Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Jumeaux parfaits », tome 1 de « RIP Limited », par Derrien et Gihef. Chez Nucléa2.

Une histoire de zombies, une de plus ? Pas tout à fait. Celle-ci évite le mauvais goût de bien des copies de « La nuit des morts vivants » et se rapproche davantage de l'ambiance polar. Le héros est un fossoyeur de L.A. plutôt cool, qui donne des petits noms à ses « clients » et qui lors d'un séjour à New York, retrouve plusieurs de ceux-ci apparemment bien vivants. Il entame alors une descente aux enfers (dans tous les sens du terme) rondement racontée par le duo d'auteurs de cette série. Evidemment, on pourra reprocher à Jean-Christophe Derrien d'avoir été un peu fort et surtout un peu vite dans la manière dont les choses se déroulent. L'amitié qui lie le héros à son chauffeur-guide est peu plausible, tout comme le rôle que ce dernier joue en fin d'album. Mais on se laisse faire sans trop de résistance ; tout cela est bien raconté et dessiné sans exagération, avec juste ce qu'il faut d'effets visuels, un découpage classique et des couleurs qui ne tentent pas de voler la vedette au dessin. Bref, on passe un bon moment en compagnie de ce premier album dont une des qualités principales est d'avoir évité toute erreur de casting.
Blue Train par Thierry Bellefroid
« Blue train », par Cailleaux et Bouhnik. Au 9ème Monde.

C'est un petit livre de quelques pages, mais c'est aussi un petit bijou. En marge du dessin plus proche de Loustal et de Dupuy-Berbérian qu'il a développé en couleurs dans « Les Imposteurs », Christian Cailleaux retrouve ici un trait plus proche de l'époque « Harmattan, le vent des fous », initialement paru chez Dargaud. Un dessin épais au lavis, qui privilégie les ombres et la texture des visages. C'est le dessin idéal pour parler du jazz et des ambiances que dépeint le réalisateur Laurent Bouhnik, scénariste de ce petit opus dont le titre rappellera évidemment le label « Blue Note », bien connu des fans de jazz. Musique, femmes, whisky, sont les ingrédients principaux des magnifiques illustrations de Cailleaux, pour cette très courte nouvelle qui fait immanquablement penser aux travaux du maître du genre en BD, Louis Joos. Sans parvenir à rivaliser avec ses livres, Cailleaux et Bouhnik relèvent le pari d'installer une ambiance sur très peu de pages et d'emmener le lecteur dans une lecture presque sonore.
« Le combat ordinaire », par Larcenet. Chez Dargaud.

On l'a dit, c'est l'album de la maturité. Larcenet, trop longtemps considéré comme un gentil farceur, trop longtemps emprisonné aussi dans son image de collaborateur à Fluide Glacial (même si ses albums plus personnels parus aux Rêveurs démentaient déjà cette image), passe à la vitesse supérieure avec ce livre aux accents plus ou moins autobiographiques. Jamais, sans doute, n'avait-il si justement parlé de la vie. Avec une grande économie de moyens et en passant par des moments très drôles comme le running-gag des deux frères qui lèvent les bras à tout bout de champ en s'appelant Georges et en réclamant de gros pétards, Larcenet installe l'émotion, distille la difficulté d'être, d'aimer, de s'aimer soi-même. Sans y toucher, il construit un album d'une grande sensibilité et d'une profondeur de sentiments réellement touchante. Les pages en noir et blanc parcourues de seuls récitatifs où le héros se livre à l'introspection ponctuent l'histoire. Elles lui donnent un rythme, une gravité, qui n'hypothèquent en rien l'action elle-même, au contraire. Seule la fin semble un rien précipitée, mais c'est un si petit défaut dans cet album magnifique qu'on le lui pardonne bien. « Le combat ordinaire » est bel et bien un des albums de l'année, même si elle est loin d'être achevée. Ce serait dommage de le rater.
Arctic-Nation (Blacksad) par Thierry Bellefroid
« Arctic Nation », tome 2 de Blacksad. Par Diaz Canales et Guarnido. Chez Dargaud.

Blacksad est de ces séries qui peuvent amener un public nouveau à la bande dessinée. C'est très rare. Sans doute parce que le dessin de Guarnido parle à tout le monde, évoquant immanquablement les dessins animés que chacun a en mémoire, même s'il n'a jamais ouvert une BD de sa vie. Sans doute aussi parce que cette série brille par une mise en scène efficace, qui se caractérise à la fois par une extrême clarté et par un casting jouant sur les physiques des animaux pour induire des sensations et des sentiments immédiats chez le lecteur. En cela, Blacksad est un « produit » parfait, imparable, qui a suscité d'emblée l'enthousiasme ou l'admiration. Mais là où le tome 1 pêchait peut-être par un excès de clacissisme dans le scénario, le tome 2 propose une thématique forte, mettant mieux encore en valeur l'utilisation des animaux. « Arctic Nation » reste de facture classique. Mais en imaginant une histoire basée sur le racisme et la ségrégation, ses auteurs lui font passer un cran de plus dans la qualité. Evidemment, on peut se dire que dessinée par quelqu'un d'autre, l'histoire ne rencontrerait forcément pas la même adhésion. La virtuosité de Guarnido transpire de chaque case, fait de chaque visage un modèle de précision dans les expressions, la physionomie. Rien que pour cela, la lecture de cet album est un pur plaisir.
« La promesse », tome 1 de « 7 balles pour Oxford », par Gau, Zentner et Montecarlo. Dans la collection Polyptique des éditions du Lombard.

Après un premier album très décevant, le second tir d'artillerie de la nouvelle collection du Lombard fait mouche. Le dessin n'est guère esthétique quand il n'est pas franchement maladroit (la sueur et la petite vérole, ça ne se dessine pas de la même manière, tout de même...) et les couleurs un peu trop agressives de la première page n'arrivent pas toujours à se faire oublier. Mais aucun de ces défauts n'est rédhibitoire. La lecture de cette histoire est, au contraire, facilitée par une écriture subtile et intéressante, des personnages secondaires mystérieux -à commencer par le fameux Sunny G. à qui notre détective s'adresse dans les récitatifs- et un scénario intelligent. La trame générale de l'histoire est intéressante à plus d'un titre, notamment parce qu'elle permet des digressions tout aussi riches que le récit principal (l'histoire de l'enveloppe qu'Oxford doit amener chaque mois à la danseuse Gloria, par exemple) mais aussi parce qu'elle amène sans lourdeur l'argument principal de la série : la promesse que le vieux détective va faire à sa femme malade, celle de raccrocher quand il n'aura plus de balles dans son chargeur. Seul défaut à cette construction complexe et dense : à trop vouloir amener de dimensions parallèles -ou complémentaires- on noie parfois un peu le lecteur, qui doit digérer en quelques lignes la résolution de l'énigme.

Albert (Les Imposteurs) par Thierry Bellefroid
« Les imposteurs, Acte Un », par Cailleaux. Chez Casterman.

Christian Cailleaux renoue avec les grands éditeurs. Après ses débuts chez Dargaud, il avait livré ses plus beaux albums chez Treize Etrange. Le voilà chez Casterman pour un premier projet en couleur et en trois actes. La trame de l'histoire n'est pas fondamentalement neuve ; d'autres ont raconté avant lui ces histoires de personnages qui s'incrustent dans un monde qui n'est pas le leur en profitant d'une méprise. Mais Christian Cailleaux le fait avec une telle grâce que l'on ne peut que se laisser choir dans un fauteuil pour lire ce premier album en écoutant un disque de jazz. Parfois proche de Loustal, surtout dans le traitement de certains visages, parfois plus proche de Dupuy-Berbérian, notamment dans les double pages sans cases qui rappellent « Monsieur Jean », Cailleaux privilégie une esthétique un rien rétro, une ligne claire où se reconnaîtront aussi Avril ou même, sous certains angles, Daniel Ceppi (époque « Corps Diplomatique »). Son héros, le faux Albert Fenta, docker de son état, piètre musicien dans un minable club de jazz la nuit, n'est pas le seul imposteur de l'histoire. Et c'est sans doute ce qui séduit dans ce récit. En partant du cas de Fenta, Cailleaux élargit son propos et s'intéresse à tous les masques que nous portons, aux faux-semblants. Prometteur.
Blonde Platine par Thierry Bellefroid
« Blonde platine », d'Adrian Tomine. Au Seuil.

Très en forme depuis la rentrée 2003, le Seuil affiche des choix éditoriaux à la fois pointus et accessibles. Un exemple : cette traduction d'un jeune auteur américain -il n'a que 28 ans- d'une étonnante maturité, tant graphique que narrative. Adrian Tomine a quelque chose d'un Daniel Clowes dans sa manière d'aborder les relations entre ses personnages, et d'en faire la matière nourricière de ses histoires. Ses « héros » sont des champions de l'introspection, du mal-être et de l'incommunicabilité. Complexés, emprisonnés dans leurs contradictions et leurs obsessions, voire leurs névroses, ces ados et ces jeunes adultes tentent de trouver une issue à leur solitude. Quatre histoires qui donnent à voir une galerie de personnages aux contours noirs -parfois même un peu glauques- parfaitement saisis dans leur réalité par l'auteur. On lit « Blonde platine » comme un recueil de nouvelles ; Tomine emprunte d'ailleurs à la nouvelle ses modes de narration, tout en réussissant à les adapter au medium de la BD. La meilleure des quatre histoires est sans conteste « Escapade hawaïenne », qui raconte les errances d'une jeune Chinoise incapable de communiquer de visu mais particulièrement délurée quand elle se cache derrière un téléphone. Adrian Tomine parvient à distiller de l'humour dans un monde gris et névrosé, sans jamais dévier de sa tâche : dépeindre avec le plus de justesse possible les relations entre les hommes et les femmes. Qui plus est, il le fait avec un trait élégant et une grande clarté dans la mise en scène.
« Furor draconis », tome 2 de la série « Le collège invisible », par Ange et Donsimoni. Chez Soleil.

C'est sûr, vous n'aurez aucun mal à distinguer les bons des méchants dans ce genre de BD ; le casting est là pour ça et le manichéisme n'est jamais très loin. Mais passé ce constat, il faut reconnaître que Ange et Donsimoni étaient les premiers à explorer les nouvelles perspectives de BD offertes par le succès de Harry Potter, avant que les Humanos lancent leur collection « Les Trois masques ». Et il faut dire que le deuxième album de cette série très ado n'a rien à envier au premier. Juste ce qu'il faut d'humour. Une intrigue délassante, peut-être un peu trop « gentille » sur la fin. Ce qu'il faut de magie et de dragons pour accrocher le public visé. Et des héros auxquels n'importe quel jeune lecteur aura l'impression de pouvoir s'identifier. Tout cela servi par un dessin qui sait aussi bien appuyer l'humour que l'action selon les circonstances ; rien à dire, cela devrait marcher.
« Requiem pour un bleu », tome 46 des Tuniques Bleues, par Cauvin et Lambil. Chez Dupuis.

Puisque Raoul Cauvin avoue qu'il ne lit pas les critiques et qu'il ne les apprécie guère (voir le dossier spécial que Bodoï lui a consacré), les quelques lignes qui suivent ne lui sont pas adressées.
Mais à vous, cher lecteur, qui tenez peut-être déjà entre vos mains ce 46ème tome des Tuniques Bleues, sachez que vous venez d'acheter une histoire profondément ennuyeuse. Parfois, on me demande si je lis vraiment tout et je réponds : oui, presque tout. Ainsi, j'ai lu « « Emeutes à New York », « L'oreille de Lincoln » ou « Des bleus et du blues », les trois derniers albums des Tuniques Bleues parus avant ce « Requiem pour un Bleu ». Je n'en ai pas écrit une ligne. Parce qu'ils n'avaient pas besoin de moi pour se vendre. Et parce qu'ils se valaient comme se valent 90% des albums de cette série basée sur des ingrédients connus et immuables. Mais celui-ci sort du lot pour deux raisons. La première est que Cauvin a osé faire mourir Blutch, créant un traumatisme chez les lecteurs de Spirou qui ont découvert la tombe de leur héros préféré en couverture du magazine et ont cru défaillir. La seconde est qu'il assume tellement peu ce choix audacieux, qu'il ne cesse de nous raconter la même scène tout au long de l'album. L'humour de Cauvin est tout entier basé sur le comique de répétition. Quel que soit l'album, vous retrouverez les mêmes scènes entre Blutch et Chesterfield, à la virgule et à la mimique près. Quel que soit l'album, vous aurez l'impression que seuls le décor (et encore) et la thématique changent. Cependant, trente-deux pages sur quarante-six pour raconter quatre fois la même scène, ce n'est plus du comique de répétition, c'est de l'acharnement thérapeutique. A moins de parler d'un véritable manque d'inspiration. Le résultat est qu'il ne se passe rien dans cette histoire qui n'en est d'ailleurs pas une et use de ficelles grosses comme les câbles du Brooklin Bridge. Alors, si vous ne tenez pas encore cet album entre les mains, il est peut-être encore temps...
Tête à tête par Thierry Bellefroid
« Tête à tête », de Dominique Hérody. Aux éditions de L'An2.

C'est Lewis Trondheim qui avait eu la bonne idée d'aller rechercher Dominique Hérody, avec qui il avait signé « Farniente », à L'Association, l'an dernier. Pourtant, Hérody, auteur de Futuro et plus tard de Magic-Strip (la « tête de pont » de la nouvelle BD en Belgique dans les années 80, sous la houlette des frères Pasamonik, un éditeur qui a soutenu des gens aussi talentueux que Chaland ou Avril...), n'attendait pas le vingt-et-unième siècle pour faire de la bande dessinée. Mais ce retour inattendu après 15 ans sans album semble avoir réveillé de vieilles envies. Voici donc un livre épais (300 pages !), qui est comme une leçon de portraits au lavis. L'eau et l'encre rejouent les visages, se jouent des perspectives, tracent des tronches plus ou moins réalistes. Un livre bien plus ébouriffant que pourrait ne le laisser croire un rapide survol de vingt secondes comme on peut le faire dans les rayons d'une librairie. A condition d'aimer le dessin, vous y trouverez une galerie de portraits subtile et foisonnante.
« The boondocks : Parce que je sais que tu ne lis pas le journal », par Aaron Mc Gruder. Chez Dargaud.

Aaron Mc Gruder nous a concocté un petit bijou d'humour noir, un humour qui n'a jamais si bien mérité son nom. A Woodcrest, banlieue blanche plutôt bourgeoise où ils ont établi leur nouveau chez eux après une enfance dans le ghetto noir de Chicago, Huey et Riley, les deux frères Freeman, font la pluie et le beau temps. Huey, l'aîné, est une conscience politique pure. En quelques traits et quelques mots, Mc Gruder le dote d'une connaissance du monde et surtout du monde noir que même Spike Lee ne devait pas avoir à son âge. Sorte de surdoué de la ségrégation, il revendique ses racines africaines, milite, a réponse à tout et à tout le monde, n'épargne personne, même sa voisine qui a pourtant épousé un noir. Riley est l'autre facette du ghetto noir de Chicago d'où sont issus les deux gosses. Marqué par la culture rap, l'attitude du caïd et le culte de la violence, il n'entend rien à ce que lui dit son intello de frère et tente de sauver sa réputation de méchant. Deux personnages parfaitement complémentaires que viennent enrichir des personnages secondaires intéressants. Les strips sont intelligents -on devrait plutôt dire brillants- et parviennent à faire rire tout en distillant des messages forts, sans concession. Mc Gruder a le sens de la formule choc, de la concision, aussi. Et de toute évidence, il a lui-même une conscience noire qu'il n'est pas prêt à diluer dans quoi que ce soit. Il est heureux que cette excellente série ait trouvé une traduction française, qui plus est chez un gros éditeur ! A faire lire dans les écoles... à condition d'avoir une connaissance minimale des Etats-Unis (mais les notes en bas de page proposées par le traducteur Jean-Paul Jennequin -grand spécialiste de la BD US- sont là pour permettre au lecteur paumé de reprendre pied).
Bienvenue à Jobourg par Thierry Bellefroid
« Bienvenue à Jobourg ». Par Pascal Rabaté. Au Seuil.

Ceux qui ne connaissent de Rabaté que son adaptation d'Ibicus risquent d'être surpris par le dessin de ce « Bienvenue à Jobourg », dessin marqué par le trait et l'encre de Chine. Pour cette première BD en couleur -en fait de couleur, l'auteur joue uniquement avec des ambiances en vert et brun- Pascal a voulu quelque chose d'immédiat, de vif, proche du carnet de croquis, quelque chose qui ait les apparentes maladresses du crayonné, mais aussi son extraordinaire vitalité. Le résultat est magistral. Non seulement, l'auteur découpe, raconte, met en scène avec un talent inné. Mais en plus, il parvient à capter cette vérité urbaine difficile à cerner, celle d'une ville à la fois dangereuse et fascinante, prospère et pauvre, blanche et noire. Nulle autre ville africaine ne réunit de tels ingrédients, si ce n'est, dans une moindre mesure, Nairobi (au moins pour la violence). Jobourg est donc une sorte de laboratoire à ciel ouvert, où l'homme est le sujet d'expérience. Les hommes, comme toujours, c'est ce qui intéresse Rabaté. Il n'a donc pas failli à ses habitudes en nous rapportant une histoire humaine, touchante et drôle à la fois. Avec cet œil ironique mais jamais réducteur, avec cette façon de « dénoncer » la nature humaine sans la juger, Rabaté construit ici un album d'une belle justesse, qui résume toutes les tares et toutes les richesses de la vie à Johannesburg.
Le fantôme de Canterville par Thierry Bellefroid
« Le fantôme des Canterville », par Jean-Luc Cornette et Christophe Hanze. Chez Delcourt Jeunesse.

Derrière une couverture qui n'est pas des plus attirantes, l'adaptation d'Oscar Wilde imaginée en deux temps par Cornette et Hanze est tout simplement parfaite. Les deux compères avaient déjà exploré ce texte lors de leurs études. Ils ont peaufiné le travail des années plus tard pour atteindre un résultat qui allie l'humour à l'esthétique. Cette famille d'Américains qui débarque dans un château hanté et qui commence par nier l'évidence avant de la considérer avec la plus parfaite indifférence est particulièrement drôle. Elle se prête en outre très bien à l'adaptation en bande dessinée. Le malheureux fantôme, victime du désintérêt des uns et des mauvaises blagues des autres, frôle la dépression nerveuse. C'est très amusant, très enlevé aussi, car Cornette ne laisse pas la sauce retomber et parvient à faire oublier que cette nouvelle d'Oscar Wilde a déjà connu maintes adaptations. Quant à Christophe Hanze, plus habitué à la littérature pour enfants qu'à la BD, il maîtrise aussi bien les ambiances que le casting de ses personnages. Son travail en couleur directe rappelle parfois celui de Yoann, mais il possède son propre ton. Un bel album pour enfants.
« La plus belle zizique du monde », tome 3 de « Choco », par De Brab et Zidrou. Chez Casterman.

Avec « Jojo », « Oscar » et « Ludo », « Choco » est en train de devenir l'une des meilleures séries pour enfants. En seulement trois tomes, les auteurs ont su créer tout un petit monde plein de poésie, qui s'inspire du cirque mais flirte souvent avec le merveilleux et la magie. C'est encore le cas dans ce livre sur la musique où le personnage de Monsieur Djazzy élève un « notier » (un arbre à notes) dans une énorme serre et correspond avec les instruments à distance. Mais l'histoire dépasse de loin ce petit univers féerique et merveilleux. Zidrou a eu la bonne idée de s'en servir depuis le premier album pour « habiller » un propos souvent plus sérieux, plus profond en tout cas, celui de la famille recomposée. Chaque histoire de « Choco » aborde ce thème par une voie différente. Ici, c'est le remariage du père. De Brab parvient à donner à chaque visage une expression juste, passant de la malice à la colère et de la joie enfantine à la mélancolie en quelques coups de crayon, ce qui rend l'histoire d'autant plus touchante. A la manière d'un Ludo (dont je parlais plus haut), les auteurs font plus qu'explorer un thème par album, ils font passer des messages à leurs petits lecteurs, l'air de rien, sans jamais perdre de vue la nécessité de les captiver. De la BD enfantine intelligente, belle et drôle à la fois, c'est suffisamment rare pour le souligner.
Mr Burroughs par Thierry Bellefroid
« Mr Burroughs », par David Soares et Pedro Nora. Chez FRMK.

Mais qui est ce Mr Burroughs qui tire à la carabine sur des seaux de peinture et reçoit par la poste des dents, un appendice, un foie... tous issus de son propre organisme ? Un artiste, à la fois peintre et écrivain, qui tente de comprendre ce qui le relie au monde à l'heure où la mort s'approche. Vous l'aurez compris, ce livre est à la fois déjanté et philosophique. Les auteurs n'ont pas de tabou, ils explorent les pistes les plus improbables, y compris graphiquement, en se jouant de tout ce qui pourrait paraître trop propre. Le trait est anguleux, la mise en images décalée, avec des déformations et des proportions volontairement fantaisistes, le texte massacré dans les phylactères -quand ce ne sont pas des lettres barbouillées à l'infini sur les murs derrière Mr Burroughs. Et à côté de cela, il y a une profondeur dans le propos, une portée philosophique évidente, qui fait que rien de tout ce qui précède n'est gratuit. C'est de la bande dessinée d'auteur comme existe le cinéma d'auteur. En marge des canons de la BD, en marge de tout souci commercial, des artistes interrogent l'art, la création et l'angoisse de la mort ou de la souffrance. En ce sens, ils sont parvenus à leurs fins. Quand on referme le livre, on vit encore dans ce monde déformé pendant un certain temps.
« Les couleurs de l'infamie », par Albert Cossery et Golo. Dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Pour l'amoureux de l'Egypte et le connaisseur du Caire que je suis, cet album est une bénédiction. On y retrouve l'âme du Caire, dans tout ce qu'elle a de magique et de drôle, de poétique et de fataliste. Ce n'est évidemment pas un hasard. Albert Cossery, écrivain égyptien, sait de quoi il parle. Il manie l'ironie tranquille, la dérision, le second degré, la moquerie de soi, comme seul un Cairote peut le faire. Parti du roman éponyme, Golo adapte seul, découpe, illustre, dessine. Sans en remettre, sans trahir non plus. D'un trait épais qui rappelle parfois celui d'un Farid Boudjellal, il croque les gens et les situations en observateur attentif, guidé par le texte magnifique de Cossery. Car s'il faut remercier Golo d'une chose, c'est d'avoir conservé la verve du roman dont il s'est inspiré. Les dialogues, savoureux, ciselés, intelligents, sont eux aussi le reflet exact d'un art de vivre et d'une culture que l'auteur a su figer sur la feuille. Bref, plonger dans ce livre, c'est déjà partir en voyage, un voyage authentique, celui de l'Egypte d'aujourd'hui. Une Egypte qui se fout des pyramides, de la promiscuité, des odeurs ou de l'écologie. Une Egypte de la débrouille, qui possède sur son sol la plus grande des capitales africaines, ville aux confluents des civilisations et des cultures, asphyxiante, tentaculaire, fascinante et si humaine à la fois. C'est tout cela que vous retrouverez à la lecture de ces « Couleurs de l'infamie ».
Coup de poudre (Monster Allergy) par Thierry Bellefroid
« Coup de poudre », tome 1 de Monster Allergy, par Centomo, Artibani, Barbucci et Canepa.

Barbucci et Caneppa, les deux créateurs de « Sky Doll », quittent leur univers seventies pour une histoire enfantine plus proche des canons de l'animation grand public, voire du dessin animé japonais. Privilégiant la lisibilité et l'expression des enfants qui sont les héros de cette histoire imaginée par Katja Centomo et Francesco Artibani, ils font mouche, tant au travers du traitement graphique et du découpage que de la mise en couleur. Monster Allergy privilégie à la fois l'aventure, le mystère et l'humour, mais sans apparaître comme un nouvel avatar de Harry Potter. Car ce n'est pas tout à fait la magie que les auteurs ont placée au centre de leur histoire, c'est plutôt le paranormal et les dons médiumniques de leur héros, un gamin touchant de sincérité et de fragilité. Jouant les apprentis détectives, Zick et sa copine Elena démêlent une intrigue de voisinage dans une Amérique imaginaire mais cependant très bien restituée. On s'y croirait. Manifestement, les auteurs aiment entretenir cette ambiguïté. Pour eux, c'est l'occasion de jouer sur plusieurs registres à la fois et de ne pas céder à la facilité d'une histoire simplement linéaire.
La mission infernale par Thierry Bellefroid
« La mission infernale », par Baloo, chez Petit à Petit.

Petit à petit... l'oiseau fait son nid. C'est le cas de le dire, pour l'éditeur du même nom qui passe aux albums de plus grand format avec deux nouveautés, « La mission infernale » et « Léo Cassebonbons ». Mieux imprimé que le second qui paraît avoir été relié avec du papier buvard -le lettrage « bave » systématiquement-, le premier n'est pas l'album d'un inconnu. Seul aux commandes, Baloo, le scénariste de John Doe, triptyque paru chez Delcourt dans la collection « Sang-Froid ». Aux histoires de mafia mi-humoristiques, Baloo préfère ici le récit de guerre burlesque en version animalière. Une sorte de remake de « Apocalypse Now » décalé joué par des éléphants en uniforme. L'auteur pousse la parodie aussi loin qu'il le peut, grossissant le trait autant que le lui permet son univers pachydermique. Le résultat est forcément tiré par les cheveux, mais rappelle la fraîcheur, l'originalité -l'intérêt, même- d'un univers comme celui de « La Vache » (ou « Lait entier » pour les épisodes plus récents parus au Lombard) de De Moor et Desberg. Baloo est moins inventif et audacieux que De Moor, mais il parvient à amuser le lecteur d'un bout à l'autre de sa parodie tout en multipliant des clins d'œil habiles au cinéma. Bon, personnellement, j'aurais préféré qu'il se passe du « bêtisier » qui n'apporte rien et souligne un peu trop lourdement le rapport au cinéma, mais sans être parfait, son album réserve un bon moment au lecteur.
« Du grabuge chez Grabouillon », par Alexis Nesme, chez Delcourt Jeunesse.

Grabouillon, c'est le Pollypocket en bande dessinée. Un petit univers qui a l'air de tenir dans la main, avec une héroïne de Playmobil et un chien en plastique à la truffe géante gentiment gaffeur. C'est évidemment la forme qui prend le pas sur le fond. Peu de gens sont allés aussi loin qu'Alexis Nesme dans l'utilisation de la 3D, surtout dans le cadre de la BD enfantine. Peu de gens peuvent se vanter d'avoir atteint pareil résultat. Les gags de Nesme n'auraient évidemment pas le même intérêt dans une forme classique. Sans être mauvais, ils appliquent des recettes plutôt classiques et des idées qu'on a déjà vues et relues. Mais leur mise en image leur redonne un coup de jeune, un air de neuf qui surprend le lecteur. Dans ce monde coloré et innocent du jouet qui parle, le lecteur rêve avec le dessinateur. Poésie et esthétique se marient à la perfection. Pour le plaisir des enfants, sûrement. Mais aussi celui des plus grands, fascinés par la magie de cet univers à la fois réaliste et totalement artificiel, kitsch, animé, habité.
Tiamat (Le dernier Marduk) par Thierry Bellefroid
« Tiamat », tome 2 du « Dernier Marduk » de Eric Liberge, chez PMJ.

Peu à peu, le graphiste qui sommeillait en Eric Liberge semble prendre le pas sur le dessinateur de bande dessinée. Depuis ses débuts avec Monsieur Mardi Gras Descendres (dont Dupuis a racheté le fonds et s'apprête à publier un quatrième tome), Liberge a multiplié les expériences graphiques. Il s'oriente vers un dessin de moins en moins conventionnel qui mêle les techniques classiques et informatiques en abolissant de plus en plus souvent les cases. En résulte une lecture complexe et dense, souvent plus riche que dans la BD habituelle, mais qui peut faire perdre le fil aux moins assidus. En lisant ce deuxième volume, on s'aperçoit qu'il s'éloigne définitivement des univers à la « Schuiten-Peeters » auquel faisait parfois penser le premier, paru deux ans et demi plus tôt. Liberge épouse tout à la fois le fantastique, l'ésotérique, le spirituel et le mythe, dans un mélange qui n'est pas que graphique. Son monde est une métaphore du monde, de la création, du bien et du mal, chaos à la fois savant et ordonné, répondant à des règles immuables. Hanté, l'auteur a quelque chose d'un Druillet moderne dans la forme éclatée et polymorphe qu'il donne à ses histoires. Il faut juste qu'il apprenne à doser ses effets pour ne pas donner l'impression d'en faire trop.
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio