« La nurse aux mains sanglantes », une enquête de l'inspecteur Canardo, par Benoît Sokal. Chez Casterman.
C'est sûr, Benoît Sokal cherche la manière de se renouveler et de ne pas s'ennuyer. Il faut dire qu'en dépit du nombre assez peu élevé d'albums de cette série, l'inspecteur Canardo existe tout de même depuis... 1978 ! Le précédent opus explorait -avec un bonheur très relatif, rappelons-le- le voyage dans le temps. Celui-ci nous emmène aux Etats-Unis où Canardo, à la manière d'un assistant de Perry Mason, doit aider un avocat à innocenter une cliente promise à la chaise électrique. L'enquête est bel et bien le moteur de l'histoire, et comme toujours, Canardo va la mener à sa manière, se fiant à ses intuitions, buvant des coups, avec cet air du type qui ne contrôle rien et subit les événements. Tout cela est bien classique me direz-vous. Oui, peut-être, la nouveauté est ailleurs. Avec cette histoire ancrée dans un univers géographique très précis -les Etats-Unis-, Sokal change ses habitudes. Cela lui permet de jouer à fond sur les différences culturelles entre Français et Américains. Résultat, d'excellents dialogues au ton désabusé qui ont fait le succès de la série et qui semblent retrouver une nouvelle jeunesse. Exemples :
Premiers dialogues de l'histoire, Canardo débarque aux Etats-Unis. Scène entre lui et le douanier :
-I have no drugs... and no french cheese !
-Fuckin' french duck, pense le douanier.
Un peu plus loin, Canardo fait la connaissance de l'avocat avec lequel il va travailler :
-J'étais sûr de vous reconnaître... un je ne sais quoi d'Européen.
-Excusez-moi Monsieur Keegan, mais huit heures sans fumer, ça m'affole les bronches ! Soyez gentil, laissez-moi le temps de refaire les niveaux...
Et plus loin :
-Faut que je vous prévienne, Canardo, elle n'est pas commode.
-Rassurez-vous, Keegan, ça me connaît... pour nous, en France, les chieuses, c'est un peu une spécialité... comme le camembert et le béret !
-Dites donc, vous êtes plutôt amer. Vous avez eu un chagrin d'amour récemment ?
-Mmh, dans ce domaine, en vieillissant, on n'a plus de chagrin, on n'a que des inconvénients.
Bref, Sokal est au mieux de sa forme et même si l'on est moins ému que par des histoires comme « La mort douce » ou « L'Amerzone » et moins étonné qu'à la lecture de « La marque de Raspoutine », on s'amuse beaucoup à la lecture de ce treizième album. La fin est peut-être un peu attendue et les explications au procès un rien tirées par les cheveux, mais le plaisir est là. Quant aux ambiances volontairement ternes, sombres, confinées, elles sont assez réussies.