, on les plonge dans un nouveau monde et on y ajoute quelques personnages inconnus jusque-là. Le plus intéressant d'entre eux est incontestablement l'agent Glace, garçon manqué gentiment autoritaire et moqueur...mais pas du tout dénué de charme. Elle redonne de l'intérêt au couple Lanfeust-Cixi . D'autant qu'elle prive notre héros de ses pouvoirs dès le début de l'album. L'histoire nous ramène quant à elle aux ingrédients qui ont fait le succès de la série, mais avec un regard différent et des rapports de force intéressants entre les personnages. C'est de la SF mâtinée de fantasy, c'est de l'humour et de l'aventure, bref, du Scotch Arleston du meilleur cru. Sans parler des petits textes narratifs dans lesquels le scénariste ne se prive jamais de glisser quelques perles. Quant au dessin de Tarquin, rien à dire, il est pour le moins à la hauteur du défi.
« Les Icariades », tome 2, par Termens et Efa. Chez Paquet.

Séduit avant toute chose par la puissance graphique du premier album, c'est avec une certaine impatience que j'ai entamé la lecture de cette suite. Première surprise, Efa a changé de style. Du mois en partie. Si l'on reconnaît son dessin, on est frappé d'emblée par le traitement plus « classique » des couleurs. Le début de l'album, surtout, fait place à des cases plus lisses, faisant appel à davantage d'aplats. Cela change du côté très granuleux du premier tome, où l'on sentait constamment la texture du papier à dessin, la densité de la gouache ou le relief du pastel gras.
Pour le reste, ce deuxième tome ménage quelques surprises agréables de scénario, nous emmenant sur les traces d'Anto et Clio, les deux jeunes héros un rien idéalistes mais joliment touchants de cette histoire. Manipulations et trahisons attendent nos amis comme il en va en général des messagers de paix. La course pour la survie qui dure deux bons tiers de l'album a des résultats inattendus. Au final, l'histoire est bien moins innocente qu'elle pouvait paraître et les héros n'en sortent pas indemnes. Après l'apparente candeur des débuts, un tournant bien négocié...
« Le Choucas n'en mène pas large », tome 4 du Choucas, par Lax, chez Dupuis.

Le Choucas a passé le cap des maladies de jeunesse. Peut-être que la publication presque simultanée des trois premiers albums était un peu excessive pour ma consommation personnelle, toujours est-il que j'ai pris un plaisir nouveau à lire cette quatrième aventure. Lax continue de truffer ses histoires de citations de la Série Noire. Bon, personnellement, ça ne me dérangerait pas qu'il en fasse un peu moins. Mais passé ce petit « tic » d'écriture, cet album est une vraie promenade de santé. L'histoire de ces jumeaux est pour le moins originale. L'enquête menée par le privé ne l'est pas moins. Elle permet à Lax de planter des ambiances très réussies, tant dans le village de montagne reculé où le curé de paroisse entretient un « bandit manchot » dans son confessionnal qu'à Madère où la rencontre d'une femme aux seins lourds met le Choucas en émoi... sans parler de cette Amazonie moite et violente où s'achève le récit. Le travail sur les décors et celui sur les couleurs nous rappellent que Lax n'est pas du genre à se contenter de recopier une carte postale et qu'il est prêt à remettre son dessin en question à chaque nouveau projet. Le résultat est remarquable. Et comme l'histoire est aussi amusante que délassante, on arrive à la dernière page d'une traite... avec l'envie de relire l'album.
Le Noël de Choco (Choco) par Thierry Bellefroid
« Le Noël de Choco », tome 2 de Choco, par De Brab et Zidrou. Chez Casterman.

Après un remarquable premier volume, Zidrou et De Brab nous reviennent pour une deuxième aventure de Choco, le petit héros de cirque dont le papa et la maman, séparés, vivent à une roulotte l'un de l'autre. L'espèce de petit souriceau noir et blanc au nez rouge rêve de cadeaux de Noël. Pourtant, le Père Noël ne va pas chez les clowns. Va-t-il pour autant être délaissé, alors même que la vie ne semble guère lui sourire ? C'est sur cette idée de base très simple que Zidrou construit une nouvelle histoire touchante et pleine de poésie. Il donne à l'univers créé dans le premier album un prolongement à la fois drôle, intelligent et délibérément merveilleux. Choco est l'une des quatre ou cinq BD pour enfants à laquelle on cherche vainement des défauts. Dessin de toute beauté, personnages animaliers très expressifs, mise en page libre et dynamique, grande clarté tant dans le dessin que dans les textes, héros et univers attachants...
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