« Une autre guerre », tome 1 de « Libre à jamais », par Marvano et Haldeman. Dans la nouvelle collection « Fictions » des éditions Dargaud.
On avait déjà vu des choses étranges dans le monde de l'édition. Mais celle-ci en dépasse sans doute beaucoup d'autres. Plus de douze ans après la fin de la magistrale trilogie de science-fiction « La guerre éternelle » parue dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis, voici qu'une suite voit le jour chez Dargaud... et devient le fleuron d'une nouvelle collection de SF. Pas le choix, l'éditeur doit bien annoncer dans toute sa communication que « Libre à jamais » est la suite de « La guerre éternelle » ; même si « Une autre guerre » a été conçu pour être compris de lecteurs n'ayant jamais ouvert aucun des tomes de la première trilogie, il est clair que c'est dans l'oeuvre initiale que se trouvent les clés de compréhension de cette nouveauté. Surtout que cet album ne raconte pas vraiment la suite de la première partie. Marvano et Haldeman nous éclairent, treize ans plus tard, sur ce qu'est devenue Marigay, la compagne de Mandella, pendant le troisième et dernier album de « La guerre éternelle ». Avec une conclusion parfaitement identique à celle de 1989. Déroutant.
En fait, Joe Haldeman a bien écrit une suite à son roman 20 ans après. Cette suite s'appelle bien « Libre à Jamais » et est l'objet de cette nouvelle adaptation par Marvano. Mais il a aussi écrit une courte nouvelle constituant une transition entre ces deux romans de science-fiction. C'est cette nouvelle que raconte le premier tome de « Libre à Jamais ».
On peut refermer « Une autre guerre » en se demandant ce qu'il apporte de plus à la première trilogie. On y retrouve l'intention première de Joe Haldeman, qui était de s'inspirer de son expérience au Vietnam pour dénoncer l'absurdité de la guerre dans un récit de Science-Fiction. Mais cet album étant un élément de transition entre deux cycles, il n'est en rien révélateur de ce qui attend le lecteur dans la future série ; « Libre à jamais » racontera en effet essentiellement comment Marigay, Mandella et leurs deux enfants vivent la paix après la fameuse Guerre Eternelle. Et comment ils intègrent une société où, a priori, ils n'ont plus leur place. Car dans « Libre à jamais », l'ennemi de l'homme, c'est l'homme. Après avoir banni l'hétérosexualité pour juguler la croissance démographique, la Terre a en effet été un pas plus loin. Et c'est ce pas qui lui a permis de faire la paix avec l'ennemi de toujours, le Tauran, à qui, pour la première fois, Marvano donne un aspect physique, plutôt réussi, d'ailleurs. Il faut dire que le dessinateur a eu l'occasion d'évoluer, durant toutes ces années. Toujours en compagnie de Joe Haldeman, il a créé entre-temps chez Dupuis la série « Dallas Barr », dans laquelle on retrouve certains points communs avec « La Guerre éternelle ». Son dessin est devenu plus fluide, « plus BD » et l'on retrouve cette nouvelle patte sur « Libre à jamais ». Très rond -jusque dans les formes d'une Marigay méconnaissable- son trait est bien plus lisible qu'à l'époque de « La guerre éternelle ». Les couleurs de Bruno Marchand, complice de la première heure, reflètent bien la palette du dessinateur de « Little Nemo » ; on y trouve la même prédilection pour le bleu azur et l'ocre.
Ce prologue n'est pas un coup dans l'eau. Il permettra à tous de posséder le « décodeur » nécessaire à la lecture de « Libre à jamais ». Pour l'instant, cela fait à peu près le même effet que quand Moebius et Jodorowski nous avaient balancé en 2000 un « Après l'Incal » qui s'intercalait avant la fin de la série initiale. Mais la suite devrait prendre un tournant radical... Et prouver que Haldeman a tiré le meilleur parti de la science-fiction, qui est d'être une métaphore de la société contemporaine.