Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Cancrus Supremus », tome 1 de la série « Le collège invisible », par Ange et Donsimoni. Chez Soleil.

Et encore une nouvelle série pour Ange. Cette fois, on se croirait dans un remake de Harry Poter. Guillaume, élève magicien passé par magie (c'est le cas de le dire) du stade de cancre à celui de premier de classe, est un héros sympathique qui devrait plaire aux plus jeunes. Son amour pour les dragons lui vaudra de trouver en lui un courage insoupçonné pour affronter la Mal Absolu. C'est amusant, bien raconté, plein de petites trouvailles mais cela dégage tout de même un gentil parfum de déjà vu. Evidemment, il y a le dessin de Régis Donsimoni, qui possède une fraîcheur et une poésie bienvenues dans ce monde de brutes. Beaucoup d'humour aussi, puisque les trolls et les lutins de cette histoire sont assez lointains de l'imagerie classique. Bref, on n'est pas passé loin de la banalité, mais grâce aux qualités du trio qui oeuvre sur cette histoire, on l'a évitée.
Le captif par Thierry Bellefroid
« Le Captif ». Par Pellejero et Zentner. Chez Mosquito.

Les hasards de l'édition font que cette traduction française d'un livre datant de la première époque de collaboration entre Pellejero et Zentner paraisse au même moment que leur nouvelle série chez Casterman, « Aromm ». Cela permet évidemment de mesurer tout le chemin parcouru par le dessinateur depuis sa rencontre, au début des années 80, avec ce scénariste argentin. « Le Captif », c'est du Pellejero à l'ancienne, finesse d'exécution à la plume dans laquelle on sent tout l'héritage d'un Hugo Pratt. Certaines planches, plus aérées et spectaculaires, laissent présager de l'évolution que tout le monde connaît aujourd'hui. La toute dernière planche, par exemple, est particulièrement réussie. Mais s'il n'a pas encore choisi d'épaissir son trait au moment de dessiner cette histoire, Ruben Pellejero réussit pour autant parfaitement cette adaptation d'un récit hallucinant, celui d'un artilleur allemand retenu prisonnier dans un village cannibale du Nouveau Monde au XVIème siècle. L'histoire est véridique, elle a d'ailleurs été immortalisée à l'époque par un graveur, Maître Colben, que Jorge Zentner a choisi de montrer à l'oeuvre dans la BD. Le récit est donc celui que fait le rescapé au graveur qui va immortaliser ses aventures ; il oscille entre passé et présent et même, avec beaucoup de subtilité, il évite le détail des scènes les plus atroces en remplaçant leur transposition en BD par l'utilisation des gravures d'époques, plutôt allusives et désincarnées pour le lecteur d'aujourd'hui. L'histoire est passionnante et le traitement brillant : il aurait donc été dommage de ne pas en faire profiter les lecteurs francophones. Grâce à Mosquito, cette « injustice » est désormais réparée.
Destins nomades (Âromm) par Thierry Bellefroid
« Destins nomades », tome 1 de la série Aromm, par Zentner et Pellejero. Chez Casterman.

Même si Jorge Zentner a récemment multiplié les projets de séries avec d'autres dessinateurs, il n'avait jusqu'ici pas franchi le cap avec son vieux complice, Ruben Pellejero (si l'on excepte Dieter Lumpen, mais on ne peut pas vraiment parler de série). Aromm est donc leur première expérience du genre en commun et l'on peut dire que l'essai n'est pas totalement concluant. Passons d'abord en revue les points positifs. Le dessin de Pellejero est remarquable, son trait toujours plus épais possède une puissance évocatrice magistrale et sa mise en couleur dope réellement le dessin. Quant à l'écriture de Zentner, même si elle peut parfois lasser par son côté répétitif, elle recèle une qualité intrinsèque indéniable. Ce n'est déjà pas si courant. En revanche, si leurs précédents albums excellaient dans la concision et la densité, ce premier Aromm pêche par un excès de dilution. Qui plus est, il est très vite lu et laisse le lecteur sur une impression de vide assez déplaisante. Le genre de lecture vite oubliée ; on s'en rappelle avec le vague sentiment d'avoir caressé un dessin magnifique et des ambiances envoûtantes. Reste que ce monde mythologique qui mêle les steppes mongoles aux rites chamaniques moins définis plaira sans doute à tous les fans de ce duo talentueux.
Le totem des Cynos (Aquablue) par Thierry Bellefroid
« Le totem des Cynos », tome 9 de la série Aquablue, par Cailleteau et Tota. Chez Delcourt.

Sous l'influence de Ciro Tota, Aquablue est plus écolo que jamais. On finirait même par oublier son côté aventurier galactique tant la série semble prendre un tour « familial ». D'ailleurs, sans dévoiler trop « la » surprise de ce neuvième tome, sachez que Nao ne va pas tarder à jouer les Thorgal ou les Buddy Longway de la SF. Malgré ce changement de cap, la lecture de cet album reste agréable et délassante. Mais n'est-ce pas un peu court pour une série que les cinq premiers volumes avaient placée au plus haut ? C'est vrai, le lecteur a le sentiment d'être face à un ersatz de ce qu'il a connu jadis. La plupart des personnages manque d'épaisseur et de nuances, l'humour reste sans doute la seule chose plus ou moins constante depuis les débuts et les thèses écolo sont mises tellement en avant qu'on aurait presque envie d'aller jeter sa poubelle sur la rue, juste pour faire un peu barrage aux bons sentiments...
« Regarde au-dessus des nuages », tome 17 de la série Buddy Longway, par Derib. Au Lombard.

Au Lombard, on aime aller rechercher les vieux héros fatigués et leur donner une nouvelle jeunesse. Après Jonathan, c'est Buddy Longway qui nous fait le coup du come back retentissant. Treize ans d'absence et Derib nous balade sur 48 pages comme s'il s'était passé trois minutes entre « Le dernier rendez-vous » et ce « Regarde au-dessus des nuages ». Drôle d'effet ! L'album est truffé d'allusions au reste de la série, astérisques avec renvoi en bas de page et personnages resurgissant du passé. Pour le reste, Derib nous raconte sa version de « L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ». Et les chevaux, il les dessine comme Franz, les yeux fermés ! Autrement dit, il est dans son élément et ça se sent. L'univers écolo-familial de Derib paraît aujourd'hui tout ce qu'il y a de normal. Mais il faut se rappeler qu'à ses débuts, il faisait figure de précurseur avec cette BD hors-norme. Les nostalgiques apprécieront donc cet exercice de « résurrection » à sa juste mesure. Les autres regretteront que, comme toujours, la lecture d'un Buddy Longway n'excède guère les quinze minutes...
« Le destin de Jasper Unluck », tome 1 de la série « Séminole », par Rocca et Cassini. Chez Soleil.

Après s'être fait les dents sur « Bouffe Doublon », le duo Rocca-Cassini passe à la vitesse supérieure. Le thème développé dans cette nouvelle série a au moins le mérite d'être original. Une histoire d'Indiens sans cow-boys, qui nous parle d'un peuple farouche en révolte avec le pouvoir américain à la frange sud du territoire, la Floride. On n'est pas loin des plantations de coton, l'un des trois héros est d'ailleurs le fils d'un riche planteur. Mais il y a en outre la proximité de Cuba et des contrebandiers, les marais de Floride et leurs sauriens redoutables, les esclaves noirs en fuite... Un sacré mélange qui place ce récit sur les Séminoles quelque part entre Blueberry, les albums mexicains de Durango et Barbe-Rouge. Le tout dans la première moitié du XIXème siècle, sur fond d'histoire d'amour impossible entre la fille du grand chef des Séminoles et trois prétendants aux objectifs inconciliables. Un bon récit d'aventure plein de rebondissements, qui pêche par quelques ellipses vraiment violentes (on reconnaît à peine le héros d'une case à l'autre tellement il a vieilli physiquement) sans que cela ôte le plaisir de la lecture. Cassini a fait de beaux progrès depuis ses débuts mais son trait hésite encore parfois un peu trop entre le réalisme et la caricature.
« On peut toujours discuter ! », tome 5 de la série Rat's, par P'tiluc. Aux Humanos.

Des rats, des crapauds et cette fois... des castors. Il n'en faut pas plus à P'tiluc pour nous concocter une farce hilarante qui se moque des soi-disant peuples civilisés avec une joyeuse démesure. Pour asservir les castors trois fois plus grands qu'eux -mais semble-t-il beaucoup moins intelligents- les rats adoptent la même technique que les Américains avec les Indiens : eau de feu et bouffe à gogo. Pendant ce temps, P'tiluc délire en se servant des crapos comme de vulgaires chewing gum. Ca gicle dans tous les coins et à certains moments, on se croirait dans un de ces dessins animés de Tex Avery où rien ne peut jamais détruire les personnages qui, même après avoir éclaté en mille morceaux, se recomposent et repartent à l'attaque. C'est joyeux, farceur, mais pas complètement innocent. Parfois, on aimerait que les Indiens -heu, pardon, les castors- arrêtent de parler petit nègre. Mais bon, pour le reste, qu'est-ce qu'on s'amuse.
Lettre aux survivants par Thierry Bellefroid
« Lettre aux survivants » de Gébé. Dans la collection Côtelette de L'Association.

« Lettre aux survivants » exploite le thème le plus en vogue du début des années 80 : l'apocalypse nucléaire. Gébé choisit de se placer à mi-chemin entre « Malevil », le roman -ou le film- sans doute le plus réussi sur la question... et « 99F ». Pourquoi évoquer ici le roman de Frédéric Beigbeder ? Pour cette forme de cynisme désabusé que distille l'auteur. Les survivants dans leurs abris anti-atomiques sont en fait « la famille heureuse » des publicités, celle qui a acheté clés en mains la maison de ses rêves, négocié sans erreur l'achat de la grande routière et du 4X4, cédé à l'appel de l'appartement grand large et du duplex au pied des pistes... Aujourd'hui, cette famille modèle -sans le chien, devenu une ombre sur un mur, puisqu'il a été soufflé par la bombe- végète au fond de son abri. Un facteur à vélo en combinaison anti-radioactive passe en surface et lui raconte des histoires par le conduit d'aération. A mi-chemin entre fable et pamphlet, Gébé distille tout son art dans ce bijou graphique qui n'a pas pris une ride en vingt ans et des poussières... non radio-actives. Même si le thème est moins porteur aujourd'hui, l'album, lui, reste passionnant et bizarrement poétique.
Les 30 clochettes (Djinn) par Thierry Bellefroid
« Les trente clochettes », tome 2 de la série Djinn. Par Dufaux et Mirallès. Chez Dargaud.

On n'ose pas imaginer les critiques, si cet album n'avait pas été dessiné par une femme. Jean Dufaux l'avait très bien compris d'emblée, puisqu'il confessait à la sortie du premier tome de Djinn qu'il avait attendu longtemps avant de se lancer dans l'aventure de cette BD, cherchant une femme pour la dessiner. Si ce choix paraissait un peu comme un caprice à la lecture du premier album, il apparaît dans toute sa cohérence quand on se plonge dans ces « 30 clochettes ». Non seulement Dufaux continue d'explorer la vie du harem, mais il le fait au travers d'un épisode extrêmement délicat que certain(e)s ne manqueront pas de trouver avilissant. Grâce à Anna Mirallès, parfaite de bout en bout, cette initiation érotique qui a tout d'un scénario d'Emmanuelle ne sombre jamais dans la vulgarité. Pourtant, le récit est souvent limite et le thème de la soumission y est abordé sans aucune pudeur. Dufaux joue avec le feu, mais il faut l'avouer, la réussite est totale et Djinn reste sans doute ce qu'il fait de meilleur.
Mémé d'Arménie (Petit Polio) par Thierry Bellefroid
« Mémé d'Arménie », tome 3 de la série Petit Polio. Par Farid Boudjellal. Chez Soleil.

Il nous a manqué, Petit Polio. Depuis 1999, silence radio. Chacun des albums de cette série est pourtant l'occasion d'une plongée tendrement nostalgique dans le monde de l'enfance. Mais une enfance immigrée, avec son lot de personnages plus attachants les uns que les autres et ses quartiers populaires de Toulon à la fin des années cinquante. On retrouve la famille Slimani au grand complet. Mahmoud -Petit Polio- se découvre une grand-mère. En effet, à la suite du décès du grand-père, Mémé d'Arménie débarque à Toulon. La rencontre est belle, à la fois tendre et dure. Car la grand-mère n'est pas Algérienne mais Arménienne, torturée par le souvenir du génocide qui a effacé tous les siens. Et pour corser les choses, elle n'est pas musulmane mais chrétienne. Farid Boudjellal, révélé dans les années 80 par Futuropolis est aujourd'hui édité « à la maison » (Soleil appartient à Mourad Boudjellal, son frère). Mais il n'a rien perdu de sa sincérité ni de son talent. Ses histoires sont à chaque fois d'une justesse de ton et d'une pudeur magnifiques. Et cela en approchant des thèmes aussi audacieux que l'oubli d'un génocide, l'alcoolisme ou encore, pour un des personnages principaux de cette histoire, la recherche de ses racines.
Le dérisoire par Thierry Bellefroid
« Le dérisoire », par Omond et Supiot. Dans la collection Carrément BD des éditions Glénat.

Fan de la première heure de Marie Frisson, j'ai ouvert cet album avec une grande curiosité. Qu'allait pouvoir faire Olivier Supiot « libéré » de la BD enfantine, qui plus est dans un format de pages carrées qui permet toutes les audaces et les découvertes visuelles ? Je n'ai pas été déçu. Si on peut considérer qu'à l'heure actuelle, Olivier Supiot a une manière absolument unique de traiter la couleur, il trouve ici une histoire et un format à la mesure de son talent. Son dessin explose (y compris dans le vrai sens du terme, aux pages 52-53 !) et passe avec bonheur de la rouille la plus triste aux éclats de couleur pure. Quelque part, il rejoint le parti-pris chromatique de Blain sur le Réducteur de Vitesse, mais en le poussant beaucoup plus loin.
L'histoire, fantastique et onirique à la fois, est un véritable écrin pour le dessin de Supiot. Pas étonnant, lorsqu'on sait à quel point Eric Omond est sensible aux qualités graphiques de « ses » dessinateurs. Ses débuts aux côtés de Yoann sur « Toto l'ornithorynque » l'ont suffisamment prouvé. Un tel amour du dessin demande presque une sorte d'humilité dans le chef du scénariste dont l'histoire de capitaine de navire à la dérive racontée ici ne tiendrait pas une minute en cinéma ou en littérature. Fantômes et créatures du rêve se disputent le bateau comme autant de métaphores de la vie et de la mort, permettant au dessinateur de passer du morbide glacial à la féerie la plus éclaboussante. Le genre de livre qui donne à la BD sa raison d'être. Visuellement, il y a longtemps que je n'ai plus eu une telle surprise à la lecture d'une bande dessinée. Supiot a le même sens inné de la couleur pure et de la lumière qu'un Mattotti. Son découpage est d'une intelligence parfaite. Et ses effets sont saisissants. Il ne lui manque sans doute qu'un peu de bouteille pour devenir un tout grand.
« Les affreux », tome 1 de la série Célestin Spéculoos. Par Bodart et Yann. Chez Vents d'Ouest.

Paru à la fin des années 80 chez Glénat, ce premier album de Célestin Spéculoos est réédité aujourd'hui chez Vents d'Ouest où sera également réédité le second volume de la série avant une nouveauté prévue pour la fin de l'année. La lecture -ou la relecture- de cette histoire est un pur moment de bonheur. Yann s'est lâché dans ce scénario comme il a rarement osé le faire, abordant avec une totale franchise le problème des barbouzes employés au Congo à la fin des années soixante, dans les années qui ont suivi l'indépendance. Contrairement à d'autres, Yann n'avait eu aucun scrupule à planter le décor sans changer les noms. Il était même allé plus loin, en gardant et les noms des plus célèbres mercenaires de l'époque -Bob Denard en tête- et ceux du maréchal Mobutu et de sa clique. Tout ça donne un album corrosif, à la fois truffé de vérités et délibérément fou dans lequel les personnages sont peut-être caricaturaux mais tout de même très proches de ceux qui ont écumé l'Afrique post-coloniale. Cette histoire pleine d'humour et d'enseignement est en plus servie par un dessinateur au talent époustouflant, Denis Bodart, récemment « ressuscité » si l'on peut dire, grâce à Green Manor. Bodart dessine comme il respire et peut tout se permettre. Fils spirituel d'un Conrad mâtiné de Morris, son trait est d'une spontanéité et d'une énergie débordantes. Un régal.
Indian Way par Thierry Bellefroid
"Indian Way", par Barton J, chez Point Image.

C'est une première BD, avec tous les défauts que cela suppose, surtout quand l'auteur manque de moyens et de temps. Barton J est un passionné du neuvième art. Après avoir porté les ouvrages des autres à bout de bras (il a été l'organisateur du festival de la BD de Bruxelles aujourd'hui disparu), il a décidé de tenter l'aventure. Et il a choisi de mettre ses pas dans ceux de Maryse et Jean-François Charles en jetant son dévolu sur l'Inde. « Indian Way » est l'histoire d'une enquête étrange et pas toujours très claire au cours de laquelle le héros se laisse entraîner par sa fascination pour ce pays-continent. Un grand classique du récit de voyage sublimé. Le scénario a des failles magistrales mais il est attachant à plus d'un titre. Notamment, parce qu'il n'est là que pour permettre à Barton J de dessiner une Inde aussi vraie que possible. Le noir et blanc manque de relief, de vie propre. Il est là comme un canevas à remplir par la couleur, mais comme celle-ci n'est pas au rendez-vous, le dessin apparaît souvent comme un peu vide. En revanche, il rend réellement l'ambiance du quotidien des lieux traversés et se perd en mille précisions qu'il faut aller traquer dans ces cases à la ligne claire méticuleuse.
« Les nouvelles aventures de l'incroyable Orphée », par Martin Tom Dieck et Jens Balzer. Chez Fréon.

La BD intello existe, je l'ai rencontrée ! C'est un peu ce qu'on aurait envie de dire pour résumer cet étrange album qui fait suite au « Salut Deleuze ! » publié en 1998 et réédité pour l'occasion. Gilles Deleuze, vous connaissez ? Pas la peine de vous ruer sur le dictionnaire de la BD pour vérifier qui est ce nouveau personnage, c'est plutôt le Petit Larousse qu'il vous faut. Gilles Deleuze est un philosophe. Et grâce au talent conjugué de Jens Balzer et de Martin Tom Dieck, c'est désormais AUSSI un personnage de BD. Balzer a voulu s'appuyer sur certains des travaux principaux de Deleuze pour créer un univers qui en soit le reflet. Ainsi, le premier album explorait le thème de la répétition. Celui-ci aussi, bien qu'il le fasse de manière moins systématique, mais il laisse en outre beaucoup de place aux « amis » de Deleuze qui ont, comme lui, traversé le Léthé en compagnie de Charon. On retrouve Foucault, Barthes, Lacan dans des rôles caricaturaux. Plus loin, Buster Keaton fait son entrée, ainsi qu'Orphée et Eurydice. Attaques d'amazones, machines structuralistes, réflexion sur la mort et le monde, il y a de tout dans ces nouvelles aventures de l'incroyable Orphée. De tout et pour tout le monde. Car les auteurs se sont amusé à multiplier les pistes et les lectures. Chacun y trouvera donc un écho à ses propres préoccupations ou à sa propre culture. Le défi n'était pas simple à relever. Il faut dire que la réussite doit beaucoup à Martin Tom Dieck. Ses visages tout en longueur imposent une forme curieuse, grotesque, à l'ensemble du récit. Pour le reste, un savant travail sur la lumière organise les décors minimalistes. La cerise sur le gâteau est quand même de lire des dialogues en grec classique non traduits dans une BD. Il fallait oser. Ils l'ont fait !
Aqua (Sky Doll) par Thierry Bellefroid
« Aqua », tome 2 de la série Sky Doll. Par Barbucci et Canepa. Chez Soleil.

Noa, poupée synthétique destinée au plaisir s'est échappée du lavoir de vaisseaux spatiaux où elle était employée. Elle se lance dans une quête d'identité en compagnie des émissaires papaux Roy et Jahu et dépend de leur bon vouloir pour être remontée à l'aide d'une clé mécanique toutes les trente-trois heures. Sur la base de cette situation de départ, les deux auteurs, Alessandro Barbucci et Barbara Canepa, deux « anciens » de Disney, ont construit une trilogie SF audacieuse et d'une stupéfiante inventivité. Ils abordent de front la religion et les fanatismes, mais aussi les problèmes de l'identité, de l'individualité ou de la transgression... tout en conservant à l'esprit un humour permanent et une esthétique magistrale qui puise sa source chez les designers des années 60-70 ou dans les films cultes de la SF. Le résultat est irréprochable et place Sky Doll parmi les meilleures séries de science-fiction en cours. Il ne manque rien dans cet univers, pas même un zeste d'érotisme que le dessin de Barbara Canepa traduit généreusement, sans sombrer dans la vulgarité.
« Les orchidées de Volnaïev », tome 5 de la série Mandrill. Par Giroud et Baruti. Dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Mandrill rebondit, si l'on peut dire, au terme de ce cinquième épisode qui nous emmène à l'Est dans une histoire d'espionnage sur fond de nucléaire balbutiant. Après s'être illustré dans l'immédiat après-guerre, l'avocat imaginé par Giroud prend un véritable nouveau tournant dans cette histoire située en 1952. On ne peut que se réjouir de cette suite inattendue, tant la plupart des auteurs ont à coeur d'installer un univers rassurant et balisé dans leurs séries. Giroud, lui, prend des risques. Celui de dérouter, d'abord. Celui de se perdre ensuite. Comme dans l'autre série qu'il mène actuellement chez Glénat (Louis Ferchot), son héros voyage, change d'univers au gré des albums. Cela rappelle l'aisance avec laquelle Giroud se déplace à travers la fresque du Décalogue. Et cela prouve qu'il n'est pas en manque d'inspiration. Baruti suit le mouvement. Avec des couleurs toujours aussi discutables mais aussi avec des audaces comme cette pleine double page panoramique en planches 2 et 3, à l'effet saisissant. On attend évidemment le dénouement de cette nouvelle histoire avec une certaine curiosité.
Kratochvil par Thierry Bellefroid
« Kratochvil », par Mahler. A L'Association.

Mahler continue son petit bonhomme de chemin minimaliste. L'Allemand a publié ces histoires sous forme de strips quotidiens dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung et ça se sent. Chaque page est un modèle de concision qui joue à la fois sur le rapport à la situation de départ -supposée connue des lecteurs- et sur le modèle du strip de répétition. Un décor presque inexistant mais dont le moindre élément est exploité jusqu'à la moelle. Un personnage en creux, qui ne se définit que par des actes le plus souvent manqués et un ou deux accessoires (comme la fameuse valise NASA qu'il trimbale d'un bout à l'autre de Kratochvil). Un album qui n'apporte aucune réponse puisqu'il ne pose aucune question. Tout est donné, de l'ordre de l'axiome. En fait, il s'agit presque d'une variation autour du vide. Mais réalisée avec un brio que beaucoup pourraient envier à Mahler.
Mélancolie par Thierry Bellefroid
« Mélancolie », par Nemeth, Kalonji et Chambet. Chez Paquet.

Il ne s'agit pas d'une bande dessinée mais d'un projet artistique mené en commun par un auteur, un dessinateur et un compositeur. Dan Nemeth, qui est le scénariste de Kalonji sur « O'Malley », a écrit cinq poèmes découpés sur le mode japonais du Haïku. Chaque page reprend une strophe et devient un Haïku, illustré en noir et blanc par Philippe Kalonji. Les textes sont superbes et les dessins particulièrement épurés. Kalonji, si friand du gris, d'ordinaire, travaille ici surtout avec le noir et le blanc mis en opposition. Le livre au format italien est donc un bel objet, une oeuvre poétique. Mais il ne serait pas complet sans la contribution de Christophe Chambet. Le compositeur livre six morceaux musicaux sur un CD inclus dans l'ouvrage. Une musique aux influences cinématographiques et japonaises qui vient compléter l'univers inventé par Nemeth. Le CD est bref (13') mais il étoffe le livre d'une matière aérienne et singulière qui rend les images de Kalonji presque palpables. L'objet a été tiré à quelques centaines d'exemplaires, seulement. Il en reste dans quelques librairies. Et chez l'éditeur. (info@paquet.li)
« Les petits meurtres », une enquête du commissaire Raffini. Par Rodolphe et Maucler. Aux 400 Coups.

Rodoplhe ressuscite le commissaire Raffini dont les anciens albums sont d'ailleurs réédités dans leur forme originale par le même éditeur. Mais pour cette renaissance, Ferrandez a cédé la place à un nouveau dessinateur, Maucler. Le premier tome de cette nouvelle vague d'enquêtes est très réussi. Rodolphe parvient à nous emmener sur les traces d'un nouveau Landru -ou supposé tel- dont le comportement étrange au début de l'histoire semble en total décalage avec la peur qu'il inspire. « Les assassins peuvent-ils être aimables et courtois ? » C'est la question que pose l'éditeur en quatrième de couverture et elle résume bien le propos de cette drôle d'enquête que Raffini entame un peu par hasard, d'abord guidé par des raisons familiales. Plus qu'une simple enquête policière, cette histoire sonne comme un portrait de groupe assorti d'une réflexion sur la société, la vieillesse, la mort. Il y a quelque chose de Simenon dans tout cela.
« Les babyfoots », par Pica et Bouchard. Chez Bamboo.

Déjà dessinateur de la série « Les profs » (en plus d'autres productions sous son vrai nom), Pica aborde ici le domaine du foot en racontant la vie d'un petit club de province pour juniors. L'entrée en matière est pénible ; Geoffroy Bouchard y va au canon de 105 et on se demande qui ça peut faire rire. Heureusement, après ces 8 pages destinées à nous planter le décor, on passe à un rythme de gags en une planche beaucoup plus sympathique. Certaines situations sont particulièrement prévisibles, mais l'ensemble respire une certaine fraîcheur qui va en s'accentuant (d'habitude, c'est le contraire...) Le gros problème de ce genre d'albums est que les gags reposent sur la seule chute, qu'il faut donc cacher le plus longtemps possible au lecteur. Ca donne forcément lieu à des situations répétitives et tirées en longueur. Avec le risque de décevoir si la dernière case n'est pas à la hauteur.
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