Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

L'ange bossu (Megalex) par Thierry Bellefroid
« L'ange bossu », tome 2 de Megalex. Par Beltran et Jodorowsky. Aux Humanos.

A l'heure où tout le monde semble décidé à tenter l'expérience de la 3D, Frédéric Beltran possède une belle longueur d'avance sur la plupart de ses collègues. Il le prouve une fois encore en réalisant un album irréprochable, pour autant qu'on ne soit pas hermétique au dessin informatique. Il faut dire que le tome 2 de cette nouvelle et dernière extension de l'univers SF de Jodo se prête parfaitement à l'exercice. Les décors sont particulièrement soignés, on se croirait dans un jeu vidéo de première classe.
Pas d'ellipse entre la fin du premier tome et le début de celui-ci : la première case est la suite immédiate de la fin de « L'anomalie ». On y retrouve Anomalie (puisqu'il faut bien l'appeler par le seul nom qui distingue ce clone géant de ses congénères programmés pour une vie éphémère au service de Mégalex) et la rebelle qui l'a sauvé de la mort, trois pages avant la fin du premier album... sans avoir eu le temps de se présenter. La belle rebelle en question, genre « Sinéad O'Connor première époque » pourvue d'attributs hors gabarit, répond en fait au nom d'Adamâ. Elle va emmener Anomalie dans un monde parallèle et souterrain qui, pour être en rébellion avec l'ordre d'en haut, n'en est pas moins régi par des règles précises et des lois impitoyables. Anomalie reçoit un nom. Une nouvelle vie. Et une mission à remplir. On a déjà vu ça dans d'autres registres. Mais le savoir-faire des deux auteurs donne du relief à cet univers ultra-codé.
Incandescence (Candélabres) par Thierry Bellefroid
« Incandescence », tome 3 de Candélabres. Par Algésiras. Chez Delcourt.

Algésiras poursuit son oeuvre subtile et toute en demi-teintes. L'heure est venue d'éclairer le lecteur et de lever une part du voile qui cachait le mystère des Candélabres, ces êtres étranges qui semblent se combattre les uns les autres aux dépens de Paul, le héros. Mais vous n'aurez pas toutes les réponses à vos questions dans cet album et c'est tant mieux. Algésiras sait distiller son histoire sur la longueur sans donner le sentiment de « faire durer ». Elle construit peu à peu un monde original qui se caractérise à la fois par ses côtés fantastiques et les profils fouillés des ses protagonistes. Elle aborde en outre le thème de l'homosexualité avec intelligence et délicatesse. Bref, on aime. Il faut dire que le dessin élégant et dépouillé de la jeune femme ajoute aux charmes de son univers.
« La volonté du mal », tome 2 de la série « Les immortels », par Desberg et Reculé. Chez Glénat.

Reculé aimerait bien être Marini. Ca se sent à toutes les pages de cet album aux couleurs pas toujours très heureuses (Reculé aime beaucoup le mauve, mais c'est une couleur difficile à marier) mais flamboyantes. Ses personnages trop silhouettés et quelques maladresses font cependant la différence entre son dessin et celui de l'Italien complice de Desberg sur la série « Le Scorpion ». Pourtant, il y a une esthétique intéressante dans son dessin et certaines pages sont plutôt réussies (les planches 16 à 19 par exemple). Le dessinateur gagnerait sans doute à être davantage lui-même. Quant à l'histoire, elle s'oriente très exactement vers ce à quoi on pouvait s'attendre. Desberg n'arrive pas à surprendre ; il faut dire qu'il exploite un sujet éculé et ne fait rien pour s'écarter du déjà-vu. Nahel va donc emmener la jolie Rio au paradis et enfreindre les lois sacrées du monde des anges... avec toutes les conséquences auxquelles on peut s'attendre.
Sans retour (Khatedra) par Thierry Bellefroid
« Sans retour », tome 2 de Khatedra. Par Ange et Castaza. Chez Soleil.

Deuxième tome de cette intéressante série lancée l'an dernier par le duo de scénaristes Ange avec Phil Castanza au dessin. Et deuxième bonne surprise. Après un premier album original, les auteurs parviennent à surprendre leur public. Félix, le jeune adolescent qui a traversé le temps et l'espace pour se retrouver l'élu dans un monde parallèle avant de réintégrer la Terre veut maintenant retourner dans le Pays. Non pas pour être à nouveau adulé en tant que « Khatedra ». Au contraire, il veut réparer le mal qu'il a contribué à y faire en servant une guerre injuste et barbare. Mais le temps ne s'est pas écoulé là-bas à la même vitesse que sur Terre et Félix va au devant de surprises et de nouveaux désenchantements. L'histoire est bien ficelée, le rythme est soutenu juste ce qu'il faut, les trouvailles et rebondissements ne manquent pas et viennent pimenter le tout. Plein de contradictions, volontiers utopiste comme on peut l'être à son âge, Félix est un héros attachant que l'on se plaît à suivre dans ce deuxième album. Le dessin de Castaza est plaisant mais manque parfois de variété dans les expressions faciales. Pour le reste, rien que des bons points.
« Ville-Rêve », tome 1 de la traversée onirique d'Azur Daffodil. Par Kélilan. Chez Paquet.

Voilà un album qui ne manque pas d'audace. Kélilan y aborde l'un des genres les plus périlleux en BD : l'onirisme. Et il n'y va pas avec le dos de la cuiller ! On comprend assez vite que la réalité dans laquelle baigne le tout début du récit -un jeune couple en vacances à la mer quelque part dans un village tranquille de la Méditerranée- n'est qu'un leurre. Le problème est que, très vite, le réel et le rêve semblent n'être qu'une seule et même entité, entraînant le lecteur dans une succession de questionnements à tiroirs. Qui rêve qui dans cette histoire ? C'est bien la question que Kélilan veut nous faire nous poser, non sans un certain culot. Parce qu'enfin, on aime bien comprendre où on va, nous, lecteurs Lambda. Et là, c'est encore un peu confus. Peut-être qu'en relisant le livre, on comprend mieux... Moi, j'aurais plutôt l'impression que l'auteur s'est amusé à nous laisser mariner dans notre jus tout exprès. Avec l'intention de nous mener en bateau et en rêve... jusqu'à la fin du tome 3. Personnellement, je suis prêt à me laisser faire.
« Contes et nouvelles de guerre de Maupassant », par Battaglia. Chez Mosquito.

Battaglia a adapté de nombreux écrivains français. Il s'est attaqué à Maupassant à la fin des années 70, dans la revue italienne Linus. Il a choisi d'illustrer des nouvelles sur la guerre -celle de 1870 bien sûr, puisque Maupassant est mort bien avant la Première Guerre Mondiale. Parmi les textes choisis se trouve Boule de Suif, la nouvelle que Guy de Maupassant écrivit sur les conseils de Flaubert en 1880 et qui le fit connaître. Comme tous les autres récits repris par Dino Battaglia dans cette adaptation somptueuse, l'auteur se sert du contexte de la guerre pour raconter des histoires d'hommes et de femmes que le conflit rend pitoyables ou héroïques mais qui sont toujours des acteurs de troisième plan. Prussiens et Français y vivent une drôle de cohabitation. Maupassant brosse en quelques traits des caractères et des personnages typiques de la Normandie paysanne. Il ne faut que quelques pages à Battaglia pour les croquer à son tour, leur donner un contour et une apparence, souvent d'une justesse et d'une épaisseur étonnantes. Le noir et blanc du dessinateur italien est fait de gris tramés et de vides d'une blancheur étonnantes, participant à l'équilibre de la page et à la fluidité du récit. Battaglia a repris les éléments de texte essentiels, mais à aucun moment, ne donne l'impression d'être emprisonné par les mots de l'écrivain. Il leur donne vie, au contraire et magnifie l'art de la concision et du portrait de l'auteur du Horla. Deux des histoires de ce recueil ont été mises en couleur par Laura Battaglia, qui a assisté feu son mari sur l'ensemble de ces adaptations.
« Vérités », tome 4 de la série « Les coulisses du pouvoir ». Par Delitte et Richelle. Chez Casterman.

Qui a tué l'ancien Premier Ministre, Sir Stuart Parkinson, quelque temps après qu'il ait annoncé avoir des révélations à faire sur des magouilles au sein même du gouvernement ? Cette question, le lecteur se la pose pendant près de deux cents pages. Philippe Richelle ne pouvait donc pas rater la conclusion de son intrigue de politique-fiction. Ce quatrième et dernier tome révèle à la fois les dessous des cartes et donne un sens à toutes les histoires des personnages secondaires ou principaux qui ont émaillé l'histoire. Avec une remarquable maîtrise du rythme, Richelle pose ses derniers jalons. Il fait en sorte que la vérité n'apparaisse que par paliers. C'est rudement bien joué. Il évite ainsi l'écueil principal des fins d'histoires policières où, pour des raisons de suspense, on attend la dernière minute pour révéler la clé du mystère, au risque de proposer une conclusion bavarde et indigeste. Ici, les vérités ne sont jamais complètes. Au contraire, elles se complètent les unes les autres, s'emboîtant comme des poupées russes et amenant jusqu'au dernier moment leur lot de rebondissements. Dans le même temps, le destin de tous les personnages est brossé en quelques traits. Le lecteur assiste ainsi au dénouement de l'intrigue et à la « morale » des histoires sentimentales ou professionnelles qui l'ont tenu parallèlement en haleine. L'exercice était périlleux.
Le dessin de Delitte s'est quant à lui débarrassé de quelques-uns de ses tics pour privilégier des ambiances aussi crédibles et réalistes que possible. C'est toujours aussi réussi à travers les « gueules » des personnages qui sont d'une justesse toute britannique. Ce l'est aussi à travers une mise en scène sobre que les textes très nombreux ne doivent pas toujours simplifier. Une saga indispensable dans la bibliothèque de tout amateur d'histoires de politique-fiction.
« L'affaire du Nalta P312 », tome 1 de la série « Les arcanes du Midi-Minuit », par Gaudin et Trichet. Chez Soleil.

La même histoire dans un contexte moins fantastique serait sans doute une banale enquête policière comme on en a vu des centaines. Mais transposée dans un univers Steampunk, doublée d'un mystérieux duo de cousins-enquêteurs qui peuvent se substituer l'un à l'autre en utilisant les miroirs, il ne s'agit plus tout à fait d'une histoire policière « banale ». C'est ce qu'a très bien compris Jean-Charles Gaudin, auteur des séries Marlysa, Garous et Galfalek (toutes les trois chez Soleil) dont les deux premières, au moins, connaissent déjà un joli succès. Il a trouvé en la personne de Cyril Trichet un dessinateur débutant de grande qualité. Bien sûr, le dessin de Trichet n'est pas exempt de défauts, mais il possède une remarquable facture pour un premier album ! Biberonné par Crisse, le jeune dessinateur a heureusement réussi à ne pas trop se laisser influencer par le graphisme de son « maître ». Il développe un trait d'une grande clarté qui ne pourra que s'améliorer au fil des albums. Bref, un duo qui mêle l'expérience et la spontanéité pour le plus grand bien de cette histoire qui allie elle aussi fraîcheur et veilles recettes dans un mélange assez réussi.


Presque Sarajevo par Thierry Bellefroid
« Presque Sarajevo », par pierre Wazem. Chez Atrabile.

L'éditeur genevois Atrabile continue de publier les meilleurs livres autobiographiques de la nouvelle génération d'auteurs suisses. Après le fantastique « Pilules bleues » de Férédérik Peeters et le « Promenade(s) » du même Wazem l'automne dernier, voici « Presque Sarajevo ». Pourquoi « Presque Sarajevo » ? Parce que Pierre Wazem a le sentiment de ne pas avoir « fait » Sarajevo comme d'autres ont fait le Népal ou l'Andalousie. Après une introduction très déroutante -mais excellente-, les trois chapitres qui composent ce carnet de bord d'après souvenirs s'unissent en une toile multiforme traversée par une impression commune : celle d'être passé à côté. Avec une sincérité rare (qui n'étonnera pas ceux qui ont lu d'autres récits biographiques de Wazem), l'auteur raconte « sa » semaine à Sarajevo, en 1999. Invité avec trois autres dessinateurs genevois au vernissage d'une exposition, ce voyage dans la ville-martyre quatre ans après la fin de la guerre est pour lui un étonnement permanent. Parce que confronter la réalité aux images télévisées ne suffit pas. Il faut encore parvenir à décoder ce que l'on voit. Wazem s'y emploie. Il ne tranche pas, ne juge pas. Il écoute. Et il s'interroge. Qui sommes-nous pour comprendre l'âme d'une ville toute entière marquée par la guerre et qui, peut-être, se complaît dans ses cicatrices ?
Le livre est traversé de part en part par cette impression de ne pas être à sa place ou de ne pas trouver sa place. Mais c'est cette honnêteté, ce constat d'échec -très exagéré, car Wazem le montre suffisamment : il a compris bien plus de choses qu'il ne le croit- qui font la richesse de l'oeuvre. Un livre vrai, dessiné de mémoire et donc forcément très subjectif. Mais un livre rare, dans ce mélange de reportage, d'introspection et d'humour que seul Wazem peut coucher sur le papier, en quelques traits vifs. Un livre qui parle d'amitié, aussi. Bref, un livre qui vous prend comme une confession, pas comme un carnet de voyage. Wazem y fait preuve de beaucoup d'humilité. Et d'au moins autant de talent !
« Manipulations minutieuses », tome 3 de Mobilis. Par Andréas et Durieux. Chez Delcourt.

Pas de doute, « Mobilis » est bien un scénario d'Andréas. Lui seul pouvait inventer une histoire fantastique aussi subtilement étrange. Lui seul pouvait nous concocter une fin pareille. Au terme de trois albums qui ont collectionné les histoires parallèles et les égarements, Nevada, le héros de l'histoire, va se trouver confronté à lui-même. Il détient la clé de toute l'histoire. Il est la clé de l'histoire, même. Et c'est avec un malin plaisir qu'Andréas a imaginé toutes les manipulations dont il a été l'objet pour en arriver là. La fin est parfaite. Comme toujours, il reste des zones d'ombre. Le père de Arq, de Rork ou de Capricorne ne nous a pas habitué au travail prémâché. Jouant sur la géométrie autant que sur le mystère de l'esprit, il nous offre cette fois encore des éléments en vrac ; à nous de faire le tri, de recomposer notre vérité. De chercher derrière les apparences. Le mieux est encore de relire l'ensemble à la lumière de ce troisième tome. Quant au dessin de Christian Durieux, il a poursuivi le travail de toilettage entrepris dans le tome 2. Il s'est fluidifié, dépouillé, recentré sur les éléments essentiels. Le résultat est tout simplement lumineux.
« Carnet de bord 1-10 décembre 2001 », par Lewis Trondheim. Dans la collection Côtelette de L'Association.

A L'Association, on est amoureux des livres. Des beaux livres. Et ça se voit. Le soin apporté à la fabrication des albums de L'Asso est magistral. Résultat, les petits bouquins (de poids très variable) de la nouvelle collection Côtelette sont de vrais objets de bibliothèque. On peut les ranger sans honte entre Duras et Yourcenar, le visiteur n'y verra que du feu. Il est amusant de constater que derrière ces ouvrages à la finition ouvragée peuvent se cacher des BD aussi brutes de décoffrage que ce carnet de bord de Lewis Trondheim ! Garanti sans crayonné, sans tippex et sans corrections orthographiques, il n'en est que plus intéressant. Trondheim profite d'un voyage à la Réunion (il déteste voyager, ce n'est donc pas par plaisir de l'exotisme) pour nous faire entrer dans son intimité pendant une dizaine de jours. Ça pourrait s'appeler : journal de bord d'un râleur qui se soigne. Ce petit livre est un régal. Tout y est : la spontanéité, le talent de narrateur, l'humour, l'auto-dérision. En le refermant, on n'a qu'une envie : le relire !
« Meurtres en réseau », tome 3 de la série « Le cybertueur », par Godard et Plumail. Dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Jerry O'Grady, l'inspecteur qui a résolu l'affaire du Cybertueur Kewin Mulford ne fait plus confiance à personne. Il a raison. Car Kewin va ressortir de sa boîte comme à chaque fois qu'on le croit vaincu. Le génie de l'informatique transformé en millions de pixels pensants est de retour. Toujours fou d'amour pour la belle Joan qu'il persécute depuis le premier album... et de plus en plus insaisissable. Jusqu'où Godard peut-il aller dans cette thriller informatique sans flirter avec le ridicule ? On peut se poser la question. Il n'empêche, ce troisième épisode reste aussi trépidant que les deux premiers. Non sans un certain humour, on y voit Kewin jouer avec les nerfs des forces de l'ordre et d'une bande d'anciens hackers lancés à sa recherche. La course-poursuite est autant virtuelle que réelle puisque Godard ne néglige pas les scènes d'action. La fin est discutable. Elle n'est en tout cas pas d'un bon goût exquis. Plumail commence quant à lui à mieux maîtriser les proportions des personnages ce qui rend son dessin plus digeste. Bref, une série B de facture honorable. Mais pas de grand frisson au rendez-vous...
Entre les mondes (Bloodline) par Thierry Bellefroid
« Entre les mondes », tome 4 de la série Bloodline. Par Ange, Varanda et Valton. Chez Vents d'Ouest.

Cela fait maintenant pas loin de 200 pages que les scénaristes de ce brillant thriller nous baladent. Lauren et Kevin ont échappé de justesse à des tueurs qui ont assassiné leurs deux frères et leur précepteur avant de les traquer impitoyablement, où qu'ils aillent. 200 pages que les lecteurs cherchent -comme les deux héros- à comprendre la raison de cette chasse à l'homme sans merci. On s'est bien amusés, merci. Mais il serait peut-être temps de lâcher quelques infos. A force, le principe de la course-poursuite commence à lasser. Même si cet album reste d'une lecture très agréable -en dépit d'un changement de dessinateur qui vous saute à la figure dès la première page- il faut dire que le glissement du polar vers le fantastique est plus que déroutant. Il méritait d'être traité de manière plus approfondie, surtout après une aussi longue attente (Le tome 3 datait... de 98) Bref, le lecteur referme cet album avec un grand sentiment de frustration et l'espoir d'obtenir enfin des réponses dans le tome 5.
Les amants (Ring Circus) par Thierry Bellefroid
« Les amants », tome 3 de Ring Circus. Par Chauvel et Pedrosa. Chez Delcourt.

Ring Circus reste une oeuvre à part dans l'univers très sombre et américain de David Chauvel. Au fil des albums, on s'attache de plus en plus à cet univers de cirque itinérant paré d'un épais mystère. Il faut dire que les éléments fantastiques sont savamment dosés et donnent à l'histoire un sel que le simple road movie n'eût pas pu amener. Les deux amis, Anthonin et Jerold, coulent des jours heureux avec leur compagne respective, Lilas et Blanche. Mais le bonheur tranquille ne fait pas partie des ingrédients préférés des scénarios de Chauvel. L'auteur va donc prendre un malin plaisir à brouiller les pistes et assombrir les coeurs. Avec beaucoup de justesse et de finesse, grâce à une mise en scène sobre, et sans jamais oublier de parsemer son histoire d'ingrédients poétiques ou d'humour subtilement dosé. Mais tout cela ne serait rien sans le magnifique dessin de Cyril Pedrosa. Plus clair et plus stylisé encore qu'à ses débuts, il flirte avec le dessin d'animation et ménage des effets brillants, passant de la scène très conte de fées à des ambiances inquiétantes avec beaucoup d'aisance. Pedrosa explose de talent jusque dans les couleurs d'un album réussi de bout en bout.
Merriadek (Robin Hood) par Thierry Bellefroid
« Merriadek », tome 1 de Robin Hood. Par Brrémaud et Loche. Chez Soleil.

Sans doute l'un des meilleurs albums sortis cette année chez Soleil. Bon, c'est vrai, on n'est encore qu'en avril, il n'y a donc pas des milliers de concurrents. Soit. Disons en tout cas que c'est sans doute l'un des meilleurs premiers albums d'un dessinateur de BD, toutes BD confondues. John-Simon Loche fait merveille dans ce registre à cheval sur l'humour, la légende et le conte fantastique. Ses créatures (dragons, korrigans,...) sont parfaites, mais son univers se caractérise avant tout par sa sobriété et son expressivité. Les couleurs sont judicieusement choisies et viennent compléter un dessin qui tire parti du grain du papier aussi bien que du mélange des techniques. Comme l'histoire n'a rien à lui envier, on se retrouve devant un excellent album qui préfigure une série au ton incisif et décalé. Car Robin Hood n'est pas une parodie de Robin des Bois. Ce serait plutôt une variation. Robin ne sert que de faire-valoir aux vrais héros de l'histoire et se fait balloter au gré des humeurs du scénariste, Frédéric Brrémaud. Souvent enrhumé, un rien couard, pas très dégourdi, Robin des Bois est donc un personnage référentiel pris à contre-pied. L'idée de cette série étant de raconter ce que l'on ne sait pas de son histoire... en commençant par le moins probable. Brrémaud se permet tout : mélange des genres et portraits iconoclastes. Pour notre plus grand plaisir. Et avec talent.
L'émissaire (Alpha) par Thierry Bellefroid
« L'émissaire », tome 6 de la série Alpha. Par Mythic et Jigounov. Au Lombard.

Le genre de couverture qui vous attire les lecteurs comme un aimant attire la limaille. Il faut dire qu'Alpha est entré dans la cour des grands, avec un tirage aux alentours des 120.000 exemplaires. Sans pouvoir rivaliser avec les productions de Jean Van Hamme, le fleuron de Troisième Vague se positionne clairement comme un produit de grande consommation. Et c'est exactement ce qu'il est. Soucieux de coller au plus près à la réalité, le scénario de Mythic est un bel exemple de politique-fiction, mêlant campagne d'élection présidentielle américaine et situation en Ulster. Son talon d'Achille est cependant de s'appuyer sur une construction complexe, déroutante pour un lecteur peu averti, puisqu'elle passe de manière incessante d'une situation à une autre sans jamais prendre le temps d'expliquer l'enjeu de l'histoire. Il faut attendre le dernier tiers pour vraiment établir le lien entre tous les personnages et deviner où nous emmène ce nouvel épisode en deux tomes. Mais ceux qui auront eu le courage de s'accrocher pour recomposer le puzzle de ce scénario ne seront pas déçus : ils y trouveront une histoire solide, bien documentée et qui ne manque pas de rebondissements. Certains sont prévisibles, mais l'ensemble se laisse lire comme un bon thriller en BD. Jigounov fait tout ce qu'il peut pour faire oublier que ses personnages sont statiques et souvent empruntés. Il force le trait autant que possible pour ajouter encore au réalisme de l'histoire (sauf en matière de couleurs, comme toujours) en dessinant ses décors, surtout. Dommage qu'il soit toujours incapable de dessiner une paire de jambes gracieuse...
« Le marquis d'Anaon », tome 1 : L'île de Brac. Par Vehlmann et Bonhomme. Chez Dargaud.

On pouvait s'en douter : Fabien Vehlmann n'a pas raté le virage qui devait le sortir des scénarios sous forme d'histoire courtes pour entamer sa première vraie histoire de 46 planches. Dans un style classique mais efficace, son livre retrace l'enquête réalisée un peu malgré lui par un jeune médecin de la ville échoué sur une île bretonne hostile dans les années 1700. Jean-Baptiste Poulain est engagé comme précepteur par le baron local pour assurer l'éducation de son fils Nolwen. Mais juste après l'arrivée du précepteur, Nolwen est découvert mort. Commence alors pour le jeune homme une descente aux enfers qui va lui permettre de faire connaissance avec toute la noirceur de l'âme humaine. Un propos très proche de celui développé par Corbeyran dans la série « Petit Verglas ». Mais une ambiance magistralement rendue aussi par le dessin de Bonhomme, quasiment inconnu au bataillon et qui s'en sort avec tous les honneurs. Dessin très lisible, excellente mise en page, décors et personnages oppressants, mise en scène sobre mais percutante, tout semble sourire à ce dessinateur. On regrettera juste la fin un peu trop facilement évacuée « à coup de sables mouvants », mais sinon, voilà une très belle surprise, tant au plan de l'image (y compris les couleurs) que du scénario.
« Requiem pour une vache », tome 2 de la série « Lait entier ». Par De Moor et Desberg. Au Lombard.

Revoilà La Vache dans ce qu'elle a de meilleur. Après une premier album au Lombard un peu faiblard, Desberg et De Moor nous ont concocté une aventure de Pi comme on les aime : déjantée, référentielle à souhait et un brin surréaliste. Bien sûr, cette marque de fabrique n'est pas nécessairement compatible avec les chiffres de vente les plus élevés et cet « ésotérisme » dans l'humour coupera toujours De Moor et Desberg d'une partie du public. Mais tant qu'ils s'amusent et qu'ils amusent leur public avec un bonheur aussi manifeste, on ne peut que les encourager à éviter les concessions et la facilité. L'usage des langues diverses (à commencer par le flamand) reste un bon moyen de développer un humour en marge. Un humour qui se base avant tout sur la complicité entre le lecteur et les animaux dessinés par De Moor. Des animaux intelligents mais discrets qui rivalisent d'astuce pour cacher aux hommes qu'ils sont doués de parole et de faculté de raisonnement. La complicité va plus loin encore, ici, puisque le lecteur assiste, toujours avec humour, à la naissance de la suprématie humaine sur le monde animal. Il découvre, dans un pamphlet loufoque, que ce qui différencie l'homme des autres mammifères, c'est sa cupidité. Le récit ressemble un peu à la trajectoire d'une balle magique lancée dans une pièce de trois mètres sur quatre : ça part dans tous les sens d'avant en arrière et de bas en haut. Mais le dessin définitivement unique de Johan De Moor permet toutes les audaces. Et réserve quelques très beaux moments. Même si la surprise a disparu depuis le temps que Pi fait partie du paysage, on recommandera la lecture de cet album à tous ceux qui aiment la BD à la fois tout public et innovante.
« Révélations », tome 3 de Comptine d'Halloween. Par Callede, Denys et Hubert.

Suite et fin de ce Stephen King en BD dans une petite ville des Etats-Unis. En trois albums, Callede a réussi à camper un bon suspense, aux événements parfois prévisibles mais au rythme impeccable. La fin est particulièrement soignée et heurtera peut-être certains lecteurs adversaires d'une violence débridé dans la BD tout public. C'est vrai que dans les dernières pages, les auteurs ont mis toute la gomme, évitant l'écueil de la « grande explication » qui clôt parfois maladroitement une telle trilogie basée sur le suspense. Au contraire, ici, tout passe par l'image et l'action. Extrêmement cinématographique, « Comptine d'Halloween » n'est sans doute rien de plus qu'une transposition habile en BD d'histoires déjà vues et revues au cinéma ou en littérature. Mais le résultat est tout à fait honorable. Cela tient sans doute au climat d'oppression bien distillé à travers un découpage et un dessin que Denys a appris à maîtriser au fil des albums. Creeper Creek peut maintenant retrouver son calme. Le drame est consommé. Les (sur)vivants n'en sortent pas indemnes. Ce n'est pas plus mal.
« Une aventure rocambolesque de Sigmund Freud. Le temps de chien ». Par Manu Larcenet. Chez Dargaud.

On aime les chiens et les chats chez Poisson Pilote. Après la livraison de Sfar/Blain début janvier, voici à nouveau un chien qui parle, sous la plume de Larcenet, cette fois. Une comédie grinçante qui jette l'un ou l'autre clin d'oeil à l'illustre Lucky Luke sans toutefois verser dans la parodie simple du western. Car si cet album est si réussi, c'est avant tout parce qu'il est totalement inclassable. Larcenet imagine les aventures d'un Freud monomaniaque parti à la conquête du « marché américain » et bien décidé à y faire un coup d'éclat avant de rentrer à Vienne. Quel meilleur coup d'éclat que de psychanalyser un chien errant à la recherche d'une âme ? C'est ce qui se produit dans cette aventure improbable et très drôle ou l'esprit cartésien des uns s'oppose aux sciences occultes des autres, chaman indien y compris. Un délire savamment orchestré qui débouche sur une fin plus tendue et surtout plus profonde que prévu. Manu Larcenet passe décidément avec bonheur du rire à la réflexion et le lecteur ne le voit pas toujours venir. Tant mieux.

Quelques-unes des répliques de cet album sont absolument parfaites. Le casting l'est aussi. Mais n'oublions pas le dessin. Sans en avoir l'air, l'auteur compose ici quelques-unes de ses plus belles pages (les planches 36 et 37, notamment) et affirme avec force un talent complet. Il prouve également que Poisson Pilote a une vocation à part dans les collections actuelles de bande dessinée, celle de pouvoir aborder tous les sujets, des plus poétiques aux plus intellectuels, en les traitant toujours de manière décalée. Bref, le défi des débuts est aujourd'hui relevé. Même si Dargaud n'est pas allé à la recherche de nouveaux auteurs mais a « embauché » des talents déjà éclos, il leur permet de s'exprimer dans une collection cohérente, riche, et qui renouvelle réellement la BD d'humour.
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