Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La lumière de minuit (S.T.A.R.) par Thierry Bellefroid
« La lumière de minuit », tome 1 de S.T.A.R.. Par Cayman et Delperdange. Chez Casterman.

Les cyber-technico-scientifico-thrillers ont la cote. En voilà un de plus. Ni plus mauvais -au contraire- ni meilleur que la moyenne. Se basant sur des études existantes, le romancier Patrick Delperdange (qui est aussi scénariste pour la télé, le cinéma... et la BD, où il a commis les deux catastrophiques albums de la série Mac Namara) nous propose une histoire attrayante avec une galerie de personnages au profil atypique dans le rôle des enquêteurs. En effet, il s'agit de scientifiques qui ont pour mission de retrouver un sujet d'expérience kidnappé. L'idée est excellente puisqu'elle envoie se rhabiller les clichés sur les privés et autres flics qui pullulent dans ce genre d'histoires. Tiens, puisqu'on parle de se rhabiller, c'est pas que je sois spécialement prude, mais il y a quand même une certaine propension à dessiner des jeunes filles dénudées qui a le don de m'énerver, parfois. Surtout quand les scènes de nu en question ne font pas avancer l'histoire d'un iota. Et semblent n'être là que pour faire plaisir au dessinateur (en l'occurrence Thierry Cayman, qui dessine un album honorable, sans plus), ou pour racoler certains lecteurs.
« Avec ou sans sucre », deuxième tome de Inspecteur Moroni. Par Delisle. Chez Dargaud.

S'il continue comme ça, Moroni deviendra bien vote l'un des inspecteurs de police les plus drôles de la BD. Il faut dire que Delisle a choisi son casting avec soin. Et qu'il nous concocte des scénarios bien tordus. Dans cette deuxième aventure de ce flic intègre, intello et insipide, on assiste plutôt à une fable sur la vie de bureau qu'à une intrigue policière. C'est succulent de justesse et Moroni joue son rôle d'imbécile candide à la perfection. Son tandem avec son chien est parfait et l'oscar du second rôle est à partager entre le nouveau collègue de l'inspecteur, Pedro, et une certaine Irma qui essaie en vain de le déniaiser. Le dessin épuré de Guy Delisle fait le reste. On lit cette BD d'une traite, riant sous cape de la bêtise de ce 1er de classe handicapé social. Et on en redemande.
Mr Robinson (Jessica Blandy) par Thierry Bellefroid
« Mr Robinson », tome 20 de Jessica Blandy. Par Dufaux et Renaud. Chez Dupuis.

Jessica Blandy en vitesse de croisière. On retrouve les personnages récurrents de la série, Robby en tête. On retrouve aussi l'ambiance qui prévalait dans la toute première histoire de Jessica, « Souviens-toi d'Enola Gay / La clinique du docteur Zak ». Mais la surprise, elle, n'est plus au rendez-vous. Les personnages sont particulièrement stéréotypés, pour ne pas dire archétypiques. Quant aux rapports qui existent entre eux, le seul intérêt de l'album est peut-être d'avoir fait évoluer la relation entre l'héroïne et Robby. Mais tout cela ne fera pas de cette vingtième aventure de la sexy romancière un monument de la BD. Pas plus que les couleurs toujours aussi criardes de Renaud. On remarquera en revanche une certaine retenue, puisque les auteurs ont réussi à ne pas déshabiller leur héroïne durant 46 planches (bon, on a quand même droit à une bande de Dim Up par-ci par-là, on ne se refait pas...). Par ailleurs, l'hommage rendu à Jessica par douze dessinateurs complices de Dufaux sur d'autres séries ressemble à un acte manqué. L'idée n'est pas mauvaise, surtout que l'éditeur y a ajouté des planches inédites coupées « au montage » et dessinées par Renaud. Mais pourquoi, alors, avoir fait de cet objet une sorte de cahier jetable broché, sans aucun soin ? C'est comme un gâteau d'anniversaire avec une bougie par décennie au lieu du nombre exact.
« Pour solde de tout compte », tome 1 de « Hack & Cash », par Alain Maindron, chez Albin Michel.

Chassant sur les « terres » de Chris Lamquet (« Norge » au Lombard), Alain Maindron nous offre un nouveau cyber-thriller tout-à-fait dans l'air du temps. Quelques inoffensifs « hackers du dimanche » tombent sur un truc énorme et mettent le doigt dans l'engrenage fatal. Une seule d'entre eux va en réchapper, Aka. Elle n'aura qu'un but en tête : faire payer cash les morts de ses amis. Et si elle peut s'enrichir au passage, pourquoi pas ? En deux temps trois mouvements, la voilà dans la cour des grands, alliée d'un ponte de la maffia russe, établie plus ou moins à son compte, avec trois hackers du tonnerre qui travaillent pour elle. Pas très crédible... mais mené sur un rythme trépidant qui ne laisse pas nécessairement au lecteur le temps de se poser beaucoup de questions. Le tout est emballé en « 3D » façon jeu vidéo. Ça plaira forcément à quelques fans de Lara Croft. Mais il y a en aura au moins autant qui seront incapables de dépasser la deuxième page.
Hellblazer, Hard Time par Thierry Bellefroid
« Hellblazer, Hard Time », par Richard Corben et Brian Azzarello. Chez Toth.

On m'avait prévenu. « Cette BD est l'une des plus violentes que j'ai lues ». J'ouvre « Hellblazer » et un rapide coup d'oeil me dissuade de croire à cette mise en garde. A première vue, le dessin de Richard Corben s'est plutôt assagi et l'hémoglobine n'a pas l'air de couler à toutes les pages. Pourtant, la lecture de cet album requiert un moral d'acier. « Hellblazer » est une descente aux enfers en milieu carcéral comme rarement on en a vu en BD. Autour de Constantine, tous les détenus sont bien à leur place ; dans un gang ou sous la coupe de l'un ou l'autre « exploiteur sexuel ». On ne voit pas grand chose, mais texte et dialogues suggèrent le pire. Puis, Constantine pète les plombs et entraîne toute la population de la prison dans son délire. A la manière d'un Apocalypse Now carcéral, le lecteur découvre l'horreur d'une violence gratuite, crue, animale. Corps décapités, humiliations et viols collectifs entre détenus, crémation... tout y passe. Et débouche sur un final hallucinant dont on ne sort forcément pas indemne. Ames sensibles et romantiques, passez votre chemin !
CQFD par Thierry Bellefroid
« CQFD. Or, c'était la nuit ». Par Avrit et Blanc. Chez Casterman.

Avec sa tronche de Théodore Poussin coincé dans son marcel, le héros de cette histoire loufoque n'a pas fini de faire couler de l'encre. Certains détestent, d'autres adorent. Je suis par moment dans chacun des deux camps. Mais le plus souvent dans le premier. L'écriture est audacieuse. Et l'audace, quand ça paye, ça paye bien. Il y a des phrases qui font mouche et vous font oublier les dix-huit cases creuses que vous venez de lire (genre : « demain, les chiffres vont sortir les dents » ou « N'importe quoi, c'est la route du sommeil »). Il y a des phrases pompeuses, aussi ; les allitérations pour les allitérations, l'effet pour l'effet. Et les faussement originales, du genre qui sonnent bien mais qu'on a déjà vues (« un comptable qui ne compte pour personne. Comptant toujours et jamais content ») Et puis, il y a celles qui sont carrément gonflantes comme cette tirade où notre comptable devise avec son double (« Votre « je » manque de conviction ». « Je sais que je ne me ressemble pas ». « Je ne vous le fais pas dire ». « J'ai d'autres chats en tête que de paraître ce que je suis ».) Bref, à boire et à manger, comme dans le dessin qui, à partir d'un graphisme caricatural parcouru de hachures, parvient à se gâcher magistralement la vie en s'emplissant parfois de couleurs d'un kitsch rare. Mais surtout, ce qui l'emporte, c'est cette impression finale que CQFD est un objet définitivement creux et que les auteurs de ce livre n'avaient rien à raconter. Dès ce moment-là, on en vient à se demander pourquoi on a disserté sur le plus et le moins réussi de l'entreprise. C'est le produit dans son ensemble qui ne mérite guère qu'on s'y attarde.
« La frontière invisible, tome 1 », par Schuiten et Peeters. Dans la collection des Cités Obscures, chez Casterman.

Un nouvel album des Cités Obscures est toujours un événement. A bien y regarder, les auteurs en ont produit peu au cours des vingt ans qui viennent de s'écouler depuis « Les murailles de Samaris ». Celui-ci est à la fois dans la lignée de la série et très différent. D'abord, bien sûr, parce qu'il propose une histoire en deux tomes, ce à quoi les auteurs ne nous avaient pas habitué. Mais c'est finalement le moins important. Ce qui est beaucoup plus frappant, c'est la rupture totale de cet album avec le reste du monde des Cités Obscures. Presque pas de références aux autres cités, un univers visuel particulièrement dépouillé et dont la ville est pour ainsi dire absente (sauf à considérer que le dôme où se déroule l'histoire est comme une ville en miniature), le tout complété par un désert de sable omniprésent.
Mais il y a d'autres ruptures. Sur le fond, Schuiten et Peeters choisissent de montrer comment la cartographie est exploitée à des fins politiques et évoquent à mots à peine couverts les projets de Grande Serbie de Milosevic (le dictateur de la « Frontière invisible » s'appelle Radisic et son rêve est celui d'une Grande Sodrovnie). Politique, polémique aussi, l'album explore simultanément le thème du jeunisme et celui du retour à la nature. Curieusement, on voit un chien apparaître aux côtés du héros, un jeune cartographe à peine sorti de l'adolescence qui répond au nom de Roland De Cremer et qui a les traits du fils de François Schuiten. Le chien en question est malheureusement très figé et ne parvient pas vraiment à donner le sentiment d'être vivant, mais la volonté des auteurs est là. Depuis plusieurs années, ils tentent d'humaniser un propos trop vite réduit à ses éléments architecturaux et fantastiques. Ce nouvel album est plutôt à placer sous le signe de la métaphore et d'un questionnement sur les valeurs de nos sociétés modernes. En cela, il apparaît comme plus mûr et plus contemporain que ses prédécesseurs. Peut-être tout simplement le reflet des préoccupations de deux auteurs complets qui ont grandi ensemble et que vingt ans de collaboration n'ont jamais empêché de se remettre en question...
« La prophétie des amants », tome 1 de la série « Le dernier rituel ». Par Makles, Recht et Lencot. Chez Soleil.

Manifestement davantage influencé par l'école Lauffray/Alice/Dorison que par l'école Tarquin, Recht nous propose un album efficace et particulièrement soigné au plan du découpage. Il faut dire que la matière fournie par son scénariste est loin d'être mauvaise, à défaut d'être hyper originale. « Le dernier rituel » est en effet à cheval sur plusieurs genres et renouvelle agréablement le style « héroïc fantasy » exploité jusqu'à la moelle par les éditions Soleil. On ne s'en plaindra pas. Au contraire, Sesterce, le héros de cette histoire, mérite une jolie carrière. Face au « Pâle seigneur de la guerre », mystérieux bienfaiteur vénal, et face à Nécrom, un démon assoiffé de sang, Sesterce est parfait en mercenaire musculeux et peu scrupuleux. Il permet à Makles de jouer à fond la carte de l'humour, ce qui sauve cet album et lui donne la légèreté qui manque à la plupart des productions actuelles du genre.
« Taille blanche », tome 1 de la série « Un diamant sous la lune ». Par Warnauts et Raives. Chez Casterman.

L'une est noire, l'autre blanche. Elles ont le même père, Ange, un ancien du FBI qui ne s'est jamais remis d'avoir servi de bouc émissaire dans une arnaque aux diamants montée au Congo. Et voilà que les deux filles de Ange, Kadidja et Martha, ont disparu à Anvers. Ange va très vite se rendre compte que l'histoire se répète. L'occasion pour Warnauts et Raives de lever le voile sur les éléments du passé à travers des flash-back et des conversations entre les protagonistes de cette histoire. La lecture de ce premier album s'apparente parfois à un parcours d'obstacles. Mais cette façon de dérouler le récit par les deux bouts a ses charmes et menée avec intelligence, elle évite bien des écueils. Résultat, ce premier album est certes classique, mais néanmoins intéressant, à défaut d'être attachant. On y retrouve tous les ingrédients préférés du duo Warnauts-Raives -certains diront leurs tics- mais avec un certain punch qui n'est pas toujours présent dans leurs albums. On espère juste que l'histoire tiendra ses promesses, car c'est souvent dans le deuxième tome de leurs séries que les duettistes perdent des points.
Réinventer la bande dessinée par Thierry Bellefroid
« Réinventer la bande dessinée », par Scott Mc Cloud. Chez Vertige Graphic.

Tout véritable amateur de BD possède dans sa bibliothèque « L'Art invisible », véritable bible en images dans laquelle Scott Mc Cloud livre les clés de compréhension du Neuvième Art. Fort de cette expérience, l'auteur s'est investi dans un travail similaire qui paraît aujourd'hui en français sous le titre alléchant de « Réinventer la BD ». Malheureusement, une grande partie des lecteurs risque de déchanter. Tant le premier livre était universel, tant celui-ci apparaît comme américano-centriste et nous laisse souvent sur notre faim. Les douze révolutions de la BD contemporaine explorées par le « docteur Mc Cloud » ne sont pas toutes applicables à notre marché, loin de là. Et le discours apparaît souvent comme pompeux, voire prétentieux. A la limite de l'ennuyeux, parfois, ce volumineux ouvrage de plus de deux cents pages devrait intéresser un public de professionnels et de fans de la BD US.
Poèmes de Victor Hugo par Thierry Bellefroid
« Poèmes de Victor Hugo en bandes dessinées ». Album collectif. Chez Petit à Petit.

Pas la peine de vous rappeler que 2002 est l'année Hugo. Si vous ne le savez pas encore, c'est que vous ne le saurez jamais ! L'occasion était trop belle pour que les éditions Petit à Petit la laissent passer. Voici donc un recueil d'une centaine de pages sur le même mode que ceux consacrés à la chanson française (Vian, Piaf, Higelin, Gainsbourg...) ou celui consacré à Baudelaire. Les poèmes choisis sont restitués dans leur version écrite, commentés avec humour et esprit (mais parfois une envie gratuite de faire de bons mots qui manque de retenue) par Christophe Renault puis mis en images par des dessinateurs le plus souvent peu ou pas connus. Le résultat est loin d'être inintéressant. Certains réussissent même l'exercice haut la main comme Gwendal Lemercier, Estelle Meyrand ou Eric Nosal. D'autres sont moins heureux et quelques-uns, mais ils sont rares, ne sont pas loin de faire injure à Victor Hugo. Dans l'ensemble, la lecture de ce petit livre est un joli moment à la redécouverte des mots de l'écrivain.
« Le châtiment », tome 1 de la série « Le passeur des étoiles ». Par Sofia, Frasier et Jewel. Dans la collection « Fictions » des éditions Dargaud.

Bonne surprise pour ce deuxième album de la collection « Fictions ». L'idée est intéressante et son traitement réussi, même si le jargon et les situations enchaînées sous forme de courtes séquences ne manquent pas de dérouter au début.
« Celui qui se comporte en animal est transformé en animal et devient la proie des chasseurs ». Sur la planète Penitence IV, les châtiés sont abandonnés à leur sort, qui est de devenir des monstres hideux assoiffés de sang, poursuivis par les chasseurs. Parmi les châtiés, Jason, fils d'un maître marchand, est abandonné à son tour. Il se transforme en animal comme tous les autres, mais sa conscience se réveille lorsqu'il entend, un peu plus tard, les appels à l'aide d'une petite fille, sa fille. Le piège se referme sur Jason, devenu le mutant le plus recherché de la Fédération. En fait, derrière l'animal se cache un « gambit », un passeur d'étoiles. Sa capture va déclencher une chasse en cascade où chacun est le gibier des autres. Avec un rebondissement inattendu dans la toute dernière page.
Mené sur un rythme soutenu, ce premier tome ne dit encore rien de ce qu'est le gambit. Mais l'histoire tient, malgré tout, le lecteur en haleine jusqu'au bout. Le dessin « à quatre mains » est élégant et nerveux, manifestement inspiré par des aînés comme Tarquin et Lauffray. En jouant une carte proche de l'héroïc fantasy et une autre qui s'annonce beaucoup plus proche de la pure science-fiction, les auteurs ont réussi leur coup.
La lagune (Caroline Baldwin) par Thierry Bellefroid
« La lagune », tome 8 de la série Caroline Baldwin. Par André Taymans. Chez Casterman.

Baldwin serait-elle en train de devenir un Blueberry au féminin ? L'enquêtrice de choc créée par André Taymans ne cesse de descendre les marches de l'enfer depuis quelques albums. D'abord, il y a eu la révélation de sa séropositivité. Puis elle s'est retrouvée accusée de meurtre. Et la voilà qui s'enfonce dans les emmerdes tout en tentant de trouver les preuves de son innocence. Face aux rebelles birmans -et à des ennemis aux bien plus sordides motivations- la belle Caroline se trouve très démunie et semble subir les événements plus que les contrôler. On se demande au terme de ce huitième album quel sort tragique a bien pu lui imaginer André Taymans pour la suite de cette aventure. Espérons tout de même qu'un rayon de soleil vienne la caresser de temps en temps. C'est vrai, Caroline n'a jamais eu un profil de super-héroïne, mais on l'aime bien. Et on ne voudrait pas qu'elle continue à être la seule à en prendre plein la tronche ! A part ça, ce huitième album est mené sur un rythme soutenu, dans des décors bien exploités qui rapprochent encore Taymans de son maître à dessiner, Cosey. « La lagune » apparaît comme une transition délassante entre « Raison d'Etat » et le neuvième album à paraître.
Nautiliaa (Atalante) par Thierry Bellefroid
« Nautiliaa », tome 2 de la série Atalante. Par Crisse. Chez Soleil.

Crisse poursuit son adaptation de la mythologie grecque. Avec autant de bonheur que dans le premier épisode. Atalante a pris un coup de fraîcheur sous ses pinceaux. Son monde est attachant et joliment poétique. La jeune femme a embarqué avec les cinquante argonautes et Jason pour une longue équipée. Mais la rencontre d'étranges dauphins va sensiblement rallonger le voyage. Bestiaire parfaitement maîtrisé, sens de la narration et du découpage font de cette adaptation un conte absolument contemporain. On reprochera peut-être à l'auteur de se laisser aller à donner trop de détails dans certains dessins, qui finissent par être surchargés. Mais à côté de cela, on s'amuse à redécouvrir l'histoire de Jason et des argonautes, à condition, bien sûr, d'épouser le style de Crisse -on est évidemment à des années-lumières de la BD à la Jacques Martin qui, pour des générations de lecteurs, est la voie à suivre pour parler de l'antiquité !
L'échange (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« L'échange », tome 6 du Décalogue, par Giroud et Mounier. Chez Glénat.

Un sixième album qui commence comme un remake de Titanic. Mais qui sait s'en éloigner pour tisser une histoire machiavélique et parfois sordide où les personnages de la haute société et de la classe ouvrière apparaissent aussi veules et intéressés les uns que les autres. Nous sommes à New York, au début du vingtième siècle, l'âge d'or des émigrants. Deux familles vont nouer leurs destins sur le bateau qui les mène aux Etats-Unis. Tout les oppose. Nahik, le « livre maudit », va les réunir. Et Giroud va prendre un malin plaisir à tisser entre elles des liens forts, inattendus, au-delà de vingt années d'ignorance réciproque. L'histoire est redoutable, même si certains protagonistes cachent mal leur jeu (à l'exemple de Meg, professeur de dessin de la jeune Alice, dont la première apparition indique déjà quel rôle elle jouera dans l'histoire). Giroud pouvait difficilement mieux exploiter le sixième de ses dix commandements : tu honoreras ton père et ta mère. On sait depuis Mauriac que les histoires de famille sont un inépuisable nid... de vipères et de passionnants rebondissements. Frank Giroud n'a pas raté l'occasion de construire un excellent récit dans lequel il jette des ponts vers le passé et vers le futur de la série, à travers de petites révélations sur ce mystérieux livre au centre de son Décalogue. Quant à Alain Mounier (« Dock 21 » chez dargaud, « Exit » chez Albin Michel), il joue ici une partition sans faute de goût qui rend parfaitement compte de la physionomie new yorkaise du début 1900.
Escapo par Thierry Bellefroid
« Escapo » par Paul Pope, chez Vertige Graphic.

Sorte de Houdini romantique, Escapo est le roi de l'évasion. Aucune serrure, aucune chaîne ne peut le retenir. Dans le cirque où il officie, il est pourtant l'objet de railleries quotidiennes. Car Escapo est amoureux d'une inaccessible étoile, Aerobella, l'acrobate. Son visage difforme ne lui laisse guère d'espoir de séduire la belle. Alors, Escapo se prend à espérer que son romantisme l'emportera. Il lui écrit des poèmes, lui demande de se déclarer. Devant la fadeur des sentiments d'Aerobella, Escapo va multiplier les risques et jouer un jeu dangereux avec la mort. Entre envies suicidaires et doute personnel, le roi de l'évasion va perdre pied. Mais chaque numéro imaginé par Paul Pope est une lutte à mort avec la mort elle-même. Il ne s'agit pas de se contenter de petits tours de passe-passe pour se défaire de chaînes et de cadenas. A chaque fois, Escapo est plongé dans des machines infernales qui peuvent le noyer, le lacérer ou le broyer s'il met quelques secondes de trop à se libérer.
A la limite du fantastique, avec un talent de metteur en scène époustouflant, Paul Pope installe un petit musée des horreurs sous son chapiteau. Il distille l'angoisse et l'effroi. Son dessin semble habité par une énergie propre, véritable geyser d'encre de Chine. Le lecteur a l'impression d'assister à un spectacle de cirque après avoir bu et fumé toute la nuit, il y a quelque chose de profondément halluciné dans tout cela, qui se prolonge jusque dans un lettrage parfois difforme qui semble avoir une vie propre. Inventif, d'une stupéfiante vitalité, voilà un album qui ne laisse pas indifférent.
« Sheriffmuir », tome 1 du Chant des Terres. Par Tieko et Wallace. Chez Paquet.

Les Highlands, la révolte contre les Anglais, les clans, les kilts et une grande histoire d'amour contrariée, tous les ingrédients d'une saga de BD genre « Glénat Vécu » sont réunis. Entre l'Histoire et le destin d'un jeune chien fou revenu de France pour rejoindre son clan, Wallace promène son scénario sans faire preuve d'une imagination débordante. Tout cela n'est guère innovant. Ajoutons-y une vieille rivalité clanique, un espion -ou une espionne ?- aux motifs encore obscurs, et l'on a fait le tour de la question. Le scénariste parvient, heureusement, à ne pas être l'esclave du contexte historique. Quant au dessinateur, Tieko, il est assez inégal. Ses pages sont grandes, aérées, lisibles. Ses couleurs parfois un peu criardes. Mais ses ciels sont plus écossais que nature. Restent quelques maladresses dans les visages qui gâchent parfois le travail. Des visages où l'on peut lire à la fois l'influence de l'écurie Vécu sur son dessin... et celle d'Albator. Ce qui n'est pas courant !
Une BD qui plaira aux fans du film « Rob Roy ».
« Pas d'enfance pour les héros », tome 2000 des aventures de Voltige et Ratatouille. Par Pascal Jousselin. Chez Treize Etrange.

Pascal Jousselin est le créateur de Voltige, le justicier galactique que se refilent divers scénaristes et dessinateurs pour lui faire vivre des aventures en noir et blanc au format de poche, chez Treize Etrange. C'est donc tout naturellement à Jousselin que revient aujourd'hui la lourde tâche de camper les origines du héros dans un premier album cartonné en couleur. Voltige -sans Ratatouille- n'est encore qu'un petit gamin surdoué aux allures de Schtroumpf à lunettes : il sait tout, raisonne tout le monde, vexe la moitié des adultes qui l'entourent et n'a pas d'autre ambition que de sauver le monde. Mais là où le Schtroumpf à lunettes est passablement énervant et pathétique, Voltige est drôle et léger. Jousselin s'amuse beaucoup et le lecteur ne peut que lui emboîter le pas. Son aventure respire la fraîcheur et la spontanéité. Amusant, imaginatif, sans prétention, ce petit album constitue un excellent moment de détente. D'autant que le dessin de Pascal Jousselin possède les mêmes qualités que son scénario.
Qui est Renard Bleu ? (Jeremiah) par Thierry Bellefroid
« Qui est renard bleu ? », tome 23 de la série Jeremiah, par Hermann. Chez Dupuis.

Une fois de plus, il faut reconnaître à Hermann un très grand talent dans la découpage et la narration. Il n'y a que lui pour parvenir à nous raconter une histoire de trafic sexuel d'enfants à destination de notables sans tomber dans la démonstration ou la mièvrerie (ce qui n'évite pas la caricature pour autant !). « Qui est renard bleu ? » (le titre sans doute le plus stupide de toute la collection !) est un album au rythme tendu et saccadé. Il faut dire qu'un scénario de Jeremiah ne se laisse jamais approcher du premier coup. Le père Hermann connaît la musique sur le bout des doigts : il brouille les pistes sans jamais perdre de vue l'effet final. Avec une conclusion inattendue et des ingrédients bien amenés au cours de l'histoire, il vous fait entrer dans son monde fait de désillusion, de violence et de misanthropie. Voilà un homme qui ne croit plus en l'homme depuis longtemps.
Le reste, ce sont les ingrédients habituels : les femmes plus laides les unes que les autres (sauf, peut-être, Gazoleen qui, pour les besoins de l'histoire, est presque mignonne... à condition de ne pas se souvenir de la jolie Comanche de nos jeunes années !), les couleurs directes très kitsch et les gueules qui se ressemblent à peu près toutes depuis vingt ans. Mais il y a aussi le sens du mouvement, l'équilibre de la page, la tension permanente du récit.... De toute façon, pas la peine d'essayer de convaincre ceux qui détestent d'ouvrir cet album-ci plutôt que les précédents. Pas la peine non plus de nuancer pour les autres. Hermann, on aime ou on déteste.
Le vengeur (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« Le vengeur », tome 5 du Décalogue, par Giroud et Rocco. Chez Glénat.

On attendait avec impatience cette nouvelle livraison de deux albums du Décalogue. On peut difficilement être déçu. Même si Rocco n'a pas le talent graphique d'un TBC, auteur du volume précédent, le scénario concocté par Frank Giroud sur fond de génocide arménien reste un modèle du genre. Une fois de plus, Frank parvient à mêler l'Histoire, le destin tragique de quelques personnages de fiction, son intrigue horizontale menée sur les dix albums de la série et la métaphore d'un des dix commandements de son Décalogue. L'histoire est poignante malgré son côté prévisible. Elle révèle toute la difficulté du poids du passé et de celui de la vengeance pour les rescapés des génocides (on peut appliquer les mêmes éléments à la Shoah ou au génocide rwabdais...) Quant à Nahik, le livre qui sert de fil rouge, il est loin d'avoir livré tous ses secrets. Principal bémol : le recours presque systématique aux larmes pour exprimer la détresse des personnages. Résultat : un album « surjoué », avec un côté larmoyant qui finit par ôter une part de crédibilité à l'histoire.
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