Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Pagaille dans les nuages (Oscar) par Thierry Bellefroid
« Pagaille dans les nuages », deuxième album de la série Oscar, par Lapière et Durieux. Chez Dupuis.

On l'aime bien Oscar, il est rigolo, délicieusement mythomane, espiègle, indiscipliné et affectueux. Et en plus, il fait des acrobaties du tonnerre. Si vous lisez l'album jusqu'au bout, vous saurez même pourquoi il est si agile. En attendant, ce gamin « échappé » de l'orphelinat qui vit dans un squat avec son ami Khartoum se la joue mécano grandeur nature. Engagé sur un chantier par un négrier de la construction en compagnie de ses amis squatters, il flirte avec les nuages au dernier étage d'un futur gratte-ciel. Pour Christian Durieux, tout cela est l'occasion de nous faire rire, frissonner et rêver à la fois ; son graphisme naturel et tout en rondeur fait merveille tant dans la simplicité des mimiques que dans les nombreuses scènes d'action. Denis Lapière s'amuse aussi et ça se sent. Bien sûr, la vraisemblance n'est pas la première préoccupation des auteurs. Mais il suffit de se laisser faire. Une fois entré dans cet univers enfantin aux profils très ciblés, on est comme un môme à une représentation de Guignol !
Le troisième thé par Thierry Bellefroid
« Le troisième thé » de Cailleaux. Chez Treize Etrange.

Discret, Christian Cailleaux. Peu prolifique, travaillant en dehors des sentiers battus, cet auteur passionné par l'Afrique a cependant su attirer l'attention de la critique et d'un certain nombre d'esthètes dès ses débuts dans la BD. Il faut dire que son graphisme épuré qui le rapproche d'Avril, de Serge Clerc, de Petit-Roulet, de Dupuy et Berberian ou parfois tout simplement d'Hergé est un atout non négligeable.

Depuis plusieurs albums, les histoires de Cailleaux tournent autour des mêmes thèmes et des mêmes personnages. Le jeune garçon blond qui en est le héros s'appelle tantôt Terry, tantôt Mogo et cette fois Félix. Il aime délaisser des amours trop fades pour rêver d'aventures et de trésors africains. Cette fois encore, la perspective de s'installer quelques semaines au Sénégal pour y négocier un authentique reliquat de l'époque coloniale le pousse à abandonner une jolie blonde qui se lassera de l'attendre. Félix, c'est Cailleaux lui-même, pense-t-on, à lire ces histoires d'aventure rêvée sous les tropiques. Cailleaux qui prolonge ainsi le temps de ses voyages et nous propose pour l'occasion de partager son album de souvenirs. Croqués sur le vif, les personnages sénégalais rencontrés par Félix sonnent juste. Les dialogues montrent que l'auteur a souvent séjourné sur place ; non seulement il place les quelques mots « locaux » qui font crédible mais aussi -et surtout-, il installe un rythme africain dans la conversation. Et il en fait le véritable héros de l'histoire. A tel point que ce petit livre qui devait initialement s'appeler « La terrasse de Gouroumbaye » est devenu « Le troisième thé », référence évidente au rituel du thé qui se sert en trois fois, du plus amer au plus doux, et qui imprime son rythme à la conversation.

« Le café du voyageur », opus paru chez Treize Etrange en 2000, était déjà en bichromie. Cailleaux y avait opté pour un trait plus fin, plus épuré que le lavis de « Harmattan, le vent des fous » (Paru chez Dargaud en 98). Cette fois, l'auteur ajoute un travail sur la matière en jouant à la fois d'une plume plus anguleuse et du crayon. Le trait devient celui d'une ligne claire fragile, parfois effleurée, volontairement maladroite ou inachevée. Mais la justesse de la bichromie vient « emplir » le dessin d'un véritable souffle. On sait que l'album devait sortir aux Humanoïdes Associés, dans la collection Tohu Bohu. On sait qu'il y a eu désaccord entre l'auteur et l'éditeur et qu'il est finalement reparti avec ses planches sous le bras. Si la raison exacte de cette mésentente portait sur le choix de la bichromie (qui coûte plus cher à l'impression), Cailleaux a rudement bien fait de choisir Treize Etrange. Le format est plus petit. La distribution sera confidentielle. Mais bon dieu que cela est beau !
Kissers par Thierry Bellefroid
« Kissers », par James Kochalka. Paru chez Ego Comme X.

C'est un gros livre de plus de 170 pages, parcouru de très beaux dessins en noir et blanc, d'une simplicité presque enfantine. Un conte, ou plutôt une fable, qui raconterait les amours d'une chatte et d'un oiseau. Tout y est stylisé : les personnages, les animaux et les décors, d'une part. Les sentiments de l'autre. Il y a une sorte de magie dans la narration de Kochalka qui parvient à exprimer le monde en deux ou trois traits bien placés sur la feuille. Le monde, c'est l'amour, la mort, l'égoïsme, la prédation, la tendresse, l'espièglerie, la liberté ou la complicité. « Kissers » en propose un concentré. Désarmant par son économie de moyens, ce récit touche à la grâce du bonheur.
« Souvenir d'une journée parfaite », par Dominique Goblet. Chez Fréon.

Après deux collectifs et deux albums solo, voici le cinquième titre de la collection « Récits de ville » qui rend compte des travaux réalisés en atelier international par les éditions Fréon durant les années 99 et 2000. Derrière une couverture quelque peu austère évoquant la tristesse dans la désolation, le lecteur trouvera une étrange histoire où fiction et autobiographie se nourrissent l'une l'autre pour un échange sur la mort et le souvenir. Tout cela peut sembler très noir. Mais Dominique Goblet a un tel talent de dessinatrice que son cimetière ucclois (une banlieue de Bruxelles) résonne de silences méditatifs et de chants d'oiseaux. A aucun moment, le lecteur n'a le sentiment d'assister, complice, à une complaisante promiscuité avec la mort. Pourtant, Dominique Goblet ne parle de rien d'autre, ou presque. Elle arrive, aidée par les textes de son complice Guy Marc Hinant, à n'en parler qu'à travers la vie. Et même à ne nous parler vraiment que de la vie. Son dessin est tantôt envoûtant tantôt spectaculaire. Quelle incroyable vivacité dans cette scène de cortège funèbre sous la pluie ou dans ce vol d'étourneaux qu'elle a observé en octobre 2000 avant de le « figer » sur la feuille. Le crayon gras semble courir sur le papier, et la minute suivante, y glisser tout en longueur, comme une feuille morte emportée par une brise légère. Dominique Goblet y ajoute une bichromie légère qui s'exprime dans des nuances jaunes (comme sur la couverture) obtenues en salissant le papier à l'aide de corps gras. Le résultat est magnifique, aussi magnifique que ces histoires parallèles tressées pour n'en retenir que le souvenir d'une journée parfaite.
« Nul n'est censé ignorer ma loi », premier tome de la série Dirty Henry, par Jenfèvre et Richez. Chez Bamboo.

Paru il y a déjà quelques mois, cet album a rencontré un joli succès et démontre que Bamboo est en train de se positionner sur un marché pourtant peu accessible, celui de la BD d'humour tout public. Je viens seulement d'avoir l'occasion de le lire et je dois le reconnaître, je me suis bien amusé. Les premiers gags jouent à fond sur l'effet de surprise et sur le tandem formé par Henry, le flic new yorkais pas trop scrupuleux, et son chien cannibale, Bullet. Le duo vire au trio avec l'entrée en scène du complice, Flan', jeune recrue mise au parfum par Dirty Henry. A chaque gag, ils font reculer les frontières de la bêtise humaine pour le plus grand plaisir du lecteur. Sans prétention, sans effets, les auteurs parviennent à installer un climat et à surprendre, la plupart du temps. Malgré quelques planches plus convenues, l'ensemble est franchement bien enlevé, vif, joyeux et totalement sans prétention. Le graphisme très magazine de Spirou (on pense à Bercovici), s'il ne surprend guère, colle parfaitement aux objectifs de la série. Bref, tous ceux qui cherchent vainement de nouvelles séries humoristiques (il y a en a plein les bacs des libraires, mais combien font vraiment rire ?) peuvent sans crainte tester ce nouveau-venu.
« La Bar-Mitsva », tome 1 de la série « Le Chat du Rabbin », par Joann Sfar, dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Joann Sfar écrit comme il respire. Et on a envie de dire qu'il respire bien. Il respire la santé, même ! Le voilà qui entame deux nouvelles séries à la fois dans la collection Poisson Pilote ; l'une a pour vedette un chat juif qui désire passer sa bar-mitsva et l'autre un chien grec philosophe compagnon d'un demi-dieu qui se définit donc comme un demi-chien. Dire que Joann ne manque pas d'imagination devient le plus grand des lieux communs. Alors, louons plutôt son imaginaire que son imagination, car pour moi, il y a une nuance importante. L'imaginaire de Joann Sfar, c'est ce monde à la fois érudit et poétique où en artiste de la figure libre il explore salle après salle tous les recoins d'une BD qui serait le carrefour des arts et des disciplines ; par la peinture, la gravure et le dessin, il se fait à la fois philosophe, poète, conteur, démiurge et détenteur de la tradition juive.
Cet espèce de conte talmudique est un OVNI, un de plus, dans le petit monde de la bande dessinée. Pourtant, le Chat du Rabbin n'est peut-être pas ce que Joann a fait de mieux. Peu importe. Parce qu'il est l'une des composantes d'un univers qui forme un tout et qui s'affirme avec de plus en plus de cohérence au travers d'une oeuvre d'une incroyable richesse intellectuelle et artistique.
Pour parler plus spécifiquement des qualités et défauts de cette BD, il faut presque parler des qualités et défauts de Sfar. Car quel que soit l'album, on retrouve une marque de fabrique que dénoncent ses détracteurs et louent ses fans. C'est vrai, ici peut-être plus que dans certaines autres histoires, on a l'impression que le scénario tient de la séance d'improvisation sur un thème imposé. Joann serait sans doute capable de faire une histoire d'un morceau de saucisse acheté chez le boucher ou d'une brosse à dents trouvée dans une poubelle ; il serait même capable de pondre cinq volumes de chacune de ces deux séries. Mais qu'importe, si la finesse d'exécution y est. Les dialogues de ce Chat du Rabbin sont d'une telle saveur, la contradiction talmudique y est si bien poussée au rang d'art rhétorique et l'ironie y est si légère... que j'en redemande encore et encore. Au risque de passer pour un « sfan » béat !
Crochet (Peter Pan) par Thierry Bellefroid
« Crochet », dans la série Peter Pan, par Régis Loisel chez Vents d'Ouest.

Il a fait l'événement à Angoulême et c'est bien normal. Avec un nouvel album très attendu et une exposition sur Peter Pan, Régis Loisel -désormais établi au Canada- était l'une des personnalités les plus en vue de ce 29ème festival. Il faut dire que son adaptation du roman de James Barrie n'est pas banale. En fait d'adaptation, il faudrait plutôt parler de « réappropriation », puisque Loisel a choisi de raconter la genèse de cette histoire rendue célèbre par Walt Disney. Il le fait avec un talent époustouflant qui s'exprime tant dans l'imagination et les profils poussés des personnages que dans le dessin lui-même. A ce sujet, « Crochet » n'a rien à envier à ses prédécesseurs. L'avant-dernier album de la série a beau s'être fait désirer pendant plus de cinq ans (avec tout ce que cela comporte de risques de déception), il se hisse d'emblée parmi les ouvrages de référence, que ce soit en matière de lisibilité, de fraîcheur du trait, de maîtrise des couleurs et des décors ou de vitalité du dessin.
Vents d'Ouest ne s'y est pas trompé. L'éditeur a mis toute la gomme pour faire de cette sortie sa meilleure carte de l'année : 170.000 albums mis en place, ce n'est pas rien. Sans compter le nombre de titres du fonds qui risque de s'ajouter aux ventes de la nouveauté. Bien sûr, il n'en faut pas plus pour que le clan des puristes trouve que Loisel a vendu son âme. Personnellement, j'avoue avoir une préférence pour d'autres tomes de la série. Mais cet album est tellement supérieur à la moyenne de la production qu'il serait dommage de s'arrêter à de tels arguments. D'autant qu'il s'agit d'une pièce indispensable dans cette fresque qui compose une fabuleuse galerie de personnages à la psychologie passionnante. A lire absolument, donc.
« Pour le meilleur et pour le pire », tome 2 des aventures de Max & Nina, par Dodo et Ben Radis. Chez Albin Michel.

Avis aux nombreux « suiveurs » qui pullulent dans le paysage de la BD, voici la preuve qu'on peut aborder les mêmes thèmes qu'eux sans copier Dupuy et Berberian. Il faut dire que Dodo et Ben Radis ne sont pas nés de la dernière pluie; il y a un peu plus de vingt ans que Dominique Nicolli offre ses scénarios aux relents plus ou moins autobiographiques au crayon de Rémi Bernardi. Ensemble, ils ont fait les beaux jours de Métal Hurlant, Best et Rock & Folk, c'était l'heure du rock. Quelque peu assagis aujourd'hui, leurs héros Max et Nina, nous offrent une belle tranche de vie de jeune couple. Ca commence par l'amour fou, le mariage, les gondoles à Venise. Et puis la machine cale très vite : paresse, reproches, jalousie, envies... tout va de travers. Avec un sens aigu de l'observation, Dodo croque ce jeune couple pour nous faire sourire en nous moquant de nous-mêmes. Difficile de ne pas se reconnaître à un moment ou un autre. Le dessin de Ben Radis, entre Disney et la ligne Métal, fait merveille. Bref, un très bon moment de lecture.
Les Glaces (Isaac le Pirate) par Thierry Bellefroid
« Les glaces », tome 2 de la série Isaac le Pirate, par Christophe Blain, dans la collection Poisson Pilote chez Dargaud.

Difficile de parler d'Isaac le Pirate après la consécration du premier tome à Angoulême. Bombardé « Alph'Art du meilleur album » par le jury présidé par Martin Veyron, le premier récit de cette série assoit définitivement la réputation d'un auteur remarquable. Au risque de placer très haut la barre à franchir pour les autres albums de la série. Au risque aussi d'étouffer les velléités de critiques par un effet de mode et de pression médiatique. Tentons de naviguer entre ces écueils pour reconnaître objectivement à la suite de ce récit épique des qualités irréprochables et une rigueur qui caractérise la presque totalité de la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Que dire de cette magistrale leçon de dessin ! Il est bien difficile de lui trouver des défauts, même si, passée la surprise du premier tome, on s'attend un peu plus à subir les événements. Isaac le dessinateur est donc embarqué malgré lui dans le projet fou de Jean le pirate, il partage la vie du bord et descend avec ses compagnons de fortune vers les glaces. Un voyage hallucinant et fantomatique qui permet à Christophe Blain d'explorer la lumière jusque dans les barbes non rasées de ces hommes. Blain parle de ce qu'il connaît : il connaît la peinture, le dessin, la mer et la banquise. Mieux, il en maîtrise tous les contours et ça se sent. Cet album aux antipodes des récits de piraterie des Charlier et autres fils de Barbe-Rouge prouve si besoin était qu'on se trouve en face d'un auteur en pleine ascension, qui n'a même pas encore montré toute l'étendue de son talent. Quelques excellents dialogues viennent rehausser une histoire toujours passionnante, même si elle connaît de temps à autre un petit creux dans l'intensité. Il y a des scènes, des situations ou des images des « Glaces » que l'on n'oublie pas. On referme le livre et on s'aperçoit qu'on y est encore, on frissonne un peu, on remonte la couverture et on s'enfonce dans la chaleur du lit. On ferme les yeux ; ça y est, c'est l'aventure. Le sommeil qui suit Blain est encore de Blain !
La fin et le début (Replay) par Thierry Bellefroid
« Replay, la fin et le début », par Sala et Zentner. Chez Casterman.

Il était temps que ça s'achève ! Après un premier album enthousiasmant, un deuxième déjà moins intéressant, le troisième est carrément ennuyeux. La redondance des phrases en voix off finit par donner un côté pédant à l'ensemble et il faut dire que ce qui ressort de cette trilogie est qu'on pouvait faire la même chose sans tomber dans une forme aussi pompeuse et emphatique. Ces trois fois quarante-huit pages dégagent un parfum de maniérisme qui n'est malheureusement pas à la hauteur de la conclusion, finalement assez bancale. Les cartes étaient si brouillées au terme du premier album qu'on ne pouvait qu'imaginer une histoire tordue. Elle finit par être presque banale. Dommage, car Jorge Zentner est un grand scénariste qui ne nous a jamais déçu...
Quant au dessin de Sala, il explose littéralement dans certaines scènes de ce troisième opus. Même s'il doit encore toujours s'affranchir de l'influence de Nicolas de Crécy, Sala possède un véritable talent de dessinateur d'ambiances. Son travail sur la matière et sur la lumière le prouve. Ne lui reste qu'à trouver un univers plus personnel et, c'est sûr, on reparlera de lui.
« Les canyons de la mort », premier tome de la série Amerikkka, par Otero et Martin. Chez Hors Collection.

Roger Martin n'est pas un inconnu. Scénariste pour la télévision et surtout auteur du livre éponyme « Amerikkka », paru chez Calmann-Levy, il a tenu à transposer dans la BD l'univers qu'il connaît sur le bout des doigts. Le résultat est déroutant. Il y a autant de très bonnes choses dans ce premier tome que de mauvaises. Manifestement, Martin ne gère pas parfaitement toutes les subtilités de la bande dessinée et de son découpage. On peut se demander, par exemple, à quoi sert l'introduction de cinq pages. Tous les éléments qui s'y trouvent se répètent quelques pages plus loin dans la bouche des personnages lors du briefing et le livre aurait peut-être été plus fort en commençant sans mettre tout de suite les points sur les « i ». C'est vrai que ce qui manque à cette histoire, c'est sans doute un zeste de légèreté. Mais à côté de cela, elle a la mérite de s'attaquer à un thème assez peu visité en BD et elle le fait avec une connaissance manifeste du problème. Peut-être un rien trop manifeste, même, car les renvois en bas de page pour expliquer tous les termes techniques employés par les membres du klan sont parfois un rien fatigants et donnent l'impression que l'auteur en fait trop jusqu'à étaler sa science...
Les deux héros sont crédibles et attachants, l'intrigue pas toujours surprenante est compensée par le contexte sociologique qui est, lui, très bien exploité. Bref, un premier album qui souffre peut-être encore de défauts de rodage mais pourrait augurer d'une bonne série. Quant au dessin du jeune Nicolas Otero, 24 ans, il oscille entre réalisme et caricature selon qu'on s'attarde sur les décors ou les visages. Le mélange est surprenant. Mais pas dénué d'intérêt ni de charme. Là encore, passé le premier album, on suppose que le propos va s'affiner et le style s'affirmer.
La digue par Thierry Bellefroid
« La digue », par Vincent Fortemps. 11ème numéro de la collection Feu ! d'Amok.

Il y a longtemps que les passerelles existent entre Fréon et Amok comme elles existent entre peinture ou arts plastiques et bande dessinée. Il n'est donc pas étonnant de voir aujourd'hui les deux maisons d'éditions unir partiellement leurs destinées et proposer un catalogue commun sous le nom de Frémok. Et tout naturellement, d'y trouver Vincent Fortemps, co-fondateur de Fréon, avec un nouvel ouvrage sous le la label d'Amok. Comme toujours, Fortemps fait dans le muet. Mais sa BD n'est qu'une lointaine cousine du cinéma des années trente. Elle est résolument contemporaine et plastique. Plastique comme ces feuilles sur lesquelles Vincent travaille sa matière, faite de crayons lithographiques gras étalés, grattés, écorchés, caressés, étirés, déliés avec le doigt, l'ongle, la main entière s'il le faut. Vincent Fortemps nous livre dans cette collection particulièrement expérimentale une oeuvre forte qui sent l'embrun et le pluie, on entend la mer en furie et le cri des goélands et celui des bateaux de pêche qui rentrent au port, on entend le bruit des roulettes d'un landau sur le sol mouillé de la digue, on se réchauffe dans les cafés presque vides, on réinvente la vie en ramassant une bouée sur la plage, du sable plein les yeux et plein les dents, les cheveux au vent. En quelques pages, sans l'apport d'une ligne de texte, Vincent Fortemps raconte la mer, l'automne, la vie, la solitude à plusieurs. Et s'il est possible de ne pas comprendre, il est difficile de ne pas au moins être ému par la beauté soufflante de son dessin.
Mink (Amenophis IV) par Thierry Bellefroid
Je viens de lire... « Mink » tome 2 de la série Aménophis IV, par Dieter, Le Roux, Manchu et Hubert. Chez Delcourt.

Suite et fin du premier cycle qui ne méritait effectivement pas plus de deux albums. Après un début prometteur et original, Dieter est assez vite tombé dans une routine de SF pur jus. Tout ça pour nous resservir une histoire de « contamination » dans un labo et une énième affaire de mutants accidentels ! Dommage, d'autant que le personnage de John Barhile perd lui aussi des plumes dans ce deuxième épisode. Son profil psychologique nuancé et son parcours chaotique finissent par passer au second plan au terme d'une histoire où Dieter force le trait pour faire de son officiant un héros teigneux et alcoolique qui perd les pédales... mais en sauvant le monde. C'était pas la peine de s'y mettre à quatre pour tomber si vite dans le déjà vu...
« Soyons fous dans la dignité N°2 », par Manu Larcenet. Chez Fluide Glacial.

La couverture est en soi un bon moyen de tester votre perméabilité à l'humour de Larcenet. Si ce gag ne vous fait pas rire, peut-être n'êtes-vous pas assez fou (ou assez digne ?) pour apprécier cet album. Si comme moi, vous sentez un léger rictus poindre avant d'avoir découvert la première page, c'est que vous êtes mûr. Et que vous n'allez pas être déçu.
Passant en revue quelques personnages célèbres (Dieu en tête) et quelques professions connues (pirate, ingénieur, paysan, gangster...), Manu Larcenet nous brosse de courts tableaux truculents bourrés de second degré, de joyeuse absurdité et de dérision. Mention spéciale pour le gangster et l'ingénieur qui sont particulièrement réussis. Chaque petit chapitre est aussi l'occasion de faire un clin d'oeil à un collègue, soit en glissant l'un de ses personnages dans une case ou l'autre, soit en l'invitant à les dessiner lui-même. Ce côté « album fait avec les copains » est typiquement Fluide et montre qu'on peut être fou, digne et drôle sans être solitaire. Un excellent cru parmi les sorties et/ou contributions pléthoriques de Larcenet.
« Foutoir au manoir », tome 4 de la série « Le vent dans les saules ». Par Michel Plessix. Chez Delcourt.

Fin de l'adaptation en BD du roman de Kenneth Grahame. L'aventure aura charmé plusieurs dizaines de milliers de lecteurs. Il faut dire qu'elle avait de quoi. Un dessin sensible, soigné, minutieusement mis en couleur et en lumière, des personnages attachants, une poésie et un humour immédiatement perceptibles...
Plessix a su donner un véritable souffle à cette histoire animalière pourtant déjà presque centenaire et exploitée dès 1949 par Walt Disney. Son graphisme y est pour beaucoup. Enchanteur, son monde renoue quelque part avec le meilleur des fables de Lafontaine tout en se plaçant dans l'esprit Disney. Les caractères des animaux sont tranchés, mais pas seulement à travers les rôles que leur a attribués l'auteur écossais dans son histoire originale ; Michel Plessix leur a donné de véritables personnalités graphiques. Ses ambiances renouent aussi avec l'univers d'un Macherot, même si les deux auteurs n'ont pas du tout le même style de dessin. On peut juste regretter que des planches si riches de détails soient imprimées à un format réduit qui les dévalorise trop souvent. Plessix méritait un grand format, mais cela eût entraîné un changement de prix de vente. Même si la série ne se place pas sous le label « Delcourt Jeunesse », elle s'identifie immédiatement à cette collection par son format et sa pagination, il était donc difficile pour l'éditeur de la vendre à un autre prix. Dommage.
Pour le reste, tout est bien qui finit bien, évidemment, personne n'en doutait. Mais si cet album apporte moins de surprises et se concentre surtout autour de la (re)prise du château de Crapaud, l'ensemble dégage un parfum délicieusement désuet et enfantin qui pourra ravir les plus jeunes autant que... leurs grands-parents.
Ubu Roi par Thierry Bellefroid
« Ubu roi », par Alfred Jarry et Daniel Casenave. Aux 400 Coups.

Merdre de merdre, quel coup de crayon -ou plutôt de plume- que celui de Daniel Casenave ! Plus de cent ans après la création de cette pièce d'anthologie écrite par Alfred Jarry et qui donna naissance à l'adjectif « ubuesque », non seulement on s'aperçoit que le texte n'a rien perdu de sa puissance (qui en doutait ?) mais qu'il s'accommode en outre parfaitement d'une adaptation dessinée. Les cinq actes de la pièce originale sont conservés, les textes sont habilement replacés dans les phylactères et l'ensemble prend vie, sous nos yeux étonnés. La nervosité du trait, la virtuosité graphique et la générosité de cette adaptation font de cet album une perle absolument somptueuse. Comment mieux traduire cette farce grotesque mais grinçante qu'avec ce noir et blanc acéré et vif ? Personne n'aurait misé un zloty sur cette adaptation. Et pourtant, le résultat est tel qu'il remplace à lui seul le meilleur des metteurs en scène, une troupe théâtrale professionnelle et un décorateur hors pair !
« Les frères », tome 1 de la série « La gardien de la lance », par Ferry et Ersel. Dans la collection Loge Noire des éditions Glénat.

Jacques Glénat fait partie des éditeurs qui ont intégré le Festival d'Angoulême dans leur politique éditoriale. L'an dernier, il profitait de l'occasion pour lancer « Le Décaloge » avec deux albums d'un coup. Cette fois, ce sont pas moins de quatre nouvelles séries qui démarrent en janvier avec pour point commun leur appartenance à la nouvelle collection dirigée par Didier Convard, « Loge Noire ». Parmi ces quatre séries, « Le gardien de la lance », quatrième projet mené de front par Ersel, le dessinateur des Pionniers du Nouveau Monde, fils spirituel de Jean-François Charles. Heureusement, cette démultiplication se sent moins ici que dans « Les derniers jours de la Géhenne » où le dessin d'Ersel n'est qu'une suite navrante d'imperfections (principalement dans les scènes où apparaissent des voitures). Pour autant, ce « Gardien de la lance » ne séduit guère par son graphisme. Ersel se défend plutôt bien dans ses décors minutieux, mais il ne tient pas ses promesses dans le dessin des personnages. (Un exemple ? Le visage difforme et bigleux d'Aurore dans la septième case de la planche 29. Mais il y en a d'autres...)

Quant à l'histoire, on peut dire qu'au terme de ce premier tome elle reste pour le moins confuse. La ressemblance entre les personnages de Laurent et de Klaus reste inexpliquée, le lecteur devant se contenter d'une mise en place encombrée d'éléments inutiles. Le mystère tient au simple fait que rien n'est approfondi. Ferry joue à fond la carte éculée de l'égyptologie « maudite », on sort les uniformes nazis et les croix gammées comme dans le Prince de la Nuit, on y ajoute des scènes de fesse parfaitement inutiles (comme dans la première page ou, plus incompréhensible encore, comme en bas de la planche 19) et on se demande déjà si « Loge Noire » entend davantage se singulariser par la prétention de son pseudo-intellectualisme ésotérique que par sa qualité.
Le savant fou par Thierry Bellefroid
« Le savant fou », par Stanislas. Aux éditions Reporter.

Stanislas poursuit sa collaboration avec les éditions Reporter, la maison qui avait publié ses très remarquées « aventures d'Hergé ». Il y revient avec cet album au format italien compilant des gags prépubliés durant plusieurs années, d'abord dans la revue « Je Bouquine », puis dans « Fusée » et « Lapin » (Rappelons à ce sujet que Stanislas est l'un des co-fondateurs de L'Association). Ces strips très courts (généralement trois à quatre cases, jamais plus de dix) racontent quelques-unes des expériences souvent loufoques d'un savant qui a le tort d'être génial, distrait, gaffeur et incompris à la fois. Principale source de rire : la famille du savant en question (surtout sa femme), qui fait les frais d'inventions aussi poétiques qu'inutiles, voire encombrantes... et qui garde toujours les pieds sur terre. Pour Stanislas, c'est l'occasion d'opposer le monde de l'invention et sa logique farfelue aux préoccupations pragmatiques des enfants ou de l'épouse du savant -télé, vaisselle, confort... Le choc donne lieu à des situations piquantes, drôles, qui pimentent la lecture de chacune de ces courtes histoires. C'est fin. Aussi fin que le dessin imparable de ce fils naturel de Chaland et Hergé.
« Le premier cercle de l'enfer », tome 2 des Teutoniques, par Rodolphe et Capo. Chez Hors Collection.

Il en aura fallu du temps pour voir enfin cette suite des Teutoniques, série lancée aux éditions du Téméraire peu avant leur disparition et reprise par Hors Collection. Le tome 1 réédité, les deux auteurs peuvent compter sur un nouveau public pour poursuivre cette adaptation du roman de Sienkiewicz. S'il n'y avait pas l'environnement polonais, on pourrait se croire dans un Chevalier Ardent (pas le dernier, qui est en-dessous de tout !) ou à la rigueur dans un Vasco. L'univers des Teutoniques est d'un classicisme de bon ton, il ne risque pas de faire fuir les amateurs d'histoires médiévales, il ne risque pas non plus d'en amener d'autres à découvrir ce genre. Rivalités, amours, traîtrises et coups fourrés en tout genre attendent le lecteur. Le dessin de Bernard Capo manque parfois singulièrement de finesse mais jamais d'ardeur ; ça sent le travail à défaut de grand talent.
Je ne t'ai jamais aimé par Thierry Bellefroid
« Le playboy » et « je ne t'ai jamais aimé » de Chester Brown. Aux 400 Coups.

En publiant presque en même temps ces deux albums du Canadien Chester Brown, la jeune maison d'édition « Les 400 Coups » a frappé fort. Elle nous propose de faire connaissance avec l'univers introspectif d'un maître de la BD autobiographique qui n'a pas peur de ternir son image. Plus « jusqu'auboutiste » encore que Joe Matt (Peep show, paru cet automne aux Humanos) et beaucoup plus sordide que Seth « La vie est belle malgré tout », paru il y a deux ans aux Humanos lui aussi), deux compatriotes de Chester Brown. Ici, l'auteur nous propose un autoportrait décapant dans lequel il passe au scanner ses années d'adolescence. Il le fait au travers d'un graphisme en négatif, dessin blanc sur fond noir, économe et caricatural à la fois.
Dans « Le playboy », l'auteur montre comment une éducation ultra-religieuse castratrice l'a poussé vers la pornographie et comment il s'y est enfermé. On ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise à la lecture de cette confession intime qui n'hésite pas à montrer l'auteur dans les situations les plus scabreuses. Mais il faut lui reconnaître une sincérité désarmante qui va jusqu'à l'humour.
Même constat à la lecture de « Je ne t'ai jamais aimé » qui narre les années d'adolescence durant lesquelles l'auteur fait le dur apprentissage des relations avec les filles. Amoureux transi mais complètement incapable de communiquer, adolescent confronté à une mère malade, il est tantôt touchant tantôt pitoyable. Toujours juste.
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