Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« La prophétie des amants », tome 1 de la série « Le dernier rituel ». Par Makles, Recht et Lencot. Chez Soleil.

Manifestement davantage influencé par l'école Lauffray/Alice/Dorison que par l'école Tarquin, Recht nous propose un album efficace et particulièrement soigné au plan du découpage. Il faut dire que la matière fournie par son scénariste est loin d'être mauvaise, à défaut d'être hyper originale. « Le dernier rituel » est en effet à cheval sur plusieurs genres et renouvelle agréablement le style « héroïc fantasy » exploité jusqu'à la moelle par les éditions Soleil. On ne s'en plaindra pas. Au contraire, Sesterce, le héros de cette histoire, mérite une jolie carrière. Face au « Pâle seigneur de la guerre », mystérieux bienfaiteur vénal, et face à Nécrom, un démon assoiffé de sang, Sesterce est parfait en mercenaire musculeux et peu scrupuleux. Il permet à Makles de jouer à fond la carte de l'humour, ce qui sauve cet album et lui donne la légèreté qui manque à la plupart des productions actuelles du genre.
« Taille blanche », tome 1 de la série « Un diamant sous la lune ». Par Warnauts et Raives. Chez Casterman.

L'une est noire, l'autre blanche. Elles ont le même père, Ange, un ancien du FBI qui ne s'est jamais remis d'avoir servi de bouc émissaire dans une arnaque aux diamants montée au Congo. Et voilà que les deux filles de Ange, Kadidja et Martha, ont disparu à Anvers. Ange va très vite se rendre compte que l'histoire se répète. L'occasion pour Warnauts et Raives de lever le voile sur les éléments du passé à travers des flash-back et des conversations entre les protagonistes de cette histoire. La lecture de ce premier album s'apparente parfois à un parcours d'obstacles. Mais cette façon de dérouler le récit par les deux bouts a ses charmes et menée avec intelligence, elle évite bien des écueils. Résultat, ce premier album est certes classique, mais néanmoins intéressant, à défaut d'être attachant. On y retrouve tous les ingrédients préférés du duo Warnauts-Raives -certains diront leurs tics- mais avec un certain punch qui n'est pas toujours présent dans leurs albums. On espère juste que l'histoire tiendra ses promesses, car c'est souvent dans le deuxième tome de leurs séries que les duettistes perdent des points.
Réinventer la bande dessinée par Thierry Bellefroid
« Réinventer la bande dessinée », par Scott Mc Cloud. Chez Vertige Graphic.

Tout véritable amateur de BD possède dans sa bibliothèque « L'Art invisible », véritable bible en images dans laquelle Scott Mc Cloud livre les clés de compréhension du Neuvième Art. Fort de cette expérience, l'auteur s'est investi dans un travail similaire qui paraît aujourd'hui en français sous le titre alléchant de « Réinventer la BD ». Malheureusement, une grande partie des lecteurs risque de déchanter. Tant le premier livre était universel, tant celui-ci apparaît comme américano-centriste et nous laisse souvent sur notre faim. Les douze révolutions de la BD contemporaine explorées par le « docteur Mc Cloud » ne sont pas toutes applicables à notre marché, loin de là. Et le discours apparaît souvent comme pompeux, voire prétentieux. A la limite de l'ennuyeux, parfois, ce volumineux ouvrage de plus de deux cents pages devrait intéresser un public de professionnels et de fans de la BD US.
Poèmes de Victor Hugo par Thierry Bellefroid
« Poèmes de Victor Hugo en bandes dessinées ». Album collectif. Chez Petit à Petit.

Pas la peine de vous rappeler que 2002 est l'année Hugo. Si vous ne le savez pas encore, c'est que vous ne le saurez jamais ! L'occasion était trop belle pour que les éditions Petit à Petit la laissent passer. Voici donc un recueil d'une centaine de pages sur le même mode que ceux consacrés à la chanson française (Vian, Piaf, Higelin, Gainsbourg...) ou celui consacré à Baudelaire. Les poèmes choisis sont restitués dans leur version écrite, commentés avec humour et esprit (mais parfois une envie gratuite de faire de bons mots qui manque de retenue) par Christophe Renault puis mis en images par des dessinateurs le plus souvent peu ou pas connus. Le résultat est loin d'être inintéressant. Certains réussissent même l'exercice haut la main comme Gwendal Lemercier, Estelle Meyrand ou Eric Nosal. D'autres sont moins heureux et quelques-uns, mais ils sont rares, ne sont pas loin de faire injure à Victor Hugo. Dans l'ensemble, la lecture de ce petit livre est un joli moment à la redécouverte des mots de l'écrivain.
« Le châtiment », tome 1 de la série « Le passeur des étoiles ». Par Sofia, Frasier et Jewel. Dans la collection « Fictions » des éditions Dargaud.

Bonne surprise pour ce deuxième album de la collection « Fictions ». L'idée est intéressante et son traitement réussi, même si le jargon et les situations enchaînées sous forme de courtes séquences ne manquent pas de dérouter au début.
« Celui qui se comporte en animal est transformé en animal et devient la proie des chasseurs ». Sur la planète Penitence IV, les châtiés sont abandonnés à leur sort, qui est de devenir des monstres hideux assoiffés de sang, poursuivis par les chasseurs. Parmi les châtiés, Jason, fils d'un maître marchand, est abandonné à son tour. Il se transforme en animal comme tous les autres, mais sa conscience se réveille lorsqu'il entend, un peu plus tard, les appels à l'aide d'une petite fille, sa fille. Le piège se referme sur Jason, devenu le mutant le plus recherché de la Fédération. En fait, derrière l'animal se cache un « gambit », un passeur d'étoiles. Sa capture va déclencher une chasse en cascade où chacun est le gibier des autres. Avec un rebondissement inattendu dans la toute dernière page.
Mené sur un rythme soutenu, ce premier tome ne dit encore rien de ce qu'est le gambit. Mais l'histoire tient, malgré tout, le lecteur en haleine jusqu'au bout. Le dessin « à quatre mains » est élégant et nerveux, manifestement inspiré par des aînés comme Tarquin et Lauffray. En jouant une carte proche de l'héroïc fantasy et une autre qui s'annonce beaucoup plus proche de la pure science-fiction, les auteurs ont réussi leur coup.
La lagune (Caroline Baldwin) par Thierry Bellefroid
« La lagune », tome 8 de la série Caroline Baldwin. Par André Taymans. Chez Casterman.

Baldwin serait-elle en train de devenir un Blueberry au féminin ? L'enquêtrice de choc créée par André Taymans ne cesse de descendre les marches de l'enfer depuis quelques albums. D'abord, il y a eu la révélation de sa séropositivité. Puis elle s'est retrouvée accusée de meurtre. Et la voilà qui s'enfonce dans les emmerdes tout en tentant de trouver les preuves de son innocence. Face aux rebelles birmans -et à des ennemis aux bien plus sordides motivations- la belle Caroline se trouve très démunie et semble subir les événements plus que les contrôler. On se demande au terme de ce huitième album quel sort tragique a bien pu lui imaginer André Taymans pour la suite de cette aventure. Espérons tout de même qu'un rayon de soleil vienne la caresser de temps en temps. C'est vrai, Caroline n'a jamais eu un profil de super-héroïne, mais on l'aime bien. Et on ne voudrait pas qu'elle continue à être la seule à en prendre plein la tronche ! A part ça, ce huitième album est mené sur un rythme soutenu, dans des décors bien exploités qui rapprochent encore Taymans de son maître à dessiner, Cosey. « La lagune » apparaît comme une transition délassante entre « Raison d'Etat » et le neuvième album à paraître.
Nautiliaa (Atalante) par Thierry Bellefroid
« Nautiliaa », tome 2 de la série Atalante. Par Crisse. Chez Soleil.

Crisse poursuit son adaptation de la mythologie grecque. Avec autant de bonheur que dans le premier épisode. Atalante a pris un coup de fraîcheur sous ses pinceaux. Son monde est attachant et joliment poétique. La jeune femme a embarqué avec les cinquante argonautes et Jason pour une longue équipée. Mais la rencontre d'étranges dauphins va sensiblement rallonger le voyage. Bestiaire parfaitement maîtrisé, sens de la narration et du découpage font de cette adaptation un conte absolument contemporain. On reprochera peut-être à l'auteur de se laisser aller à donner trop de détails dans certains dessins, qui finissent par être surchargés. Mais à côté de cela, on s'amuse à redécouvrir l'histoire de Jason et des argonautes, à condition, bien sûr, d'épouser le style de Crisse -on est évidemment à des années-lumières de la BD à la Jacques Martin qui, pour des générations de lecteurs, est la voie à suivre pour parler de l'antiquité !
L'échange (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« L'échange », tome 6 du Décalogue, par Giroud et Mounier. Chez Glénat.

Un sixième album qui commence comme un remake de Titanic. Mais qui sait s'en éloigner pour tisser une histoire machiavélique et parfois sordide où les personnages de la haute société et de la classe ouvrière apparaissent aussi veules et intéressés les uns que les autres. Nous sommes à New York, au début du vingtième siècle, l'âge d'or des émigrants. Deux familles vont nouer leurs destins sur le bateau qui les mène aux Etats-Unis. Tout les oppose. Nahik, le « livre maudit », va les réunir. Et Giroud va prendre un malin plaisir à tisser entre elles des liens forts, inattendus, au-delà de vingt années d'ignorance réciproque. L'histoire est redoutable, même si certains protagonistes cachent mal leur jeu (à l'exemple de Meg, professeur de dessin de la jeune Alice, dont la première apparition indique déjà quel rôle elle jouera dans l'histoire). Giroud pouvait difficilement mieux exploiter le sixième de ses dix commandements : tu honoreras ton père et ta mère. On sait depuis Mauriac que les histoires de famille sont un inépuisable nid... de vipères et de passionnants rebondissements. Frank Giroud n'a pas raté l'occasion de construire un excellent récit dans lequel il jette des ponts vers le passé et vers le futur de la série, à travers de petites révélations sur ce mystérieux livre au centre de son Décalogue. Quant à Alain Mounier (« Dock 21 » chez dargaud, « Exit » chez Albin Michel), il joue ici une partition sans faute de goût qui rend parfaitement compte de la physionomie new yorkaise du début 1900.
Escapo par Thierry Bellefroid
« Escapo » par Paul Pope, chez Vertige Graphic.

Sorte de Houdini romantique, Escapo est le roi de l'évasion. Aucune serrure, aucune chaîne ne peut le retenir. Dans le cirque où il officie, il est pourtant l'objet de railleries quotidiennes. Car Escapo est amoureux d'une inaccessible étoile, Aerobella, l'acrobate. Son visage difforme ne lui laisse guère d'espoir de séduire la belle. Alors, Escapo se prend à espérer que son romantisme l'emportera. Il lui écrit des poèmes, lui demande de se déclarer. Devant la fadeur des sentiments d'Aerobella, Escapo va multiplier les risques et jouer un jeu dangereux avec la mort. Entre envies suicidaires et doute personnel, le roi de l'évasion va perdre pied. Mais chaque numéro imaginé par Paul Pope est une lutte à mort avec la mort elle-même. Il ne s'agit pas de se contenter de petits tours de passe-passe pour se défaire de chaînes et de cadenas. A chaque fois, Escapo est plongé dans des machines infernales qui peuvent le noyer, le lacérer ou le broyer s'il met quelques secondes de trop à se libérer.
A la limite du fantastique, avec un talent de metteur en scène époustouflant, Paul Pope installe un petit musée des horreurs sous son chapiteau. Il distille l'angoisse et l'effroi. Son dessin semble habité par une énergie propre, véritable geyser d'encre de Chine. Le lecteur a l'impression d'assister à un spectacle de cirque après avoir bu et fumé toute la nuit, il y a quelque chose de profondément halluciné dans tout cela, qui se prolonge jusque dans un lettrage parfois difforme qui semble avoir une vie propre. Inventif, d'une stupéfiante vitalité, voilà un album qui ne laisse pas indifférent.
« Sheriffmuir », tome 1 du Chant des Terres. Par Tieko et Wallace. Chez Paquet.

Les Highlands, la révolte contre les Anglais, les clans, les kilts et une grande histoire d'amour contrariée, tous les ingrédients d'une saga de BD genre « Glénat Vécu » sont réunis. Entre l'Histoire et le destin d'un jeune chien fou revenu de France pour rejoindre son clan, Wallace promène son scénario sans faire preuve d'une imagination débordante. Tout cela n'est guère innovant. Ajoutons-y une vieille rivalité clanique, un espion -ou une espionne ?- aux motifs encore obscurs, et l'on a fait le tour de la question. Le scénariste parvient, heureusement, à ne pas être l'esclave du contexte historique. Quant au dessinateur, Tieko, il est assez inégal. Ses pages sont grandes, aérées, lisibles. Ses couleurs parfois un peu criardes. Mais ses ciels sont plus écossais que nature. Restent quelques maladresses dans les visages qui gâchent parfois le travail. Des visages où l'on peut lire à la fois l'influence de l'écurie Vécu sur son dessin... et celle d'Albator. Ce qui n'est pas courant !
Une BD qui plaira aux fans du film « Rob Roy ».
« Pas d'enfance pour les héros », tome 2000 des aventures de Voltige et Ratatouille. Par Pascal Jousselin. Chez Treize Etrange.

Pascal Jousselin est le créateur de Voltige, le justicier galactique que se refilent divers scénaristes et dessinateurs pour lui faire vivre des aventures en noir et blanc au format de poche, chez Treize Etrange. C'est donc tout naturellement à Jousselin que revient aujourd'hui la lourde tâche de camper les origines du héros dans un premier album cartonné en couleur. Voltige -sans Ratatouille- n'est encore qu'un petit gamin surdoué aux allures de Schtroumpf à lunettes : il sait tout, raisonne tout le monde, vexe la moitié des adultes qui l'entourent et n'a pas d'autre ambition que de sauver le monde. Mais là où le Schtroumpf à lunettes est passablement énervant et pathétique, Voltige est drôle et léger. Jousselin s'amuse beaucoup et le lecteur ne peut que lui emboîter le pas. Son aventure respire la fraîcheur et la spontanéité. Amusant, imaginatif, sans prétention, ce petit album constitue un excellent moment de détente. D'autant que le dessin de Pascal Jousselin possède les mêmes qualités que son scénario.
Qui est Renard Bleu ? (Jeremiah) par Thierry Bellefroid
« Qui est renard bleu ? », tome 23 de la série Jeremiah, par Hermann. Chez Dupuis.

Une fois de plus, il faut reconnaître à Hermann un très grand talent dans la découpage et la narration. Il n'y a que lui pour parvenir à nous raconter une histoire de trafic sexuel d'enfants à destination de notables sans tomber dans la démonstration ou la mièvrerie (ce qui n'évite pas la caricature pour autant !). « Qui est renard bleu ? » (le titre sans doute le plus stupide de toute la collection !) est un album au rythme tendu et saccadé. Il faut dire qu'un scénario de Jeremiah ne se laisse jamais approcher du premier coup. Le père Hermann connaît la musique sur le bout des doigts : il brouille les pistes sans jamais perdre de vue l'effet final. Avec une conclusion inattendue et des ingrédients bien amenés au cours de l'histoire, il vous fait entrer dans son monde fait de désillusion, de violence et de misanthropie. Voilà un homme qui ne croit plus en l'homme depuis longtemps.
Le reste, ce sont les ingrédients habituels : les femmes plus laides les unes que les autres (sauf, peut-être, Gazoleen qui, pour les besoins de l'histoire, est presque mignonne... à condition de ne pas se souvenir de la jolie Comanche de nos jeunes années !), les couleurs directes très kitsch et les gueules qui se ressemblent à peu près toutes depuis vingt ans. Mais il y a aussi le sens du mouvement, l'équilibre de la page, la tension permanente du récit.... De toute façon, pas la peine d'essayer de convaincre ceux qui détestent d'ouvrir cet album-ci plutôt que les précédents. Pas la peine non plus de nuancer pour les autres. Hermann, on aime ou on déteste.
Le vengeur (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« Le vengeur », tome 5 du Décalogue, par Giroud et Rocco. Chez Glénat.

On attendait avec impatience cette nouvelle livraison de deux albums du Décalogue. On peut difficilement être déçu. Même si Rocco n'a pas le talent graphique d'un TBC, auteur du volume précédent, le scénario concocté par Frank Giroud sur fond de génocide arménien reste un modèle du genre. Une fois de plus, Frank parvient à mêler l'Histoire, le destin tragique de quelques personnages de fiction, son intrigue horizontale menée sur les dix albums de la série et la métaphore d'un des dix commandements de son Décalogue. L'histoire est poignante malgré son côté prévisible. Elle révèle toute la difficulté du poids du passé et de celui de la vengeance pour les rescapés des génocides (on peut appliquer les mêmes éléments à la Shoah ou au génocide rwabdais...) Quant à Nahik, le livre qui sert de fil rouge, il est loin d'avoir livré tous ses secrets. Principal bémol : le recours presque systématique aux larmes pour exprimer la détresse des personnages. Résultat : un album « surjoué », avec un côté larmoyant qui finit par ôter une part de crédibilité à l'histoire.
« La tournée du facteur », tome 2 du Vieux Ferrand, par Gibelin et Aris. Chez Delcourt, dans la collection Sang-Froid.

Suite de l'histoire des Ferrand et de celle de Myriam Lopez, jolie bourgeoise échouée à Choucas, un petit village dont les maires ont toujours été des Ferrand, de père en fils. Mais si le premier album semblait essentiellement tenir de la chronique villageoise avec pour personnage principal le Vieux Ferrand, un patriarche autoritaire et violent fou de désir pour la nouvelle arrivante, ce deuxième tome révèle une histoire bien plus complexe, dans laquelle le mari de Myriam, ingénieur sur une plate-forme pétrolière au Venezuela, trouve sa place. On sent que Gibelin a encore plus d'un tour dans son sac pour nous étonner. Et même si le rapport à la pédophilie et plus encore celui à l'inceste père-fille sont des sujets délicats à aborder dans une fiction, il faut reconnaître que le scénariste s'en sert jusqu'ici avec beaucoup d'intelligence. Secrets de famille, traîtrises, maîtres-chanteurs et espionnage industriel dans une même histoire... il fallait oser. Christophe Gibelin n'est pas à son coup d'essai, il s'en sort avec un sans-faute, jusqu'ici. Quant à Aris, il excelle dans les expressions des personnages, même s'il ne dessine pas tout avec un égal bonheur.
Berlin, la cité des pierres par Thierry Bellefroid
« Berlin, la cité des pierres, livre premier », par Jason Lutes, au Seuil.

Porté aux nues par la critique dès sa sortie, cet album a tous les défauts de ses qualités. C'est vrai que Jason Lutes parvient à rendre avec un talent indéniable l'ambiance de Berlin à l'aube des années trente, dans cette trouble période de l'entre-deux guerres qui verra Hitler confisquer la république allemande en jouant sur l'humiliation du Traité de Versailles. C'est vrai que pour un Américain, Lutes ne s'en laisse pas compter ; il fouille l'histoire de la ville à la recherche des petits et grands faits qui éclairent l'Histoire tout court. Opposition entre une social-démocratie qui cache ses intentions sous un vernis de respectabilité et un communisme trop délibérément importé de Russie, le climat politique est remarquablement dépeint et exploité par le scénariste dans cette première partie.
Mais publié dans un format trop petit, le livre est parfois à la limite du lisible ; il faut en tout cas d'excellents yeux pour en déchiffrer tous les textes et parfois, rester accroché. D'autant que les personnages secondaires sont (très) nombreux et pas toujours faciles à identifier. A la réflexion, Jason Lutes en fait un peu trop. Plutôt que de se focaliser sur son attachant couple de héros, un journaliste intellectuel et une fille de militaire attirée par l'exercice de la peinture « en liberté », il multiplie les intrigues parallèles et les instantanés. Résultat, il faut s'accrocher pour passer le cap des 104 premières pages au-delà desquelles démarre vraiment l'histoire. En dehors de ce reproche, on ne peut que louer une oeuvre intelligente, éducative et ambitieuse qui n'a pas fini de nous étonner puisque ce pavé de 209 pages n'en est que la première partie.
« Du poil sous les aisselles », volume 1 de « 4 têtes à claques », par Alejo Garcia et Feliciano Garcia. A la Comédie Illustrée.

Paru sous le titre original de « 4 Segundos », cette BD argentine méritait bien une traduction française. Quatre jeunes gens très « branchés filles » passent leur temps à foirer des coups. Il y en a toujours un des quatre qui dit le truc qu'il ne faut pas en présence de LA fille à tomber raide mort. Complètement obsédés par les Françaises qui auraient du poil sous les aisselles, nos quatre Argentins (enfin, surtout trois, parce que le quatrième est une sorte d'Averell toujours en retard d'une guerre) passent des heures à mater des vidéos de cul ou à tenter d'apercevoir les dessous de bras de Nanette, une jeune et délicieuse Française. Alejo Garcia et Feliciano Garcia s'en donnent à coeur joie, sans tabous mais sans jamais sombrer dans la vulgarité (même quand il s'agit de contempler le contenu hors-norme du vase des chiottes à la suite d'un régime alimentaire suivi par Terli). Avec un dessin léger, économe, des dialogues inventifs et une imagination débridée, ils concoctent un premier album souvent drôle, parfois même franchement hilarant qui emprunte quelques recettes à la comédie de boulevard, surtout sur la fin.


Pussey ! par Thierry Bellefroid
« Pussey ! » par Daniel Clowes, chez Rackham.

Toujours déroutant, l'auteur de « Ghost world », « Caricature » ou encore « Comme un gant de velours pris dans la fonte » est de retour avec un album à prendre définitivement au second degré. « Pussey ! » raconte l'avènement, l'ascension et l'inévitable chute d'un dessinateur de comics génial, qui répond au nom de Dan Pussey. Laid et passablement imbécile, celui qui deviendra une star de la BD US doit tout à son mentor, Doc Infinity, un fin renard qui règne sur les comics depuis des décennies... et qui est finalement le vrai héros de cette histoire. Grinçant, le récit dénonce tous les travers de la BD d'aujourd'hui et égratigne au passage les modes graphiques et picturales, quelles qu'elles soient. Il faut dire que Clowes tire sur tout ce qui bouge, pour notre plus grand plaisir, ridiculisant tant son personnage principal et ses condisciples que les collectionneurs de BD et le marché en général. C'est particulièrement réjouissant, bien raconté et joliment mis en scène. Sans effets inutiles mais avec quelques moments un rien bavards qui pourraient décourager certains amateurs non avertis.
Yaylalar par Thierry Bellefroid
« Yaylalar », par Alain Corbel. Dans la collection Feu ! des éditions Amok.

On le sait, l'un des fers de lance d'Amok est de jeter des ponts entre la littérature et l'image. En ce sens, la démarche de ce Breton qui fut parmi les pionniers de la BD indépendante est presque un credo. Alain Corbel interroge ses propres lectures et puise dans la force des mots une énergie créatrice qu'il transforme en images. Mais sans redondance. On est loin de la traditionnelle BD franco-belge. A des années-lumière. Chaque dessin occupe une demi page et chacun d'entre eux est un tableau mystérieux où l'encre de Chine est à la fois domestiquée et libre, légère et précise. Le pot d'encre, c'est le sac à dos de Corbel. Cet éternel voyageur -il vit aujourd'hui au Portugal- peut en quelques traits vous emmener sur les traces des trois Marie de Palestine à Marseille en mélangeant les citations littéraires qui viennent nourrir son propos. L'instant d'après, vous faites la sieste sous un figuier espagnol avant de goûter une fantaisie de la mémoire qui vous mène en Anatolie en passant par le « souk » bruxellois. « Yaylalar », nom d'une chanson populaire turque, est d'une esthétique magistrale et poétique à l'accès forcément mal aisé. Mais il ouvre une porte tant sur la Méditerranée que sur les voyages intérieurs que nous ne ferons jamais qu'en lecture.
Goldy (Golden City) par Thierry Bellefroid
« Goldy », tome 4 de Golden City, par Pecqueur, Malfin, Schelle & Rosa. Chez Delcourt.

L'air de rien et sans grand tapage, Golden City est devenu en trois albums à peine l'une des locomotives des éditions Delcourt. Cette histoire a effectivement tout pour plaire. Un héros sympathique (bien que riche, comme quoi, ce n'est pas incompatible...) pris dans une sombre machination, des personnages secondaires attachants, des rebondissements incessants et un dessin d'une redoutable efficacité. A ce sujet, il faut signaler que chaque album pousse Nicolas Malfin à davantage de lisibilité encore, jouant toujours plus la ressemblance avec le dessin d'animation.
Evidemment, Golden City n'est pas exempt de défauts. Le principal est sans doute de traîner l'histoire en longueur en dépit de trouvailles originales pour que le lecteur ne s'en aperçoive pas. Mais il y a aussi quelques moments purement réjouissants. Comme celui des révélations faites par la mère de Harrison par delà la mort. On ne s'attend pas une seconde à l'issue que le scénariste a réservé à ces révélations posthumes contenues sur un disque. Bien joué. Bien joué aussi, la présence d'une charmante Inuit qui ajoute une petite touche romanesque à l'histoire. Mais un jour ou l'autre, il faudra que notre héros rentre à Golden City et aille exiger des comptes. Le plus tôt serait sans doute le mieux, ce qui ne signifierait pas pour autant clore l'histoire en un tome ou deux. Juste qu'à force de tourner autour, on aimerait que Harrison aille défier son double.
« La guerre d'Alan, tome 2 », par Emmanuel Guibert. A L'Association.

Suite des souvenirs du jeune G.I. Alan Ingram Cope, retranscrits par son ami Emmanuel Guibert. Cette fois, on entre dans le vif du sujet : Alan débarque en France, en 1945. Il nous offre une vision très personnelle de la guerre, de « sa » guerre. Truffé d'anecdotes inattendues, son récit est totalement décalé ; on est loin des images du débarquement en Normandie et des films de guerre. Plongé dans le quotidien du soldat américain, on découvre avant tout l'ennui, l'inaction, la curiosité et les petites choses de tous les jours dans un peloton qui paraît avoir été laissé à l'abandon par les grands généraux. Cette réflexion sur la guerre est déroutante. L'ennemi est invisible, la peur ne fait que de rares apparitions, mais la voix off égrène des souvenirs et des impressions qui mettent mal à l'aise. Désorganisation, absurdité, les mots qui viennent en tête sont loin d'être louangeurs. Ce sont pourtant ces soldats qui ont fait changer le cours de la guerre, en 44. Mais sans doute arrivé un rien trop tard sur le Continent, Alan Cope « se contente » des restes. Il les raconte à sa manière, qui est avant tout faite d'une précision presque maniaque. Guibert tente de se faire oublier derrière les mots de son ami, de « servir » le texte. Mais quand on possède un tel talent graphique, se faire oublier est un voeu pieux. Chaque page possède son lot d'images fortes. Une fois encore, la technique est au service de l'histoire et non l'inverse. La force des grands.
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