Poupées russes (Makabi) par Thierry Bellefroid « Poupées russes », tome 1 de Makabi. Par Luc Brunschwig et Olivier Neuray. Dans la collection Repérages des éditions Dupuis.
Brunschwig est un fameux tordu, on le savait déjà mais il en fournit ici la preuve évidente. Avec un machiavélisme consommé, il retourne le lecteur à chaque fin de scène. Faites l'expérience. Chaque fois que vous pensez avoir à faire à une situation, vous finissez par vous apercevoir qu'elle n'est pas conforme aux apparences. Exemple : l'excellente scène d'ouverture. Une gosse laisse tomber son nounours par terre en se rendant aux toilettes dans une station d'essence, escortée par un type en noir qui a l'air de tout sauf d'être son papa. Sur le nounours, les mots suivants ont été écrits « Help, it's a kidnapping ». Un scénariste normal, à ce moment de l'histoire, se demanderait comment faire réagir les différents protagonistes pour tirer le meilleur parti de cette situation. Luc Brunschwig, lui, se demande comment faire pour que la situation elle-même surprenne le lecteur et influence les comportements des différents acteurs. Il renverse la situation : les ravisseurs sont flics et la pseudo-kidnappée n'a trouvé que cette technique pour leur fausser compagnie. Tout l'album est construit sur ce schéma. Quand il faut que la jeune femme russe qui a échappé à un réseau de prostitution ait un ange gardien, le scénariste fait appel à un héros qui travaille au FBI... comme chef comptable. A force, on ne peut être qu'admiratif devant cette inventivité. Mais le revers de la médaille est évidemment que le lecteur manque un peu de repères et que lorsque le chef comptable se transforme en justicier sous le nom de Makabi, il se demande d'où vient cette transformation. Brunschwig n'est pas le genre de scénariste à balancer des éléments de scénario au hasard, on peut donc imaginer qu'il a encore un plan démoniaque derrière la tête pour nous expliquer comment le gentil Lloyd Singer devient le super Makabi. En attendant cette explication, on est tout de même très désappointé à la fin de ce premier épisode. Reste une histoire travaillée, intelligente, des personnages fouillés et inattendus, une maîtrise parfaite du découpage.
Un mot, tout de même, du dessin d'Olivier Neuray, dont on a beaucoup aimé les Nuits Blanches (la série qu'il animait sur un scénario de Yann chez Glénat). Son casting est assez réussi, le dessin est fluide, il fait exister les personnages. Mais il n'a peut-être pas la grâce qu'avait « Nuits Blanches ». Cela tient-il au changement de contexte, qui l'amène à traiter une aventure contemporaine ? Possible. En tout cas, il évite un écueil dangereux : celui des scènes « hard » rendues nécessaires par le scénario, et qu'il traite avec ce qu'il faut de pudeur pour ne pas sombrer dans le vulgaire.
Bref, un album qui est comme son titre, composé de poupées russes. A vous de les ouvrir une par une.