Vitesse moderne par Thierry Bellefroid « Vitesse moderne », par Blutch. Dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis.
Difficile de faire partager ses rêves. Quand on se réveille, on a toujours cette impression que l'histoire tient debout, que les détails invraisemblables ont tous un lien de causalité évident. Et puis on se met à réfléchir. Et au moment de passer au récit, on se dit que non, c'est décidément impossible à raconter. Blutch, lui, tente l'exercice. Au cours d'une journée qui s'étire et se distend sans logique, son héroïne, Lola, passe allègrement d'une réalité à l'autre. Pas d'ogre ni de monstre dans le rêve de Lola. On est dans le domaine du réel décalé. Tout au plus quelques personnages masqués. Mais les enchaînements, les comportements des personnages, échappent à la logique habituelle du récit. Le père, omniprésent, revient comme une récurrence freudienne, tandis que Renée, la biographe officielle de Lola, est toute en évanescence. Il y a une grâce évidente dans cette entreprise, une patte artistique du plus haut niveau. Blutch ne parvient cependant pas à faire oublier au lecteur que le rêve est quelque chose de personnel et d'intérieur. On n'entre pas dans le rêve de quelqu'un, chacun suit ses propres règles en la matière. Voilà pourquoi le récit de Blucth déroute, irrite parfois. Personnages abandonnés à leur sort, enchaînements incongrus, sorties de route et récupérations in extremis, la gamme est largement utilisée ici. Mais elle s'accompagne aussi de poésie surréaliste et d'exploration des relations humaines. Quelque part dans les souterrains de l'âme, Blutch parvient à envoûter les esprits. Et c'est déjà très bien. Mais « Vitesse moderne » n'est pas un chef d'oeuvre pour autant.