Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La stratégie Hagen (I.R.$.) par Thierry Bellefroid
« IRS N°2 : La stratégie Hagen », par Vrancken et desberg. Dans la collection troisième Vague du Lombard.

Première constatation, l'encrage de ce deuxième tome est plus précis et les couleurs moins criardes. Un bon point. Larry B. Max, lui, balade toujours sa gueule de clone de Steve Warson passé à la teinture blanche parmi tout ce que l'Amérique compte de gens influents, à la recherche de sous pour le Trésor Fédéral. Et comme dans le premier album, je n'arrive pas à croire à son existence. Trop séducteur, trop sûr de lui, trop libre, trop intuitif et trop chanceux pour qu'on y croie. Si encore il était agent de la CIA (je sais, ça ôterait toute originalité au concept de la BD, mais c'est une image...), on pourrait faire un effort, mais agent de l'administration fiscale... ! D'autant que plus on s'enfonce dans cette histoire en deux volumes plus on mesure qu'un agent du FBI y aurait bien davantage sa place qu'un homme de l'IRS. (Pourquoi pas une reprise de Jess Long ? Non, c'est pour rire...) C'est d'autant plus frappant lorsqu'on voit les efforts de Stephen Desberg pour rendre son histoire réaliste. S'appuyant sur des faits réels (les avoirs juifs « confisqués » par les banques suisses au lendemain de la guerre), il construit une histoire au découpage parfois un peu confus, mais solide, accrocheuse. Alors, pourquoi faut-il que ce dandy-pistolero-champion-de-golf-conducteur-de-voitures-de-sport-détective-hors-pair continue de me gêner ? Parce qu'il en fait trop. Parce que personne ne l'aide, ne lui met la puce à l'oreille, ne le guide sur la voie de la solution. Trop malin. Trop seul. Trop parfait. Et ce ne sont pas ses petites discussions téléphoniques sur une ligne rose qui suffiront à nous le rendre fragile. L'ère est-elle encore aux super héros qui s'en tirent toujours avec une égratignure sur le front ou la joue (on y a droit ici !) ? Je n'en suis pas convaincu. En même temps, si je mets de côté ce héros qui est à l'impôt ce que Rambo est aux militaires, il manque un moteur à la série. Alors quoi ? Tintin était-il plus crédible dans son rôle de journaliste qui solutionne les problèmes de la terre entière ? Pas sûr. En clair, je finirai bien par m'y faire : IRS est une série qui s'inscrit bien dans la collection Troisième Vague (dont la cohérence s'affiche au fil du temps) et son héros n'est pas moins humain que XIII. Il lui manque peut-être l'un ou l'autre défaut, quelques amis, une aventure amoureuse un rien plus sérieuse, un peu d'épaisseur. Et de l'humour. Une vie, quoi. Dans le tome Trois ?
Problèmes épineux (Rat's) par Thierry Bellefroid
« Rat's, tome 4 : Problème épineux », par Ptiluc aux Humanos.

Or donc, les rats et les crapos se trouvaient en bas de la falaise, privés de leurs deux affreux chefs. C'est ainsi que nous les avions laissés à la fin d'un tome trois de bonne tenue mais certes pas génial. Et voilà que Ptiluc nous reprend l'histoire là où il l'avait laissée et prouve qu'il est décidément l'homme en forme du moment. Ce quatrième tome est à la hauteur des « Frigo » et « Foire aux cochons » parus il y a quelques semaines à peine. Mais qu'a donc mangé Ptiluc pour être dans une forme aussi éblouissante ?

Dans cette excellente histoire de baston pas comme les autres, rats et crapos tentent de profiter de l'absence de leurs chefs et généraux pour faire la paix. Ils élèvent même un (très comique) totem pour célébrer l'événement. Mais voilà, un grain de sable, un tout petit grain de sable... et c'est le retour aux bonnes vieilles traditions guerrières. Un idiot très crédule libère les trois généraux des rats et il ne faut pas cinq minutes pour que ceux-ci brouillent les cartes. S'en suit une guerre entre crapos et rats qui fait la part belle aux trouvailles en tout genre et aux alliances de tout poil. Ptiluc nous régale avec ses femelles grenouilles appelées à jouer les « Grosses Bertha » (nom d'un célèbre canon, et ce n'est pas un hasard), ses vers de terre explosifs et puants, ses sarbacanes à épines ou ses lance-pierre à framboises. Toutes les espèces animales passent des accords avec l'un des deux clans, se payant parfois le luxe de réclamer un autre allié en guise de paiement pour leurs services (le coup de l'aigle et du mulot, très bon !) Tout cela est loufoque à souhait mais aussi très inattendu, avec des trouvailles essentiellement visuelles, ce qui ne gâche rien. Il faut voir le pauvre Totem de la Paix se faire barbouiller, canarder ou écharper pendant tout l'album. (quand ce n'est pas l'un des ses composants qui vomit sur un pauvre rat venu avec un drapeau blanc à son secours...) Ptiluc s'en donne manifestement à coeur joie et enchaîne les gags proches du dessin animé (la grenouille qui explose en fumant un pétard, hilarant...) Un excellent album, quoi, puisqu'on vous le dit.
« Un drôle d'ange gardien, tome deux : Un zoo à New York », par Sandrine Revel et Denis-Pierre Filippi. Chez Delcourt Jeunesse.

C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai retrouvé l'univers d'un drôle d'ange gardien, dont la fraîcheur et la poésie m'avaient séduit l'an dernier. Le dessin de Sandrine Revel est un enchantement, alliant parfaitement lisibilité et personnalité. Sa mise en couleurs est toujours aussi belle, également, privilégiant des teintes chaudes et automnales. Un dessin qui a un petit côté Walt Disney (de la meilleure époque !) en BD, et ce n'est sûrement pas un critique...

L'histoire de ce deuxième album est en revanche beaucoup moins originale que la précédente. Dans le premier tome, Marie et Jean, deux enfants orphelins, se retrouvaient sous la protection d'un petit diable espérant ainsi revoir l'ange gardien de Marie dont il était tombé éperdument amoureux. Cette fois, on est plus proche de l'Oncle d'Amérique dans sa version classique. Marie découvre en effet qu'elle a un oncle inconnu à New York et réussit à convaincre Diablo de l'y emmener, en compagnie de Jean. L'oncle Anatole tient un zoo et fait face à de grosses difficultés financières. Marie, Jean et surtout Diablo vont arranger tout ça, bien sûr. C'est mignon, plein de bons sentiments, mais, comme je l'ai dit plus haut, on n'est pas surpris comme à la lecture du premier album. Quoi qu'il en soit, vos enfants devraient être ravis de lire cette jolie histoire de 32 pages.
« La Jeunesse de Blueberry N°11 : La piste des maudits », par Corteggiani et Blanc-Dumont. Chez Dargaud.

Et revoilà les aventures de jeunesse du futur Lieutenant Blueberry, avec un épisode tampon coincé entre « La solution Pinkerton » et « Dernier train pour Washington », le prochain et dernier album du cycle, si l'on en croit les auteurs. Autant dire, un album sans surprise, où l'on retrouve Mike S. Blueberry obligé de détourner un troupeau de viande pour les besoins de l'armée sudiste et en échange de la vie d'Eleonore Mitchell (qui se débrouille très bien toute seule, merci !) Je ne sais pas vous, mais moi, les méchants, j'ai tendance à m'en lasser très vite. C'est un peu le cas avec ce pauvre Henry S. Bowman. J'espère que Corteggiani nous l'épargnera dans le prochain cycle d'aventures parce que les ennemis qui ne meurent jamais et réapparaissent à point nommé pour empêcher le héros de s'en tirer, moi, ça m'énerve. On pourrait pas imaginer quelqu'un d'autre, de temps en temps, pour embêter ce brave Mike ? Enfin, c'est pas tout ça, pas la peine de disserter des heures sur le sort de Bowman. Sachez que vous retrouverez dans ce livre tous les ingrédients du précédent, sans plus... ni moins. Si, il y a un plus. Le livret de 16 pages rajouté à la première édition qui permet de faire le point sur la saga et de recouper les épisodes avec les réalités historiques de la guerre de Sécession. Une démarche qui rappelle le cahier épais dont « Ballade pour un cercueil » était pourvu en son temps. Autre nouveauté, qui est souvent le signe que des auteurs s'ennuient un peu dans leur travail (mais je me trompe sûrement) : l'intervention en chair et en os des sergent Chesterfield et caporal Blutch, célèbres Tuniques Bleues de Cauvin et Lambil, pastichés à la manière réaliste ici par Blanc-Dumont. Ils parlent même du furieux capitaine Stark à Blueberry qui les remercie en les braquant avant d'assommer le caporal Blutch sans ménagement (ça défoule, non, Monsieur Corteggiani ?) A part ça, rien à vous signaler. Si vous avez lu les autres, vous lirez celui-ci. Si vous avez aimé les autres, vous aimerez celui-ci. Si vous ne connaissez pas les autres, ne commencez pas par celui-ci.
« Les forêts d'Opale, tome 1 : Le bracelet de Cohars », par Arleston et Pellet, chez Soleil.

Rien à dire, Scotch Arleston est un faiseur d'univers. Il le prouve avec cette nouvelle série qui va faire croître encore son nombre de fans et -à n'en pas douter- son compte en banque. Car « Les forêts d'Opale » ont tout pour devenir l'une des séries à succès des éditions Soleil. C'est de la pure épopée de Fantasy. Il y a un monde, Opale, le monde des forêts, avec ses traditions, sa religion, ses règles. Il y a une quête, celle du jeune Larko, qui doit réaliser la Prophétie et permettre le retour des Titans pour libérer les cinq royaumes. Il y a des compagnons d'armes : une soeur jumelle tombée du ciel et jolie jongleuse, Sleilo et un oncle-barde qui en sait long, Urfold. Il y a un bracelet magique et un monstre du côté des gentils, mais on ne peut l'appeler qu'une fois par lune. Et il y a plein de méchants fanatiques pétris de magie et de pouvoirs fantastiques. Sans oublier l'ingrédient qui fait également le succès des séries imaginées par Scotch Arleston : l'humour. Exemple, la scène des pieds (je ne vous en dis pas plus, mais vous verrez quand vous lirez cette scène qui oppose les trois héros aux Furloings cannibales) Enfin, mais ça, vous vous en doutiez, vu les ingrédients cités plus haut, il y a de l'action. Et un dessin qui colle admirablement à tout ça, celui de Philippe Pellet, très précis (peut-être trop ? Un rien plus de lisibilité le rendrait plus efficace encore) et très nerveux quand il le faut. Voilà, vous avez tous les ingrédients en mains. Faut-il vraiment en dire plus ? « Les forêts d'Opale », c'est comme un jeu de rôle en BD. Tous les éléments de l'aventure et de l'imaginaire sont là. A vous de vous y jeter. Moi, je l'ai fait sans aucun ennui.
« Luc Lafontaine : Honduras », par Daniel Koller. Chez Casterman.

Voilà le genre d'album qu'un éditeur devrait refuser de publier tel quel. Non pas qu'il soit fondamentalement mauvais. Il y a beaucoup de choses plaisantes dans cette BD. Mais ça tire dans tous les sens, tant au niveau du dessin que du scénario. Un manque de vision (et de constance ?) qui conduit le lecteur droit dans le mur. La ligne graphique, d'abord. Avec un héros très gros nez et plutôt nabot, elle semble privilégier l'école Spirou humoristique. Mais certains visages sont au contraire proches d'une ligne claire hergéenne. Un peu comme si Jojo de Geerts voisinait avec le Blake de Ted Benoît dans la même case. Drôle de mélange que les décors viennent encore compliquer à souhait. Les ambiances pluvieuses du début sont très belles, y compris dans le choix des couleurs. Mais ici aussi, on hésite constamment entre le réalisme et la BD d'humour. Daniel Koller n'arrive pas à se décider, alors, il se fait plaisir et dessine un peu de tout.

Pour le scénario, il applique la même formule, apparemment. Là encore, on oscille sans cesse entre les genres. Est-on devant un nouveau Théodore Poussin ou devant une version moderne du « Rayon U » de Jacobs ? Le décor hondurien cherche à voler la vedette à l'intrigue d'anticipation scientifique, et les personnages eux-mêmes oscillent entre dérision et sérieux très premier degré. De quoi réellement perdre son latin. Daniel Koller a incontestablement des choses à dire. Mais il faut qu'il se choisisse un style (au moins pour chaque album, ce qui n'empêche pas d'en changer d'une fois à l'autre, n'enfermons pas les gens, hein) s'il veut que ses BD soient lisibles. A l'école, ça vaudrait un « peut faire mieux » qui prouve que l'on est convaincu du potentiel de l'élève...
« Les cosmonautes du futur », par Manu Larcenet et Lewis Trondheim.

« Poisson-Pilote, ce sera un peu L'Association en couleurs », entendait-on entre les travées du dernier festival d'Angoulême, avec un zeste de méchanceté. Annoncée et pensée depuis de nombreux mois, la nouvelle collection humour de Dargaud lancée -comme il se doit- ce 1er avril réunit en effet des signatures connues : Trondheim (bien sûr !), mais aussi Christophe Blain, David B, Joann Sfar... Il faut dire que l'éditeur parisien a très vite compris qu'il pouvait tirer parti du fait d'être le premier « grand » à aller chercher cette nouvelle génération d'auteurs alternatifs pour leur faire faire... à peu près la même chose en couleurs ! Ainsi est née la série Lapinot, qui a sûrement permis d'asseoir la notoriété de Trondheim. Ainsi est née « La révolte d'Hop-Frog », d'abord OVNI dans le catalogue de Dargaud et aujourd'hui récupérée (et rééditée) par Poisson-Pilote en attendant un deuxième épisode imminent (la série est rebaptisée « Hiram Lowatt & Placido »). Ainsi est né Merlin, l'irrésistible marmot dessiné par Munuera sur scénario de Sfar. Il y en a d'autres. Il y a même eu des albums en noir et blanc dans la collection Roman BD, mais on a bien senti que chez Dargaud, on laissait le N&B aux autres. Et qu'on tablait sur le grand public. Voici donc le premier album original de cette nouvelle collection « très Asso », qui louche tout de même aussi vers d'autres viviers (la présence de Larcenet (pilier de Fluide) et celle des frères Le Gall (Dupuis, Delcourt, etc...) le prouvent). Avec une volonté éditoriale affichée de faire de cette nouvelle collection une sorte de « fils illégitime » du Pilote de la grande époque, Dargaud vise très haut. Et les erreurs se payeront cash. N'ayant pas encore lu « Les petits contes noirs » à l'heure qu'il est, je ne peux tirer aucune conclusion sur la première salve de ces poissons-pilotes. Mais si autour d'Hop-Frog et de Lapinot ne gravitent que des albums aussi bons que ce « Cosmonautes du futur », rien à dire, Dargaud ne s'est pas planté. De là à y voir une filiation avec le Pilote des années Gosciny...

Alors, parlons-en, de ces cosmonautes du futur. Si les personnages trahissent la patte de Larcenet, on sent Lewis Trondheim derrière chacun des dialogues. Trondheim qui décidément soigne bien son adolescence introspective et solitaire en s'offrant de plus en plus d'albums à quatre mains (on pense à Blain et Sfar sur « Donjon », bien sûr). Les deux personnages centraux sont irrésistibles. Gildas est un petit garçon persuadé que le monde est peuplé d'Aliens recevant leurs ordres sur des téléphones portables. Il s'entraîne à les découvrir et à les exterminer. Martina, elle, est convaincue d'être la seule à savoir qu'elle est entourée de robots. La preuve : quand on les pince, les robots sont conditionnés à crier pour faire croire qu'ils ont eu mal. Ces deux-là ne pouvaient faire qu'une chose : se rencontrer. Et s'allier. Contre un monde d'envahisseurs, ils vont développer un langage secret, le bifteck (cela nous vaut quelques-uns des meilleurs moments de l'album, lors de conversations surréalistes au téléphone... qui rappellent les codes secrets de notre enfance). Et ils vont passer à l'action, avec ou sans la petite soeur qui n'est pas aussi innocente qu'elle en a l'air. Leur culot, leur ingéniosité, leur vocabulaire, tout est taillé sur mesure par Lewis Trondheim et Manu Larcenet pour nous les rendre sympathiques en diable et nous mener par le bout du nez vers... le bouquet final en forme de pied de nez ! Ne ratez pas cet album pétillant qui prouve que l'enfance est le monde dans lequel Trondheim excelle par dessus tout. Il en a gardé les clés et la logique. Ca se sent. A tel point qu'en le lisant, on redevient soi-même un enfant.
Entrechats (Le meilleur de moi) par Thierry Bellefroid
« Le meilleur de moi, tome 1 : entrechats », par Dumez et Colonel Moutarde dans la collection Humour Libre des éditions Dupuis.

Décidément, la BD autobiographique est en pleine période faste. Ce genre encore quasi inexistant il y a dix ans (si ce n'est à l'état expérimental) est en passe de devenir véritablement populaire. Des auteurs comme Dupuy et Berberian (Le journal d'un album) ou Lewis Trondheim (Approximativement) y ont largement contribué. D'autres s'engouffrent dans la brèche. Ainsi, Philippe Dumez, dont les petites nouvelles de la vie ordinaire ont su décider l'une des plus célèbres dessinatrices de presse à passer à la BD. Colonel Moutarde, c'est en effet une signature qui fleurit depuis bon nombre d'années dans les pages des Inrockuptibles comme dans celles du Figaro Madame ou de Modes & Travaux. Elle a adapté ces petites nouvelles qui parlent aussi d'elle puisque le couple d'auteurs est justement le couple de héros de l'album. Ce « Meilleur de moi » raconte donc quelques épisodes d'une vie, celle de Philippe Dumez. Une vie de trentenaire marqué par Chagrin d'Amour et son « Chacun fait ce qui lui plaît », le plus grand tube français des années 80 qui est longuement revisité dans cet album (superbes dessins en léger décalage avec les paroles, un régal). Une vie avec ses petits moments durs (retour chez les parents en attendant de trouver un appart' après une séparation, chat qu'il faut faire piquer...) et ses moments de rêve quotidien (l'esprit qui s'échappe et s'en va égrener les souvenirs d'adolescence...). C'est souvent touchant, gentiment drôle, léger, jamais mièvre, très bien écrit et très joliment dessiné sans aucune redondance par Colonel Moutarde. Il y a quelque chose de Monsieur Jean dans tout ça, mais avec une pointe de vérité instantanée en plus, puisqu'il s'agit entièrement de récits autobiographiques mis bout à bout. Un album qui touchera plus particulièrement trentenaires et jeunes quarantenaires, plus sensibles à l'univers qui y est développé et surtout, aux références essentiellement musicales auxquelles Philippe Dumez se plaît à faire allusion, Chagrin d'Amour en tête. En tout cas, le couple Dumez/Colonel Moutarde a su trouver un ton, une mise en forme de ces petites histoires qui valorise à la fois le dessin et le texte. Une réussite qui rehausse réellement le niveau de la collection Humour Libre.
« Donjon Zénith N°3 : La princesse des barbares » par Joann Sfar et Lewis trondheim. Chez Delcourt.

Au départ, il semblait s'agir d'une envie de détente de Lewis Trondheim et Joann Sfar. Mais Donjon est rapidement devenu une institution et l'un des piliers (voire LE pilier) de la collection « Humour de rire ». Donjon, désormais en vitesse de croisière, ne cesse de surprendre et même de s'améliorer. Avant d'aller plus loin, je confesse ici que cette « princesse des barbares » est de loin mon album préféré dans toute la série. Parlons-en une minute, de la série. Pour ceux qui n'arriveraient pas à s'y retrouver, sachez qu'il s'agit d'un univers se déclinant sur trois époques distinctes. Il y a les temps anciens, c'est Donjon Potron-Minet, un album existant numéroté -99. Les autres devraient aller jusque zéro. Il y a l'époque de la splendeur, c'est Donjon Zénith, dont les tomes iront de 1 à 100 (on en est à 3...). Et enfin, il y a la décadence, c'est Donjon Crépuscule, dont les tomes vont de 101 à 200 (ici, on en est à 101). Bref, de quoi faire... trois cents albums (le pire, c'est que s'ils vivent assez vieux, ces deux-là en sont bien capables !)

Depuis le départ, l'humour de Trondheim et celui de Sfar nous valent de suivre des aventures totalement farfelues à la suite de personnages déjantés. Le principal est sans doute Herbert le canard, condamné dès le premier album à accomplir trois hauts faits à mains nues pour pouvoir se servir de son épée, l'Epée du Destin. On croyait qu'il n'y arriverait jamais. Eh bien si. Le plus drôle, c'est qu'il ne s'en était pas aperçu lui-même et que finalement, ça lui fait une belle jambe, de pouvoir tirer l'épée de son fourreau. A part ça, quoi de neuf ? Eh bien, tout d'abord, une délicieuse héroïne siamoise, princesse de son état, dont Herbert invente le rapt pour attirer les aventuriers au donjon, avant de s'apercevoir qu'il a aussi rameuté le père de la jeune fille, persuadé qu'elle y est bel et bien détenue. Pas de chance, il va falloir faire face. Et ce sera d'autant plus compliqué que la princesse en question est en fugue et poursuivie par un frérot qui ne lui veut pas que du bien. Des ingrédients qui semblent tout ce qu'il y a de classique, mais le traitement que leur font subir les auteurs ne l'est pas du tout. On rit sans peine, notamment lorsque la princesse rencontre les ogres et tente de leur soustraire un repas qui n'est autre qu'un mignon petit nourrisson. C'est délicieux, drôle et toujours surprenant. Si vous avez aimé les autres, vous raffolerez carrément de celui-ci !


« Le Vieux Ferrand, tome 1 : Le dernier des fils », par Gibelin et Aris. Dans la collection Sang-Froid des éditions Delcourt.

Christophe Gibelin retrouve Sang-Froid où il scénarise déjà l'excellente série « Les ailes de plomb » (avec Barral, deux volumes parus). Et on ne peut que s'en réjouir. Car ce « Vieux Ferrand » a quelque chose de typiquement français qui fait immédiatement penser aux « Ailes de plomb ». Cette impression d'être dans un film où pourrait jouer Gabin, ces paysages et ces gens qu'affectionnait le cinéma français des années 70-80, on retrouve tout cela dans les deux séries, mais plus encore dans celle-ci.

La force de Gibelin, c'est de nous camper des personnages crédibles, intéressants, voire captivants et de leur mettre en bouche des dialogues taillés sur mesure. Une femme seule et sa fille s'installent dans un bled perdu de la région de Toulouse, Choucas. Un hameau fantôme, largement déserté par la majorité de ses anciens habitants. Le mari est au Venezuela, il travaille sur une plate-forme de forage. Les voisins sont méfiants et taiseux. Jusqu'au jour où Myriam Lopez verse dans un étang avec son 4X4. Rencontre avec le Vieux Ferrand, Fernand. Et l'histoire bascule. Fernand est un chef de famille tyrannique et violent. C'est aussi un homme dont la vieillesse n'a pas éteint la libido, bien au contraire. L'apparition de cette belle bourgeoise va le rendre fou de désir et jaloux à mourir de tous ceux -y compris ses fils- qui ont le malheur d'approcher Myriam Lopez. La chronique villageoise peut virer au drame. La machine est bien huilée, tout se passe comme si une fois le doigt mis dans l'engrenage, il n'y avait plus qu'à suivre le cours des événements. Gibelin est très fort à ce jeu-là et tire les ficelles avec habileté, se servant de la petite fille et d'un nouveau voisin plutôt beau gosse pour amener des ingrédients dans ce pot-au-feu régional. Personnage central, le vieux Ferrand est troublant de vérité. Le dessin d'Aris, jeune dessinateur toulousain qui réalise ici sa toute première BD, ajoute ce qu'il faut de réalisme à l'histoire. Son Fernand Ferrand est parfait, avec sa figure pleine de rides et son crâne chauve ceint d'une couronne de longs cheveux blancs. Peut-être lui trouverez-vous comme moi un petit air de ressemblance avec un certain Singfold (Jessica Blandy) de même que le jeune Philippe Sillon ressemble un peu au Sambre d'Yslaire. Mais hormis ces ressemblances (il y en a d'autres, sans doute toutes inconscientes dans le chef du dessinateur), Aris livre un très beau premier album, très à l'aise dans les décors et le découpage, perfectible dans les personnages. Et bien sûr, magnifiquement servi par les couleurs de Gibelin dont c'est la spécialité. La série se déclinera en trois albums. Du vrai bon polar français.
Les Robin Goodfellows par Thierry Bellefroid
« Les Robin Goodfellows » par Marc Lizano, aux éditions Le Cycliste.

Basée sur un conte d'un certain Joann Sfarington (tiens tiens...), cette amusante parodie de Robin des Bois est d'abord l'occasion d'admirer comment les pinceaux de Marc Lizano laissent libre cours à leur imagination. Peinte sur du papier brun (qui laisse élégamment apercevoir sa structure de-ci de-là), cette BD exploite à peu près toutes les techniques, y compris quelques rares crayonnés, pour créer relief et texture des couleurs. C'est très réussi et contribue incontestablement à en faciliter l'accès. Marc Lizano a du talent. Son dessin s'exprime jusque dans la mise en forme et en couleur des phylactères (exemple, planches 28-29, deux planches qui montrent bien l'étendue de son talent).

Dans le scénario, on retrouve les marottes de Joann Sfar. Lutins et petit peuple de la forêt, chênes qui parlent et héros farfelus, tout y est. Même s'il s'agit ici d'une adaptation libre, on reconnaît l'esprit facétieux de Sfar. Au départ du récit, trois amis, Saint Etienne, Auron et Valberg, tuent un mauvais plaisantin qui s'amuse à les réveiller tous les matins en jouant du cor. Mais le plaisantin en question était Robin des Bois et le Grand Chêne condamne les trois amis à assurer l'intérim en attendant de former un nouveau Robin. Saint Etienne ; Auron et Valberg se glissent donc dans le costume magique et apprennent le métier. Ils s'en vont défier le Prince Jean et détrousser les riches, oubliant peut-être dans un premier temps de redistribuer leur butin aux plus pauvres. La suite est inattendue et aussi burlesque que le démarrage de l'album. Une histoire qui s'amuse à jouer avec les codes d'une des légendes les plus éculées de la littérature et du cinéma pour nous emmener dans un monde de poésie et d'humour qui plaira aussi bien aux plus jeunes qu'à leurs aînés.
Les maîtres du désordre par Thierry Bellefroid
"Les maîtres du désordre", par Tomlinson, Abnett et White au scénario, Peter Snejbjerg au dessin. Chez Rackham.

Un gros bouquin noir et blanc qui vous entraîne loin, très loin. Un récit captivant sur les traces des Sidh, créatures mythiques aux allures d'Alien (on se croirait dans le film, si ce n'est qu'on est pas dans l'espace mais sur terre...) qui ont peuplé la planète avant d'en céder la suprématie aux hommes. Repliés dans des endroits quasi inviolables, les derniers Sidh, être immortels qui se consument d'ennui, n'ont d'autre passe-temps que de torturer les hommes. Mais l'un d'eux, Jack Goodfellow, refuse de se laisser abattre. Et le mot peut être pris au pied de la lettre puisque Jack a échappé à la mort dès ses sept ans lorsque son grand frère voulait l'abattre d'un coup de fusil. (Le grand frère n'a pas raté leur mère, en revanche, et passe depuis lors ses jours en asile psychiatrique, parcouru de spasmes et de délires gratinés).

Entre cauchemars éveillés et rêves prémonitoires, la course hallucinante de Jack Goodfellow nous entraîne dans un monde très gore, peuplé de grands-mères à la langue pointue et aux mains poilues qui ont le hachoir facile, de cadavres qui parlent, reprenant forme humaine pour mieux tromper leur interlocuteur puis se décomposant sans crier gare, d'auto-stoppeuses qui disparaissent sans descendre de voiture... Et de Sidh effrayants de cruauté et de laideur. Une plongée dans le fantastique le plus effrayant qui est vraiment un exemple du genre. La descente aux enfers. A ne pas lire au fond d'un bois, en Ecosse, par nuit de brouillard. C'est du tout bon, dense, fouillé, qu'on met plusieurs heures à achever tellement ça foisonne de détails (lire les articles de "l'Eldritch Ex?ress" qui ponctuent les transitions entre chapitres. Ils racontent un tas d'histoires étranges et paranormales qui relèguent X-Files au rang de scénario dépourvu d'imagination) Le découpage et principalement le travail sur la structure du temps et de la simultanéité sont très réussis. Exemple, la scène de bataille du chapitre 6 où la notion d'instant très court vécu par les humains pendant l'affrontement des Sidh est rendue par des cases où l'on voit les humains prononcer une seule phrase tandis que les Sidh semblent s'affronter sur une période très longue. Du grand art.
Salut les filles ! par Thierry Bellefroid
« Salut les filles ! » de Wolinski. Chez Albin Michel.

Ayant eu la chance (ou l'honneur ?) de partager les bancs du dernier Grand Jury du festival d'Angoulême avec Wolinski, j'ai ouvert ce livre en toute subjectivité. En parcourant ses pages, je ne doutais pas de ce que j'allais y trouver. Pensez-vous ! Une compilation de ses meilleurs dessins sur les filles, on ne risquait pas de s'embêter. Parce qu'il faut bien le dire, à part le cigare, il n'y a rien qui intéresse plus notre bon Georges que les filles, sur cette terre. Et quand il les dessine, c'est avec ce mélange trouble de tendresse et de trivialité un rien macho qui a fait son succès.

Rendez-vous compte, il y a plus de trente-cinq ans qu'il est dans le parcours et ses ardeurs semblent intactes (je n'ai pas été vérifier, hein). Son dessin, à l'économie, est toujours aussi incisif, proche de la caricature. Et ses personnages s'expriment en si peu de mots qu'on est souvent plus proche de l'aphorisme que du gag. D'ailleurs, on ne peut pas parler de gag lorsqu'on lit du Wolinski. On peut parler de provoc', on peut parler de satire, d'instantanés du sexe. Ca fait rire les uns, grincer des dents aux autres. Ca dérange ou ça amuse, mais qui peut dire qu'il reste indifférent ? Fidèle aux grand principes d'Hara-Kiri et de Charlie hebdo, Georges Wolinski n'a jamais fait de concessions, ni cédé à quelque mode que ce soit. C'est peut-être ce qui le rend si indémodable, justement. Sa méchanceté un rien perverse n'épargne finalement personne, même si elle égratigne plus volontiers les femmes, ces femmes qu'il aime tant. Mais au fond, ne disait-il pas lui-même : « J'étais un phallocrate » (album paru en 79 chez Albin Michel) ? Pour vous faire un avis définitif sur la question lisez ces 160 pages, un dessin par page, une idée par dessin. C'est du Wolinski pur jus !
A quoi tu penses ? par Thierry Bellefroid
« A quoi tu penses ? » par Moynot, chez Casterman.

« A quoi tu penses ? » vient compléter la fresque commencée par Moynot avec « Bonne fête maman » et « Pendant que tu dors mon amour ». Comme ces deux précédents opus, le dessinateur profite du lavis pour planter des décors, des ambiances, des personnages très (trop ?) noirs. A l 'opposé du « Vieux fou » réalisé entre-temps en couleurs chez Delcourt, ces récits jouent essentiellement sur le ressort dramatique et délaissent l'humour. Cet nouvel album est un peu la somme des deux précédents. Il revient sur le thème du tueur qui sous-tendait « Bonne fête maman ». Et explore plus avant les relations troubles entre amants déboussolés que proposait « Pendant que tu dors mon amour ». Au départ de cette nouvelle histoire, une recette vieille comme le monde : Audrey aime Martin. Martin aime Audrey. Karina aime aussi Martin. Et Martin couche avec Karina en plus de coucher avec Audrey. La subtilité vient du fait que c'est Audrey qui pousse Martin dans les bras de Karina, espérant réaliser un coup juteux. Il faut dire que tout distingue les deux femmes. L'une est riche, l'autre sort de prison. L'une est vieille, l'autre jeune. Quant à Martin, on peut résumer son personnage à deux caractéristiques essentielles. 1° Il bande sans discontinuer et semble être un sacré coup. 2° Il a passé sa vie à s'enfuir dès qu'il se sentait emprisonné ou acculé à faire des choix.

Derrière cette situation presque vaudevilesque se cache un album grave. Moynot pose des questions essentielles sur l'amour, l'attirance, la vieillesse, le fric. Mais surtout, il raconte cette histoire à trois voix avec brio. L'exercice, difficile, est parfaitement maîtrisé. Seul regret, peut-être, l'emploi de nuances de noir tellement sombres que le lavis est parfois à la limite du lisible. Dans les autres cas, il apparaît comme la technique d'expression idéale d'un auteur arrivé à son « top ». Quoi qu'il en soit, vu la qualité de l'histoire, on pardonne aisément ce défaut de lisibilité !
Silent Blanket par Thierry Bellefroid
« Silent blanket » par Gabriella Giandelli, aux éditions du Seuil.

Avec un graphisme à cheval entre Laurenzo Mattotti et Loustal, Gabriella Giandelli ne manque pas d'atouts pour convaincre. Son dessin frappe d'emblée, ainsi que ses couleurs appliquées au pastel. Les visages sont blancs, allongés, souvent tristes, avec de grands yeux. Le décor américain, avec ses escaliers de secours et ses vieux bus chromés sert de toile de fond à une histoire sombre. Un homme solitaire, veuf, passe ses journées à observer le monde autour de lui. Et ce monde vient un beau jour frapper à sa porte. Janet, la voisine, a repéré Paul. Elle vient d'assassiner un homme dans son appartement et le voisin solitaire aux allures de grand naïf a tout du « porteur de chapeau » idéal. Janet fait donc irruption dans la vie dénuée d'intérêt de Paul qui se méfie, mais pas assez. La porte est ouverte... le mal peut entrer.

Une petite nouvelle qui raconte comment un homme faible et crédule peut jouer sa vie sans le savoir. Et comment une fille trop jolie cache toujours une tonne d'emmerdes (dans la BD, pas dans la vie, hein...). C'est efficace, bien raconté, pas tiré en longueur et surtout extrêmement bien dessiné. Une histoire moderne, adulte, où les animaux parlent sans que cela paraisse ni mièvre ni merveilleux. Le tout sous une neige dont le « manteau silencieux » n'arrive jamais à recouvrir complètement la ville et ses habitants.
White Sonya par Thierry Bellefroid
« White Sonya » par Charyn et Loustal. Chez Casterman.

Charyn a un talent certain pour imaginer des personnages noirs comme la nuit. Sa plus grande réussite, à ce jour, est sans doute « Bouche du diable » avec François Boucq. Mais je placerais aussi cette deuxième collaboration avec Loustal dans le tiercé de tête. « White Sonya » est un album magnifique, intensément triste. Loustal, pourtant si à l'aise dans les décors aux couleurs vives, n'a aucune peine à assombrir sa palette pour se fondre dans les ambiances du Bronx (tags compris) et rendre crédible ce portrait de femme blessée. En fait, quand il ne fait pas de l'illustration, Loustal a facilement tendance à remiser les couleurs vives qui conviennent peu aux récits qu'il choisit de mettre en images. La comparaison tient pour « Les frères Adamov » comme pour « Kid Congo » mais cela étonne toujours un peu de voir un grand coloriste choisir des ambiances sombres. A y regarder de plus près, elles lui permettent sans doute de s'exprimer avec encore plus de subtilité et de talent. C'est notamment le cas dans les quelques scènes de nuit qui correspondent aussi aux moments clés du récit en terme d'intensité dramatique.

Et si on parlait de l'histoire ? Une ancienne prostituée décide de raccrocher à sa sortie de prison et de réorienter ses activités vers le hold-up en solitaire. Dure, orgueilleuse, elle n'attend d'aide de personne et ne compte que sur elle-même pour en sortir. Que peut-il arriver à un personnage pareil ? L'amour, bien sûr. Mais il arrive de manière inattendue, et n'est pas la finalité de l'histoire. Les situations s'enchaînent très vite, projetant l'héroïne dans les dures réalités de la vie. Et jouant parfaitement sur le registre de la fatalité et de l'engrenage. A tel point que la fin est la seule imaginable. Un excellent portrait de femme qui parvient à combiner sensualité et dureté, fragilité et violence.
Pourquoi je déteste Saturne par Thierry Bellefroid
« Pourquoi je déteste Saturne », par Kyle Baker, chez Delcourt.

Les choix de Guy Delcourt en matière d'adaptations françaises sont décidément guidés par une excellente intuition. Après des BD cultes comme « V pour Vendetta », « Batman Dark Knight », « Watchmen » ou encore « Cages » (pour n'en citer que quelques-unes), voici une perle absolument incontournable pour tous ceux qui veulent en savoir plus sur la BD made in US. Kyle Baker y raconte l'histoire d'Anne, alcoolique new yorkaise à la plume acérée qui sévit dans les pages d'un journal branché en attendant un hypothétique premier roman. Anne est névrosée, peu sûre d'elle, paresseuse et incapable de garder un mec plus d'une nuit. Le seul qui aurait une chance, peut-être, ce serait Ricky, son meilleur pote, aussi désillusionné qu'elle sur l'amour. Mais ils s'aiment trop pour coucher ensemble. Tout cela pourrait n'être qu'une chronique douce-amère sur la vie à New York, avec un côté Paul Auster ou Brett Easton Ellis en BD. Mais Kyle Baker introduit très vite dans l'histoire un élément catalyseur : la soeur d'Anne, Laura, débarque sans crier gare, une balle dans la couenne, traînant dans son sillage un amant éconduit très -mais alors très- insistant. Anne est barge, mais ce n'est rien comparé à sa soeur. Laura est tout simplement persuadée d'être fraîchement débarquée de Saturne et se balade, déguisée en Reine des Astro-Filles en Cuir de Saturne. Non-violente, végétarienne jusqu'aux ongles, Laura transforme la vie de sa soeur en enfer et son frigo en succursale de magasin diététique. Les dialogues sont extraordinaires de dérision, de cruauté parfois. Le ton profondément désabusé de cette BD ressort d'autant plus fort que les textes sont séparés des images. On pourrait croire qu'il ne s'agit d'ailleurs pas de BD, puisqu'il n'y a aucun phylactère. Mais à y regarder de plus près, l'image est bel et bien signifiante, elle participe à la compréhension et à la narration du récit. C'est donc bien de la bande dessinée, mais d'un genre peu pratiqué, plutôt désuet puisqu'il en rappelle les tout débuts, lorsque les personnages s'exprimaient sous les cases et non à l'intérieur. Que ceux que ce procédé rebute sachent qu'ils vont rater un pur moment de bonheur. « Pourquoi je déteste Saturne » est un monument de cynisme, mais aussi une leçon de vie pour Anne, qui ne sort pas indemne de l'histoire, et remet en cause la plupart des axiomes qu'elle croyait immuables. Si vous aimez les réparties cinglantes et les situations « à l'américaine », vous ne serez pas déçu(e) !
Arzach par Thierry Bellefroid
« Arzach » par Moebius. Aux Humanoïdes Associés.

Je ne regarderai plus jamais un dessin de Jean Giraud comme avant. Comme certains d'entre vous, j'ai passé une matinée entière à visiter l'exposition magnifique qui lui était consacrée cette année à Angoulême. Et j'ai été soufflé par la qualité de son travail, remis en perspective et surtout proposé sous sa forme originale. Il faut avoir vu les planches en couleur directe des débuts de Moebius pour saisir à quel point le passage d'une signature à l'autre a signifié pour lui une véritable révolution. Que soient loués jusqu'à la neuvième génération les heureux concepteurs de cette magnifique expo dont la scénographie était par ailleurs tout aussi géniale. Ils m'ont permis de lire « Arzach » avec un oeil totalement neuf. Et d'apprécier à sa juste valeur cette réédition « restaurée ».

Faut-il le dire, Jean Giraud est un véritable précurseur lorsqu'il abandonne son nom dans les années soixante-dix pour explorer le vaste univers de la recherche graphique et narrative. Une exploration dont « Arzach » semble être la pierre angulaire. Dans cette BD muette, pulvérisée par des couleurs jusque là jamais vues en BD, Moebius passe de la hachure presque pointilliste (toujours chère à Manara aujourd'hui) au dépouillement le plus total qui correspond davantage à ses travaux récents. Mélangeant les techniques, il s'offre une synthèse de la gravure et de la BD réunies, plantant ses visions sur le papier sans aucune forme de concession. 25 ans après, reste de récit ou de cette succession de tableaux une force artistique magistrale. En négliger la lecture, c'est se priver d'une page de l'histoire de la BD qui éclaire bien des auteurs contemporains.
« Ophélie et le directeur des ressources humaines » par Eric Lambé, chez Fréon édition.

La première chose qui frappe en ouvrant cet album, c'est la saisissante beauté du dessin. Eric Lambé manie le pastel noir et blanc avec une assurance stupéfiante. Il arrive à donner du relief au dessin, une densité au papier. En quelques traits gras, ses personnages sont projetés dans des décors dépouillés souvent davantage exploités sous l'angle du gros plan qu'en plan large. « Ophélie » est un album à feuilleter souvent. A regarder. A approfondir.

Issu d'un atelier international effectué en octobre dernier à Bruxelles, ce livre est le premier d'une série de récits sur les villes imaginée pour le projet « Frigobox Echangeur Narratif ». Sa spécificité est d'avoir été intégralement conçu lors de l'atelier et d'être donc le résultat d'une démarche à la fois expérimentale et partagée.

« Ophélie » n'est pas une histoire facile à lire. La plupart du temps muette, elle exige du lecteur une part d'imagination. Il faut combler les blancs, relier les images entre elles, inventer des liens entre cette jeune secrétaire à la recherche d'un emploi et ce directeur des ressources humaines qui l'épie constamment en recopiant des lettres d'amour empruntées au livre « Lettres à la fiancée » dont il ne se sépare jamais. Mais passé cette démarche intellectuelle, on entre dans un univers au graphisme à la fois brut et délicat. On suit les cheminements d'Eric Lambé à travers d'audacieux fondus cinématographiques, on plonge dans la structure des choses, des lignes, des formes jusqu'à s'y perdre. Les quelques allusions à la peinture surréaliste ne sont évidemment pas là par hasard. Il y a dans cet album une part de travail sur l'écriture automatique qui est loin d'être dénuée d'intérêt.
« La tête dans les étoiles », Muriel et Boulon n°5, par Ers et Dugomier, au Lombard.

Parmi les très nombreuses séries proposées au jeune public, Muriel et Boulon me semble être l'une des plus réussies, tant par ses qualités intrinsèques que par sa régularité. Depuis ses débuts, elle s'appuie sur le dessin de Ers, qui a su donner un visage humain et profondément attachant à Boulon, le robot araignée. Mais les scénarios imaginés par Dugomier sont eux aussi pour beaucoup dans cette réussite. Il a réussi à créer deux personnages principaux alliant poésie et humour, capitalisant la sympathie grâce aux gentils défauts qui les rendent presque communs. Ainsi, l'arachnophobie, de Boulon, grand robot dessiné sur le modèle de l'araignée, prend-elle dans cet album une signification particulière. C'est une façon de ne jamais céder complètement à la « mythologie » du héros.

Dans cette nouvelle aventure, on retrouve Muriel et Boulon tels qu'on les avait laissés. Devenus « stars » de la télévision, les voilà qui s'en vont tourner à la mer quelques épisodes de la série qui leur est consacrée. Ils font connaissance avec les pêcheurs de kernic, le coquillage local que l'on s'arrache à prix d'or, avant de débarquer dans une maison particulièrement lugubre. La curiosité et l'opiniâtreté de Muriel plongeront le duo dans une aventure maritime qui m'a rappelé les ambiances de certains Gil Jourdan. Les auteurs n'hésitent pas à faire commettre une grosse erreur de jugement à Muriel et Boulon, persuadés d'avoir mis en déroute un dangereux malfaiteur alors qu'ils ont ruiné un pauvre pêcheur. Mais bien entendu, tout cela va s'arranger, de même que nos deux héros vont mettre fin aux activités du sinistre Calfond. On n'est pas dans une BD enfantine pour des prunes, non ? Bon, c'est vrai, tout ça a l'air un peu téléphoné. Mais le charme opère, surtout grâce aux personnages secondaires et à l'adorable Boulon, aux prises dans cette histoire avec une véritable crise d'identité. Un très bel album qui confirme une valeur sûre de la BD jeunesse.
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