Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« L'affaire du Nalta P312 », tome 1 de la série « Les arcanes du Midi-Minuit », par Gaudin et Trichet. Chez Soleil.

La même histoire dans un contexte moins fantastique serait sans doute une banale enquête policière comme on en a vu des centaines. Mais transposée dans un univers Steampunk, doublée d'un mystérieux duo de cousins-enquêteurs qui peuvent se substituer l'un à l'autre en utilisant les miroirs, il ne s'agit plus tout à fait d'une histoire policière « banale ». C'est ce qu'a très bien compris Jean-Charles Gaudin, auteur des séries Marlysa, Garous et Galfalek (toutes les trois chez Soleil) dont les deux premières, au moins, connaissent déjà un joli succès. Il a trouvé en la personne de Cyril Trichet un dessinateur débutant de grande qualité. Bien sûr, le dessin de Trichet n'est pas exempt de défauts, mais il possède une remarquable facture pour un premier album ! Biberonné par Crisse, le jeune dessinateur a heureusement réussi à ne pas trop se laisser influencer par le graphisme de son « maître ». Il développe un trait d'une grande clarté qui ne pourra que s'améliorer au fil des albums. Bref, un duo qui mêle l'expérience et la spontanéité pour le plus grand bien de cette histoire qui allie elle aussi fraîcheur et veilles recettes dans un mélange assez réussi.


Presque Sarajevo par Thierry Bellefroid
« Presque Sarajevo », par pierre Wazem. Chez Atrabile.

L'éditeur genevois Atrabile continue de publier les meilleurs livres autobiographiques de la nouvelle génération d'auteurs suisses. Après le fantastique « Pilules bleues » de Férédérik Peeters et le « Promenade(s) » du même Wazem l'automne dernier, voici « Presque Sarajevo ». Pourquoi « Presque Sarajevo » ? Parce que Pierre Wazem a le sentiment de ne pas avoir « fait » Sarajevo comme d'autres ont fait le Népal ou l'Andalousie. Après une introduction très déroutante -mais excellente-, les trois chapitres qui composent ce carnet de bord d'après souvenirs s'unissent en une toile multiforme traversée par une impression commune : celle d'être passé à côté. Avec une sincérité rare (qui n'étonnera pas ceux qui ont lu d'autres récits biographiques de Wazem), l'auteur raconte « sa » semaine à Sarajevo, en 1999. Invité avec trois autres dessinateurs genevois au vernissage d'une exposition, ce voyage dans la ville-martyre quatre ans après la fin de la guerre est pour lui un étonnement permanent. Parce que confronter la réalité aux images télévisées ne suffit pas. Il faut encore parvenir à décoder ce que l'on voit. Wazem s'y emploie. Il ne tranche pas, ne juge pas. Il écoute. Et il s'interroge. Qui sommes-nous pour comprendre l'âme d'une ville toute entière marquée par la guerre et qui, peut-être, se complaît dans ses cicatrices ?
Le livre est traversé de part en part par cette impression de ne pas être à sa place ou de ne pas trouver sa place. Mais c'est cette honnêteté, ce constat d'échec -très exagéré, car Wazem le montre suffisamment : il a compris bien plus de choses qu'il ne le croit- qui font la richesse de l'oeuvre. Un livre vrai, dessiné de mémoire et donc forcément très subjectif. Mais un livre rare, dans ce mélange de reportage, d'introspection et d'humour que seul Wazem peut coucher sur le papier, en quelques traits vifs. Un livre qui parle d'amitié, aussi. Bref, un livre qui vous prend comme une confession, pas comme un carnet de voyage. Wazem y fait preuve de beaucoup d'humilité. Et d'au moins autant de talent !
« Manipulations minutieuses », tome 3 de Mobilis. Par Andréas et Durieux. Chez Delcourt.

Pas de doute, « Mobilis » est bien un scénario d'Andréas. Lui seul pouvait inventer une histoire fantastique aussi subtilement étrange. Lui seul pouvait nous concocter une fin pareille. Au terme de trois albums qui ont collectionné les histoires parallèles et les égarements, Nevada, le héros de l'histoire, va se trouver confronté à lui-même. Il détient la clé de toute l'histoire. Il est la clé de l'histoire, même. Et c'est avec un malin plaisir qu'Andréas a imaginé toutes les manipulations dont il a été l'objet pour en arriver là. La fin est parfaite. Comme toujours, il reste des zones d'ombre. Le père de Arq, de Rork ou de Capricorne ne nous a pas habitué au travail prémâché. Jouant sur la géométrie autant que sur le mystère de l'esprit, il nous offre cette fois encore des éléments en vrac ; à nous de faire le tri, de recomposer notre vérité. De chercher derrière les apparences. Le mieux est encore de relire l'ensemble à la lumière de ce troisième tome. Quant au dessin de Christian Durieux, il a poursuivi le travail de toilettage entrepris dans le tome 2. Il s'est fluidifié, dépouillé, recentré sur les éléments essentiels. Le résultat est tout simplement lumineux.
« Carnet de bord 1-10 décembre 2001 », par Lewis Trondheim. Dans la collection Côtelette de L'Association.

A L'Association, on est amoureux des livres. Des beaux livres. Et ça se voit. Le soin apporté à la fabrication des albums de L'Asso est magistral. Résultat, les petits bouquins (de poids très variable) de la nouvelle collection Côtelette sont de vrais objets de bibliothèque. On peut les ranger sans honte entre Duras et Yourcenar, le visiteur n'y verra que du feu. Il est amusant de constater que derrière ces ouvrages à la finition ouvragée peuvent se cacher des BD aussi brutes de décoffrage que ce carnet de bord de Lewis Trondheim ! Garanti sans crayonné, sans tippex et sans corrections orthographiques, il n'en est que plus intéressant. Trondheim profite d'un voyage à la Réunion (il déteste voyager, ce n'est donc pas par plaisir de l'exotisme) pour nous faire entrer dans son intimité pendant une dizaine de jours. Ça pourrait s'appeler : journal de bord d'un râleur qui se soigne. Ce petit livre est un régal. Tout y est : la spontanéité, le talent de narrateur, l'humour, l'auto-dérision. En le refermant, on n'a qu'une envie : le relire !
« Meurtres en réseau », tome 3 de la série « Le cybertueur », par Godard et Plumail. Dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Jerry O'Grady, l'inspecteur qui a résolu l'affaire du Cybertueur Kewin Mulford ne fait plus confiance à personne. Il a raison. Car Kewin va ressortir de sa boîte comme à chaque fois qu'on le croit vaincu. Le génie de l'informatique transformé en millions de pixels pensants est de retour. Toujours fou d'amour pour la belle Joan qu'il persécute depuis le premier album... et de plus en plus insaisissable. Jusqu'où Godard peut-il aller dans cette thriller informatique sans flirter avec le ridicule ? On peut se poser la question. Il n'empêche, ce troisième épisode reste aussi trépidant que les deux premiers. Non sans un certain humour, on y voit Kewin jouer avec les nerfs des forces de l'ordre et d'une bande d'anciens hackers lancés à sa recherche. La course-poursuite est autant virtuelle que réelle puisque Godard ne néglige pas les scènes d'action. La fin est discutable. Elle n'est en tout cas pas d'un bon goût exquis. Plumail commence quant à lui à mieux maîtriser les proportions des personnages ce qui rend son dessin plus digeste. Bref, une série B de facture honorable. Mais pas de grand frisson au rendez-vous...
Entre les mondes (Bloodline) par Thierry Bellefroid
« Entre les mondes », tome 4 de la série Bloodline. Par Ange, Varanda et Valton. Chez Vents d'Ouest.

Cela fait maintenant pas loin de 200 pages que les scénaristes de ce brillant thriller nous baladent. Lauren et Kevin ont échappé de justesse à des tueurs qui ont assassiné leurs deux frères et leur précepteur avant de les traquer impitoyablement, où qu'ils aillent. 200 pages que les lecteurs cherchent -comme les deux héros- à comprendre la raison de cette chasse à l'homme sans merci. On s'est bien amusés, merci. Mais il serait peut-être temps de lâcher quelques infos. A force, le principe de la course-poursuite commence à lasser. Même si cet album reste d'une lecture très agréable -en dépit d'un changement de dessinateur qui vous saute à la figure dès la première page- il faut dire que le glissement du polar vers le fantastique est plus que déroutant. Il méritait d'être traité de manière plus approfondie, surtout après une aussi longue attente (Le tome 3 datait... de 98) Bref, le lecteur referme cet album avec un grand sentiment de frustration et l'espoir d'obtenir enfin des réponses dans le tome 5.
Les amants (Ring Circus) par Thierry Bellefroid
« Les amants », tome 3 de Ring Circus. Par Chauvel et Pedrosa. Chez Delcourt.

Ring Circus reste une oeuvre à part dans l'univers très sombre et américain de David Chauvel. Au fil des albums, on s'attache de plus en plus à cet univers de cirque itinérant paré d'un épais mystère. Il faut dire que les éléments fantastiques sont savamment dosés et donnent à l'histoire un sel que le simple road movie n'eût pas pu amener. Les deux amis, Anthonin et Jerold, coulent des jours heureux avec leur compagne respective, Lilas et Blanche. Mais le bonheur tranquille ne fait pas partie des ingrédients préférés des scénarios de Chauvel. L'auteur va donc prendre un malin plaisir à brouiller les pistes et assombrir les coeurs. Avec beaucoup de justesse et de finesse, grâce à une mise en scène sobre, et sans jamais oublier de parsemer son histoire d'ingrédients poétiques ou d'humour subtilement dosé. Mais tout cela ne serait rien sans le magnifique dessin de Cyril Pedrosa. Plus clair et plus stylisé encore qu'à ses débuts, il flirte avec le dessin d'animation et ménage des effets brillants, passant de la scène très conte de fées à des ambiances inquiétantes avec beaucoup d'aisance. Pedrosa explose de talent jusque dans les couleurs d'un album réussi de bout en bout.
Merriadek (Robin Hood) par Thierry Bellefroid
« Merriadek », tome 1 de Robin Hood. Par Brrémaud et Loche. Chez Soleil.

Sans doute l'un des meilleurs albums sortis cette année chez Soleil. Bon, c'est vrai, on n'est encore qu'en avril, il n'y a donc pas des milliers de concurrents. Soit. Disons en tout cas que c'est sans doute l'un des meilleurs premiers albums d'un dessinateur de BD, toutes BD confondues. John-Simon Loche fait merveille dans ce registre à cheval sur l'humour, la légende et le conte fantastique. Ses créatures (dragons, korrigans,...) sont parfaites, mais son univers se caractérise avant tout par sa sobriété et son expressivité. Les couleurs sont judicieusement choisies et viennent compléter un dessin qui tire parti du grain du papier aussi bien que du mélange des techniques. Comme l'histoire n'a rien à lui envier, on se retrouve devant un excellent album qui préfigure une série au ton incisif et décalé. Car Robin Hood n'est pas une parodie de Robin des Bois. Ce serait plutôt une variation. Robin ne sert que de faire-valoir aux vrais héros de l'histoire et se fait balloter au gré des humeurs du scénariste, Frédéric Brrémaud. Souvent enrhumé, un rien couard, pas très dégourdi, Robin des Bois est donc un personnage référentiel pris à contre-pied. L'idée de cette série étant de raconter ce que l'on ne sait pas de son histoire... en commençant par le moins probable. Brrémaud se permet tout : mélange des genres et portraits iconoclastes. Pour notre plus grand plaisir. Et avec talent.
L'émissaire (Alpha) par Thierry Bellefroid
« L'émissaire », tome 6 de la série Alpha. Par Mythic et Jigounov. Au Lombard.

Le genre de couverture qui vous attire les lecteurs comme un aimant attire la limaille. Il faut dire qu'Alpha est entré dans la cour des grands, avec un tirage aux alentours des 120.000 exemplaires. Sans pouvoir rivaliser avec les productions de Jean Van Hamme, le fleuron de Troisième Vague se positionne clairement comme un produit de grande consommation. Et c'est exactement ce qu'il est. Soucieux de coller au plus près à la réalité, le scénario de Mythic est un bel exemple de politique-fiction, mêlant campagne d'élection présidentielle américaine et situation en Ulster. Son talon d'Achille est cependant de s'appuyer sur une construction complexe, déroutante pour un lecteur peu averti, puisqu'elle passe de manière incessante d'une situation à une autre sans jamais prendre le temps d'expliquer l'enjeu de l'histoire. Il faut attendre le dernier tiers pour vraiment établir le lien entre tous les personnages et deviner où nous emmène ce nouvel épisode en deux tomes. Mais ceux qui auront eu le courage de s'accrocher pour recomposer le puzzle de ce scénario ne seront pas déçus : ils y trouveront une histoire solide, bien documentée et qui ne manque pas de rebondissements. Certains sont prévisibles, mais l'ensemble se laisse lire comme un bon thriller en BD. Jigounov fait tout ce qu'il peut pour faire oublier que ses personnages sont statiques et souvent empruntés. Il force le trait autant que possible pour ajouter encore au réalisme de l'histoire (sauf en matière de couleurs, comme toujours) en dessinant ses décors, surtout. Dommage qu'il soit toujours incapable de dessiner une paire de jambes gracieuse...
« Le marquis d'Anaon », tome 1 : L'île de Brac. Par Vehlmann et Bonhomme. Chez Dargaud.

On pouvait s'en douter : Fabien Vehlmann n'a pas raté le virage qui devait le sortir des scénarios sous forme d'histoire courtes pour entamer sa première vraie histoire de 46 planches. Dans un style classique mais efficace, son livre retrace l'enquête réalisée un peu malgré lui par un jeune médecin de la ville échoué sur une île bretonne hostile dans les années 1700. Jean-Baptiste Poulain est engagé comme précepteur par le baron local pour assurer l'éducation de son fils Nolwen. Mais juste après l'arrivée du précepteur, Nolwen est découvert mort. Commence alors pour le jeune homme une descente aux enfers qui va lui permettre de faire connaissance avec toute la noirceur de l'âme humaine. Un propos très proche de celui développé par Corbeyran dans la série « Petit Verglas ». Mais une ambiance magistralement rendue aussi par le dessin de Bonhomme, quasiment inconnu au bataillon et qui s'en sort avec tous les honneurs. Dessin très lisible, excellente mise en page, décors et personnages oppressants, mise en scène sobre mais percutante, tout semble sourire à ce dessinateur. On regrettera juste la fin un peu trop facilement évacuée « à coup de sables mouvants », mais sinon, voilà une très belle surprise, tant au plan de l'image (y compris les couleurs) que du scénario.
« Requiem pour une vache », tome 2 de la série « Lait entier ». Par De Moor et Desberg. Au Lombard.

Revoilà La Vache dans ce qu'elle a de meilleur. Après une premier album au Lombard un peu faiblard, Desberg et De Moor nous ont concocté une aventure de Pi comme on les aime : déjantée, référentielle à souhait et un brin surréaliste. Bien sûr, cette marque de fabrique n'est pas nécessairement compatible avec les chiffres de vente les plus élevés et cet « ésotérisme » dans l'humour coupera toujours De Moor et Desberg d'une partie du public. Mais tant qu'ils s'amusent et qu'ils amusent leur public avec un bonheur aussi manifeste, on ne peut que les encourager à éviter les concessions et la facilité. L'usage des langues diverses (à commencer par le flamand) reste un bon moyen de développer un humour en marge. Un humour qui se base avant tout sur la complicité entre le lecteur et les animaux dessinés par De Moor. Des animaux intelligents mais discrets qui rivalisent d'astuce pour cacher aux hommes qu'ils sont doués de parole et de faculté de raisonnement. La complicité va plus loin encore, ici, puisque le lecteur assiste, toujours avec humour, à la naissance de la suprématie humaine sur le monde animal. Il découvre, dans un pamphlet loufoque, que ce qui différencie l'homme des autres mammifères, c'est sa cupidité. Le récit ressemble un peu à la trajectoire d'une balle magique lancée dans une pièce de trois mètres sur quatre : ça part dans tous les sens d'avant en arrière et de bas en haut. Mais le dessin définitivement unique de Johan De Moor permet toutes les audaces. Et réserve quelques très beaux moments. Même si la surprise a disparu depuis le temps que Pi fait partie du paysage, on recommandera la lecture de cet album à tous ceux qui aiment la BD à la fois tout public et innovante.
« Révélations », tome 3 de Comptine d'Halloween. Par Callede, Denys et Hubert.

Suite et fin de ce Stephen King en BD dans une petite ville des Etats-Unis. En trois albums, Callede a réussi à camper un bon suspense, aux événements parfois prévisibles mais au rythme impeccable. La fin est particulièrement soignée et heurtera peut-être certains lecteurs adversaires d'une violence débridé dans la BD tout public. C'est vrai que dans les dernières pages, les auteurs ont mis toute la gomme, évitant l'écueil de la « grande explication » qui clôt parfois maladroitement une telle trilogie basée sur le suspense. Au contraire, ici, tout passe par l'image et l'action. Extrêmement cinématographique, « Comptine d'Halloween » n'est sans doute rien de plus qu'une transposition habile en BD d'histoires déjà vues et revues au cinéma ou en littérature. Mais le résultat est tout à fait honorable. Cela tient sans doute au climat d'oppression bien distillé à travers un découpage et un dessin que Denys a appris à maîtriser au fil des albums. Creeper Creek peut maintenant retrouver son calme. Le drame est consommé. Les (sur)vivants n'en sortent pas indemnes. Ce n'est pas plus mal.
« Une aventure rocambolesque de Sigmund Freud. Le temps de chien ». Par Manu Larcenet. Chez Dargaud.

On aime les chiens et les chats chez Poisson Pilote. Après la livraison de Sfar/Blain début janvier, voici à nouveau un chien qui parle, sous la plume de Larcenet, cette fois. Une comédie grinçante qui jette l'un ou l'autre clin d'oeil à l'illustre Lucky Luke sans toutefois verser dans la parodie simple du western. Car si cet album est si réussi, c'est avant tout parce qu'il est totalement inclassable. Larcenet imagine les aventures d'un Freud monomaniaque parti à la conquête du « marché américain » et bien décidé à y faire un coup d'éclat avant de rentrer à Vienne. Quel meilleur coup d'éclat que de psychanalyser un chien errant à la recherche d'une âme ? C'est ce qui se produit dans cette aventure improbable et très drôle ou l'esprit cartésien des uns s'oppose aux sciences occultes des autres, chaman indien y compris. Un délire savamment orchestré qui débouche sur une fin plus tendue et surtout plus profonde que prévu. Manu Larcenet passe décidément avec bonheur du rire à la réflexion et le lecteur ne le voit pas toujours venir. Tant mieux.

Quelques-unes des répliques de cet album sont absolument parfaites. Le casting l'est aussi. Mais n'oublions pas le dessin. Sans en avoir l'air, l'auteur compose ici quelques-unes de ses plus belles pages (les planches 36 et 37, notamment) et affirme avec force un talent complet. Il prouve également que Poisson Pilote a une vocation à part dans les collections actuelles de bande dessinée, celle de pouvoir aborder tous les sujets, des plus poétiques aux plus intellectuels, en les traitant toujours de manière décalée. Bref, le défi des débuts est aujourd'hui relevé. Même si Dargaud n'est pas allé à la recherche de nouveaux auteurs mais a « embauché » des talents déjà éclos, il leur permet de s'exprimer dans une collection cohérente, riche, et qui renouvelle réellement la BD d'humour.
La lumière de minuit (S.T.A.R.) par Thierry Bellefroid
« La lumière de minuit », tome 1 de S.T.A.R.. Par Cayman et Delperdange. Chez Casterman.

Les cyber-technico-scientifico-thrillers ont la cote. En voilà un de plus. Ni plus mauvais -au contraire- ni meilleur que la moyenne. Se basant sur des études existantes, le romancier Patrick Delperdange (qui est aussi scénariste pour la télé, le cinéma... et la BD, où il a commis les deux catastrophiques albums de la série Mac Namara) nous propose une histoire attrayante avec une galerie de personnages au profil atypique dans le rôle des enquêteurs. En effet, il s'agit de scientifiques qui ont pour mission de retrouver un sujet d'expérience kidnappé. L'idée est excellente puisqu'elle envoie se rhabiller les clichés sur les privés et autres flics qui pullulent dans ce genre d'histoires. Tiens, puisqu'on parle de se rhabiller, c'est pas que je sois spécialement prude, mais il y a quand même une certaine propension à dessiner des jeunes filles dénudées qui a le don de m'énerver, parfois. Surtout quand les scènes de nu en question ne font pas avancer l'histoire d'un iota. Et semblent n'être là que pour faire plaisir au dessinateur (en l'occurrence Thierry Cayman, qui dessine un album honorable, sans plus), ou pour racoler certains lecteurs.
« Avec ou sans sucre », deuxième tome de Inspecteur Moroni. Par Delisle. Chez Dargaud.

S'il continue comme ça, Moroni deviendra bien vote l'un des inspecteurs de police les plus drôles de la BD. Il faut dire que Delisle a choisi son casting avec soin. Et qu'il nous concocte des scénarios bien tordus. Dans cette deuxième aventure de ce flic intègre, intello et insipide, on assiste plutôt à une fable sur la vie de bureau qu'à une intrigue policière. C'est succulent de justesse et Moroni joue son rôle d'imbécile candide à la perfection. Son tandem avec son chien est parfait et l'oscar du second rôle est à partager entre le nouveau collègue de l'inspecteur, Pedro, et une certaine Irma qui essaie en vain de le déniaiser. Le dessin épuré de Guy Delisle fait le reste. On lit cette BD d'une traite, riant sous cape de la bêtise de ce 1er de classe handicapé social. Et on en redemande.
Mr Robinson (Jessica Blandy) par Thierry Bellefroid
« Mr Robinson », tome 20 de Jessica Blandy. Par Dufaux et Renaud. Chez Dupuis.

Jessica Blandy en vitesse de croisière. On retrouve les personnages récurrents de la série, Robby en tête. On retrouve aussi l'ambiance qui prévalait dans la toute première histoire de Jessica, « Souviens-toi d'Enola Gay / La clinique du docteur Zak ». Mais la surprise, elle, n'est plus au rendez-vous. Les personnages sont particulièrement stéréotypés, pour ne pas dire archétypiques. Quant aux rapports qui existent entre eux, le seul intérêt de l'album est peut-être d'avoir fait évoluer la relation entre l'héroïne et Robby. Mais tout cela ne fera pas de cette vingtième aventure de la sexy romancière un monument de la BD. Pas plus que les couleurs toujours aussi criardes de Renaud. On remarquera en revanche une certaine retenue, puisque les auteurs ont réussi à ne pas déshabiller leur héroïne durant 46 planches (bon, on a quand même droit à une bande de Dim Up par-ci par-là, on ne se refait pas...). Par ailleurs, l'hommage rendu à Jessica par douze dessinateurs complices de Dufaux sur d'autres séries ressemble à un acte manqué. L'idée n'est pas mauvaise, surtout que l'éditeur y a ajouté des planches inédites coupées « au montage » et dessinées par Renaud. Mais pourquoi, alors, avoir fait de cet objet une sorte de cahier jetable broché, sans aucun soin ? C'est comme un gâteau d'anniversaire avec une bougie par décennie au lieu du nombre exact.
« Pour solde de tout compte », tome 1 de « Hack & Cash », par Alain Maindron, chez Albin Michel.

Chassant sur les « terres » de Chris Lamquet (« Norge » au Lombard), Alain Maindron nous offre un nouveau cyber-thriller tout-à-fait dans l'air du temps. Quelques inoffensifs « hackers du dimanche » tombent sur un truc énorme et mettent le doigt dans l'engrenage fatal. Une seule d'entre eux va en réchapper, Aka. Elle n'aura qu'un but en tête : faire payer cash les morts de ses amis. Et si elle peut s'enrichir au passage, pourquoi pas ? En deux temps trois mouvements, la voilà dans la cour des grands, alliée d'un ponte de la maffia russe, établie plus ou moins à son compte, avec trois hackers du tonnerre qui travaillent pour elle. Pas très crédible... mais mené sur un rythme trépidant qui ne laisse pas nécessairement au lecteur le temps de se poser beaucoup de questions. Le tout est emballé en « 3D » façon jeu vidéo. Ça plaira forcément à quelques fans de Lara Croft. Mais il y a en aura au moins autant qui seront incapables de dépasser la deuxième page.
Hellblazer, Hard Time par Thierry Bellefroid
« Hellblazer, Hard Time », par Richard Corben et Brian Azzarello. Chez Toth.

On m'avait prévenu. « Cette BD est l'une des plus violentes que j'ai lues ». J'ouvre « Hellblazer » et un rapide coup d'oeil me dissuade de croire à cette mise en garde. A première vue, le dessin de Richard Corben s'est plutôt assagi et l'hémoglobine n'a pas l'air de couler à toutes les pages. Pourtant, la lecture de cet album requiert un moral d'acier. « Hellblazer » est une descente aux enfers en milieu carcéral comme rarement on en a vu en BD. Autour de Constantine, tous les détenus sont bien à leur place ; dans un gang ou sous la coupe de l'un ou l'autre « exploiteur sexuel ». On ne voit pas grand chose, mais texte et dialogues suggèrent le pire. Puis, Constantine pète les plombs et entraîne toute la population de la prison dans son délire. A la manière d'un Apocalypse Now carcéral, le lecteur découvre l'horreur d'une violence gratuite, crue, animale. Corps décapités, humiliations et viols collectifs entre détenus, crémation... tout y passe. Et débouche sur un final hallucinant dont on ne sort forcément pas indemne. Ames sensibles et romantiques, passez votre chemin !
CQFD par Thierry Bellefroid
« CQFD. Or, c'était la nuit ». Par Avrit et Blanc. Chez Casterman.

Avec sa tronche de Théodore Poussin coincé dans son marcel, le héros de cette histoire loufoque n'a pas fini de faire couler de l'encre. Certains détestent, d'autres adorent. Je suis par moment dans chacun des deux camps. Mais le plus souvent dans le premier. L'écriture est audacieuse. Et l'audace, quand ça paye, ça paye bien. Il y a des phrases qui font mouche et vous font oublier les dix-huit cases creuses que vous venez de lire (genre : « demain, les chiffres vont sortir les dents » ou « N'importe quoi, c'est la route du sommeil »). Il y a des phrases pompeuses, aussi ; les allitérations pour les allitérations, l'effet pour l'effet. Et les faussement originales, du genre qui sonnent bien mais qu'on a déjà vues (« un comptable qui ne compte pour personne. Comptant toujours et jamais content ») Et puis, il y a celles qui sont carrément gonflantes comme cette tirade où notre comptable devise avec son double (« Votre « je » manque de conviction ». « Je sais que je ne me ressemble pas ». « Je ne vous le fais pas dire ». « J'ai d'autres chats en tête que de paraître ce que je suis ».) Bref, à boire et à manger, comme dans le dessin qui, à partir d'un graphisme caricatural parcouru de hachures, parvient à se gâcher magistralement la vie en s'emplissant parfois de couleurs d'un kitsch rare. Mais surtout, ce qui l'emporte, c'est cette impression finale que CQFD est un objet définitivement creux et que les auteurs de ce livre n'avaient rien à raconter. Dès ce moment-là, on en vient à se demander pourquoi on a disserté sur le plus et le moins réussi de l'entreprise. C'est le produit dans son ensemble qui ne mérite guère qu'on s'y attarde.
« La frontière invisible, tome 1 », par Schuiten et Peeters. Dans la collection des Cités Obscures, chez Casterman.

Un nouvel album des Cités Obscures est toujours un événement. A bien y regarder, les auteurs en ont produit peu au cours des vingt ans qui viennent de s'écouler depuis « Les murailles de Samaris ». Celui-ci est à la fois dans la lignée de la série et très différent. D'abord, bien sûr, parce qu'il propose une histoire en deux tomes, ce à quoi les auteurs ne nous avaient pas habitué. Mais c'est finalement le moins important. Ce qui est beaucoup plus frappant, c'est la rupture totale de cet album avec le reste du monde des Cités Obscures. Presque pas de références aux autres cités, un univers visuel particulièrement dépouillé et dont la ville est pour ainsi dire absente (sauf à considérer que le dôme où se déroule l'histoire est comme une ville en miniature), le tout complété par un désert de sable omniprésent.
Mais il y a d'autres ruptures. Sur le fond, Schuiten et Peeters choisissent de montrer comment la cartographie est exploitée à des fins politiques et évoquent à mots à peine couverts les projets de Grande Serbie de Milosevic (le dictateur de la « Frontière invisible » s'appelle Radisic et son rêve est celui d'une Grande Sodrovnie). Politique, polémique aussi, l'album explore simultanément le thème du jeunisme et celui du retour à la nature. Curieusement, on voit un chien apparaître aux côtés du héros, un jeune cartographe à peine sorti de l'adolescence qui répond au nom de Roland De Cremer et qui a les traits du fils de François Schuiten. Le chien en question est malheureusement très figé et ne parvient pas vraiment à donner le sentiment d'être vivant, mais la volonté des auteurs est là. Depuis plusieurs années, ils tentent d'humaniser un propos trop vite réduit à ses éléments architecturaux et fantastiques. Ce nouvel album est plutôt à placer sous le signe de la métaphore et d'un questionnement sur les valeurs de nos sociétés modernes. En cela, il apparaît comme plus mûr et plus contemporain que ses prédécesseurs. Peut-être tout simplement le reflet des préoccupations de deux auteurs complets qui ont grandi ensemble et que vingt ans de collaboration n'ont jamais empêché de se remettre en question...
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