Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Prélude 1 - Gaël (Kabbale) par Thierry Bellefroid
« Gaël », tome 1 de Kabbale, par Grégory Charlet. Chez Dargaud.

Après une trilogie réussie chez Delcourt en compagnie de Corbeyran, Grégory Charlet quitte l'univers des jeux de rôles et des stryges pour une étonnante histoire mi-politique mi-fantastique. Au terme de ce premier album, il est bien difficile de savoir où l'auteur veut nous mener. Et c'est bien le reproche principal que l'on pourra faire à cet album par ailleurs plutôt réussi. Le dessin a pris plus d'assurance et les couleurs sont aussi réussies que la mise en scène. Mais l'histoire de Gaël n'en est qu'à ses balbutiements et le lecteur reste seul avec ses questions au terme de ces premières 48 planches. Cet album n'est rien d'autre qu'une mise en place, un avant-propos, en quelque sorte. On me répondra qu'il faut planter le décor, les personnages, laisser à la longueur le temps d'installer une intrigue plus dense et plus forte que ne l'eût permis un one-shot. C'est évident. Mais la frustration ressentie lorsqu'arrive la dernière page finit par occulter une part du plaisir de la lecture. On est là en plein dans le mal dont soufre la BD d'aujourd'hui, commercialement incapable de proposer des paginations suffisantes au développement des histoires. Ce n'est bien sûr pas Grégory Charlet qui en est responsable. Pas plus que qu'un éditeur en particulier. Mais que diraient les lecteurs d'un roman s'ils devaient patienter un an entre le chapitre un et le chapitre deux ?
« Rendez-vous à Katmandou », une aventure de Caroline Baldwin. Par André Taymans. Chez Casterman.

Tous ceux qui connaissent un peu André Taymans savent qu'il ne cache pas son admiration pour Cosey, à qui il doit une part de sa ligne graphique et avec lequel il partage une passion démesurée pour la montagne. Avec ce neuvième album de Caroline Baldwin, il peut enfin rendre hommage à son « mentor ». Le titre évoque immédiatement l'univers de Jonathan. Et pour ceux qui n'auraient pas compris après quelques pages, le héros de Cosey apparaît même au détour d'une case. Pour le reste, André Taymans réalise avec « Rendez-vous à Katmandou » une des aventures les plus réussies de Baldwin, qui ne pêche sans doute que par une fin un peu trop prévisible. Utilisant de très beaux décors sans se laisser noyer par eux, l'auteur profite de ce voyage népalais pour faire se rencontrer son héroïne et Roxane, un personnage qu'il avait créé pour une autre aventure, parue il y a deux ans chez Point Image. Il y a donc dans cet album comme la somme des passions et des préoccupations d'André Taymans, impression confirmée à la lecture d'une interview centrée sur ses voyages parue parallèlement dans un hors-série des éditions « A propos ». Un beau petit livre à la couverture toilée qu'on ne peut que conseiller à ceux qui voudraient en savoir plus sur le goût du voyage qui traverse toute l'œuvre d'André Taymans. Le livre commence d'ailleurs par la reproduction en noir et blanc et en petit format de « Rendez-vous à Katmandou ».
« Vincent et Van Gogh » par Gradimir Smudja. Chez Delcourt.

Il y a de temps à autre des albums que l'on n'attend pas. « Vincent et Van Gogh » fait partie de ceux-là. Etonnant dès l'abord, carrément étrange ensuite, voilà un livre parfaitement inclassable et c'est tant mieux. Gradimir Smudja parvient à être à la fois fidèle à l'esprit de Van Gogh jusqu'au graphisme et totalement iconoclaste dans son approche. Habitué à copier les toiles des maîtres impressionnistes et post-impressionnistes, il ne se prive pas de plonger le lecteur dans des références picturales constantes. Mais c'est pour mieux cacher un propos personnel aussi singulier que réjouissant qui n'a rien à voir avec un travail de biographe. La lecture de cette bande dessinée est un moment de pure poésie et l'on espère que les lecteurs seront suffisamment curieux pour ne pas se laisse piéger par une couverture qui sonne « à la manière de ». Smudja a tout pour plaire : la maîtrise graphique et la fantaisie. A condition de s'embarquer avec lui pour cette improbable traversée de la création, on ne peut qu'être agréablement surpris du résultat.
Alberto G. par Thierry Bellefroid
« Alberto G. » par Eric Lambé et Philippe de Pierpont. Une co-édition Seuil/Frémok.

A peine regroupés au sein de Frémok, les Fréon et les Amok co-éditent un livre avec les prestigieuses éditions du Seuil. Sans concession, en conservant cette identité qui leur tient tant à cœur, ils nous offrent une variation sur la création en prenant pour personnage principal Alberto G., qui n'est autre qu'Alberto Giacometti. Le reproche que l'on peut peut-être faire aux auteurs, c'est d'avoir voulu éviter les concessions jusqu'à masquer l'origine de leur intrigue. Tous les lecteurs de cette histoire feront-ils le rapprochement avec Giacometti sans bénéficier d'aucun « sous-titre » ? Rien n'est moins sûr. Mais sans doute cette œuvre vaut-elle par elle-même, au-delà d'une lecture référencée. Car ce que de Pierpont et Lambé explorent, ce n'est rien d'autre que la fidélité à la création, la volonté de parvenir à l'œuvre d'art dans sa pureté originelle. Comment représenter le visage, comment retrouver l'extase devant ce que l'on a mis tant de temps et d'énergie à reproduire ? La question est centrale dans ce livre où la parole se fait rare et le dessin minimaliste.
Angèle en enfer (Poser mon sac) par Thierry Bellefroid
« Angèle en enfer », tome 1 de « Poser mon sac », par Gauchard et Ternon. Au Cycliste.

Après un coup d'essai dans la collection Comix du même éditeur, Gauchard et Ternon tâtent de la trilogie en albums de 46 pages couleur. Une histoire très noire qui sent bon le polar et débute par un prologue musclé avant de nous introduire avec force argot (trop ?) dans une équipe de flics très typés. Une fille échappe à des tueurs grâce à un vagabond qui prend sa défense. Le vagabond se bat trop bien pour être honnête et devient très vite la vraie cible d'une bande d'affreux qui n'ont pas l'air d'être des rigolos. Voilà pour l'intrigue dont le seul tort est de ne pas nous en dire beaucoup sur le héros principal mais dont les qualités sont en revanche de ne pas perdre de temps et de conserver un rythme soutenu tout le long de l'album. Le dessin de Ternon souffre encore de quelques défauts de jeunesse, d'un encrage souvent trop prononcé qui tue la vitalité du dessin et d'une certaine raideur chez les personnages. Mais ce premier tome n'a rien à envier à plusieurs séries concurrentes récemment parues chez Delcourt ou dans la collection Troisième Vague du Lombard. Un premier jet encourageant et une histoire qui se laisse lire, nous laissant sur une envie d'en savoir plus, ce qui est sans doute tout à fait voulu !
Le bruit du givre par Thierry Bellefroid
« Le bruit du givre », par Lorenzo Mattotti et Jorge Zentner. Au Seuil.

Quand un dessinateur en arrive à ce niveau de perfection, ce n'est plus du talent, c'est du génie. Et ce génie, il y a longtemps que Mattotti le développe, tant au service de la bande dessinée que de l'illustration ou de l'affiche. « Le bruit du givre » n'est donc ni son meilleur album ni une apothéose mais une pierre sculptée qui s'ajoute à ce collier chatoyant qu'il confectionne patiemment et qui s'appelle une œuvre. Imprimé avec soin (jusque dans la couverture gaufrée) par le Seuil, « Le bruit du givre » est davantage qu'un beau livre. Grâce à l'écriture travaillée mais jamais ampoulée d'un Zentner au meilleur de sa forme, il nous propose un pur récit initiatique, une quête du moi flirtant avec l'onirisme. Il faut dire que Mattotti a l'intelligence de ne jamais illustrer purement et simplement le texte. Il part de la poésie de Zentner pour y superposer la sienne, à travers un graphisme signifiant mais non redondant.
La nuit du cobra (James Healer) par Thierry Bellefroid
« La nuit du cobra », tome 2 de James Healer. Par Swolfs et De Vita. Au Lombard.

Même s'il s'agit de la suite directe du premier album et de la résolution d'une première enquête pour James Healer, l'album sonne plus original que le premier. Sans doute parce qu'il arrive à faire oublier certaines influences télévisées trop visibles dans le premier opus. On se laisse donc entraîner par cette histoire aux ingrédients mille fois vus et revus, mais plutôt bien mise en scène par Swolfs. Le casting est un traité des clichés du genre -le flic à la nuque taurine, la rousse incendiaire alcoolique, le héros à la toison argentée façon Jésus, l'agent occulte du gouvernement au torse couvert par un tatouage de cobra, etc...- mais il correspond en même temps à l'esprit qui anime ce type de série. Et il faut reconnaître à De Vita un joli coup de crayon qui s'avère aussi efficace dans ce deuxième album très « urbain » que dans le premier, où les décors naturels démontraient le savoir-faire du dessinateur. Bref, si vous aimez la série B, il n'y a pas de raison que James Healer vous déplaise. Au contraire, ce héros très « Troisième Vague » devrait vite rencontrer autant de succès en librairie que certains de ses aînés. Sans être un fan transi, c'est tout ce qu'on lui souhaite !
Le Jugement (Le Curé) par Thierry Bellefroid
« Le jugement », tome 2 de la série « Le Curé », par De Metter et Lacoste. Chez Soleil.

Ayant racheté Triskel et embauché son ancien patron au rang de directeur éditorial, Soleil l'a tout naturellement bombardé directeur de la collection... « Triskel ». Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Le lecteur peut donc suivre la suite d'un premier album très prometteur, qui devait autant au talent du dessinateur qu'à l'intrigue imaginée par son scénariste.
Le deuxième volume de cette trilogie fouille davantage les méandres de la conscience de notre jeune curé, tourmenté jusqu'à l'obsession par le secret entendu en confession, de la bouche du médecin du village. L'affaire se complique encore avec l'arrivée de la jolie Clara, éperdue d'admiration pour le docteur, et dont la beauté n'échappe pas au jeune curé. Une intrigue qui reste intéressante, donc. Tout en étant très classique, le récit de Lacoste explore la conscience humaine et ses contradictions sans jamais ni verser dans la démonstration ni perdre de vue la fluidité narrative. Quant au dessin, on ne le présente plus, puisque de la première trilogie (Emma) parue chez Triskel à Dusk (Humanos), De Metter a déjà largement fait la preuve de son talent pictural expressionniste.
« Du mou pour Matmatou » par Mo, Gaudin et Jaimito. Aux éditions de La Sirène.

En cinq albums, le chat Matmatou s'est considérablement amélioré. Un peu lourdeau à ses débuts, il fait mouche dans la plupart des gags de ce « Du mou pour Matmatou » qui joue à la fois sur l'univers félin et sur les références à la société humaine. Evidemment, cette ambiguïté vient du fait que Matmatou parle, ce qui explique qu'il est parfois plus homme que les hommes (le gag où il tape du balai sur le plafond pour faire taire le voisin du dessus par exemple...). Tantôt détourné pour jouer les métaphores, tantôt 100% chat, Matmatou cumule les fonctions avec un égal bonheur et finit sas gags sur les rotules, puisqu'il est destiné à jouer les souffre-douleur de son scénariste. Le dessin s'est lui aussi amélioré et va désormais à l'essentiel, cherchant l'adhésion du lecteur et traquant la mimique qui peut servir de béquille au gag. Bref, une belle évolution pour une série qui débarque dans un secteur à la fois surencombré et très convoité, celui de l'humour.
« Le cas de force majeure », tome 2 de « La Mandiguerre », par Morvan, Tamiazzo et Lerolle. Chez Delcourt.

Il est parfois plus difficile de réussir un tome 2 que de surprendre le lecteur lors d'une mise en place. Morvan se tire fort bien de cet exercice. Confortant les profils de ses personnages principaux, il rejoint avec « La Mandiguerre » des thèmes qui lui sont chers et qu'il a déjà défendus dans « Sillage ». Au point, peut-être, que le lecteur se demandera ce qui différencie cette série de la précédente. Mais au-delà de cette question, il est évident que Morvan se plaît à raconter des histoires qui mêlent la science-fiction et la morale, ne négligeant jamais de glisser un appel à la tolérance dans ses histoires. Celle-ci n'échappe pas à la règle et après nous avoir fait « trembler » devant son hideuse créature, le scénariste aurait plutôt envie de nous faire pleurer ; le « Mandi » échoué sur la planète « Espoir de Byancoor » finit par être bien plus émouvant et sympathique que terrifiant. Le dessin de Stefano Tamiazzo est de toute évidence influencé par le manga. Ce qui ne l'empêche pas de parvenir, quand il le faut, à faire passer l'émotion. Le résultat est un album qui allie légèreté, aventure, humour et cette pointe de « gravité » qui rend sa lecture intéressante.
« La dernière sourate », tome X du Décalogue. Par Frank Giroud et Franz. Chez Glénat.

C'est avec une grande curiosité que j'ai entamé la lecture de ce dernier volet du Décalogue. Je voulais savoir comment Giroud allait boucler la boucle, justifier en un peu plus de 50 pages une œuvre à la fois populaire (dans le sens premier du terme) et ambitieuse. En se penchant sur cette période méconnue et passionnante qui suit directement la mort du prophète, Giroud nous fait prendre part à ces moments où religion et politique se confondent. Au nom de la raison d'Etat, le Coran se doit de fixer certaines sourates plutôt que d'autres. Le Décalogue trouvé dans la demeure du prophète sur une omoplate de dromadaire risque de faire basculer la foi dans le mauvais camp, celui des pacifistes. D'où les débuts de cette chasse aux sorcières qui aura des conséquences jusqu'au vingt-et-unième siècle. Le scénario transversal de Giroud apparaît au grand jour (dès le tome 9, d'ailleurs) et prend un sens beaucoup plus intéressant. Lire ces dix livres (parus en deux ans, à peine), c'est prendre une grande leçon de clairvoyance et d'intelligence scénaristiques. Giroud mérite le succès. Un succès teinté d'un petit goût amer : celui de voir le dernier album publié deux semaines à peine après la mort de celui qui l'a dessiné...
Vlado (Le vol d'Icare) par Thierry Bellefroid
« Le vol d'Icare », par Etienne Schreder. Chez Glénat, dans la collection Carrément BD.

Icare et son père Dédale, le labyrinthe de Crète, le Minotaure, revus à la sauce Schréder, cela donne une BD carrément tortueuse dans la collection Carrément BD. Etienne Schréder mêle plusieurs histoires en une et se permet de revisiter l'un des plus vieux et des plus éculés des mythes antiques. Son fil d'Ariane se confond avec le labyrinthe puisqu'au sens métaphorique, l'un et l'autre sont tout simplement la mémoire. Mais le labyrinthe -le vrai- existe aussi dans cette histoire ; conçu par le père d'Icare (comme dans la légende), il fut une sorte de prison modèle au service d'une dictature de l'Est. Le fils va s'y précipiter, aveuglé par la recherche d'une mère qu'il n'a jamais connue et dont le mystère l'obsède. Jouant sur les deux tableaux, celui du mythe revisité et celui de l'Histoire comme trame à la fiction, Schréder balade son lecteur dans un monde totalement carré. Si ce n'est le labyrinthe lui-même, que tout le monde attend sous sa forme classique, et que l'auteur a intelligemment imaginé sur le mode de la spirale (ce qui permet de très beaux effets visuels). Schréder a profité de l'opportunité que lui offrait la collection de prestige des éditions Glénat pour jouer sur la forme sans pour autant la privilégier au fond. Il est amusant de voir que pour d'autres dessinateurs, le format carré des pages est surtout prétexte à découper des bandes panoramiques plus proches encore du cinémascope que ne le permet n'importe quel format classique, rectangulaire. Schréder, lui, est parti à l'opposé, il a joué la carte de la géométrie parfaite et, en ce sens, son album est déjà une réussite. Avec son dessin très ligne claire qui le place quelque part à mi-chemin entre Berthet et Goffin, l'ancien criminologue (il a travaillé en milieu carcéral pendant plusieurs années) explore, en marge du mythe, les systèmes répressifs imaginés par les dictatures de l'Est pour étouffer toute contestation et épurer leur population. Un album complexe, forcément labyrinthique, mais à la fois intelligent et esthétique, ce qui n'est pas si courant.
Le voyageur (Gargouilles) par Thierry Bellefroid
« Le voyageur », tome 1 de la série « Gargouilles », par D-P Filippi et J. Etienne, dans la collection « Les trois masques » des Humanos.

Denis-Pierre Filippi allait-il faire aux Humanos ce qu'il faisait déjà chez Delcourt ? Je l'avoue, en voyant le titre de cette série et sa couverture, je me suis sérieusement posé la question. « Un drôle d'ange gardien » et « Gargouilles » ont certes des points communs jusque dans l'approche graphique (Etienne est cependant beaucoup plus proche du mouvement du dessin animé que l'on retrouve chez un Fabrice Parme par exemple, que des ambiances à la fois stylisés et picturales de Sandrine Revel). Mais on est bien face à deux univers différents ; les deux BD ne s'adressent d'ailleurs pas tout à fait au même public. Avec « Les trois masques », les Humanos surfent sur la vague Harry Potter, qui a su réconcilier enfants, ados et adultes autour de la magie et du merveilleux. « Gargouilles » correspond parfaitement à ce cahier des charges, là où « Un drôle d'ange gardien » se destine sans doute davantage à un public enfantin. Bref, ce premier volume confirme un talent de conteur merveilleux, mais aussi une plus grande maîtrise de la narration chez D-P Filippi, auquel on peut parfois reprocher la minceur de ses scénarios. L'histoire est amusante tout en conservant sa part de mystère, les personnages sont attachants, jusqu'aux deuxièmes rôles tenus par la sœur ou la mère de Grégoire. Quant au dessin, rien à dire, il fait mouche. Stylisé, mais plein de vie et d'énergie, jouant sur l'humour sans oublier le spectaculaire, il plaira tant aux adultes qu'aux enfants. Humanos réussit donc son pari en investissant ce nouveau créneau, jusqu'ici surtout occupé par les éditions Soleil (voir « Le collège invisible », par exemple).
Une trop bruyante solitude par Thierry Bellefroid
« Une trop bruyante solitude », par Lionel Tran, Ambre et Valérie Berge. D'après le roman de Bohumil Hrabal. Chez 6 Pieds Sous Terre.

S'il y avait un prix de la meilleure adaptation d'un roman en bande dessinée, peu de candidats pourraient rivaliser avec « Une trop bruyante solitude ». L'équipe qui a travaillé plusieurs années sur ce projet s'est attaquée à un livre d'une densité et d'une beauté magistrales. Un roman sur la modernité et ses travers, sur l'homme et sa place dans le monde, sur le sens de la culture, sur l'obsolescence sociale, sur la littérature elle-même. Le souffle qui traverse ce livre vous emporte immédiatement et la première qualité de cette adaptation est d'avoir su le conserver. Le texte est très présent. Magnifique, il se suffit parfois à lui-même, ce qui explique que certaines pages sont délibérément blanches, juste recouvertes de quelques phrases. Non seulement, cela permet au lecteur de s'arrêter sur le texte, mais cela confère un rythme au livre, une musicalité qu'il est rare de rencontrer en bande dessinée. Les auteurs ont ensuite choisi une voie particulièrement originale pour ce qui est de l'adaptation elle-même, refusant de montrer en dessin ce que le texte suggère. A partir des photos réalisées à Lyon par Valérie Berge, « Une trop bruyante solitude » s'est construit dans une zone de totale liberté graphique et de création pure. Exit, Prague et l'univers réel de Hrabal. De la même manière que Lionel Tran s'est réapproprié le texte du livre, allant jusqu'à mettre l'auteur en abîme dans son adaptation, Ambre, le dessinateur, produit sa propre vision de l'émotion qui étreint le lecteur à la lecture des aventures de Hanta, l'ouvrier alcoolique voué depuis son plus jeune page à la destruction des livres, tombé amoureux de la littérature qu'il arrache au pilon. Le résultat est troublant, la lecture pleine de surprises. Il faut fouiller cet album du regard, pousser les portes entrouvertes, gratter derrière les visages hachurés, relire, revoir.
« Dix petits nègres », par Agatha Christie, François Rivière et Frank Lecelercq. Chez EP éditions.

En marge des nouvelles productions qu'il suscite entre écrivains et dessinateurs, Emmanuel Proust a décidé de rééditer le catalogue des adaptations d'Agatha Christie qu'avaient développé jadis les éditions Lefrancq. J'avoue qu'à relire ces « Dix petits nègres », j'ai particulièrement apprécié les talents d'adaptateur de François Rivière. Il faut dire que le romancier est un grand spécialiste de la reine du policier anglais. Et qu'il possède lui-même une culture littéraire et une connaissance profonde des mécanismes de la bande dessinée qui le placent parmi les candidats parfaits à l'adaptation de pareils monstres de la littérature. Les « Dix petits nègres » ne vieilliront pas davantage en BD qu'ils ne l'ont fait en roman. Et même si les couleurs parfois un peu délavées de cet album trahissent leur époque, la mise en scène de Frank Lecelercq rattrape ce côté désuet par sa modernité. Quant à l'histoire, si vous êtes parmi ces rares lecteurs à ne l'avoir lue ni en roman ni en BD, n'hésitez pas, il est temps de combler cette lacune. C'est sans doute l'un des meilleurs et des plus intelligents romans à énigme du vingtième siècle.
Le train fantôme (Lucie) par Thierry Bellefroid
« Le train fantôme » tome 1 de Lucie, par Catel et Grisseaux. Chez casterman.

Entre les filles de Jean-Philippe Peyraud et celles de Catel et Grisseaux, Casterman tente de faire la parade à Monsieur Jean, passé des Humanos à Dupuis. La filiation des deux premières et du troisième est si évidente qu'il n'est plus utile de revenir dessus. Au contraire, si le premier essai de Catel et Grisseaux dans la collection Tohu Bohu apparaissait comme du sous Dupuy-Berbérian, cette première aventure en couleur de Lucie gagne à être lue. Les deux complices parviennent toujours à viser juste. Et même si leur héroïne a un côté très parisien en lequel certaines ne se retrouveront pas, leur histoire sent bon l'authentique. Les hommes se reconnaîtront, eux, dans la mauvaise foi de Thomas ou l'insouciance de Yan. Mais ce sont surtout les femmes que Catel Muller et Véronique Grisseaux décrivent mieux que personne. Lucie passe par tous les doutes et toutes les interrogations de la plupart des femmes partagées entre une vie active et une maternité pas forcément arrivée au meilleur moment. Touchant, jamais manichéen, son personnage a quelque chose d'universel et d'emblématique sans pour autant quitter la légèreté qui sied à ce genre de BD. Une jolie réussite pour ce couple de créatrices qui scénarise à deux têtes et dont Catel couche ensuite les rêves sur le papier dans un style à la Dupuy-Berbérian relâché, parfois joliment naïf.
Magie noire par Thierry Bellefroid
« Magie noire » de Groud G. Gilbert. Chez Albin Michel.

A côté du délire policier des Corruptibles (voir critique de cet album paru chez Glénat), le ton fantastico-ésotérique de « Magie noire » et sa forme désuète risquent de rencontrer moins d'adhésion. Pourtant, si le premier est écrit par un Français, le second est le fruit du travail d'un Ivoirien qui sait de quoi il parle. Peut-être n'arrive-t-il pas à le transmettre par les voies habituelles de la bande dessinée, choisissant une voie trop tortueuse pour toucher le lecteur de ce côté-ci de la Méditerranée. Groud G. Gilbert a beau nous introduire longuement à son projet, on ne parvient jamais tout à fait à y entrer. Parler de la magie noire et du vaudou qui restent des éléments constitutifs tant en Côte d'Ivoire qu'au Mali ou au Bénin (où le vaudou est né), est en soi une démarche risquée mais intéressante. Groud G. Gilbert a choisi de le faire en passant par le fantastique ; le lecteur est amené à suivre ses personnages dans le monde parallèle des esprits. Ce n'est pas facile pour des cartésiens trop habitués à ne traiter le fantastique que sur le mode de la littérature européenne. Il y a toutefois de très beaux moments dans cet album touffu, il y aussi une magnifique couverture et des envolées presque poétiques. Mais le dessin et la mise en page ont quelque chose de réellement daté. L'emploi de l'aérographe, par exemple, tue certaines pages d'emblée. Ne soyons pas négatifs pour autant : Magie Noire a l'avantage de nous faire pénétrer l'âme africaine et de nous initier à une BD qui attend depuis trop longtemps d'être prise en compte par les éditeurs franco-belges. Cela devrait changer. Une collection africaine devrait voir le jour chez Glénat dans les mois à venir !
« Bonne arrivée patron ! » tome 1 des la série « Les Corruptibles » par Brezault et Pendanx. Chez Glénat.

« Les Corruptibles » ne s'annonce pas précisément comme une série ; il s'agit d'un triptyque qui consiste en une adaptation en bande dessinée d'un roman à paraître dans la Série Noire de Gallimard. Brezault, le romancier qui est aussi le scénariste de sa propre adaptation en BD, y décrit une aventure politico-policière typiquement africaine, qui commence sur les chapeaux de roues par une scène d'attentat peu banale. D'un côté, une valise convoitée que l'on arrache à son pourvoyeur sans se soucier de la main qui y reste attachée... de l'autre, la fille naturelle d'un ministre, que l'on kidnappe par erreur pour fournir un réseau de prostitution locale. Le tout sur fond d'Afrique de l'Ouest plus vraie que nature. Ou plutôt, gentiment caricaturée, pour la rendre plus vraie que nature. Alain Brezault a vécu en Afrique et ça se sent. Son ton, bien que corrosif, est celui d'un observateur attentif de la vie africaine d'aujourd'hui, celle où les Blancs Cassés ont remplacé les colons de jadis. Le dessin de Pendanx annonce la couleur dès la couverture. Les dominantes seront l'ocre, le jaune et le rouge, qui évoquent le côté ravageur de l'incendie métaphorique qui irradie cette partie du monde, mais qui évoquent aussi le sable et la latérite, la chaleur et la touffeur des lieux. Les trois albums devraient paraître en une année -le deuxième tome est annoncé pour avril. Brezault et Pendanx nous proposent ici une histoire à la fois délassante et pleine de dérision. C'est un regard tendre, finalement, que les auteurs posent sur ce joyeux foutoir où la corruption et l'indigence se partagent le butin de la vie.
Duo de choc (Parker & Badger) par Thierry Bellefroid
« Parker & Badger, Duo de choc ». Par Cuadrado, chez Dupuis.

Marc Cuadrado a-t-il enfin trouvé les personnages qui vont lui permettre de se faire un nom dans l'humour ? Norma n'a jamais totalement convaincu. Mais Parker & Badger pourraient très vite lui voler la vedette. Avec ce blaireau court sur pattes mais vif d'esprit et son « maître » à la gueule d'ahuri affublé d'une casquette de rapper, d'une boucle d'oreille, d'un gros nez (« ,non, pas gros le nez, puissant... ») et d'une cervelle de moineau, Cuadrado tient le bon duo. Ces Doubleppatte et Patachon des temps modernes vivent une vie tout ce qu'il y a de normal (dès l'instant où l'on accepte que les blaireaux parlent dans la vie normale, bien sûr) avec des problèmes de boulot, de drague, de voisinage... Mais les situations imaginées par Cuadrado les plongent tantôt dans le ridicule total tantôt dans l'humour décalé, jouant alternativement sur l'effet visuel et sur le gag de situation. Sans doute la meilleure surprise humoristique depuis longtemps. Un futur classique ?
« La véritable histoire des Krashmonsters, Tome 1 : Mosca Argnus Siestae », par Tarquin, Floch, Dutto, Bianco. Chez Soleil.

En voilà un album qui déménage. Dès les premières pages, on accroche ou on décroche. A l'évidence, cette joyeuse brochette de co-scénaristes et co-dessinateurs fait dans la grosse farce, le détournement de super-héros de comics US. Peut-être un rien confus au début, leur récit devient très vite un modèle du genre. La caricature est puissante, le rire garanti. Les trois Krashmonsters, deux ados et un gamin, sont excellents dans leur rôle de pourfendeurs-des-méchants-pendant-que-la-terre-entière-est-sous-l'emprise-du-mal. Ils sont imaginatifs, gentiment inconscients, n'ont peur de rien, et n'ont pas forcément toujours la modestie à fleur de peau. Aidés par un robot qui rappellera à certains les belles heures d'Aquablue, ils vont évidemment sauver la belle ville de Manayork dans un dernier gag final. C'est déjanté, libéré de toute envie de sérieux et de toute stratégie... bref, un défoulement auquel les quatre créateurs de cette série ont donné un peu de leur folie, tant dans le scénario que dans le dessin, sans autre prétention que de faire rire. Et c'est réussi, même si l'on sent toutes les limites du genre dans les inégalités du scénario, ou dans les ruptures de rythme... on s'en fout !
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