Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Ayako - T. 1 (Ayako) par Thierry Bellefroid
« Ayako », tome 1, par Osamu Tezuka, chez Delcourt.

Pas à dire, ça bouge côté manga. Presque tous les éditeurs commencent à y investir sérieusement, les grandes signatures se retrouvent sur plusieurs labels à la fois (chacun aura bientôt son Taniguchi) et les ventes décollent réellement, puisque le manga, tous genres confondus, atteint le quart des recettes de l'édition BD de langue française. Si Kana reste le numéro 1 du moment, les éditions Delcourt offrent plusieurs produits de qualité et principalement ce « Ayako » de Tezuka, triptyque qui paraîtra sur quelques mois à peine. L'histoire nous plonge dans le Japon de l'après-guerre, sous domination américaine. Un pays à genoux et surtout un ordre social totalement bouleversé. Cela n'empêche pas les héros de Tezuka de réagir aux événements en fonction de leurs codes ancestraux. La famille Tengé est presque pathétique à force de se battre pour conserver son nom et son honneur dans un monde en déclin. Le dessin extrêmement stylisé n'empêche nullement un propos très dur et une intensité dramatique qui va croissant. La violence est partout : sociale, verbale, politique, primaire aussi. Et personne, hormis les deux enfants innocentes prises au piège de l'intrigue, ne traverse ce récit sans révéler ses faiblesses et ses turpitudes. Un récit fort, prenant, mené de main de maître par l'un des tout grands maîtres de la BD japonaise. A lire absolument, en passant outre les préjugés un peu faciles qu'on peut avoir à l'égard du manga.
« Les pierres levées », tome 1 du quatrième cycle d'aventures de La Balade au bout du monde. Par Makyo et Laval N.G. Chez Glénat.

Le premier cycle, dessiné par Laurent Vicomte, a été un de mes grands souvenirs de BD d'adolescent. Il n'a rien perdu de sa magie. Cohérent, inventif, brillamment raconté, il constitue l'un des chefs d'oeuvre de la BD populaire. Quatre albums avec Herenguel et quatre autres avec Faure ont ensuite creusé le fossé entre la première histoire et ses suites. Tout seuls, ces cycles (surtout celui avec Herenguel) pouvaient tenir la route. Mais face au premier, aucun n'avait une chance de dépasser la statut de succédané. On ne gagne jamais grand chose à tirer sur la corde. Ce quatrième cycle semble le prouver plus encore. Bien sûr, les lecteurs accros de la série retrouveront avec plaisir leurs héros préférés : Arthis, Aline, Joachim, Rabal et les autres. Mais que tout cela paraît bien plat en regard des débuts. Sans compter que les personnages ont tant de fois changé de mains qu'on en vient à faire une soupe entre les différents dessinateurs. Pierre Makyo ne manque pas d'imagination, certes. Cette nouvelle histoire réalise le grand écart entre les trois premiers cycles et les nouveaux développements de la série. Sans se perdre en chemin. Mais sans supplément d'âme. Au contraire. Makyo donne l'impression de vouloir exploiter son filon jusqu'à plus soif, faisant traîner ce premier tome sous le prétexte d'initier Arthis aux sauts temporels. Tout cela sent l'application davantage que l'inspiration.
Livre 1 (Purgatoire) par Thierry Bellefroid
« Purgatoire, Livre 1 », par Chabouté. Chez Vents d'Ouest. Dans la collection Equinoxe.

La couleur, enfin, pour un Chabouté qu'on croyait acquis à vie au noir et blanc. Mais une couleur discrète, qui s'excuse presque d'être là. Normal, le propos, lui, est noir, très noir. Jusqu'ici totalement réaliste (mais on connaît l'animal, il résiste rarement à aller au-delà des apparences pour emmener son lecteur sur la pente savonneuse du fantastique, au moins du bout des doigts ; le prochain album sera donc déterminant), ce livre 1 nous raconte la descente aux enfers d'un jeune indépendant auquel tout sourit jusqu'à l'incendie de sa maison. Endetté jusqu'au cou, victime d'un assureur pour le moins véreux, le voilà à la rue, montré du doigt, rejeté, en marge. Même si tout cela se passe vite, très vite, on ne peut s'empêcher de penser, à la lecture de cette BD, que notre petit confort ne tient parfois qu'à peu de choses. Chabouté le démontre avec brio, son récit est comme une machine implacable, elle avance vers un dénouement que l'on suppose tragique. La fin laisse le lecteur imaginer ce que sera la série, mais sans pour autant le planter en plein milieu de l'action, comme c'est trop souvent le cas au terme des premiers tomes de séries. Chabouté, artisan du one-shot depuis ses débuts, a eu la bonne idée de trouver comment achever ce premier récit de manière cohérente. Seule la dernière planche abandonne le lecteur sur une interrogation mystérieuse qui trouvera forcémenent son écho dans le tome 2. Pour le reste, cette histoire très dure nécessitait bien 64 pages pour se mettre en place : les événements vont déjà à toute allure et les personnages sont campés en deux temps trois mouvements. On n'ose pas imaginer ce que ce premier tome aurait donné s'il avait dû tenir dans un format standard de 46 planches. Grâce à sa longueur, Chabouté trouve le temps de dessiner des respirations, souvent muettes, qui sont essentielles à la qualité du livre.
Romain par Thierry Bellefroid
« Romain », par Mélaka. A L'Association.

A la question peut-on passer outre un dessin ingrat quand l'histoire est bonne, j'ai envie de répondre : oui, la preuve. Le graphisme de Mélaka est tout sauf enthousiasmant, en dehors d'une couverture heureusement plutôt réussie. Mais son histoire, elle, vous entraîne sur les traces des souvenirs d'adolescence de l'auteur, dans un récit, parfois bouleversant, parfois dérangeant, où le lecteur ne peut s'empêcher de se poser des questions du genre : et, moi, j'aurais fait quoi ? Mélaka n'avait que quinze ans quand son petit copain a tenté de se suicider après leur rupture. Ce que le livre raconte est ce qui s'est passé ensuite. Ne connaissant pas cette jeune dessinatrice, j'ignore si l'ensemble des faits présentés est de nature autobiographique. Mais vu la justesse de ton, les anecdotes qu'elle relate et les situations présentées, on a l'impression que des choses pareilles ne s'inventent pas. Je m'en voudrais de trop en dire sur le contenu d'un livre qui aborde une question essentielle, celle de la culpabilité, et une autre, celle de la foi en la vie pour un être diminué. Certaines scènes très fortes vous secouent dans votre fauteuil et le livre vous poursuit de manière lancinante quand vous l'avez terminé. C'est dire si la BD peut parler de tout, quand elle trouve le ton juste pour éviter sensationnalisme et voyeurisme, sensiblerie et mièvrerie, narcissime et égocentrisme. C'est le cas de cette confession particulièrement réussie.
Osaka (Hector Umbra) par Thierry Bellefroid
« Osaka », tome 1 de « Folie semi-automatique », une aventure de Hector Umbra, par Uli Oesterle. Chez Akiléos.

Difficile de comprendre où l'Allemand Uli Osterle nous emmène avec cet album déconcertant. Clubs enfumés, sets de DJ qui enflamment des créatures finalement réduites à l'état de décor, personnages troubles... puis, cette traversée du miroir, dans un monde surréaliste qui semble être le purgatoire... Etrange, fou, décalé, sulfureux. L'univers citadin du dessinateur est parcouru de tronches allongées, de silhouettes fantômatiques, de prosélytes muets qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à des témoins de Jéhovah. Au milieu de tout cela, Hector Umbra, qui ne se remet pas de la perte récente de son meilleur ami, accro à toutes les substances illégales qui a passé l'arme à gauche deux mois plus tôt. Hector, paumé mais lucide, qui refuse d'admettre la disparition d'un autre de ses amis, Osaka, DJ évaporé au beau milieu de son set dans une boîte de nuit. Hector, qui suit les ordres des morts sur son répondeur et s'enfonce dans la nuit, à la recherche de vérités improbables.
Premier de trois volumes, « Osaka » est un album où folie, mort, mysticisme et désoeuvrement font bon ménage. On ne sait pas où commence le fantastique et où s'achève le rêve, on ne sait pas si l'on doit croire ce que l'on voit. On ne sait pas où on va. Et le plus fort, c'est quon aime ça !
« Le silence des moutons », tome 1 de la série « Max Hamm, détective de conte de fées », par Frank Cammuso. Chez Akiléos.

Il prend tout à contre-pied, ce Frank Cammuso ! Autre façon de dire qu'il ne respecte rien, mais alors rien. Bon, dès la couverture, on sent qu'on y aura droit : une espèce de Blanche Neige attend, l'arme au poing, l'entrée d'un privé à tête de groin dans une remise. Mais il y a plus. La couverture affiche aussi ce côté joliment désuet des livres pour gosses de notre enfance. Et c'est là que le petit monde de Cammuso est jouissif. Il joue sur tous les registres à la fois. Références au cinéma américain avec son privé qui joue les durs, référence à Walt Disney avec ses décors et son monde de personnages de dessin animé, références aux contes de Grimm ou de Perrault avec ce Pays des Contes où se situe l'action, un monde où l'on croise aussi bien Ma Mère l'Oye que le Grand Méchant Loup en voiture de sport. Bref, l'auteur détourne tout, au profit d'une histoire loufoque à souhait. Mais il le fait avec un talent de multi-instrumentiste d'autant plus réjouissant que le dessin au lavis est magnifique. Un petit bouquin inclassable, pour les nostalgiques des livres d'histoires qui ont envie de renouer avec le contenant mais pas forcément avec le contenu. Un livre pour enfants-adultes, quoi.
« Je suis morte (apprendre) », par Morvan et Nemiri. Dans la collection Loge Noire des éditions Glénat.

Voilà non seulement la meilleure surprise de cette collection jusqu'ici très peu emballante et peut-être le meilleur album de l'année pour un Morvan plus productif que jamais. Si pas le meilleur, à tout le moins le plus inattendu, ce qui n'est déjà pas si mal. Le scénariste nous propose un monde en tout point semblable au nôtre pour mieux nous tromper. Très tôt, le lecteur comprend que l'héroïne de cette histoire n'est pas une petite fille comme les autres. Mais Morvan joue sur l'ambigüité des décors et des situations : sommes-nous dans le futur ? Sommes-nous sur terre ? Le lecteur a le temps de se poser des questions, mais les indices se multiplient. Finalement, il comprend que la société décrite par Morvan est une société d'hommes et de femmes immortels né de matrices génétiques et que la petite fille en question... est une simple mortelle au milieu d'eux. Là où Jodo nous aurait bombardé de bugs et de machines de guerre, Morvan joue la carte de la crise d'adolescence. Aster grandit et doit faire face à l'exclusion, à l'incompréhension, à la mort elle-même que veulent lui cacher ses parents. Sensible, subtil même, le récit s'enroule autour du personnage principal avec une délicatesse qui sied bien à l'auteur de Sillage (entre autres) et qu'il n'avait peut-être jamais osé distiller de manière aussi ostensible. Le dessin de Nemiri, à la fois enfantin, fragile et pictural, est le complément idéal de ce scénario entousiasmant.
« Snow white, 30 secondes ! », tome 7 de Alpha, par Jigounov et Mythic. Au Lombard.

Suite et fin de l'histoire entammée dans le tome 6. Comme on pouvait s'en douter, Alpha ne se contente pas de rester sur la touche où l'a envoyé l'échec de sa mission en Irlande. Sans filet et sans gants, il va remonter la filière et comprendre, presque tout seul (mais tout de même avec un sacré coup de pouce anonyme venu d'Angleterre) qui lui a tendu un piège et pourquoi. Au centre de cette nouvelle intrigue -qui justifie pleinement les digressions irlandaises du précédent album-, le président des Etats-Unis, rien moins. Bon, je ne vous en dis pas plus parce que vous m'en voudrez si je vous coupe l'herbe du suspense sous le pied. Sachez seulement que tout cela est finalement beaucoup moins tordu et complexe que ne le laissait supposer le tome 6, ce qui n'empêche nullement Mythic d'embrouiller le lecteur en passant d'un endroit à l'autre toutes les deux cases (j'exagère un peu, mais au début de l'album, ce découpage est franchement exténuant). Quant aux dialogues, ils restent profondément indigestes et inutilement bavards dans certaines scènes (exemples pages 8, 11, 36...) mais ce n'est pas le seul album où Mythic se laisse aller aux bavardages, on n'y changera donc rien. Pour ce qui est du dessin, il faut reconnaître que Jigounov peut difficilement être plus réaliste (si ce n'est dans le choix des couleurs, mais là, il s'agit presque de la marque de fabrique de la série !) ; ce garçon-là a le sens du détail et du travail bien fait, on ne peut pas le nier. Bref, un bon Alpha, servi par une couverture attirante. Les ventes ne s'en plaindront pas, puisqu'elles sont en phase ascendante depuis les tout débuts de la série et qu'au Lombard, on espère bien que ça n'en restera pas là. Mais on se pose parfois la question : à ce stade de réalisme et de découpage, qu'est-ce qui distingue encore la BD de la série-télé ? On s'en fout ? Oui, vous avez raison, c'est une question idiote.
Persepolis - tome 4 (Persepolis) par Thierry Bellefroid
« Persépolis 4 », de Marjane Satrapi. A L'Association.

Retour en Iran. Après un troisième volume consacré au dur apprentissage de l'adolescence en Autriche, Marjane, jeune adulte, revient au pays. Et sombre très vite dans la dépression, incapabale de trouver sa place dans une république islamique marquée par une longue guerre avec l'Irak. Toujours aussi précise dans sa manière d'isoler les scènes-clé de sa vie, Marjane Satrapi nous raconte comment elle tente de conquérir sa liberté dans un pays où ce mot s'apparente au blasphème. On découvre les actes de résistance apparemment insignifiants des jeunes de l'époque, les tentatives d'endoctrinement continues jusque dans le cadre de l'enseignement artistique, l'incommunicabilité entre l'auteur et son jeune mari, les relations déterminantes qu'elle a avec sa grand-mère et ses parents, même si ces relations passent par des périodes de crise plus ou moins graves. Une fois encore, on est à la fois séduit, amusé, étonné, pris par une sympathie empathique pour les personnages et avant tout pour l'auteur. Le dessin est toujours aussi économe ; les dialogues, concis comme les voix off, ne donnent que ce qui est nécessaire. Et les rares moments un rien plus bavards ne gâchent jamais le plaisir de la lecture car ils se justifient toujours. Au carrefour de la BD et du journal intime recomposé, les livres de Marjane Satrapi plongent le lecteur dans un univers culturellement et psychologiquement riche, ce qui n'empêche jamais l'émotion d'affleurer.
L'Affaire Loretta Stevens par Thierry Bellefroid
« L"affaire Loretta Stevens », par Baggi. Chez Mosquito.

Voilà un véritable OVNI qui ne peut qu'intriguer les lecteurs ouverts à la BD transalpine. Baggi enseigne la BD à Milan et travaille pour l'éditeur Bonelli que l'on connaît pour ses séries populaires. Et voilà que cet auteur affiche dans « L"affaire Loretta Stevens » un graphisme hyper-réaliste à l'américaine... et un détective privé foireux qui a une gueule de petit canard duveteux tout juste sorti de l'oeuf ! Le mélange est d'autant plus détonnant que l'enquête confiée au dit canard le plonge dans un milieu sous-terrain peuplé de monstres tentaculaires, des monstres que l'auteur se plaît à manipuler comme le meilleur réalisateur d'Hollywood, si ce n'est qu'il remplace ici les effets spéciaux par les cadrages saisissants et la maîtrise de l'encrage. Des pages spectaculaires, des images tout à fait inattendues (comme la planche 18), un univers totalement décalé, jouant constamment sur les frontières entre l'ironie et le fantastique, des scènes parfaitement politiquement incorrectes (planches 42-43)... font de cette BD une bouffée de fraîcheur inattendue et appréciable !
Fusion (Whiteout) par Thierry Bellefroid
« Whiteout : Fusion », par Greg Rucka et Steve Lieber. Chez Akileos.

Voilà un livre qui vous plonge dans le blanc immaculé de l'Antarctique pour mieux vous ramener à la guerre froide. Avouons que le propos seul mérite déjà une lecture, car il a rarement été traîté. Rappelée de congé pour fourrer son nez dans une base russe incendiée avec 14 cadavres de scientifiques, le marshal Carrie Steko se retrouve à faire équipe avec un membre du GRU (l'ancien KGB) derrière des Speznaz qui ont volé des têtes nucléaires pour le compte de la maffia russe. Dans ce décor désolé et dangereux que les auteurs (tant le scénariste que le dessinateur) ont su exploiter au mieux, une course-poursuite qui n'empêche pas le personnage principal de montrer ses failles. Carrie se cherche, elle trouvera surtout la peur. Son moteur n'est ni la gloire ni le patriotisme, mais simplement la perspective d'une vie meilleure. Désabusée, mais décidée à se battre, cette femme ira jusqu'au bout de l'aventure en laissant une part d'elle sur la banquise. « Exotique » (au sens le plus gacial du mot, s'entend...) et aventureux, le livre de Rucka et Lieber allie le portrait intime à la BD d'espionnage mieux que la plupart des essais franco-belges du genre.
Daytona (Golden Cup) par Thierry Bellefroid
« Daytona », tome 1 de « Golden Cup », par Pecqueur et Henriet, chez Delcourt.

La mode est aux « univers BD ». Kookabura Universe chez Soleil, Golden Cup chez Delcourt, deux exemples d'une même démarche éditoriale qui revient à multiplier les scénarios parallèles autour d'univers qui ont trouvé leur public. Puisque « Golden City » marche fort depuis sa création, pourquoi ne pas tenter de raconter autre chose en se rattachant aux ingrédients que les lecteurs connaissent et apprécient ? C'est ce que fait ici Daniel Pecqueur avec un certain bonheur, puisque sa nouvelle série ne fait aucunement doublon avec la série-mère. Même le dessinateur, Henriet, nous propose un graphisme différent de celui qu'il avait développé dans « John Doe », pour coller au mieux au dessin de Nicolas Malfin, apparemment très apprécié des ados.
Golden Cup est un divertissement sans prétention mais mené avec efficacité par les auteurs, même si l'ensemble est parfois cousu de fil blanc (qui sera surpris par la fin ??). Les ados devraient s'identifier sans problème au héros, Daytona, jeune garçon au talent de pilotage inné qui rêve d'une grande destinée et se bat pour trouver sa place dans un monde où les plus pauvres sont rarement gagnants. L'histoire parallèle concernant l'enlèvement de la fille de Burt Styler, le promoteur de la Golden Cup (une grande course autour du monde), va forcément se télescoper avec l'intrigue principale et propulser le jeune pilote dans de palpitantes aventures. Bref, tout cela est de bonne facture à défaut d'être excitant, et semble destiné à renouveler le genre Michel Vaillant pour la génération à venir.

Mariko Parade par Thierry Bellefroid
« Mariko Parade », par Boilet et Takahama. Chez Casterman.

Comme à chaque fois, dans les histoires de Boilet, le dessin offre un subtil mélange entre la photographie, le crayonné et le fusain. Encore que l'apport de Kan Takahama, difficile à dissocier du travail de Boilet, semble cette fois ramener davantage l'auteur vers les codes de la BD que vers ceux de la photographie. Le dessin s'est arrondi. Et les portraits sont souvent absolument superbes. Néanmoins, le côté roman-photo de cet album pourra rebuter certains lecteurs. Mais il relève d'une démarche artistique qui va jusqu'à nourrir les scénarios deBoilet. C'est justement parce qu'il travaille à partir de photographies de ses modèles en décor naturel que Frédéric Boilet trouve la matière de ce récit intimiste. Car son modèle est surtout sa muse. Empruntant des voies narratives souvent originales, Boilet raconte des moments du quotidien qui prennent sous sa plume un côté délicieusement exotique, parfois drôle. Le quotidien étant d'ailleurs la clé de son travail, puisque l'auteur revendique son appartenance à la nouvelle manga qui propose des histoires « universelles » puisées dans le quotidien plutôt que dans l'imaginaire. La difficulté de pénétrer l'âme japonaise, même pour un mangaka installé comme lui depuis plusieurs années au Japon, est la trame de ce livre-polaroïd. La difficulté d'aimer, plus encore. L'histoire de « Mariko Parade » est en ce sens bel et bien universelle, alors qu'elle ne vaut que parce qu'elle narre l'amour qui unit un Occidental à une Japonaise sur une île du Japon. Ce paradoxe débouche sur un album à la fois nombriliste et « ethnographique », parcouru de très beaux dessins et de réflexions à l'humour décalé. Un album que l'on referme sans s'être ennuyé une seconde.
Smokey Vaughan (Quarterback) par Thierry Bellefroid
« Smokey Vaughan », tome 4 de « Quarterback », par Chauvel, Kerfriden et Araldi. Chez Delcourt.

Suite et fin de cette enquête policière dans le milieu du football américain. David Chauvel nous a habitué à des fins relativement ouvertes, qui ne règlent pas tout et ne récompensent pas forcément les bons au détriment des méchants. C'est encore le cas cette fois. Il faut dire que la force de ce scénario est justement de ne pas avoir versé dans le manichéisme. Chaque personnage y dévoile sa part d'ombre et personne n'en est véritablement le héros. Moins fort que « Les enragés », mais construit avec une méticulosité d'horloger suisse, ce « Quarterback » est comme un bon vin, il a bonifié en vieillissant. A commencer par le dessin de Malo Kerfriden, plus maîtrisé et plus lisible qu'à ses débuts. La mise en scène est sobre mais rythmée, le découpage varié et les personnages convaincants. Restent que les révélations ultimes laissent un peu le lecteur sur sa faim, peut-être parce qu'elles arrivent d'un bloc et un peu tard. L'un ou l'autre indice à propos de cette grande manipulation sportive aurait peut-être pu trouver sa place plus tôt.
Le château par Thierry Bellefroid
« Le château », par Olivier Deprez, d'après Franz Kafka. Au FRMK.

Quelques mois après son frère jumeau Denis, qui publiait au printemps l'adaptation de Frankenstein chez Casterman, Olivier Deprez nous propose son adapatation d'un classique de la littérature dans un livre monumental (222 pages) au Frémok. Si le premier avait fait un effort de visibilité en fonction du public visé, le second, lui, nous offre une oeuvre réalisée sans concession, à la limite de la lisibilité. Réalisé entièrement en gravure à raison de deux images par page (un format qu'apprécient également ses condisciples Fortemps ou Van Hasselt, autres chevilles ouvrières de Fréon, la branche Nord du Frémok), ce livre sombre et difficilement pénétrable s'essaie à une adaptation non pas de l'histoire, mais de l'esprit du roman de Kafka. L'arpenteur parvenu au pied du château où il croit avoir rendez-vous se perd dans un village qui ne veut pas de lui, une histoire on ne peut plus kafkaïenne qui permet à Deprez de se passer de mots, autant que possible. Les rares dialogues de cette BD sont triturés à même le bois, gravés et déformés comme des cris dans le vide. Esthétiquement, tout cela est irréprochable, voire envoûtant. L'audace minimaliste et le jusqu'auboutisme de cet essai en feront cependant sans aucun doute un objet confidentiel. L'esprit de Kafka est bien là, mais ses lecteurs ne retrouveront pas nécessairement le livre et ceux qui ne le connaissent pas se demanderont assurément de quoi on parle. Car la gravure ne permet pas de reconnaître les protagonistes, d'ailleurs plongés la plupart du temps dans la pénombre. Les décors sont aussi sommaires que possible, Deprez privilégiant les ambiances et les masses, l'ombre plus que la lumière, l'errance à la structure narrative.
Artistes de bande dessinée par Thierry Bellefroid
« Artistes de bande dessinée », livre collectif paru aux éditions de L'An 2.

Fidèle à des choix pointus, exigeants et parfois... suicidaires, Thierry Groensteen publie ce livre d'entretiens avec des auteurs connus pour leur refus du compromis et leur démarche artistique, voire plastique. Alex Barbier et Edmond Baudoin, les deux « ancêtres », sont entourés de talents déjà bien mûrs -Frédéric Boilet, Pierre Duba, Marc-Antoine Mathieu et dans une moindre mesure Fabrice Neaud- ainsi que de « jeunes pousses » prometteuses : Vincent Vanoli et Vincent Fortemps. Des auteurs dont l'un ou l'autre ouvrage -voire plus- a déjà été chroniqué sur ce site et qui constituent chacun dans leur genre des chefs de file d'une certaine bande dessinée, marquée avant tout par le noir et blanc (sauf pour Barbier, récemment pour Duba et Baudoin et de temps à autre pour Boilet) et une prédilection pour les récits autobiographiques ou littéraires. Les réunir sous le titre « Artistes de bande dessinée » a un côté un peu exclusif qui sous-entend que les autres ne sont pas des artistes, mais il est vrai que ces huit auteurs travaillent de manière très personnelle, en dehors des habituelles contraintes commerciales, souvent plus à la manière des peintres ou des plasticiens que des auteurs de BD. La plupart a d'ailleurs l'habitude de déborder du cadre strict de la BD -chorégraphie pour Fortemps et Baudoin, par exemple, scénographie pour Mathieu, etc...- ce qui prouve qu'il y a chez eux une démarche pluridisciplinaire. Tout cela est abordé dans ces entretiens au ton inégal (en fonction des intervieweurs, on passe des questions très pointues aux questions « bateau », très ouvertes, genre « je pousse sur play et je sais que tu vas remplir les blancs avec un discours passionnant ».) Mais les entretiens vont bien plus loin et dissèquent les univers, les manières de travailler, tout ce qui place ces auteurs hors-catégorie dans leur façon d'aborder la BD. Seul reproche, à l'aridité du propos, l'éditeur a ajouté celle de la mise en image. Trop peu d'illustrations et une typographie austère risquent de limiter le nombre de lecteurs de cet ouvrage pourtant intéressant.
La chute de Babylone (W.E.S.T.) par Thierry Bellefroid
« La chute de Babylone », tome 1 de « W.E.S.T. », par Rossi, Dorison et Nury. Chez Dargaud.

C'est assurément l'une des sorties remarquées de la rentrée. Il faut dire que les noms de Christian Rossi et de Xavier Dorison suffisent, seuls, à susciter la curiosité. Xavier Dorison rompt avec ses autres univers mais pas avec ses références cinématographiques, qu'il avoue volontiers. Son découpage, ses sources d'inspiration, viennent tout droit du cinéma. Quoiqu'il en soit, le scénariste du Troisième Testament parvient à maintenir son lecteur en haleine de la première à la dernière page, avec l'aide de Fabien Nury. Après un prologue musclé à la gare Montparnasse, on retrouve une ambiance de western urbain début de siècle (le vingtième, bien sûr) mâtinée de fantastique. Les personnages principaux se divisent en deux groupes. D'une part, la famille du sénateur Charles Lennox, composée de trois personnages -le père, la fille, le fils- aux contours intéressants et complémentaires. De l'autre, le fameux groupe d'intervention W.E.S.T. dont le leader charismatique, Morton Chapel, est très réussi. Entre les deux, une intrigue solide, pleine de références (ou d'emprunts ?...), qui exploite le thème des sociétés secrètes où l'on entre par ambition et dont on ne ressort que mort, après avoir payé au prix fort tout ce que l'on a reçu. Grâce au format (56 pages), les auteurs peuvent se permettre un propos dense et une mise en place complexe, qui fait la part belle aux profils des protagonistes. Reste à voir où tout cela nous mènera. En attendant, le lecteur aura au moins le plaisir de découvrir un Christian Rossi plus proche de Jim Cutlass (et donc de Giraud) que de Tirésias. Le dessinateur livre ici un travail méticuleux, soigné jusque dans les détails architecturaux de certains de ses décors. Bref, du beau travail.
Betty Blues par Thierry Bellefroid
« Betty blues », de Renaud Dillies et Anne-Claire Jouvray. Chez Paquet.

Pour inaugurer sa nouvelle collection consacrée uniquement à des one-shot, Pierre Paquet aurait pu plus mal choisir ! Betty Blues est non seulement un très beau premier album, mais il est en outre particulièrement épais (près de 80 pages), l'éditeur a donc pris ici un véritable risque.
Dès la première planche, on est séduit par le ton graphique, à la fois fluide et plein de « gribouillis », sorte de rencontre entre Gédéon, Tex Avery et Blain (tout en ne ressemblant absolument ni à l'un ni aux autres). L'utilisation du gaufrier à six cases privilégie la mise en scène au détriment des effets, ce qui correspond bien à la démarche de Renaud Dillies et ne l'empêche pas, de temps à autre, de détourner les six cases au profit d'une action unique. Les cadrages sont aussi réussis que le casting animalier. Bref, il y a d'emblée ce je ne sais quoi qui vous fait vous sentir bien dans un album. Sans parler des très belles couleurs de Anne-Claire Jouvray, qui s'était déjà illustrée l'an dernier dans « Lincoln ».
Quant à l'histoire, elle est très classique : un trompettiste de jazz passionné voit sa femme partir avec un riche client pendant qu'il se défonce sur la scène. Il décide de tout plaquer, à commencer par son instrument de musique, le cœur brisé. Mais l'auteur parvient à donner une âme à chacun de ses personnages. Rice le canard, Betty la perruche, Bowen le hibou, sont les plus réussis. Pas seulement physiquement. Ils incarnent à merveille ces héros de bande dessinée qui ne sont pas dans la vraie vie et qui, pourtant, ressemblent à s'y méprendre aux personnages qu'ils incarnent. Un peu comme quand un très bon acteur se confond avec son rôle dans un film. Les dialogues sont savoureux, les quelques scènes d'action parfaitement maîtrisées et l'ambiance constamment renouvelée au gré des situations. Bref, pour une première BD, Renaud Dillies nous offre un travail réellement prometteur et surtout un univers tout à fait personnel, ce qui est déjà une réelle qualité.
Le commis voyageur par Thierry Bellefroid
« Le commis voyageur, tome 1 », de Seth, chez Casterman.

Brillant dans « La vie est belle malgré tout », un album découvert par Charles Berbérian et publié dans la collection Tohu Bohu des Humanos, moins excitant dans « Palooka ville », qui lui était antérieur mais était paru l'an dernier seulement au Seuil, Seth nous présente sans doute ici son meilleur album paru en français. « Le commis voyageur » découragera sans doute certains lecteurs. La première partie du livre est un long soliloque de 70 pages. Le « héros », vieil homme qui a connu la glorieuse époque des ventilateurs avant l'arrivée de l'air conditionné, y raconte en errant dans sa maison (il déjeune, prend son bain, déambule d'une pièce à l'autre...) tous les trucs et astuces qu'il a dû développer tout au long de sa carrière pour vendre ses ventilateurs. Il fait également allusion à son frère, garçon introverti qui n'a jamais pu s'ouvrir au reste du monde. Le monologue est truculent, plein d'anecdotes passionnantes et personnellement, il m'a fait oublier qu'il ne se passait absolument rien pendant 70 pages. Le seul reproche que je ferais à Seth est d'avoir choisi de faire parler son personnage à travers des phylactères. Plutôt que de le voir parler au vide, j'aurais préféré qu'il s'exprime en voix off. Mais c'est finalement un reproche mineur. L'autre problème réside dans le lettrage parfois très petit et surtout, dans les erreurs de la traduction française qui dénotent un véritable manque de sérieux de la part de l'éditeur. Des phrases comme « Je jouais ces rôles et m'induisant en erreur », « il se peut q'on en trouve encore » ou « c'était difficile de ne passer à côté », sans parler de « l'omniprésente boîtes de graines »... laissent le lecteur pantois.
La deuxième partie du livre permet de suivre le frère vingt ans plus tôt, dans une pathétique tentative d'ouverture au monde. L'ensemble, à la fois grave et touchant, raconte les petites angoisses et les véritables tourments de l'âme ; comme un instantané du désespoir qui voudrait malgré tout laisser la place à une lueur d'espoir ou d'humour. Un très bel album servi par un dessin magnifique et une bichromie délicate.

« Meurtre sans mobile », par Maingoval et Marivain. Tome 1 de « Barbara Wolf », dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Après le dramatique premier tome de « L'empreinte de Satan », dans la même collection, on espérait retrouver le meilleur de Maingoval dans cette autre nouvelle série. Associé à Bruno Marivain (le dessinateur de « La mémoire des ogres » sur scénario de Cothias), l'album ne concourt plus dans la catégorie du plus mauvais dessin de l'année, c'est déjà ça. Réaliste et descriptif, parfois un peu fâché avec les proportions et souvent figé, Marivain raconte, sans plus. Ses couleurs blanchâtres rappellent la grande époque de la collection « Vécu » et ne vous feront guère frissonner, mais tout cela ne constitue en tout cas pas un frein à la lecture de cette histoire policière. Maingoval s'amuse à explorer une fausse piste pendant 46 pages, on se doute bien qu'il y a anguille sous roche, mais on le suit dans ses digressions parce qu'il a la bonne idée de nous raconter l'histoire par le petit bout de la lorgnette. Plutôt que de mettre un super inspecteur sur cette histoire de meurtre sans cadavre, il nous offre de suivre à la fois le témoin du meurtre en question, Barbara Wolf, qui semble collectionner les ennuis, et l'enquête menée par un inspecteur local en fin de carrière qui n'a pas peur de fourrer son nez dans les dossiers nauséabonds. Seul problème, certaines scènes de « planting » visiblement mises en place en fonction d'épisodes futurs paraissent un peu gratuites (exemple page 23) et perturbent la lecture. Bref, un polar assez conventionnel dont ce premier album n'est que la mise en place.
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