Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Silicia Inc. (I.R.$.) par Thierry Bellefroid
« Silicia Inc. », tome 5 de la série « I.R.S. », par Desberg et Vrancken. Au Lombard.

En passe de crever les plafonds de vente de la collection « Troisième Vague », le nouveau diptyque d'I.R.S. mérite plus d'attention que ses prédécesseurs. Les lecteurs habituels de cette chronique savent que je n'ai pas toujours été tendre avec cette série. Ce n'est pas son succès apparent qui me fait revoir mon jugement, certaines choses continuent de m'y exaspérer prodigieusement. Mais il faut reconnaître que ce cinquième volume se lit avec beaucoup plus de plaisir que les précédents. On ne s'ennuie pas une seconde, à condition, bien sûr, d'accepter certaines invraisemblances de base. Peut-être est-ce parce qu'en plus d'un scénario bien charpenté et accrocheur, Desberg a choisi de faire partager au lecteur un peu plus de la vie de son héros, et même... d'en faire la cible des méchants de service. Peut-être aussi parce que le dessin de Vrancken se décrispe doucement (si si, les cheveux de Larry Max bougent) et semble devenir plus humain. Toujours est-il que sans être un fan transi, je me suis aperçu que les auteurs avaient réussi le tour de force de me donner rudement envie de lire la fin de cette histoire.
Vider la corbeille par Thierry Bellefroid
« Vider la corbeille », par Gnaedig et Thirault. Chez Rackham.

Le duo de « Mes voisins sont formidables » a quitté Le Cycliste et rejoint Rackham, bénéficiant au passage d'un album grand format qui convient très bien à cette excellente fable sur les « beautés » du monde de l'entreprise. Sous la plume du créateur de « Miss », « La Bucha », le fabricant de cheminées ultra-kitsch où se déroule l'action de ce drame social, sonne plus vrai que nature. Philippe Thirault s'amuse à passer en revue tous les travers que l'on peut trouver dans le monde de l'entreprise : faiblesse, oisiveté, manipulation, arrivisme, autoritarisme, paranoïa, lâcheté, mensonge, et j'en passe, sans compter la couche de relations humaines indispensables à la bonne marche de l'album, et qui vont de l'asservissement au dévouement sans limite en passant bien entendu par la drague. Thirault nous offre un catalogue complet de la bêtise humaine et sa chute -qui justifie pleinement le choix du titre de l'album- est confondante de justesse. Personne ne sort indemne de ce psychodrame social. Pourtant, on rit d'un bout à l'autre. Car la caricature, même lorsqu'elle fait grincer des dents, a toujours cet effet de loupe sur les choses qui les rend encore plus vraies. Au dessin, on retrouve avec plaisir Sébastien Gnaedig -qui, pour ceux qui ne le sauraient pas, est directeur éditorial chez Dupuis et réalise donc ses planches le soir, à la lumière de sa petite lampe de bureau, quand tout dort dans la maison...
Les noirs sont moins tranchés que dans « Mes voisins... » et le feutre a cédé la place à un encrage plus flou, rehaussé par un lavis qui donne de la profondeur aux cases somme toute très sommaires au plan du décor. Sébastien Gnaedig n'est pas un grand dessinateur ; au poste qu'il occupe, il peut difficilement ne pas le savoir ! Mais il parvient à faire passer ce qu'il faut d'information et d'émotion pour que le lecteur ne décroche jamais. Chaque visage a été choisi avec soin, chaque attitude sonne juste, tout comme les excellents dialogues de Thirault.
L'amour après la mort (Fragile) par Thierry Bellefroid
« L'amour après la mort », tome 1 de « Fragile », par Stefano Raffaele. Aux Humanos.

Difficile d'aller plus loin dans la noirceur et le gore ! Si vous aimez les histoires de zombies purulents, vous allez être servis, « Fragile » vous propose une histoire d'amour improbable entre un homme et une femme dont le corps se décompose au fur et à mesure que l'histoire avance. En postulant qu'un virus a transformé la quasi totalité de l'espèce humaine en zombies -la mort est suivie d'une période plus ou moins longue durant laquelle le corps et l'esprit continuent d'évoluer sur terre-, Raffaele s'est offert un monde insensé de laideur et de violence. Il tente de le transcender par l'amour que se vouent ses deux personnages principaux. Alan et Lynn, qui se rencontrent à l'état de cadavres en décomposition, vont en effet tenter de réinventer l'amour au pays de la mort. A défaut d'être appétissant, c'est plutôt réussi. On se laisse emmener dans ce monde fantastique régi par les « désinfecteurs » et on s'étonne que l'auteur parvienne à nous toucher à travers cet univers à l'esthétique morbide, une esthétique tempérée par des couleurs proches de celles d'un Georges Bess dans « Juan Solo ».
Panique à Londres par Thierry Bellefroid
« Panique à Londres », par Pétillon et Rochette. Chez Albin Michel.

Fort du succès de « L'enquête corse », Pétillon ne devrait guère avoir de mal à écouler ce « Panique à Londres ». Pourtant, la comparaison des deux albums ne laisse pas beaucoup de chances au dernier né. A l'humour ravageur de « L'enquête corse », le nonsense anglais adapté à la sauce française répond par ses faiblesses. On peut aimer le délire total du scénario et son irrévérence, il est difficile pour autant de ne pas avoir le sentiment qu'il été écrit en une heure sur un coin de table. Tout comme dans leur « Napoléon et Bonaparte » paru chez Casterman, Pétillon et Rochette jouent la carte de la folie furieuse et du dédoublement de personnalité. Mais c'est un peu court. Certes, on s'amuse, on rit même parfois franchement, mais les faits semblent s'enchaîner au petit bonheur, comme si le livre était le résultat d'un cadavre exquis. Hormis cette réserve sur le scénario, rien à dire, en revanche, sur le traitement graphique. Avec un minimum de décors et un maximum de simplicité, Rochette campe un univers drôle et accrocheur doublé d'une jolie galerie de tronches et d'expressions très réussies. Un album inégal, que la réputation des auteurs devrait suffire à transformer en best seller, mais qui ne convainc pas forcément jusqu'au bout.
Blood - livre 1 (Blood) par Thierry Bellefroid
« Blood, livre 1 », de J.M. DeMatteis et Kent Williams, chez EP Editions.

J'ai découvert le travail de Kent Williams il y a deux ans, avec la parution en français de « Tell me, dark », un livre magistral que les éditions Emmanuel Proust rééditent en même temps qu'elles publient « Blood ». Les deux histoires ne sont pourtant pas récentes. Il a fallu un certain temps avant qu'on s'y intéresse de ce côté-ci de l'Atlantique. Kent Williams, peintre, illustrateur, y développe un dessin expressionniste impressionnant de maîtrise et de personnalité. A l'univers très gothique de « Tell me, dark » répond ici une histoire plus fantastique voire allégorique, dont le trait rappellera parfois celui d'un Dave Mc Kean, mais se nourrit surtout d'influences picturales (Schiele, Bacon...).
« Blood » aborde le thème du vampire sous un angle neuf, original et on serait même tenté de dire originel. L'écriture de J.M. DeMatteis y joue un rôle prépondérant, installant un rythme parfois proche de la scansion. La combinaison de ces deux talents donne lieu à un livre envoûtant et d'une grande audace. Pas toujours facile d'accès, il offre au lecteur une vision différente de la BD américaine.
Frankenstein par Thierry Bellefroid
« Frankenstein », par Denis Deprez. Chez Casterman.

Cheville fondatrice de Fréon -aujourd'hui devenue l'aile nord de FRMK-, Denis Deprez n'est pas un débutant. Pourtant, ce « Frankenstein » constitue son premier véritable album (si l'on excepte « Les nébulaires », qui avait inauguré la collection Amphigouri des éditions Fréon). A côté de contributions à des collectifs indépendants, le trait de Deprez restait absent des présentoirs depuis très longtemps et on peut se demander pourquoi. A 37 ans, il livre ici une œuvre magistrale, qui place la barre de l'adaptation littéraire à peu près au même niveau que le « Ibicus » de Pascal Rabaté. Si ce n'est qu'il adapte un roman autrement plus célèbre que celui d'Alexis Tolstoi.
Bien avant la BD, la créature du docteur Frankenstein, réappropriée par le cinéma, est entrée dans le panthéon des personnages mythiques, dont la représentation même ne peut plus échapper à certains codes. Deprez évite soigneusement de lui donner un « visage » nouveau. Mais il utilise avec une intelligence aiguisée les référents que le lecteur possède pour laisser à son personnage une part de mystère. La couverture, à cet égard, est très représentative. Le visage du monstre est à peine esquissé, à la manière de celui du Christ sur le saint suaire. Les apparitions dans le livre sont distillées avec soin et même avec une certaine parcimonie. Fort de l'univers mythique connu de ses lecteurs, Deprez se permet de traiter son sujet avec une totale liberté sans perdre personne en route ! A condition d'entrer dans cet univers graphique marqué par Mattotti, Breccia (très visible dans la première partie) et Francis Bacon, la lecture de ce livre ne demande aucun effort particulier. Sa visibilité est inversement proportionnelle à l'audace graphique dont il fait preuve, ce qui est très rare. Un livre qui vous happe par ses ambiances picturales, ses couleurs étranges, son traitement de la lumière, sa singularité. Un livre qui exploite avec rigueur la richesse littéraire de l'œuvre originale, équilibrant texte et narration graphique, privilégiant quand il le faut les cases muettes. Un livre qui vous envoûte de la première à la dernière page et qui prouve que, bon sang, il se passe tout de même quelque chose chez Casterman ! Car avec ce « Frankenstein » et le très beau Tirabosco qui paraît en même temps, on a l'impression que l'éditeur bruxellois se réveille d'une longue torpeur et se décide, lui aussi, à entrer de plein pied dans la BD d'auteur de la nouvelle génération. Après Dargaud, après Dupuis, après le Seuil. Mais l'essentiel n'est pas d'être le premier.
L'oeil de la forêt par Thierry Bellefroid
« L'œil de la forêt », par Tom Tirabosco. Chez Casterman.

Jusqu'ici abonné aux petits formats en noir et blanc, Tirabosco signe un très bel album en couleurs dans la collection « Un Monde » de Casterman, sans pour autant changer sa technique de dessin, caractérisée par des effets de fusain sur papier gaufré. Le crayon gras donne à son trait une épaisseur, une densité et une matière qui apportent une touche mystérieuse de bon aloi à cet univers plus réaliste. L'histoire est somme toute assez classique et le lecteur un peu attentif aura tôt fait de deviner la plupart des événements avant qu'ils se produisent. Mais la narration est solide et le personnage de la petite Clara donne une fraîcheur à ce récit de vengeance familiale. Avec son innocence et son empathie, elle parvient à concilier l'inconciliable, à comprendre le monde de violence dans lequel elle est soudain plongée, à donner des leçons aux adultes. C'est le personnage qui donne son souffle et son intérêt à l'album. Un album dans lequel on plonge donc avec aisance, d'abord guidé par le dessin à la fois simple et très personnel de Tirabosco. Un auteur qui fait partie de la génération genevoise à suivre. Avec Wazem, Peeters, Baladi, et quelques autres, il assure la relève d'une BD suisse qui s'est longtemps cherchée après les succès de ses trois plus grands noms : Derib, Cosey et Ceppi.
« Un faune sur l'épaule », une aventure de Broussaille. Par Frank. Chez Dupuis.

Un album de Broussaille, c'est toujours un événement. Parce que cinq volumes en seize ans, ça vous place chaque nouveauté au rang de rareté. Parce que Frank a beau être un dessinateur talentueux, il se fait attendre sur tous les fronts (les fans de « Zoo » en deviennent fous). Alors, ce genre d'album, il faut l'ouvrir délicatement, le lire comme on sirote son apéro préféré sur une terrasse au soleil. Ça tombe bien, « Un faune sur l'épaule » peut se lire au compte-goutte, il ne s'agit pas à proprement parler d'une histoire, mais de rêveries mises bout à bout et compilées au format 46 planches. Attention, ceci n'est pas une critique. Simplement, une mise en garde à ceux qui ont besoin d'un scénario accrocheur pour lire un album de BD ; ils en seront pour leurs frais. Les autres apprécieront cette belle leçon de vie et d'écologie poétique, parfois un rien moralisatrice, souvent didactique, mais toujours émerveillée devant la beauté du monde, de la nature, de l'imaginaire. Ce cinquième Broussaille est une bouffée d'oxygène en BD, une chanson douce fredonnée entre les arbres.
La source par Thierry Bellefroid
« La source », de Frank. Aux éditions Pyramides.

Parallèlement à la sortie de l'album de Broussaille, ce livre broché raconte deux rêves de Broussaille où intervient le faune qui est le fil conducteur de « Un faune sur l'épaule ». Créé tout spécialement pour accompagner une exposition sur la BD à Sydney fin 2002, ce matériel ne pouvait pas rester inédit en album. Les éditions Pyramides le publient donc en français (après une première publication en anglais dans le cadre de l'exposition). Le premier rêve, assez court (4 pages), raconte l'apparition du faune. Le second, plus long (13 planches), s'intéresse plus particulièrement aux beautés menacées de l'Australie et fait apparaître, dans la scène finale, un incroyable loup blanc de Tasmanie. Les animaux qui traversent ce livre -et qu'on retrouve sous forme de carnet dans les toutes dernières pages- sont absolument somptueux. Comme toujours, Frank a apporté un soin tout particulier aux couleurs et aux ambiances, ce qui fait de ce livre un petit bijou rehaussé par une très jolie couverture.
« Marine Sex », volume 2 de « Une demi-douzaine d'elles », par Anne Baraou et Fanny Dalle-Rive.

Armelle Naïve, on la connaît déjà, elle était le personnage central du premier opus. Cette fois, c'est « Marine Sex » qu'explorent Anne Baraou et Fanny Dalle-Rive. Marine n'y peut rien, les hommes, elle aime ça. Et en plus, c'est réciproque. Elle leur plaît, elle ne tourne pas autour du pot, elle les met dans son lit et on n'en parle plus. Ce personnage de « gentille nymphomane » est joliment croqué par le couple d'auteurs qui a entamé ce portrait de groupe de femmes, l'an dernier. Plus touchante que la première héroïne, très contemporaine et citadine, mais pas si caricaturale que ça, elle évolue au fil des pages sans lasser le lecteur. Le dessin, dépouillé et vif, ne rate rien de ce qui est essentiel. Le résultat apparaît comme un bel instantané que viendront évidemment compléter les autres numéros de cette demi-douzaine de femmes de papier. Une justesse de ton qui fait regretter que la bande dessinée compte si peu de femmes et moins encore de duos féminins assurant, sans immixtion masculine, scénario et dessin.
Bagara (Les Cris de Nortso) par Thierry Bellefroid
« Bagara », tome 1 de la série « Les cris de Nortso ». Par Vanloffelt et Ronzon. Chez Paquet.

Ce premier album doit beaucoup à Antoine Ronzon, son dessinateur. Dès la première page, l'atmosphère est envoûtante, travaillant la lumière, sculptant les ombres, jouant sur le cadrage. Cette première impression demeure tout au long d'un album à la forme très soignée, même si l'hyper-réalisme des visages apparaît au départ comme un peu déconcertant. Et même si les lumières et la couleur sont parfois là pour masquer les imperfections du dessin. Ronzon est un metteur en scène autant qu'un dessinateur, il tire parfaitement parti des gros plans ou des pleines pages mais gagnerait sans doute à varier davantage la gamme d'expressions de ses personnages. Quant à l'histoire, elle mêle agréablement les légendes africaines et le tableau de mœurs. Vanloffelt n'est pas un débutant ; le rythme qu'il impose à son récit est à la fois cadencé et retenu, les ingrédients sont classiques sans être éculés. Bagara le buffle et Okuo, le jeune Nouba, forment une chaîne invisible et puissante qui traverse ce récit, lui insufflant une âme. Reste à voir où nous mèneront les deux tomes suivants.
« Jumeaux parfaits », tome 1 de « RIP Limited », par Derrien et Gihef. Chez Nucléa2.

Une histoire de zombies, une de plus ? Pas tout à fait. Celle-ci évite le mauvais goût de bien des copies de « La nuit des morts vivants » et se rapproche davantage de l'ambiance polar. Le héros est un fossoyeur de L.A. plutôt cool, qui donne des petits noms à ses « clients » et qui lors d'un séjour à New York, retrouve plusieurs de ceux-ci apparemment bien vivants. Il entame alors une descente aux enfers (dans tous les sens du terme) rondement racontée par le duo d'auteurs de cette série. Evidemment, on pourra reprocher à Jean-Christophe Derrien d'avoir été un peu fort et surtout un peu vite dans la manière dont les choses se déroulent. L'amitié qui lie le héros à son chauffeur-guide est peu plausible, tout comme le rôle que ce dernier joue en fin d'album. Mais on se laisse faire sans trop de résistance ; tout cela est bien raconté et dessiné sans exagération, avec juste ce qu'il faut d'effets visuels, un découpage classique et des couleurs qui ne tentent pas de voler la vedette au dessin. Bref, on passe un bon moment en compagnie de ce premier album dont une des qualités principales est d'avoir évité toute erreur de casting.
Blue Train par Thierry Bellefroid
« Blue train », par Cailleaux et Bouhnik. Au 9ème Monde.

C'est un petit livre de quelques pages, mais c'est aussi un petit bijou. En marge du dessin plus proche de Loustal et de Dupuy-Berbérian qu'il a développé en couleurs dans « Les Imposteurs », Christian Cailleaux retrouve ici un trait plus proche de l'époque « Harmattan, le vent des fous », initialement paru chez Dargaud. Un dessin épais au lavis, qui privilégie les ombres et la texture des visages. C'est le dessin idéal pour parler du jazz et des ambiances que dépeint le réalisateur Laurent Bouhnik, scénariste de ce petit opus dont le titre rappellera évidemment le label « Blue Note », bien connu des fans de jazz. Musique, femmes, whisky, sont les ingrédients principaux des magnifiques illustrations de Cailleaux, pour cette très courte nouvelle qui fait immanquablement penser aux travaux du maître du genre en BD, Louis Joos. Sans parvenir à rivaliser avec ses livres, Cailleaux et Bouhnik relèvent le pari d'installer une ambiance sur très peu de pages et d'emmener le lecteur dans une lecture presque sonore.
« Le combat ordinaire », par Larcenet. Chez Dargaud.

On l'a dit, c'est l'album de la maturité. Larcenet, trop longtemps considéré comme un gentil farceur, trop longtemps emprisonné aussi dans son image de collaborateur à Fluide Glacial (même si ses albums plus personnels parus aux Rêveurs démentaient déjà cette image), passe à la vitesse supérieure avec ce livre aux accents plus ou moins autobiographiques. Jamais, sans doute, n'avait-il si justement parlé de la vie. Avec une grande économie de moyens et en passant par des moments très drôles comme le running-gag des deux frères qui lèvent les bras à tout bout de champ en s'appelant Georges et en réclamant de gros pétards, Larcenet installe l'émotion, distille la difficulté d'être, d'aimer, de s'aimer soi-même. Sans y toucher, il construit un album d'une grande sensibilité et d'une profondeur de sentiments réellement touchante. Les pages en noir et blanc parcourues de seuls récitatifs où le héros se livre à l'introspection ponctuent l'histoire. Elles lui donnent un rythme, une gravité, qui n'hypothèquent en rien l'action elle-même, au contraire. Seule la fin semble un rien précipitée, mais c'est un si petit défaut dans cet album magnifique qu'on le lui pardonne bien. « Le combat ordinaire » est bel et bien un des albums de l'année, même si elle est loin d'être achevée. Ce serait dommage de le rater.
Arctic-Nation (Blacksad) par Thierry Bellefroid
« Arctic Nation », tome 2 de Blacksad. Par Diaz Canales et Guarnido. Chez Dargaud.

Blacksad est de ces séries qui peuvent amener un public nouveau à la bande dessinée. C'est très rare. Sans doute parce que le dessin de Guarnido parle à tout le monde, évoquant immanquablement les dessins animés que chacun a en mémoire, même s'il n'a jamais ouvert une BD de sa vie. Sans doute aussi parce que cette série brille par une mise en scène efficace, qui se caractérise à la fois par une extrême clarté et par un casting jouant sur les physiques des animaux pour induire des sensations et des sentiments immédiats chez le lecteur. En cela, Blacksad est un « produit » parfait, imparable, qui a suscité d'emblée l'enthousiasme ou l'admiration. Mais là où le tome 1 pêchait peut-être par un excès de clacissisme dans le scénario, le tome 2 propose une thématique forte, mettant mieux encore en valeur l'utilisation des animaux. « Arctic Nation » reste de facture classique. Mais en imaginant une histoire basée sur le racisme et la ségrégation, ses auteurs lui font passer un cran de plus dans la qualité. Evidemment, on peut se dire que dessinée par quelqu'un d'autre, l'histoire ne rencontrerait forcément pas la même adhésion. La virtuosité de Guarnido transpire de chaque case, fait de chaque visage un modèle de précision dans les expressions, la physionomie. Rien que pour cela, la lecture de cet album est un pur plaisir.
« La promesse », tome 1 de « 7 balles pour Oxford », par Gau, Zentner et Montecarlo. Dans la collection Polyptique des éditions du Lombard.

Après un premier album très décevant, le second tir d'artillerie de la nouvelle collection du Lombard fait mouche. Le dessin n'est guère esthétique quand il n'est pas franchement maladroit (la sueur et la petite vérole, ça ne se dessine pas de la même manière, tout de même...) et les couleurs un peu trop agressives de la première page n'arrivent pas toujours à se faire oublier. Mais aucun de ces défauts n'est rédhibitoire. La lecture de cette histoire est, au contraire, facilitée par une écriture subtile et intéressante, des personnages secondaires mystérieux -à commencer par le fameux Sunny G. à qui notre détective s'adresse dans les récitatifs- et un scénario intelligent. La trame générale de l'histoire est intéressante à plus d'un titre, notamment parce qu'elle permet des digressions tout aussi riches que le récit principal (l'histoire de l'enveloppe qu'Oxford doit amener chaque mois à la danseuse Gloria, par exemple) mais aussi parce qu'elle amène sans lourdeur l'argument principal de la série : la promesse que le vieux détective va faire à sa femme malade, celle de raccrocher quand il n'aura plus de balles dans son chargeur. Seul défaut à cette construction complexe et dense : à trop vouloir amener de dimensions parallèles -ou complémentaires- on noie parfois un peu le lecteur, qui doit digérer en quelques lignes la résolution de l'énigme.

Albert (Les Imposteurs) par Thierry Bellefroid
« Les imposteurs, Acte Un », par Cailleaux. Chez Casterman.

Christian Cailleaux renoue avec les grands éditeurs. Après ses débuts chez Dargaud, il avait livré ses plus beaux albums chez Treize Etrange. Le voilà chez Casterman pour un premier projet en couleur et en trois actes. La trame de l'histoire n'est pas fondamentalement neuve ; d'autres ont raconté avant lui ces histoires de personnages qui s'incrustent dans un monde qui n'est pas le leur en profitant d'une méprise. Mais Christian Cailleaux le fait avec une telle grâce que l'on ne peut que se laisser choir dans un fauteuil pour lire ce premier album en écoutant un disque de jazz. Parfois proche de Loustal, surtout dans le traitement de certains visages, parfois plus proche de Dupuy-Berbérian, notamment dans les double pages sans cases qui rappellent « Monsieur Jean », Cailleaux privilégie une esthétique un rien rétro, une ligne claire où se reconnaîtront aussi Avril ou même, sous certains angles, Daniel Ceppi (époque « Corps Diplomatique »). Son héros, le faux Albert Fenta, docker de son état, piètre musicien dans un minable club de jazz la nuit, n'est pas le seul imposteur de l'histoire. Et c'est sans doute ce qui séduit dans ce récit. En partant du cas de Fenta, Cailleaux élargit son propos et s'intéresse à tous les masques que nous portons, aux faux-semblants. Prometteur.
Blonde Platine par Thierry Bellefroid
« Blonde platine », d'Adrian Tomine. Au Seuil.

Très en forme depuis la rentrée 2003, le Seuil affiche des choix éditoriaux à la fois pointus et accessibles. Un exemple : cette traduction d'un jeune auteur américain -il n'a que 28 ans- d'une étonnante maturité, tant graphique que narrative. Adrian Tomine a quelque chose d'un Daniel Clowes dans sa manière d'aborder les relations entre ses personnages, et d'en faire la matière nourricière de ses histoires. Ses « héros » sont des champions de l'introspection, du mal-être et de l'incommunicabilité. Complexés, emprisonnés dans leurs contradictions et leurs obsessions, voire leurs névroses, ces ados et ces jeunes adultes tentent de trouver une issue à leur solitude. Quatre histoires qui donnent à voir une galerie de personnages aux contours noirs -parfois même un peu glauques- parfaitement saisis dans leur réalité par l'auteur. On lit « Blonde platine » comme un recueil de nouvelles ; Tomine emprunte d'ailleurs à la nouvelle ses modes de narration, tout en réussissant à les adapter au medium de la BD. La meilleure des quatre histoires est sans conteste « Escapade hawaïenne », qui raconte les errances d'une jeune Chinoise incapable de communiquer de visu mais particulièrement délurée quand elle se cache derrière un téléphone. Adrian Tomine parvient à distiller de l'humour dans un monde gris et névrosé, sans jamais dévier de sa tâche : dépeindre avec le plus de justesse possible les relations entre les hommes et les femmes. Qui plus est, il le fait avec un trait élégant et une grande clarté dans la mise en scène.
« Furor draconis », tome 2 de la série « Le collège invisible », par Ange et Donsimoni. Chez Soleil.

C'est sûr, vous n'aurez aucun mal à distinguer les bons des méchants dans ce genre de BD ; le casting est là pour ça et le manichéisme n'est jamais très loin. Mais passé ce constat, il faut reconnaître que Ange et Donsimoni étaient les premiers à explorer les nouvelles perspectives de BD offertes par le succès de Harry Potter, avant que les Humanos lancent leur collection « Les Trois masques ». Et il faut dire que le deuxième album de cette série très ado n'a rien à envier au premier. Juste ce qu'il faut d'humour. Une intrigue délassante, peut-être un peu trop « gentille » sur la fin. Ce qu'il faut de magie et de dragons pour accrocher le public visé. Et des héros auxquels n'importe quel jeune lecteur aura l'impression de pouvoir s'identifier. Tout cela servi par un dessin qui sait aussi bien appuyer l'humour que l'action selon les circonstances ; rien à dire, cela devrait marcher.
« Requiem pour un bleu », tome 46 des Tuniques Bleues, par Cauvin et Lambil. Chez Dupuis.

Puisque Raoul Cauvin avoue qu'il ne lit pas les critiques et qu'il ne les apprécie guère (voir le dossier spécial que Bodoï lui a consacré), les quelques lignes qui suivent ne lui sont pas adressées.
Mais à vous, cher lecteur, qui tenez peut-être déjà entre vos mains ce 46ème tome des Tuniques Bleues, sachez que vous venez d'acheter une histoire profondément ennuyeuse. Parfois, on me demande si je lis vraiment tout et je réponds : oui, presque tout. Ainsi, j'ai lu « « Emeutes à New York », « L'oreille de Lincoln » ou « Des bleus et du blues », les trois derniers albums des Tuniques Bleues parus avant ce « Requiem pour un Bleu ». Je n'en ai pas écrit une ligne. Parce qu'ils n'avaient pas besoin de moi pour se vendre. Et parce qu'ils se valaient comme se valent 90% des albums de cette série basée sur des ingrédients connus et immuables. Mais celui-ci sort du lot pour deux raisons. La première est que Cauvin a osé faire mourir Blutch, créant un traumatisme chez les lecteurs de Spirou qui ont découvert la tombe de leur héros préféré en couverture du magazine et ont cru défaillir. La seconde est qu'il assume tellement peu ce choix audacieux, qu'il ne cesse de nous raconter la même scène tout au long de l'album. L'humour de Cauvin est tout entier basé sur le comique de répétition. Quel que soit l'album, vous retrouverez les mêmes scènes entre Blutch et Chesterfield, à la virgule et à la mimique près. Quel que soit l'album, vous aurez l'impression que seuls le décor (et encore) et la thématique changent. Cependant, trente-deux pages sur quarante-six pour raconter quatre fois la même scène, ce n'est plus du comique de répétition, c'est de l'acharnement thérapeutique. A moins de parler d'un véritable manque d'inspiration. Le résultat est qu'il ne se passe rien dans cette histoire qui n'en est d'ailleurs pas une et use de ficelles grosses comme les câbles du Brooklin Bridge. Alors, si vous ne tenez pas encore cet album entre les mains, il est peut-être encore temps...
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