Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Amorce par Thierry Bellefroid
« Amorce », de Sarah Masson et Michel Squarci. A La Cinquième Couche.

La Cinquième Couche ne nous a pas habitués à des albums faciles. Celui-ci ne l'est pas davantage que les précédents, en dépit d'un graphisme d'une lisibilité exemplaire. Car « Amorce » porte bien son nom, et paraît être une histoire inachevée, un début de scénario laissé en plan avant son développement, suivi d'une série de dessins en totale rupture avec la première partie. Normal. Les deux histoires qui composent l'album sont totalement indépendantes l'une de l'autre. Scénario et dessin de la première ont été assurés par Sarah Masson. Et la seconde doit tout à Michel Squarci. Ce n'en est que plus désarçonnant. Mais pour peu qu'on se lance dans la lecture de ce livre au format italien qui tente une réflexion sur le désir et sa représentation, on ne pourra qu'être séduit ou, à tout le moins, intrigué, par un univers début vingtième siècle d'une beauté absolument magistrale. Avec une économie de décors et une totale absence de détails, Sarah Masson plante une ambiance surannée sur une narration extrêmement moderne. Plus influencé par l'infographie, Squarci approche une certaine pixellisation du récit qui est sans doute plus hermétique mais recèle, elle aussi, quelques perles. Leur livre est parcouru d'images superbes, de superpositions audacieuses. Les trouvailles visuelles et scéniques valent largement le détour, même si l'on ne peut s'empêcher de refermer cet ouvrage en se demandant si on a bien compris ce que voulaient faire les auteurs.
Gloriande de Thémines par Thierry Bellefroid
« Gloriande de Thémines », par Pascal Crocci. Chez Emmanuel Proust.

La couverture est accrocheuse. Les premières planches mènent le lecteur à la page 6, scène macabre et saisissante parfaitement rendue par le dessin « gore » de Crocci. Les personnages évoluent dans un décor gothique qui mêle les ruines existant aujourd'hui à l'action située quant à elle au XVIIème siècle. Gloriande de Thémines apparaît comme une héroïne de tragédie grecque, qui marche vers son terrible destin. Aussi, le parti-pris de ne pas montrer son assassinat alors qu'il est l'objet du livre est-il particulièrement audacieux. Tout se passe comme si Pascal Crocci s'était laissé surprendre lui-même par la fin de son histoire. Certaines ruptures dans la narration sont d'ailleurs difficiles à digérer. Crocci joue à saute-mouton avec le temps et ses ellipses sont parfois réellement étranges. Ce qui est plus gênant, à mon sens, est son travail de mise en scène. Les personnages empruntent des poses presque hiératiques, ils surjouent constamment, et les yeux exorbités que l'on connaissait déjà dans « Auschwitz » reviennent hanter les planches de cet album sans grand intérêt. Au final, l'impression d'un album froid, désincarné, qui ne parvient guère à captiver.
« Bab ek Ahlam, 1932 », de Sergio Toppi, chez Mosquito.

Sous-titré « La porte des rêves », un livre magnifique pour tous les amoureux de dessin. Il regroupe des illustrations de Sergio Toppi, l'un des dessinateurs italiens les plus talentueux du vingtième siècle. Aujourd'hui âgé de soixante-dix ans, il continue de fasciner par sa maîtrise du noir et blanc et de la composition. Souvent, devant ses planches, le lecteur se laisse emporter par la force d'un imaginaire aux influences à la fois picturales et historiques. C'est plus encore le cas ici, puisque les dessins sélectionnés dans ce florilège de 128 pages parlent par eux-mêmes et se dégagent de la contrainte narrative. Pour certains, Toppi est avant tout un illustrateur perdu dans la BD. Même si je ne partage pas ce point de vue, force est de reconnaître que l'Italien excelle dans la composition pure. Son noir et blanc hachuré, géométrique, parcouru de nervures et de vies intérieures, véritablement proche du relief de la sculpture, est unique en son genre. Quant aux nombreux travaux en couleur repris dans ce livre, ils oscillent entre onirisme et années soixante-dix, privilégiant volontiers des teintes psychédéliques. Un superbe objet et un tout aussi bel hommage que vient compléter l'intéressante interview en fin de livre.
Le livre de Sam par Thierry Bellefroid
« Le livre de Sam », par Filippi et Boiscommun. Aux Humanos.

On a beau dire que l'histoire de ce diptyque n'est pas d'une densité et d'une profondeur sans égales, sa lecture reste un très bon moment. Il faut dire que le graphisme de Boiscommun y est pour beaucoup. Passant avec un égal bonheur de planches très découpées à des pleines pages, il varie les effets et surprend souvent son lecteur. Il montre aussi une large palette de créateur d'ambiances qui passe tant par la couleur que par le découpage. Reste que de temps à autre, les expressions de ses personnages sont un peu limitées et répétitives. Cela se voit à peine, tant Boiscommun soigne ses cadrages, ses effets visuels et ses quelques monstres de pierre. Jamais sans doute, il n'a si bien marié les couleurs, ce qui est déjà un vrai plaisir visuel pour le lecteur.
Le scénario, quant à lui, nous propose une suite à la fois attendue et surprenante du « Livre de Jack ». Peut-être un seul livre eût-il suffi pour nous raconter cette histoire. On comprend que Denis-Pierre Filippi ait eu l'envie de la raconter en deux livres distincts, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'ils sont tous les deux très vite lus et que sans le talent de Boiscommun, on s'apercevrait très vite de la minceur du propos...
Les voix des ombres (Naüja) par Thierry Bellefroid
« Naüja, tome 2 : Les voix des ombres », par Termens, Elias et Castillo. Chez Paquet.

Revoilà Naüja. Raspa et Gorb, le « couple » de héros de cette histoire, avaient séduit dans le premier volume de cette saga paru au printemps 2002. A peine le temps de reprendre son souffle et le lecteur se replonge dans cette histoire dont le graphisme emprunte autant au manga qu'à Walt Disney (hormis les couleurs -pas toujours de bon goût, d'ailleurs). Ce que l'histoire gagne en profondeur, elle le perd, il me semble, en poésie et en humour. Ce qui n'empêche pas quelques très bonnes scènes aux effets parfaitement dosés, comme celles où nos deux héros sont suppliciés au pied d'un arbre à baies rouges...
Là où le premier volume se distinguait par son ton et sa légèreté, ce deuxième opus ressemble davantage à la grande majorité des histoires d'Héroïc Fantasy. La couverture ne plaira pas aux partisans de la lutte anti-tabac, mais l'album devrait tout de même plaire à un public assez large, en grande partie grâce à la personnalité attachante des deux héros.

Dis-moi quelque chose par Thierry Bellefroid
« Dis-moi quelque chose », de Jason, chez Atrabile.

L'air de rien, le Norvégien Jason est en train de faire sa place chez les Suisses d'Atrabile. Avec deux albums en quelques mois et des publications régulières dans Bile Noire, Jason installe ses personnages à tête de chien ou d'oiseaux dans le paysage de la BD francophone. Lui, il s'en fout qu'elle soit francophone, la BD. Jason fait de la bande dessinée sans frontière, muette et universelle. Quoique, pour une fois... Il y a dans ce « Dis-moi quelque chose » une petite concession, des textes off placés à la manière des petits encarts dans le cinéma muet. Pourtant, vous pouvez lire cette histoire sans cet apport « littéraire » et tout comprendre ; c'est la force de Jason. Il sait se faire comprendre, à la manière d'un cartooniste. Chacun de ses dessins a l'apparence d'une image naïve, dépouillée à l'extrême. Mais chaque case a sa signification et sa place dans le récit. Pas toujours drôle au premier degré mais jamais ennuyeux, l'auteur nous promène dans un humour décalé et personnel qu'il est pour l'instant le seul à pratiquer. Un très bon metteur en scène doublé d'un excellent dessinateur, travaillant sur l'effet plutôt que dans la surenchère, voilà ce qu'est Jason. Ils ne sont pas si nombreux à concourir dans cette catégorie...


Les riches heures (Journal) par Thierry Bellefroid
Journal (4), « Les riches heures », par Fabrice Neaud. Chez Ego Comme X.

On peut difficilement nier le fait que ce Journal a ouvert une brèche dans la bande dessinée, jusque-là assez hermétique à toute expérience autobiographique « pure », dans l'esprit même de ce qu'est un journal de bord. Mais on peut aussi être tout à fait allergique à cette mise en pâture des sentiments, des gens rencontrés et des petites histoires vécues au quotidien. Pour ma part, je dirais que ce qui sauve Neaud d'un certain voyeurisme malsain, c'est tout simplement son talent. Et son honnêteté, peut-être.
Mais l'intérêt de ce quatrième recueil est sans doute à chercher ailleurs. Plus poétique, avec une magistrale scène d'entrée en Pays Basque, plus apaisé aurait-on envie de dire, il propose également une mise en abîme qui tient au fait que ce livre-ci raconte la période de publication du premier Journal de Fabrice Neaud. Des années 95-96 davantage tournées vers la création que vers l'onanisme, ce qui nous vaut des planches moins crues qu'à l'accoutumée et une série de « tronches » du milieu plus vraies que nature (Bajram, Bruno Maïorana, Xavier Lowenthal : 10/10. Mais on trouve aussi notamment Jean-Christophe Menu, Anne Barraou, Christophe Poot, Thierry Van Hasselt, Thierry Leprévost...).
Neaud est entré en « Journal » comme d'autres en religion. Sans concession, il trace une oeuvre en marge, à la fois totalement narcissique et tournée vers le monde. Même si le fait de choisir de nous raconter certaines choses plutôt que d'autres est un parti-pris qui peut s'avérer cruel, il n'épargne pas plus son propre personnage que les autres. Cette absence de pudeur peut agacer. Mais c'est elle qui donne le ton de ce Journal.
« Tom et Nina » Tome 1 : De quelle planète tu viens ? Par Dutto. Chez Soleil.

Si vous avez une grande soeur, cette BD risque de vous rappeler des souvenirs. Dutto a su retrouver à merveille l'ambiance de chamaillerie permanente qui peut exister entre un garçon et une fille quand ils partagent la même maison... et qu'ils ont tous les deux du caractère. Son talent a d'ailleurs été de faire de Nina un sacré petit bout de femme qui mène la vie dure à son frère et n'hésite jamais à lui mettre une raclée. Mi-terrorisé mi-amusé, Tom est en guerre permanente contre sa soeur qu'il prend pour une Alien venue coloniser la terre. Les situations sont drôles, les dialogues aussi et le dessin de Dutto convient parfaitement à ses gags. Une BD qu'on croirait sortie de « Tchô Magazine », tant elle sonne « génération Titeuf ».
Cinq est le numéro parfait par Thierry Bellefroid
« 5 est le numéro parfait », par Igort, chez Casterman.

Le retour d'Igort par la « petite porte », chez Amok, l'an dernier, m'avait déjà enthousiasmé. Mais ce nouvel opus chez Casterman est tout simplement la meilleure surprise de l'année, en ce qui me concerne. Il est toujours difficile de parler d'un album qu'on a démesurément adoré. Comment trouver les mots ? Comment rester objectif ? Je sais que « 5 est le numéro parfait » ne plaira pas à tout le monde ; je sais aussi que l'album parfait n'existe pas plus que le numéro auquel ce titre fait référence...

Igort signe ici une histoire de mafia dont le propos n'est pas la mafia. En partant d'un univers éculé et d'un thème usé jusqu'à la corde (la vengeance d'un père dont le fils a été tué par une « famille » de Naples), Igort renouvelle toutes les histoires lues jusque-là. Son livre est un livre sur la vieillesse, sur le temps qui passe, sur l'égoïsme et la culpabilité, sur la lucidité... et sur l'âme de Naples ! Son livre est un concentré de personnages secondaires attachants, un théâtre des sentiments qui mêle amours ratées, ex-voto et codes d'honneur. Son livre est une pure merveille graphique tout en étant un bijou d'écriture et de découpage. Igort peut tout faire, son dessin passe d'une technique à l'autre, son découpage se fait tantôt classique tantôt sauvage. A la fois caméra du cinéaste et stylo de l'écrivain, le dessin d'Igort nous emmène de la stylisation à la beauté pure, de l'effet visuel (la première planche du chapitre 4, par exemple) à la forme la plus narrative qui soit. A ne pas rater !
« Les seigneurs d'Agartha », tome 1 : La dette. Par Plongeon, Briones, Pailtreau. Chez Soleil.

Difficile de ne pas rester sur sa faim à l'issue de ce premier album qui ne nous livre que les prémices d'une histoire fantastique apparemment prometteuse. Isabelle Plongeon (ex-Nucléa et ex-Pointe Noire) fait preuve d'une belle efficacité tant dans le propos que dans le découpage de cette histoire de famille quelque peu satanique. Ses personnages sont remarquablement transposés sur la feuille par Philippe Briones, qui, s'il est un nouveau-venu dans la BD, a pas mal d'expérience derrière lui dans le domaine de l'animation. Son sens du mouvement éclate dans cette BD musclée où le lecteur n'a guère le temps de reprendre son souffle. Une BD qui a l'avantage de nous emmener dans un univers plus proche de celui de la BD américaine que des histoires d'Héroïc Fantasy qui semblent se cloner l'une l'autre ces derniers temps.
« Le puits des abîmes », tome 2 de Sanctuaire, par Dorison et Bec. Aux Humanos.

Très attendue, la suite de cet Indiana Jones des abysses. Et loin d'être ratée. Certains lui reprocheront -comme au premier album- d'être un film de cinéma transposé en BD, jusque dans le réalisme quasi maniaque du dessin de Christophe Bec (bon sang, ce que c'est énervant, ces héros de BD aux têtes d'acteurs hollywoodiens !). Il ne faut cependant pas négliger le nombreux public qui vibre pour ce genre d'histoires et qui trouve ici une sorte de quintessence du genre. Car Dorison est pétri de talent, on ne peut le nier. Sa façon d'installer -ou plutôt de distiller- l'angoisse page après page, en artisan du crescendo, ne doit rien à personne. Tout en laissant suffisamment de zones d'ombre pour s'assurer un contingent de lecteurs transis de curiosité jusqu'au prochain album, le scénariste du Troisième Testament et de Prophet prouve, case après case, qu'il maîtrise parfaitement son scénario et son découpage. Le résultat est un thriller redoutable, aux accents fantastiques admirablement restitués sur le papier.
Le swing du Golem par Thierry Bellefroid
« Le swing du golem », par James Sturm. Au Seuil.

Bon, je dois bien le dire, le base-ball et moi, ça fait huit. James Sturm ne partait donc pas gagnant. Et je ne crois pas être une exception. Publier un album qui traite de base-ball en dehors des Etats-Unis relève soit du suicide commercial soit de la gageure. Le Seuil a relevé le défi et on ne peut que l'en féliciter. Le swing du golem aborde ce sport avec tant d'originalité qu'il ne peut que faire mouche. Je ne dirai pas qu'il ne m'est pas arrivé de m'ennuyer pendant certaines scènes purement sportives, mais le reste est si inattendu que l'attention ne décroît jamais longtemps. L'idée de tenter d'amener des spectateurs à s'intéresser aux « Stars of David », une équipe de base-ball juive des années 20, en créant un golem et en l'incluant à l'équipe est en soi un thème d'histoire intéressant. Mais choisir le seul non-juif de l'équipe pour incarner ce golem ajoute encore de l'intérêt à cet album qui bénéficie en outre d'un très bon découpage et d'un dessin d'une grande clarté, rehaussé par une bichromie dans les tons beige. Encore une excellente BD américaine parue en français cette année !
Sentiers battus par Thierry Bellefroid
« Sentiers battus », par Vincent Vanoli. Chez Ego Comme X.

Voilà un Vanoli que nous ne connaissions pas. Fidèle à l'esprit de la maison « Ego Comme X », Vanoli part en introspection, et nous rapporte des éléments autobiographiques épars, concentrés de mémoire et d'impressions. Ce n'est pas tant son enfance que l'auteur visite dans ses pages ; c'est surtout la nostalgie liée à l'innocence ou ces sensations encore vierges ressenties dans la forêt ou la campagne par un jeune adolescent. S'en dégage une tendresse plutôt inhabituelle pour le lecteur de Vanoli, plus souvent confronté à des univers étranges, volontiers kafkaïens, entre fantastique et burlesque. Les pages sont divisées en deux, la succession des « tableaux » compose une toile impressionniste en nuances de gris. Un beau moment, même si toutes les histoires racontées ne sont pas du même niveau.
« Six cent soixante-seize apparitions de Killoffer », par Killoffer. A L'Association.

L'époque est aux grands formats impossibles à ranger dans la bibliothèque mais qui ne passent pas inaperçus dans les rayons des librairies. « 776 apparitions de Killoffer » est aussi gigantesque que le « Chemin de Saint Jean » d'Edmond Baudouin, paru en début d'année. Mais l'album se distingue de bien d'autres façons de la production courante. D'abord, il y a le propos. Killoffer nous propose un délire total dans lequel il se dédouble à l'infini pour mieux traquer ses obsessions inavouables. L'auteur va même jusqu'à se violer copieusement, quand il ne se trucide pas à coups de couteau d'un bout à l'autre d'une planche dégoulinante d'hémoglobine. Mais tout cela n'est pas gratuit pour autant. Partant d'une réflexion sur le sens d'une vie passée entre deux villes et deux continents, Killoffer interroge le désir, le sexe, la séduction, mais aussi la mort, la création, la paranoïa, le vide... Avec des trouvailles visuelles magistrales, il éclabousse les pages de son talent. Autre trait particulier de cet album : sa forme. L'auteur nous invite d'abord à partager ses réflexions à l'aide d'un texte continu, mêlé aux dessins. Puis, il abandonne l'écrit et continue sa narration à travers l'image sans passer par la formalisation en cases. Le dessin, libre, régénéré, envahit toute la page et vous saute aux yeux avec une violence rare. Un très grand album qui donne du souffle à la bande dessinée. Et sans aucun doute, la meilleure oeuvre de Killoffer !
Félix, l'intégrale, Tome 7 par Thierry Bellefroid
« Félix, l'intégrale, Tome 7 », par Tillieux, dans la collection « Anthology » des éditions Niffle.

Sous une couverture signée Ted Benoît se cachent de courts récits datant des années 1955-1956 qui n'ont pas pris une ride. Enfin, quand on dit ça, c'est aussi parce qu'ils ont subi un sérieux lifting. L'état dans lequel Frédéric Niffle a trouvé ces épisodes n'a rien de commun avec celui qui s'offre aux yeux du lecteur de cette anthologie. Entre les deux, 500 heures de travail ( !), nous garantit l'éditeur. Ces neuf derniers épisodes de Félix parus dans « Héroïc-Albums » préfigurent ce qui restera comme la meilleure oeuvre de policier et d'humour en BD : Gil Jourdan. Plusieurs éléments présents dans ces courts récits profiteront d'ailleurs du changement d'éditeur de Tillieux en 1956 pour être recyclés tels quels dans les aventures de Gil Jourdan. (Tillieux lance Gil Jourdan en septembre 1956, alors que « L'affaire des bijoux », soixante-septième et dernier épisode de Félix, paraît en novembre 56, un mois avant la fin de Héroïc-Albums.) A l'évidence, la hasard qui a obligé Tilleux à repenser son trio de choc (Félix devient Jourdan, Cabarez devient l'inénarrable Libellule, et Crouton remplace Allume-Gaz) lui a permis de laisser une oeuvre d'une qualité de loin supérieure. Chez Dupuis, Tillieux soignera davantage ses intrigues et ira plus loin dans le contour de ses personnages principaux. Il faut dire qu'il abandonne les histoires courtes et se lance dès la première aventure de Gil Jourdan, dans un diptyque magistral. A relire ces neuf derniers épisodes de la série fondatrice de Jourdan, on remarquera toutefois que l'humour est déjà là, tout comme les idées et l'économie du dessin (qui est peut-être un peu trop poussée, parfois). Une seule chose disparaîtra avec le passage à Marcinelle : les nombreux belgicismes qui émaillent ces pages de Félix.
Garduno, en temps de paix - T. 1 par Thierry Bellefroid
« Garduno, en temps de paix». Par Philippe Squarzoni. Aux Requins Marteaux.

Mais que se passe-t-il aux Requins Marteaux ? Voilà qu'ils se mettent à publier des livres sérieux, qui plus est de taille appréciable (130 pages) et sur du papier de belle qualité. Se prendraient-ils pour L'Association ? Non, c'est juste que le projet de Philippe Squarzoni (en partie déjà publié précédemment aux 7 Piliers) leur convenait parfaitement. Car sous leur dehors joviaux et joyeusement délirants, les Requins sont des altermondialistes convaincus. Ceux qui en douteraient n'ont forcément pas eu l'occasion de visiter le Supermarché Ferraille, expo-magasin montée l'an dernier pour Angoulême. Les autres savent. Et comprendront ce qui a séduit les Requins dans ce projet d'un sérieux presque médical.
Squarzoni se penche au chevet de notre vieux monde et explique, à sa manière, comment nous nous faisons manipuler. Ce disciple d'Attac prend la BD pour un terrain de discussion, un forum, un Porto Alegre de rechange. Pourquoi pas ? C'est courageux, et peut-être pas si suicidaire au plan commercial. Le garçon a du talent et de la sincérité à revendre. Lui manque peut-être un brin d'humour ou de dérision pour séduire un public plus large, ainsi qu'un goût plus prononcé pour la narration. Car tout cela est aussi intelligent qu'académique et souvent... désincarné. Le choix du carnet plus ou moins autobiographique ne fonctionne pas toujours, mais quand Squarzoni est lui-même dans l'action, à la manière d'un Joe Sacco, que ce soit en Croatie ou au Chiapas, on se met à lire avec plus de plaisir. La vraie question est de savoir si ce livre pourra toucher un public de non-convaincus d'avance. Si oui, il aura vraiment réussi son pari. C'est tout ce qu'on lui souhaite.
En série par Thierry Bellefroid
« En série », d'Aude Samama, au Frémok.

Un dessin en noir et blanc à la Breccia pour commencer et clore le récit, une palette chromatique expressionniste entre les deux, Aude Samama nous propose d'emblée un univers d'une beauté sombre et picturale. Un univers qui correspond à son récit, où le meurtre vient résoudre les frustrations de l'enfance. L'auteur se défend de nous faciliter la tâche ; le temps s'étire selon son propre rythme, jouant allègrement à saute-mouton avec les années sans prévenir, puis s'arrêtant sur une scène un peu plus loin.
Deux êtres marqués par le désir et la honte. Lilly, mauvaise mère et mauvaise amante, celle qui a choisi de « coucher avec l'ennemi ». Angelo, fils encombrant, témoin importun et complice obligé de la déchéance de sa mère. Grave, dépouillé jusqu'à l'os, nu dans toute sa couleur subjective, dépourvu de décors et de repères, le récit a quelque chose d'hypnotique. Même si la peinture d'Aude Samama rend parfois malaisée l'identification des personnages, la cohérence de son livre rattrape toujours le lecteur au moment où il pourrait se sentir perdu.
Le barbare (Thorgal) par Thierry Bellefroid
« Le barbare », tome 27 de Thorgal. Par Rosinski et Van Hamme. Au Lombard.

C'est incontestablement l'une des meilleures (voire « LA » meilleure) couvertures de Thorgal. Elle devrait suffire à assurer un joli succès à l'album, en dépit de l'effet d'usure naturel d'une série qui approche les trente tomes. La bonne surprise se poursuit à la lecture. Cette histoire renoue avec la meilleure période de Thorgal, celle des albums 9 à 13. Peut-être que certains trouveront qu'elle le fait un peu trop et qu'il n'y a guère de différence entre « Le barbare » et « Les archers ». C'est vrai que Van Hamme nous refait le coup du tournoi. C'est vrai qu'il ne s'agit déjà que d'une variante de Robin des Bois. Mais il faut reconnaître que l'album se laisse lire sans une seconde d'ennui et possède de réelles qualités qui manquaient à certains de ses prédécesseurs. Evidemment, peu de lecteurs auront le frisson à l'idée de laisser une fois de plus Thorgal pour mort à la dernière page... A trop flirter avec la mort, notre héros ne parvient plus à nous faire plus peur lorsqu'il gît, inerte, sur un bout de rocher.
Frères de sang (Chinaman) par Thierry Bellefroid
« Frères de sang », tome 6 de Chinaman. Par Letendre et TaDuc. Chez Dupuis.

Après nous avoir surpris avec la fin du tome 5, il fallait que Letendre nous étonne à nouveau en changeant une fois encore de direction. Comme on pouvait s'y attendre, la vie de couple de Chinaman et de Ada n'intéressant pas grand monde, il fallait que quelque chose se passe. Ce quelque chose, c'est le retour de Chow, le frère d'armes de celui qui s'appelle désormais Chinaman. Finalement de facture assez classique, l'intrigue nous ramène aux débuts de la série, et se développe autour de thèmes comme la fidélité, la cupidité et le racisme. Mais il faut bien reconnaître que plus on avance dans cette série, plus on court le risque de chasser sur les terres du western classique. Letendre parvient à éviter cet écueil tout en jouant très justement sur la juxtaposition des genres. Cela donne cet univers qui tient à la fois de Buddy Longway et de Shogun. Curieux, cohérent, intéressant. Et joliment campé par TaDuc. Mais peut-être pas indispensable à l'histoire de la BD.


« Aohige », tome 1 de la série « Les contes du 7ème Souffle », par Micol et Adam. Chez Vents d'Ouest.

« Equinoxe », nouvelle collection chez Vents d'Ouest, commence son existence sous les meilleurs auspices. Le premier tome de cette saga japonaise est en effet particulièrement brillant, avant tout grâce au dessin de Hugues Micol (« Chiquito la muerte », deux tomes chez Delcourt ; « 3 », un volumineux album muet chez Cornélius). A la manière des Blain/Sfar, Micol joue de la plume pour tailler les ambiances et les volumes, sa mise en couleur venant sur un dessin déjà parfaitement accompli dès l'encrage. Il parvient à traduire avec beaucoup de justesse l'univers à la fois intérieur et aventureux imaginé par son complice, Eric Adam. Les scènes de combat deviennent partie intégrante du récit, ni chorégraphie gratuite ni éloge de la violence. Sentiments et contours des personnages exacerbés, c'est un Japon médiéval à la fois imaginaire et crédible qui s'offre au lecteur. « Les contes du 7ème souffle » ne magnifient pas seulement le samouraï dans ce qu'il a de plus éculé : la force, le sens de l'honneur, la fidélité. Au contraire, les auteurs cherchent à explorer comment un samouraï peut être amené à douter de lui-même et à chercher sa voie entre le code de conduite auquel il doit se soumettre et ce que lui dicte sa conscience.
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio