Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La trahison (Wayne Shelton) par Thierry Bellefroid
« La trahison », tome 2 de Wayne Shelton, par Van Hamme et Denayer, chez Dargaud.

Le « vieux » scénario de Jean Van Hamme est donc arrivé à son terme. Shelton continuera sous la plume de Cailleteau. En attendant, le diptyque s'achève en apothéose, avec cascades et partenaires restés sur le carreau. Tout aussi Bruno Brazil que le premier, ce deuxième tome est mené tambour battant par un scénariste qui ne laisse jamais rien au hasard. Ce n'est pas la première fois qu'il doit faire évader quelqu'un de prison. Mais on peut dire que Van Hamme a minutieusement mis son plan au point. L'histoire est à la fois crédible et inattendue pour ne pas décevoir un lecteur mis en appétit par le premier album. D'aucuns trouveront évidemment qu'on ne s'attache pas vraiment aux personnages et ils n'auront pas forcément tort. C'est vrai que Wayne Shelton est plutôt un héros en creux, on ne sait rien de lui ni de ses sentiments. Quant à la fin, très prévisible, elle apparaît comme une apologie de l'auto-justice et ne convainc pas vraiment. Mais Denayer, lui, tient bien ses personnages. Il n'a plus dessiné comme ça depuis Alain Chevalier.
« La voix intérieure », tome 2 de « La maison dieu », par Rodolphe et Berr. Chez Albin Michel.

Même si le dessin de Nathalie Berr m'enthousiasme encore moins que dans le premier album, je reste intrigué par ce scénario de Rodolphe. L'histoire de ces neufs « élus » devenus des surdoués chacun dans leur domaine du jour au lendemain fournit une excellente intrigue. L'auteur ne rate ni les nécessaires rebondissements ni les personnages secondaires qui doivent donner l'envie de lire la suite au lecteur. Il ménage peut-être juste un peu trop son suspense. On aimerait que le prochain album permette de franchir une étape décisive dans la résolution de ce mystère. Pour l'heure, heureusement, le lecteur n'a pas l'impression que Rodolphe tire son récit en longueur ; l'intervention d'Agathe, la télépathe qui va tenter une alliance avec les autres surdoués, relance en tout cas l'intérêt de l'histoire.
« Pawa, chronique des Monts de la lune », par Stassen. Dans la collection Encrages des éditions Delcourt.

Pawa n'est pas une BD. Ce n'est pas un carnet de notes illustré non plus. Plutôt une série d'articles engagés, parfois même plus proches de la nouvelle, au ton tantôt désabusé tantôt cynique, souvent corrosif, dans lesquels le dessin s'ajoute à l'écrit. Stassen y livre sa vision de l'Afrique des Grands Lacs et plus précisément du Rwanda et du Burundi (mais le Congo et l'Ouganda ne sont jamais loin). A travers quatorze textes sans concession, l'auteur de « Déogratias » va plus loin que dans tous ses ouvrages précédents. Cette fois, la fiction n'est plus là pour servir la réalité ; c'est la réalité qui est mise en perspective, livrée en kit, avec notes en bas de page et recettes de cuisine. Une réalité brute, parfois insoutenable, souvent très éloignée des livres d'histoire et des articles de presse. Le journaliste que je suis ne peut rester insensible devant cette remise en cause de quelques-unes de ses certitudes. Pawa est une baffe dans la gueule, parce que Stassen ne doit rien à personne, parce qu'il connaît les lieux comme personne, parce qu'il exprime non pas un témoignage mais un cri de colère. La lecture de ce livre n'est pas aisée. Mais loin du manuel scolaire, elle est tout simplement utile.
Ubu Roi - T. 1 (Ubu) par Thierry Bellefroid
« Ubu Roi », par Emmanuel Reuzé, librement inspiré de l'oeuvre d'Alfred Jarry. Chez Emmanuel Proust.

Qu'il est difficile d'adapter « Ubu roi » en BD après le coup de maître de Daniel Casanave, nominé l'an dernier à Angoulême dans la catégorie du meilleur dessin. L'adaptation en noir et blanc et en un seul volume parue aux 400 Coups fait évidemment figure de référence. Emmanuel Reuzé, dessinateur débutant, peut-il faire le poids ? Oui, si l'on considère qu'il livre ici un album au ton plus proche de l'univers absurde et burlesque de Jarry. Là où le dessin jeté et dépouillé de Casanave visait l'économie de moyens pour faire contrepoids au grotesque des personnages, Emmanuel Reuzé appuie au contraire de toutes ses forces. La farce n'en est que plus énorme. Déformant les visages et triturant les cases jusqu'à éclater sa mise en page, le jeune dessinateur rennais insuffle une énergie propre à cette vision d'Ubu. L'ensemble apparaît comme surjoué mais tient la route. Encore faut-il voir ce que l'entreprise apporte au texte original de cette pièce fondatrice du théâtre surréaliste. On est surtout curieux de voir comment l'éditeur réussira le pari de réaliser des suites inédites aux classiques de la littérature qu'il a choisi d'illustrer dans cette collection intitulée « Trilogies ».
« L'espoir assassiné », tome 2 de la trilogie « Le cri du peuple », par Tardi et Vautrin. Chez Casterman.

Couronné par l'Alph'Art du meilleur dessin, Tardi poursuit son adaptation de Vautrin avec le même bonheur. Il y a dans cet album le même souffle épique, le même amour des anonymes, des seconds rôles, des laissés pour compte. Il y a ces scènes de la grande Histoire, mêlées à la vie quotidienne et aux petites histoires qui, parfois, prennent le dessus sur toutes les autres. Il y a cette mise en page inspirée, ces tableaux inoubliables, ce souci du détail qui pourtant s'accompagne d'une grande stylisation. Bref, Tardi est pareil à lui-même, c'est-à-dire excellent. Le seul point noir vient peut-être du texte qui, à force de vouloir à tout prix sonner juste, en devient fatigant. Trop d'argot tue l'argot, aurait-on envie de dire...
« Monsieur « I » », tome 2 de Norbert l'imaginaire. Par Vadot et Guéret. Au Lombard.

Après des débuts remarqués, Guéret et Vadot n'avaient pas droit à l'erreur. Car raconter la vie tourmentée de l'intérieur d'un cerveau humain, ça marche une fois... de là à en faire une série, on peut se demander s'il n'y a pas un risque de très vite épuiser le sujet ou, à tout le moins, l'originalité du propos. Pourtant, les auteurs ont su renouveler leur fond de commerce. Non seulement, on ne s'ennuie pas une seconde à la lecture de ce second album, mais en outre, on y découvre un univers plus riche que prévu, avec davantage de place pour les sentiments et le contour des personnages. Et avec un mélange des genres à la fois audacieux et totalement réussi. On flirte avec le fantastique, la politique-fiction, l'histoire d'amour, la comédie, la farce, la fable et le drame. A aucun moment, on n'a le sentiment de savoir vers où vogue la navire. La surprise est complète, la croisière aussi confortable que dépaysante. La mise en page réserve quelques beaux moments (avec De Niro et Al Pacino en guest stars) et les trouvailles visuelles ne manquent pas. Que demander de plus ?
Sale blague mon amour (Miss) par Thierry Bellefroid
« Sale blague mon amour », tome 4 de Miss, par Riou, Vigouroux et Thirault. Aux Humanos.

Nola et Slim se rapprochent mais se diront-ils « je t'aime » avant que la vie les sépare ? C'est sur cette interrogation qu'est construit le quatrième acte de cette série, ce qui nous éloigne considérablement des débuts. Pourtant, on continue à assister à quelques-unes des opérations de « nettoyage » de notre couple de tueurs. Sur fond de krach (nous sommes en 1929), les affaires périclitent ; Nola et Slim prennent davantage de risques pour moins d'argent. Toujours aussi froids et déterminés, ils abattent leurs cibles sans se poser de questions, du moins, quand elles ne se sont pas suicidées avant leur arrivée. Thirault joue toujours aussi bien sur les voix off, son scénario tire magnifiquement parti du contexte historique et installe un suspense insidieux. Riou et Vigouroux réussissent quelques cases magnifiques, mais je regrette pour ma part les couleurs des débuts assurées par Scarlett Smulkowski. Les effets informatiques sont trop visibles et trop peu compatibles avec l'ambiance choisie. Le résultat est qu'il m'a fallu plusieurs essais avant d'arriver à me convaincre de lire cet album. Mais je ne l'ai pas regretté. Thirault manie dans ce quatrième tome le chaud et le froid, le drame et le romanesque. Et jusqu'au bout, le lecteur se demande s'il va vers une happy end ou l'inverse.
Tutti Frotti (Chaponoir) par Thierry Bellefroid
« Tutti Frotti », un album de Chaponoir, par Lamorthe. Chez Fluide.

De la couleur chez Fluide, on aura tout vu ! Il faut dire que les planches de Lamorthe ont le privilège de faire la quatrième de couverture du magazine Fluide Glacial. L'humour absurde y est plus que jamais au rendez-vous. Les allusions (mais peut-on encore parler d'allusions devant certains gags de cet album ?) au sexe ne sont pas en reste. Il y a chez Lamorthe un ton véritablement réjouissant qui s'exprime dans d'excellents gags. Dommage que le niveau ne soit pas toujours égal, mais il y a quelques très bonnes trouvailles, comme le cent mètres rateau, le hold-up de la banque de sperme ou la pince pour neutraliser la mèche de forage du voisin (lisez l'album, vous comprendrez). A côté de ça, des idées nettement moins fraîches et même parfois carrément pas drôles font retomber les zygomatiques entre les coups. Lamorthe a tout de même le mérite de nous concocter tout un album sans une miette de phylactère, ce qui est loin d'être facile.
Toussaint 66 par Thierry Bellefroid
« Toussaint 66 », de Kris et Lamanda. Dans la collection « Encrages » des éditions Delcourt.

Voilà ce qu'on appelle un album plein de bons sentiments. Le scénariste, Kris, s'en explique même dans la préface. Il a voulu rendre hommage à sa famille, en partant du récit de la vie de ses oncles et tantes, éparpillés en Afrique et pourtant restés si proches les uns des autres à travers les liens familiaux. Mais il a choisi la voie de la fiction. Un seul personnage pour camper les neuf enfants de son grand-père. Il s'appelle Toussaint. Il est mercenaire, il revient en Bretagne après quinze ans d'absence pour hériter de l'urne funéraire dans laquelle se trouvent les cendres de sa mère et s'embarquer en sa compagnie dans un étrange voyage. Burlesque, le récit choisit la voie de l'humour et celle de la fantaisie pour raconter l'errance, l'éloignement, les liens du sang. Pudeur, sans doute. Mais on aurait préféré une voie plus directe, plus autobiographique, à la manière d'un Grégory Mardon. Reste que Julien Lamanda parvient à donner de la vie à cette histoire à travers un noir et blanc économe de décors et très porté sur les nuances de gris.
La bête par Thierry Bellefroid
« La bête », par Chabouté, chez Vents d'Ouest.

On l'a déjà dit, redit et re-redit. On va encore le répéter, parce que ça ne s'est sans doute jamais tant justifié. Chabouté est le fils spirituel de Comès. « La bête » pourrait d'ailleurs être présenté en librairie comme le nouvel album de l'Ardennais, les lecteurs les moins regardants s'y laisseraient prendre. Cela veut-il dire que Chabouté n'est qu'un pâle copiste ? Ah, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! « La bête » est une histoire qui sent bon le déjà vu, mais tellement bien racontée et dessinée que je m'en voudrais de la résumer à sa filiation à l'univers de Comès.
Un inspecteur plutôt à bout de souffle coincé par la neige dans un trou perdu où s'ammoncèlent des cadavres, on a forcément l'impression d'avoir déjà lu ça. La résolution finale est en outre assez attendue ; on se doute assez vite que l'un des personnages de l'histoire est le tueur (même si la raison qui pousse la « bête » à se faire serial killer de campagne ne peut pas être devinée). Mais l'ambiance de huis-clos enneigé et les dialogues tout en retenue de Chabouté installent la magie au coeur de ce qui pouvait apparaître comme un exercice un peu vain. Son noir et blanc tranchant convient totalement au récit de cette chronique policière hivernale. A ces gens opaques et transparents à la fois. A ces silences et ces vieilles petites haines villageoises, à ces caractères en acier trempé qu'il traque derrière chaque visage buriné. Allez, disons-le, Comès n'aurait peut-être pas fait mieux !
Vitesse moderne par Thierry Bellefroid
« Vitesse moderne », par Blutch. Dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis.

Difficile de faire partager ses rêves. Quand on se réveille, on a toujours cette impression que l'histoire tient debout, que les détails invraisemblables ont tous un lien de causalité évident. Et puis on se met à réfléchir. Et au moment de passer au récit, on se dit que non, c'est décidément impossible à raconter. Blutch, lui, tente l'exercice. Au cours d'une journée qui s'étire et se distend sans logique, son héroïne, Lola, passe allègrement d'une réalité à l'autre. Pas d'ogre ni de monstre dans le rêve de Lola. On est dans le domaine du réel décalé. Tout au plus quelques personnages masqués. Mais les enchaînements, les comportements des personnages, échappent à la logique habituelle du récit. Le père, omniprésent, revient comme une récurrence freudienne, tandis que Renée, la biographe officielle de Lola, est toute en évanescence. Il y a une grâce évidente dans cette entreprise, une patte artistique du plus haut niveau. Blutch ne parvient cependant pas à faire oublier au lecteur que le rêve est quelque chose de personnel et d'intérieur. On n'entre pas dans le rêve de quelqu'un, chacun suit ses propres règles en la matière. Voilà pourquoi le récit de Blucth déroute, irrite parfois. Personnages abandonnés à leur sort, enchaînements incongrus, sorties de route et récupérations in extremis, la gamme est largement utilisée ici. Mais elle s'accompagne aussi de poésie surréaliste et d'exploration des relations humaines. Quelque part dans les souterrains de l'âme, Blutch parvient à envoûter les esprits. Et c'est déjà très bien. Mais « Vitesse moderne » n'est pas un chef d'oeuvre pour autant.
Ceux qui vont mourir.. (Murena) par Thierry Bellefroid
« Ceux qui vont mourir », chapitre quatrième de Murena, par Dufaux et Delaby. Chez Dargaud.

Que dire de ce quatrième chapitre ? Qu'il consacre définitivement cette série comme la plus aboutie de celles sur lesquelles travaille Jean Dufaux ? Plus il avance dans ce récit romancé de la vie de Néron, plus Dufaux se débarrasse de ses tics, de ses manies, de tout maniérisme. Reste un rubis brut, une pépite montée en sautoir par un Delaby au mieux de sa forme. On peut ne pas aimer les peplum, détester Alix, abhorrer le film Gladiator, on peut même avoir en horreur toute l'oeuvre de Jean Dufaux... et aimer Murena. Parce que cette histoire est universelle, dramatique, à la fois antique, baroque et totalement contemporaine. Du grand art.
« Rochecardon III », troisième tome de « Histoires d'en Ville », par Berlion. Chez Glénat.

La fin de ce premier cycle consacre magnifiquement le talent d'Olivier Berlion. Non seulement son dessin ne cesse d'évoluer, mais il prouve avec ce triptyque qu'il a de réels talents de scénariste. Alors que sort chez Dargaud un nouvel album du Cadet des Soupetard qui est sans doute le plus réussi de la série (« Lâne en culotte », un récit plein de poésie et d'émotion, ne le ratez pas, c'est du tout grand Corbeyran !), « Histoires d'en Ville » explore la face noire de Berlion. Une face que le dessinateur arpente au travers d'un dessin au trait volontairement épaissi, se rapprochant de la démarche réalisée il y a quelques années par Pellejero. Le changement est surprenant mais très réussi et installe de nouvelles ambiances et d'autres possibilités dans la mise en image de ce polar tortueux. La résolution de l'intrigue se déroule sans temps mort ni lourdeur, livrant au passage la quintessence des personnages. Car la force de Berlion sur ce scénario aura été de réaliser un casting sans faille.
L'arbre des volants (Lomm) par Thierry Bellefroid
« L'arbre des volants », tome 1 de Lomm. Par TBC. Chez Vents d'Ouest.

Le lecteur assidu -et convaincu- de TBC que je suis a été particulièrement dérouté par ce nouvel univers. TBC ne nous avait pas préparé à cette série de SF « primale ». L'univers décrit dans le premier album de cette série est particulièrement violent, parfois même au point de déranger le lecteur. C'est la loi du plus fort dans toute sa splendeur. Il y a une colère qui sourd de cet album, celle d'un homme marqué par la guerre de Bosnie, qui transpose la violence de son monde dans une pure création de science-fiction. A le lire, on retrouve d'ailleurs le même sentiment que face à « La guerre éternelle » où Joe Haldeman se débarrassait au travers d'une oeuvre de fiction des fantômes de la guerre du Vietnam qu'il traînait derrière lui. La violence de ce peuple des arbres et ses règles préhistoriques sont là pour planter le décor d'un monde où celui qui naît plus faible que les autres n'a pas le droit de se reposer sur ses acquis. Pour survivre dans cet univers hostile, le petit Lomm ne peut compter que sur lui-même, du moins dès le moment où sa mère le quitte du regard (la fin de l'album est à ce sujet assez explicite). Tout cela fait de cette histoire une évidente parabole sur la vie des plus démunis dans le monde impitoyable où nous vivons. Avec un dessin efficace et épuré -mais moins beau que dans ses productions en noir et blanc-, TBC nous plonge dans cette course haletante pour la survie et ne nous lâche qu'à la dernière page sur une dernière image d'une violence toute symbolique. De la SF qui fait mal...
« Trolls dans la brume », tome 6 de Trolls de Troy, par Arleston et Mourier. Chez Soleil.

Une nouvelle aventure rafraîchissante et drôle pour Teträm, Waha et quelques autres seconds rôles. Mais aussi une nouvelle occasion de voir à quel point Goscinny hante l'humour de Christophe Arleston. Alors qu'il a pris davantage de distance avec son maître dans le nouveau cycle de Lanfeust, les albums de Trolls de Troy, eux, sont tous de véritables hommages à Astérix et Obélix. Ce « Trolls dans la brume » ne se contente pas de leur emprunter des ressorts humoristiques, ni de jouer (parfois avec un brin de lourdeur) sur les jeux de mots les plus échevelés, il recycle carrément les ingrédients de « Astérix légionnaire ». Jusqu'aux poses du personnage d'instructeur qui, bien que transformé ici en femme, doit beaucoup à un certain Belinconnus...
Passée cette filiation plus qu'évidente, voilà un album bien agréable à lire, peut-être un rien trop lent au début, mais souvent très drôle. Les allusions au Loft n'étaient sans doute pas nécessaires, mais certaines scènes sont si réjouissantes que s'y attarder serait inutile.
Persepolis - tome 3 (Persepolis) par Thierry Bellefroid
Persépolis 3, par Marjane Satrapi. A L'Association.

Tant de gens ont prédit la « chute » de Marjane Satrapi, couronnée deux ans de suite à Angoulême, que j'ai presque envie de dire avant d'aller plus loin : ce n'est pas pour cette fois-ci ! La rumeur veut en effet que la dessinatrice iranienne ait pété les plombs, gargarisée par son propre succès, convaincue de son génie. Laissons donc la rumeur faire son travail. Et Marjane faire de la BD. La fait d'avoir eu son portrait dans Libé n'a pas changé son approche de l'autobiographie qu'elle a entrepris à travers « Persépolis ». Marjane reste lucide, elle conserve une certaine distance d'avec son propre personnage. A la lecture de ce troisième volume, qui raconte l'exil viennois, certains seraient tentés de dire qu'elle en fait trop. Défoncée, déprimée, rattrapée par une solitude éprouvante et par la culpabilité d'échapper seule à la guerre qui ravage son pays, Marjane vit en Autriche les moments les plus noirs de son existence. Ce n'est pas nécessairement larmoyant pour autant. Quoiqu'elle raconte, elle ne se départit jamais de cet humour et de ce second degré qui la caractérisent. Et à bien lire ce qu'elle nous raconte de sa vie, on se dit que non, décidément, elle n'en fait pas trop. L'enfance et l'adolescence de Marjane Satrapi constituaient un formidable matériau de base pour une BD. Sa force, son intelligence et son talent, c'est d'avoir transformé cette matière première avec tant de brio. Le découpage sans fard est imparable, le rythme ne faiblit pas tout en laissant la place à des moments plus légers mais jamais insignifiants, l'émotion affleure où il faut et malgré la dureté du récit, l'auteur ne s'apitoie jamais sur son sort.
Les sentiers de la perdition par Thierry Bellefroid
« Les sentiers de la perdition », par Max Allan Collins et Richard Piers Rayner. Chez Delcourt.

Ce n'est pas « From hell », mais tout de même... Les 287 pages de cet album en noir et blanc méritaient amplement d'être traduites en français et d'être publiées quelques jours avant la sortie du film interprété par Tom Hanks et Paul Newman. Guy Delcourt nous offre en effet l'un des albums de la rentrée, un album vif, mordant, trépidant même, mais pas dénué d'humanité. Pourtant, c'est à une des pages noires de l'histoire de la maffia que nous convient Max Allan Collins et Richard Piers Rayner. Tout commence avec le massacre de la femme et de l'un des fils de Michael O'Sullivan, surnommé l'Ange de la mort, un tueur surdoué qui officie durant la prohibition. S'en suit une course folle, une course marquée du sceau de la vengeance, de la violence et de la survie. Mais l'originalité du propos est de nous raconter cette course à travers les yeux d'un enfant, l'autre fils de O'Sullivan, qui va entrer d'un coup dans le monde des adultes et sera amené à tuer à son tour. Sans jamais faiblir, le récit nous entraîne dans un engrenage fatal avec une maestria éblouissante. On ne s'étonne pas du coup de foudre du réalisateur Sam Mendes pour ce scénario. On s'étonnera en revanche du choix qu'il a fait en modifiant une fin pourtant parfaite. Car la dernière page de l'album est réellement inattendue. Et vient compléter le bonheur d'une lecture haletante.
Red Dust Express (Comanche) par Thierry Bellefroid
« Red Dust Express », tome 15 de la série Comanche, par Greg, Rodolphe et Rouge. Chez Dargaud.

Rien ne nous rendra la Comanche de notre enfance. Pas seulement parce que Greg est aujourd'hui au paradis des scénaristes. Mais aussi parce que même s'il la reprenait aujourd'hui, Hermann ne pourrait plus dessiner cette série avec la patte des années 60-70 à laquelle il a résolument tourné le dos. Alors, faut-il pleurer sur notre sort et considérer que Comanche s'arrête avec « Le corps d'Algernon Brown » ? Ou faut-il prendre le risque d'ouvrir « Red Dust Express » et d'y chercher un nouveau souffle ? Etant plutôt ouvert aux expériences, j'ai choisi la seconde solution. Et là, même si je dois dire que la guerre du rail est un sujet aussi éculé dans la BD de Western que le paradoxe temporel en SF, j'ai quand même trouvé que Rodolphe ne s'en sortait pas trop mal. En bon mercenaire, il enchaîne les références à l'univers de Greg : dialogues, situations, héros au grand coeur, méchants aux surnoms évocateurs, tout y passe. Même une allusion directe à la mort du maître, un salut respectueux partagé avec les lecteurs. M'en reste l'impression -qu'il me soit pardonné d'ainsi blasphémer- que ce faux Greg sonnait plus juste que les précédents, pourtant écrits par l'auteur lui-même... Evidemment, il n'y a rien que de très attendu dans cette histoire qui utilise toutes les ficelles du genre. Seule l'avant-dernière page réussira à surprendre. Mais c'est en tout cas moins mauvais que la Jeunesse de Blueberry !
Ca vous choque - tome 5 par Thierry Bellefroid
« Ca vous choque ? », par Dany. Chez Joker.

Et revoilà Dany dans son exercice favori. Non non, ce n'est pas un best of. C'est du 100% neuf. C'est vrai qu'avec deux compilations pour quatre albums originaux, l'ami Dany était en passe d'entrer dans le Guiness Book de la BD ! Le voilà donc de retour avec ses blagues de comptoir ou de soirées entre mecs, mises en images, en jambes et en décolletés plongeants. Souvent imité, le Dany. Jamais égalé. Dans cet exercice de style, il est le meilleur. S'il tient tant à qualifier ses albums d'albums « coquins » et non « de cul » ou « de blagues cochonnes », ce n'est pas uniquement par snobisme. C'est parce qu'il arrive à éviter -le plus souvent- la véritable vulgarité, au profit d'un regard amusé sur le sexe. Mention particulière pour ce recueil en partie consacré aux blagues sur les blondes. C'est sans doute la partie la plus savoureuse de ce « Ca vous choque ? ». Quant au reste, à quoi bon disserter ? La matière est connue, Dany s'amuse, il égratigne ses copains au passage (Tibet en tête, comme toujours, mais il y en a d'autres...) et il fantasme sur sa planche à dessin en sachant très bien que dans la vie -la vraie- une femme sur dix mille ressemble à celles qu'il dessine à longueur de temps. Evidemment, tout ça n'arrive pas à nous faire oublier qu'on attend toujours Equator et Olivier Rameau... et qu'il y développerait mille fois mieux ses talents !
Volunteer - T. 1 (Volunteer) par Thierry Bellefroid
« Volunteer », tome 1, par Sevestre et Springer. Chez Delcourt.

Présenté comme le thriller de la rentrée, Volunteer se doit d'être à la hauteur. D'autant que l'histoire tient en deux volumes de 72 pages, il faut donc faire mouche du premier coup. Le dessinateur des Terres d'Ombre, Benoît Springer, privilégie les effets classiques ; les couleurs sont sombres, souvent en aplats et l'ordinateur se fait discret. Mais puisque Muriel Sevestre a choisi de traiter de vampires plutôt que des traditionnels psychopathes serial killers, Springer insiste sur les visages déformés et les mâchoires menaçantes de ses curieux personnages. Décors réalistes, personnages aux proportions parfois un peu approximatives, découpage maîtrisé. Quant à l'histoire, elle distille ses ingrédients à la manière des Stryges, mais en moins trépidant. Tantôt nerveux et angoissant, tantôt tiré en longueur, l'album se laisse lire sans pour autant donner au lecteur l'envie de le dévorer. D'autant que les débuts sont parfois un peu touffus. Reste un livre agréable, qui comporte sa part de mystère et nous propose un univers de vampires modernes, urbains, qui nous changent agréablement des autres BD du genre. A cheval entre polar et fantastique pur, Volunteer a peu de chances d'entrer dans l'Histoire de la BD, mais il a tout à fait sa place dans votre bibliothèque.
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