Véro par Thierry Bellefroid
..« Véro », par Edmond Baudoin, dans la collection « Histoires graphiques » des éditions Autrement.
Dans une autre vie, peut-être, je serai un apôtre exclusif de Baudoin. Je prêcherai inlassablement sa parole et convertirai les foules à son art. Pourquoi ? Parce qu'à 57 ans, cet artiste complet fait de la BD pour dire les choses qu'il a sur le coeur. Sans concession. Edmond Baudoin a un talent fou. Et j'ai envie de dire...tout le monde s'en fout ! Lui aussi, peut-être, car le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne court pas après la reconnaissance commerciale. Deux récompenses à Angoulême (92 et 97) n'y ont rien changé, ce surdoué reste trop largement méconnu.
Je viens de terminer « Véro » et une fois de plus, Baudoin m'a ému, remué, interpellé. Ce n'est pas si courant en BD. Cette histoire de banlieue comme il existe cent autres histoires de banlieues (à lire : « Bonne Année, de Baru, chez Casterman ou « Mat », du même Baudoin, au Seuil) est un véritable cri. Le cri d'un homme libre, qui a cherché dans l'art comment faire taire ses blessures, apaiser ses révoltes. Ecorché vif, mais aussi capable du plus simple émerveillement, Edmond Baudoin dresse un constat en forme d'échec de la jeunesse des banlieues pour aussitôt jeter les pistes d'une autre histoire, qui parlerait d'espoir. Et d'amour. Parce qu'il sait que sa vision est douloureusement juste. Parce qu'il sait aussi que sans l'espoir et l'amour, rien ne vaut d'être raconté. C'est tout ça, Véro. Et c'est surtout un récit intimiste qui se veut en même temps une parabole sociale tout en jouant sur cet onirisme graphique que personne ne maîtrise mieux que lui.
Et puis, il y a le trait. A la plume ou au pinceau, Baudoin, c'est toujours la naïveté alliée à la perfection. J'avoue préférer le pinceau (il faut avoir lu « Le voyage », à L'Association, « Mat » ou « Le chemin aux oiseaux » au Seuil pour découvrir l'incroyable maturité de ce dessin qui s'exprime dans la stylisation la plus épurée) mais la plume permet parfois de mieux coller au récit. C'est le cas ici, où Edmond Baudoin raconte, comme Mattoti dans l'excellent et indispensable « Stigmates » (Seuil), à travers un mélange de lignes noires où les superpositions vont bon train. La couverture à elle seule résume le pouvoir d'évocation de ces traits, hachurés, griffonnés, accouchés sur le papier. Le passage de ces ambiances d'une noirceur sans égale aux « paysages beaux comme la liberté » n'en est que plus fort.
Il existe peu d'auteurs proches de la soixantaine qui ont encore une telle rage de dire les choses, une telle sincérité...et une si touchante simplicité. Voilà pourquoi il est urgent de découvrir Baudoin.