Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Elle (Fée et Tendres Automates) par Thierry Bellefroid
Fée et tendres automates, tome 2 : Elle. Par Béatrice Tillier et Téhy. Chez Vents d'Ouest.

Quatre ans après un très beau premier album, Jam est de retour. Avec son bras arraché, cet automate amoureux fou d'une jolie fée inachevée par son créateur (elle a été ravie par les hommes avant qu'on lui mette une bouche, dernier détail manquant de son anatomie) promène son spleen sur un monde cruel et destructeur, celui des humains. D'emblée, ce qui frappe, c'est la mise en page et le découpage très nerveux de cet album. Il faut dire qu'il s'ouvre avec des scènes d'action qui démentent presque le titre de la série et le rapprochent à certains moments davantage du manga que de la tradition française. Mais que les lecteurs du premier album se rassurent. L'allégorie qui sous-tend cette histoire est toujours aussi forte et oppose l'innocence à la cruauté, la poésie à la violence avec plus de talent encore. On pourrait craindre pareil manichéisme. Mais Téhy arrive à toucher le lecteur avec ses personnages caricaturés à l'extrême et nous amène sans en avoir l'air à réfléchir sur notre monde avilissant. L'histoire d' « Elle » pourrait être celle de n'importe quelle petite fille enlevée à ses proches pour être livrée en pâture aux appétits sexuels et vénaux de réseaux plus ou moins obscurs en cheville avec un pouvoir despotique. L'intérêt de « Fée et tendres automates » est justement de se servir d'un « conte de fées » pour jouer sur tous ces éléments et nous faire passer sans crier gare du rêve à l'aventure ou de l'allégorie à la légende. « Elle » est donc un album réussi, même si je le trouve un rien moins convaincant que « Jam », le premier du futur triptyque que « Wolfgang Miyaké » viendra conclure. Le dessin de Béatrice Tillier est très beau.
« Les mémoires mortes, tome 1 : Feu destructeur », par Denis Bajram et Lionel Chouin. Aux Humanoïdes Associés.

Bajram se multiplie, se démultiplie même, sans que ça nuise nullement à sa production. Il faut dire que pour cette nouvelle série de SF, il a décidé de ne pas dessiner. Amusant de voir comment un dessinateur (« Cryozone », sur scénarios de Cailleteau) est devenu son propre scénariste (« Universal War one ») avant de finalement devenir le scénariste d'un autre dessinateur. Il faut dire que quand on parle deux minutes avec Denis Bajram, on s'aperçoit que ça fourmille d'idées sous sa barbe. Il n'a sans doute pas fini de nous surprendre, d'autant que, entier comme il l'est (certains internautes habitués du forum de ce site le savent), il défend toutes ses créations becs et ongles. Il ne devrait pas avoir de mal à imposer celle-ci. Cela tient-il à l'éditeur qui publie ces « mémoires mortes » ? Sans doute au moins en partie. Toujours est-il que cet album apparaît comme le plus charpenté et le plus « adulte » de Bajram à ce jour.

Tout part d'une vision, magnifiée par le dessin de Lionel Chouin : New York, après un cataclysme, revenue aux temps moyen-âgeux, avec des villages établis en haut des gratte-ciel à moitié dévastés. Ouvrir ce livre, c'est plonger d'emblée dans cette vision. On le fait même avant, en contemplant attentivement la couverture. Disons-le tout de go : sans ce choix, c'est toute l'originalité et l'attrait de l'histoire qui seraient remis en cause. D'abord parce que le scénario repose sur cette organisation géographico-sociale. Des ponts relient les tours entre elles. Depuis quelque temps, les villages sont attaqués un à un. Comment se protéger des barbares ? En rendant les tours indépendantes les unes des autres, au moins pendant la nuit. Mais c'est compter sans le traître qui se cache au sein même du village. Pour le reste, un peu de sorcellerie, des anges aux pouvoirs terrifiants, et des « visions » qui ne sont pas encore expliquées dans ce premier tome complètent le tableau de base. Des entités inconnues se réincarnent dans des corps d'enfants, le mystère est entier et surtout, plane sur tout ça un dessin puissant et un découpage très soigné qui ont des petits airs de ressemblance avec le travail de Xavier Dorrison et Alex Alice. Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard. Les observateurs se souviendront que les deux jeunes auteurs remerciaient Bajram au tout début du premier tome du « Troisième Testament ». (Alex Alice remettait ça en première page de l'adaptation BD de Tomb Raider, dessinée par Fréon, le coloriste des « mémoires mortes ») Tout ce petit monde se connaît, s'observe, s'apprécie. Et réalise de très bonnes choses. C'est clair que « Le Troisième Testament » est déjà une référence, en deux albums à peine, et que lui ressembler sans le copier est plutôt un gage de réussite. Vous l'aurez compris, « Les mémoires mortes » a tout pour devenir une bonne série. On regrettera juste de devoir passer par l'inévitable mise en place d'un premier album qui laisse le lecteur avec ses interrogations. Mais c'est devenu tellement courant que si on s'arrêtait à ça, on ne lirait plus grand chose.
Cotton Kid N°2 : charivari dans les bayous. Par Pearce et Léturgie.

Je me souviens avoir réellement craqué d'emblée pour Cotton Kid. Le premier album était parfait : un héros espiègle et fédérateur, une aventure drôle et traitée sous la forme du pastiche, beaucoup de rythme, tout y était. Le genre de BD qu'on referme en se disant « pourvu que ça dure ».

Eh bien, rassurez-vous, ça dure ! Ce deuxième Cotton Kid vaut au moins le premier. Je serais même tenté de dire qu'il est meilleur. Moins référentiel, moins « Lucky Luke en petit format », il s'agit d'une excellente histoire drôle pour tous les âges. On y retrouve l'humour très visuel déjà développé par Léturgie dans le premier album mais aussi dans « Spoon & White », la série qu'il anime dans la collection Humour Libre de Dupuis avec son fils au dessin. On y retrouve aussi un univers complet, celui des bayous, que l'auteur a su exploiter jusqu'à la moelle. En effet, les personnages secondaires sont aussi folkloriques qu'authentiques, ne serait-ce que par la maîtrise de leur délicieux dialecte (ce qui n'empêche nullement de les comprendre...). Evangéline, sorte de faire-valoir de Cotton Kid au féminin, est particulièrement réussie. Mais le crocodile Lafayette lui vole souvent la vedette. Et les joueurs professionnels ont, comme l'avaient si bien les personnages du premier album, un côté « très Morris » qui prolonge l'effet décalé produit par le dessin de Pearce. A croire que Léturgie avait envie de continuer l'aventure avec Lucky Luke, mais sans Lucky Luke. On ne peut que lui donner raison. Il est bien plus inventif et bien plus drôle qu'à l'époque où il scénarisait le lonesome cow-boy. Et dire que le tome trois est déjà annoncé pour octobre 2000. Ca c'est de la production.
L'engrenage (Le tueur) par Thierry Bellefroid
« Le tueur N°2 : L'engrenage », par Jacamon et Matz, chez Casterman.

Sans publicité tapageuse, sans campagne marketing, « Long feu », le premier album de cette série, s'est vendu à plus de dix mille exemplaires. Pour deux auteurs qui sortent à peu près de nulle part (les collaborations de Matz avec Chauzy n'ont pas été à proprement parler des best-sellers), c'est déjà un tour de force de réussir à s'imposer par le bouche à oreille. Il faut dire que leur tueur a beaucoup pour plaire : une véritable personnalité, des origines en marge de ses habituels congénères de polar (pour rappel, c'est un ancien universitaire qui a préféré gagner sa vie en refroidissant son prochain plutôt qu'en travaillant), un ton qui s'exprime dans l'écriture et un dessin efficace. Inutile de dire que le deuxième album constitue à ce niveau une sorte de test que les auteurs n'ont pas le droit de louper.

Dès la première page, tout le talent de Luc Jacamon s'impose. En deux images, il a planté une ambiance, il nous replonge dans l'univers de « son » tueur. Le dessin en couleur directe profite de l'exil du héros au Venezuela pour donner toute sa mesure et se noyer de lumière. Le travail sur les ombres est magnifique dans les pages qui suivent -et même dans tout l'album. Presque inexistant à l'encrage, il s'exprime uniquement par la couleur, un peu à la manière de Ferrandez. Avec l'audace en plus, lorsqu'il s'agit de donner une « couleur » propre à une scène, à une ambiance. Les scènes d'action sont plus saisissantes de vérité que jamais et alternent parfaitement avec le côté plus statique (et surtout moins lumineux) de la partie parisienne, constituée à la fois de flash-back et de la suite de l'histoire. Le découpage est intelligent. Meilleur exemple : les pages où le tueur retrouve son protecteur, l'avocat de la Streille et où les auteurs ponctuent la conversation des deux hommes de flashes sur le meurtre perpétré juste avant, au Venezuela. Vraiment, le traitement graphique de ce deuxième album n'a rien à envier à celui du premier.

Et l'histoire ? Toujours aussi bien charpentée, toujours aussi bien racontée. Le principe de la voix-off sur lequel repose tout le premier album en huis-clos se poursuit ici de manière moins systématique. Mais les deux petites phrases de la première page montrent bien toute l'efficacité du procédé, surtout lorsqu'on le maîtrise comme le fait Matz. Soucieux de crédibilité depuis le départ de la série, les auteurs nous emmènent dans un monde où chacun est à sa place. Impossible de dire si le tueur est vraiment antipathique. Il a ses propres motivations, sa propre morale et ses avis sur le monde qui ne sont guère recommandables. En même temps, il a une gueule de « Monsieur Tout le monde », il et il a ce je ne sais quoi de presque sympathique qui fait qu'on ne peut pas le détester. Il a surtout de l'épaisseur. Et si l'on doit retenir quelque chose de la façon dont Matz nous raconte sa vie depuis deux albums, maintenant, c'est cette volonté d'aller loin dans la « matière » de son personnage et d'éviter les clichés. Assurément, le cap du deuxième opus est passé avec brio !
« Le lys noir, tome Un : Le jardin des âmes », par Brice Goepfert, dans la collection Vécu, chez Glénat.

Réalisée en solo par le dessinateur du « Fou du Roy », cette nouvelle histoire de l'Histoire colle parfaitement à l'esprit de la collection Vécu. Le contexte, la Chine de 1900, la révolte des Boxers. Les héros, des soldats français -un surtout-, qui tentent de sauver leur vie et de déjouer les complots. Car dans chaque camp, il y a des bons et des mauvais. Des Français trafiquent l'opium et des Chinois se dévouent corps et âme pour l'occupant.

Pour le moins, on peut dire que Brice Goepfert s'est documenté avant de se lancer dans l'aventure. Qu'il s'agisse des décors et personnages ou de l'histoire de cette période agitée de la Chine, il ne laisse pas grand chose au hasard. Le défaut de ce genre de précision historique étant de briser le souffle épique donné aux personnages. Il y a en effet un peu trop de dates et de précisions historico-didactiques dans ce premier épisode. Les personnages sont très manichéens -le méchant a vraiment une gueule de méchant, un peu à la Olrik- et les situations un rien exagérées mais l'ensemble tient la route. Peut-être parce que Goepfert s'est attaqué à une période peu dessinée jusqu'ici, qui suscite facilement la curiosité du lecteur. Certaines erreurs de découpage rendent toutefois la lecture difficile. Quant au dessin, inutile de s'attarder sur ce qui est un pur produit de l'écurie Vécu, on aime ou on aime pas, mais il faut dire que d'un bout à l'autre de cette collection, on retrouve une cohérence graphique. Le choix des couleurs me fait en revanche davantage penser à Giardino, à qui Goepfert emprunte d'ailleurs son personnage principal. Comment ne pas penser au célèbre Max Fridman en voyant l'ami Joseph Dutertre, surtout en haut de la planche 44, lorsqu'on le voit en civil, avec un feutre mou sur la tête. La ressemblance est troublante. Peut-être Brice Goepfert doit-il encore se forger une véritable personnalité artistique...
Lova Intégrale (Lova) par Thierry Bellefroid
... ou plutôt de relire « Lova », par Servais. Intégrale parue dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis.

Il y a bien longtemps, « La Tchalette » a été un de mes livres de chevet. Puis il y a eu « Silence » de Comès et j'ai commencé à m'éloigner de Servais que je trouvais moins adulte, plus léger. Les albums du cycle « Tendre Violette » ont bien failli me réconcilier avec l'auteur de l'actuelle série « La mémoire des arbres ». Mais c'est finalement « Lova » qui y est arrivé. Ces deux albums aujourd'hui réunis en intégrale que je n'avais plus relus depuis au moins cinq ans sont à ce jour ce que cet Ardennais a livré de mieux. Reprendre le chemin de cette forêt de Merlanvaux fut un plaisir et m'a permis de m'apercevoir que cette BD n'avait pas pris une ride. Aussi, même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'une nouveauté, ai-je envie d'en dire quelques mots dans cette rubrique à l'attention des plus jeunes qui auraient loupé cette parution à l'époque.

Dans « Lova », Servais aborde avec une pudeur et une finesse parfaites un thème pourtant éculé, celui de l'enfant-loup. D'abord en ne faisant pas commencer son récit à la découverte de l'enfant ou même à son accueil par la meute mais bien à sa prime enfance parmi les hommes. Lova est une petite fille comme les autres, et sa disparition n'intervient qu'après une série d'événements plus ou moins importants sur lesquels l'auteur prend le temps de s'attarder. Ensuite, il y a le contexte presque policier dans lequel Servais a inséré son histoire, et dont le dénouement n'intervient que dans les toutes dernières planches. Enfin, il y a ce souci de réalisme qui a poussé l'auteur à jalonner son récit de théories, de personnages, de lieux avérés. A aucun moment, cette BD ne cède à la facilité des clichés. A aucun moment, le lecteur ne peut être tenté -comme trop souvent c'est le cas- de la refermer en se disant : tout ça n'arrive que dans les histoires. Servais ne s'est attelé à cette bande dessinée que muni d'une solide connaissance de son contexte et cela se sent. Mais il a su éviter en même temps d'être trop scientifique ou didactique. Lova est avant tout une très belle histoire humaine et romanesque, dessinée avec toute la rigueur qu'on connaît à Servais lorsqu'il aborde des lieux comme la forêt ou des thèmes comme le rapport à la nature ou à l'animal. Défenseur des loups, il a su aussi éviter le plaidoyer brutal et diluer son parti-pris dans un récit charpenté au réalisme parfaitement saisissant. S'il faut retenir un album de sa déjà longue carrière, pour moi, c'est celui-là.
Shenzhen par Thierry Bellefroid
« Shenzhen », par Guy Delisle, à L'Association.

« Si un jour je mets toutes ces anecdotes en images, ça donnera forcément l'impression d'avoir été un séjour formidable. J'imagine que même l'ennui, une fois sorti de son contexte, se sublimera et prendra une forme divertissante... un peu comme fait la mémoire ». Ces quelques mots écrits par l'auteur dans les dernières pages de Shenzhen résument parfaitement ce qu'est cet album. Conçu comme un carnet de bord autobiographique, il nous raconte avec mille détails la vie éminemment solitaire d'un Canadien en Chine. Pour ceux que le titre n'éclairerait pas, signalons que Shenzhen est une ville du Sud chinois, pas tellement loin de Hong Kong mais très différente ! Une ville qui a tout de la prison culturelle pour Delisle, envoyé par Dupuis en 1997 à Shenzhen pour y superviser la production d'épisodes de la série animée Papyrus sous-traités en Chine. Ceux qui ont lu le très récent « Stupeur et tremblements » de l'excellente romancière Amélie Nothomb (Albin Michel) retrouveront dans cette bande dessinée la même justesse de ton pour décrire le fossé culturel entre Asie et Occident.

J'ai beaucoup ri en lisant Shenzhen. Parce que Guy Delisle a un humour universel, basé sur l'auto-dérision et l'évidence. Parce qu'il fait en sorte que chaque moment de sa vie en Chine nous paraisse drôle et décalé. Quand le chasseur de l'hôtel l'accueille à chaque fois avec une phrase anglaise sans queue ni tête, quand l'auteur expérimente la non-communication avec les membres de son studio, quand il joue la débrouille pour se faire servir dans les restaurants, c'est nous que nous voyons, que nous imaginons à sa place. Et l'effet est garanti. Face à tant de différence, on ne peut plus parler de dépaysement, ni même de déracinement mais presque davantage de déchirement. La solitude de Guy Delisle, son ennui, finissent comme il le dit lui-même par nous devenir divertissants. Mais c'est parce qu'il les raconte avec un talent rare, un humour léger, sans jamais se prendre au sérieux. Et c'est ce qui rend ce livre si agréable à lire, alors qu'il n'est que le témoignage de l'incommunicabilité entre deux mondes. Au premier, au second ou au vingt-sixième degré, une BD à lire et surtout à relire. A savourer. Un futur classique que le dessin sans fioritures de Guy Delisle rend brillamment efficace.
Des lettres.. (Giacomo C.) par Thierry Bellefroid
« Des lettres », le N°11 de la série Giacomo C, par Griffo et Dufaux, chez Glénat.

L'album s'ouvre sur une scène absolument excellente. Un homme masqué négocie un rendez-vous galant avec un entremetteur. Au cours de la conversation, le souteneur vante les mérites de sa protégée et suscite manifestement le désir chez son client. Mais voilà que les détails de plus en plus précis amènent ce client à se rendre compte que la fille dont il s'apprête à acheter les services n'est autre... que sa femme. Le ton est donné. Il y a quelque chose de Feydeau dans cette nouvelle histoire. Ou à tout le moins, un véritable ressort théâtral qui vous emporte d'un bout à l'autre sans jamais faiblir. C'est la première fois sans doute que Jean Dufaux me semble avoir le ton si juste dans cette série pourtant déjà ancienne. Tous les codes vénitiens sont employés à leur meilleur niveau : personnages influents demeurés dans l'ombre, écrivains pamphlétaires, masques, intrigues politiques, espions et police secrète, tout y est.

Comme une preuve supplémentaire de l'excellente tenue de cette histoire, les personnages secondaires sont renvoyés à des rôles plus mesurés et les femmes de Giacomo ne sont pas au centre du récit. En donnant ainsi un peu d'air à son héros, Dufaux ne le rend que plus crédible. Pour tenir la distance sur plus de dix albums, Giacomo ne pouvait pas demeurer uniquement dans l'ombre de Casanova, séducteur impénitent et irrévérencieux. Cette fois, il assume pleinement ses convictions de libre-penseur libertin. Il s'inscrit ainsi parfaitement à la fois dans son siècle et dans sa ville. Tout cela donne un album au ton juste, mais aussi plein d'humour, car le scénario et les dialogues très enlevés jouent sans cesse sur ces ressorts théâtraux dont je parlais plus haut. Il n'y a donc rien à redire, d'autant que le dessin de Griffo, toujours en couleur directe, semble plus vénitien que jamais. Peut-être commence-t-il à en connaître assez sur Venise pour oublier la documentation et entrer dans l'âme de la Cité.
« Jérôme K. Jérôme Bloche N°14 : Un fauve en cage ». Par Dodier. Dans la collection Repérages des éditions Dupuis.

Il y a des séries qui s'essoufflent. Et d'autres qui bonifient avec l'âge. C'est le cas de Jérôme Bloche. Redevenu seul scénariste depuis le tome 11, Alain Dodier (il a travaillé avec Le Tendre et Makyo au début de la série puis a retrouvé Makyo à plusieurs occasions) semble maîtriser de mieux en mieux son petit univers. Un univers qui met en avant de manière indissociable dessin et scénario. Car Jérôme, c'est d'abord un trait, une lisibilité, une ligne dépouillée toute au service de l'histoire, mais toujours esthétique. La silhouette d'un anti héros sur son solex. Un personnage de détective amateur rêveur et maladroit qui s'est installé dans le paysage de la BD sans en avoir l'air. Aujourd'hui, il reste à part dans la bande dessinée policière, même si les enquêtes que lui confie Dodier ne sont pas si différentes, parfois, de celles auxquelles sont confrontés les traditionnels détectives du neuvième art. La preuve, ce nouvel album, basé sur des ingrédients somme toute assez classiques, puisqu'on y trouve une femme amnésique à la suite d'une attaque à main armée et un malade mental qui, privé de son traitement, pète les plombs et prend des vessies pour des lanternes. Mais ces ingrédients, mis à la sauce Dodier, donnent un album d'une excellente tenue qui embraque le lecteur sans qu'il s'en rende compte. Il y a bien quelques trucs gros comme un maison (comme cette charmante amnésique qui suit Jérôme jusque chez lui et dort dans son lit sans discuter) mais on s'en rend à peine compte, tant le récit semble fluide, naturel. Les personnages (pas seulement celui de Jérôme) nous deviennent si familiers que ce sont eux qui guident la narration. Eux et leurs réactions (comme celle de Babette, lorsqu'elle surprend une belle inconnue dans le lit de son fiancé) Ce qui est plaisant dans cette série, c'est que ses héros ne s'y prennent pas au sérieux et que leur univers est d'une banalité confondante. Ils n'en sont que plus proches de nous. Et comme chacun sait, quand on s'identifie aux héros, on entre plus facilement dans une histoire. Et puis, même s'il y a du sang, des bons et des méchants, il y a quelque chose de fondamental qui différencie cette série de beaucoup d'autres : la gentillesse de son héros.

La première édition de ce quatorzième album est vendue avec un cahier de 16 pages s'attardant sur l'univers de Jérôme K. Jérôme Bloche.
« Le détective » par Goffaux, dans la collection « petits meurtres » des éditions du Masque.

Le Belge Gérard Goffaux a créé les aventures de Max Faccioni aux éditions Michel Deligne. Un petit éditeur bruxellois aujourd'hui disparu (Michel Deligne, en revanche, possède toujours une librairie qui a tout de la caverne d'Ali-Baba pour collectionneurs de BD !). Son personnage a ensuite connu des fortunes diverses (et des éditeurs tout aussi divers) pour finalement être publié... aux Etats-Unis. Les éditions du Masque ont eu l'idée d'en proposer une édition intégrale riche d'un peu plus de 120 pages (deux autres volumes s'y ajouteront) que ne devraient pas bouder les lecteurs de Torpedo et autres séries du genre. Le détective au nez d'aigle est un cliché sur pattes. Feutre mou sur la tête, imper sur le dos, ce boxeur de première classe évolue dans le New York et le Chicago des années qui suivent la prohibition. Il a sa morale à lui et c'est pour tenter de la comprendre qu'un journaliste se met en quête d'informations à son sujet. Il n'est pas le seul à s'intéresser au passé de Faccioni. Un mystérieux commanditaire le paye très cher pour en savoir toujours plus. Et le journaliste raconte ce qu'il trouve dans les carnets de l'ancien détective ou ce que lui narrent les quelques témoins de sa vie qui sont toujours vivants. Peu à peu, le lecteur retrouve toutes les pièces manquantes. Il découvre pourquoi Faccioni est un être à part et pourquoi ceux qui l'ont croisé se souviennent de lui. Marqué par le meurtre de ses parents, recueilli et élevé par le meurtrier de ceux-ci, sa vie entière sera vouée à l'exercice d'une vengeance trop longtemps attendue pour être parfaite. Les événements s'enchaînent avec un minimum de temps morts (rendus nécessaires par la structure de la narration obligeant de repasser de temps à autre par le journaliste enquêteur avant de replonger dans le passé de Faccioni). Les personnages, pour clichés qu'ils soient, tiennent la route. Et le récit, lui, tient en haleine jusqu'à la fin. C'est du polar à l'américaine au point qu'on jurerait qu'il s'agit d'une traduction d'un auteur ricain (fautes d'orthographe comprises, malheureusement...). Quant au dessin de Goffaux, son encrage et son découpage précis le rendent particulièrement efficace. D'autant que les clairs-obscurs sont maniés avec beaucoup de savoir-faire. Les amateurs de série noire apprécieront forcément ce modèle du genre.
« Je suis un vampire, tome 1 : La résurrection », par Trillo et Risso, chez Albin Michel.

Trillo retrouve Risso, délaissant un temps son complice habituel, Mandrafina (Les Spaghetti brothers, La grande arnaque, Vieilles canailles...) et nous propose une histoire de vampire comme on en a jamais lu. « Je suis un vampire » est le récit d'un garçon sans nom, fils de Pharaon, condamné à vivre éternellement dans son corps pré-pubère en vidant de leur sang les victimes que le hasard met sur sa route. Lassé de cette vie éternelle et surtout du combat millénaire que lui livre sa rivale de toujours, la belle Ahmasi, il s'était glissé au fond d'un trou et y avait somnolé durant cinquante ans. Mais un événement fortuit fait revenir la lumière du jour sur son corps, le réveillant immédiatement. Tout recommence. Mais le monde a bien changé depuis la dernière fois. Désormais, il est bien dangereux d'être un vampire. Un portrait-robot diffusé à la télévision, et les ennuis commencent. Sans compter que cela remet aussi Ahmasi sur sa piste.

L'originalité de cette histoire de vampire est de se situer aux antipodes des habituels récits du genre. D'abord, en choisissant un enfant pour héros. Ensuite, en situant son passé dans l'Egypte pharaonique et en laissant planer le mystère sur la cause de sa malédiction. Enfin, et c'est sans doute ce qui rend ce premier volume passionnant, en confrontant ce jeune vampire aux derniers descendants des indiens Oglalas, habitants ancestraux de l'île de Manhattan. La rencontre de l'enfant sans nom avec « Ours calme » fait basculer le récit, jusque là relativement traditionnel. « Ours calme » et sa petite-fille « Nuage du soir » vont devenir la véritable famille du vampire (qu'ils rebaptisent « Vent qui court ») et chacun va entraîner les autres dans son histoire. Le scénario est passionnant, plein de rebondissements et de petites trouvailles qui le rendent original. Seule l'éternelle rivalité entre les deux vampires sonne un peu « déjà vu » (on pense évidemment à des films comme Highlander) même si le personnage de la belle et vénéneuse Ahmasi est loin des classiques du genre.

Je m'en voudrais de conclure sans dire un mot du très bon dessin de Risso. Son noir et blanc est tout simplement magnifique. Il rend aussi bien les scènes de désert de l'époque pharaonique que les gratte-ciel de Manhattan, la nuit. Le découpage et le sens du mouvement ajoutent une touche de réalisme qui rend cet album captivant d'un bout à l'autre. Les dessins en pleine page (exemples planches 13, 23, 24 ou 68) sont vraiment superbes et confirment la maîtrise qu'a Trillo du noir et blanc. Cerise sur le gâteau : Albin Michel nous promet le deuxième album dans les quelques mois à venir, puisqu'il s'agit d'une traduction d'une œuvre déjà existante. Personnellement, j'en redemande !
« Histoire de Lisbonne, Volume Un (1er siècle avant JC - 1580), par Filipe Abranches et A.H. de Oliveira Marques. Chez Amok.

Album hors collection et hors format (24X33 cm, c'est grand !), ce premier volume de l'histoire de Lisbonne est un livre ardu que le dessin de Filipe Abranches sauve d'emblée de tout ennui. Privilégiant le brun et l'ocre sur fond de couleur sable, il installe un climat magnifique et se permet en outre de revisiter l'iconographie des siècles traversés en adoptant par exemple une mise en page fluctuante, apparemment dénuée de règles précises. Ouvrir cet album, c'est se plonger dans ce dessin au graphisme soigné qui se plaît à mettre les personnages fort en avant grâce à un encrage appuyé, sur des décors parfois à peine esquissés au pinceau, mais saisissants d'apparente authenticité. C'est la performance de Filipe Abranches qui fait réellement de cet ouvrage une BD et non un livre d'histoire.

L'histoire de Lisbonne est passionnante et A.H. de Oliveira Marques est sans doute l'un des historiens qui la connaît le mieux (il a publié « l'histoire du Portugal et de son empire » en langue française aux éditions Karthala). Il en tire parti pour nous raconter cette destinée à travers des tableaux de quelques pages s'attachant à chacune des grandes époques de la ville. Anecdotes et Histoire se côtoient, personnages fictifs se donnant la réplique dans une case, Rois et dignitaires que l'Histoire a retenus se parlant dans la suivante. Tout cela est certes passionnant mais d'une lecture difficile et on ne saurait que trop conseiller au lecteur de se pencher sur la chronologie d'un peu plus de deux pages qui ouvre l'album avant d'aborder la BD elle-même. Sans quoi ils risquent de ne pas savoir qui est qui et de perdre le fil en cours de route. Bien sûr, la formule a ses limites. Principalement le manque de place accordé aux personnages qui ne permet guère de développer leurs humeurs, leurs caractères, voire de s'habituer à leur physique avant qu'ils disparaissent de la scène. Mais pour ceux qui continuent de croire que la BD est un genre mineur, cette « Histoire de Lisbonne » est à elle seule une preuve qu'ils sont dans l'erreur.
Le feuilleton du siècle par Thierry Bellefroid
« Le feuilleton du siècle » par Willem. Chez Cornélius.

Le Hollandais Willem qui a émergé à la faveur des années soixante dans la mouvance underground de son pays est depuis longtemps devenu une «signature française ». Prolifique, il a collaboré à de nombreuses revues parmi lesquelles, bien sûr, Charlie Hebdo, où sont parues ces 200 planches aujourd'hui réunies en album. Le titre est sans équivoque, Willem nous propose -comme tant d'autres serait-on tenté de dire- de feuilleter avec lui l'album du siècle. Mais sa vision est totalement libérée de tout carcan. En deux pages par année, il tire à boulets rouge sur la grande Histoire et réécrit à sa façon, souvent polissonne, toujours irrévérencieuse, ces événements qui ont fait les guerres, les révolutions sociales et politiques, les courants de pensée du vingtième siècle. A la manière d'un Oncle Paul qui aurait pété les plombs, il nous raconte cent ans de décadence en se choisissant quelques personnages récurrents dont la plupart sont totalement imaginaires (mais pas tous, puisque Hitler, Mao ou Charlie Parker font partie de la galerie...). Il y a le terroriste Barnstein, Iqbal, le journaliste Réginald Cox (qui adore sauter les épouses d'hommes célèbres pour obtenir leur interview ensuite), Heidi Prack, la petite juive au père SS devenue plus communiste qu'un membre du Soviet Suprême, la princesse Margaret, Li l'ex-garde rouge, etc...

Willem n 'a pas lésiné. Son « feuilleton du siècle » ne respecte rien ni personne. C'est drôle, politiquement incorrect, totalement fou tout en regorgeant d'éléments authentiques (parfois soulignés un peu lourdement, il est vrai). Dommage que ce soit écrit dans un pareil sabir. Un correcteur d'orthographe ne serait vraiment pas de trop !
Le Gant de l'Oubli (Galfalek) par Thierry Bellefroid
« Galfalek, tome 1 : Le gant de l'Oubli », par Gaudin et Biancarelli. Chez Soleil.

Le héros, Galfalek, a été banni de la Cité des Hauts Murs, la main tranchée en guise d'exemple, lors de la reprise du pouvoir par un nouveau souverain. Exilé, il vit de rapines et d'alcool, méditant sur ceux -et surtout celle- qui l'ont trahi. Jusqu'au jour où un homme vient à sa rencontre et lui propose le moyen de retourner à la Cité incognito et d'y retrouver la femme qu'il a aimée. Armé d'un gant qui empêche quiconque de reconnaître celui qui le porte (et qui lui rend sa seconde main au passage), Galfalek revient sur son passé et se retrouve très vite dans les ennuis jusqu'au cou. Yrisis, son ancienne compagne, semble appartenir à une société secrète dont l'ambition est apparemment de renverser le pouvoir en place. Elle est aussi très courtisée par Gordrom, l'ancien compagnon d'armes de Galfalek aujourd'hui à la tête de la garde rapprochée du roi.

Voilà, résumée en quelques phrases, l'intrigue de ce premier album riche en rebondissements. Jean-Charles Gaudin a campé d'emblée un héros et un univers crédibles, intéressants. A condition d'aimer les personnages sans peur et sans reproche, car Galfalek a le coeur aussi pur qu'une source de montagne ; il préfère mettre sa vie en danger plutôt que de laisser mourir un homme qu'il connaît à peine. Mais que voulez-vous, c'est comme ça quand on est un héros de BD...
Le scénario de Gaudin, ceci dit, est bien rythmé, lâchant quand il le faut les informations manquantes au début. J'ai craint que l'idée du gant n'évoque un peu trop facilement l'univers de Grimion Gant de Cuir mais il n'en est rien. Ce premier tome se lit très agréablement, nous entraînant de mystères en complots, puis en révélations (certaines sont un peu téléphonées, mais bon, je vous laisse quand même la surprise). Quant au dessin de Franck Biancarelli, il est d'un classicisme de bon ton et serre souvent les personnages au plus près. Le visage de Galfalek me rappelle juste un peu trop celui de Jack Forster (Dock 21) mais je suis certain que ce n'est pas voulu et que j'aurai oublié ce détail dès le prochain album. Si vous avez envie de lire une bonne BD d'aventure, ce « Galfalek » me semble donc tout indiqué.
« Les coulisses du pouvoir, tome 2 : Au service du parti ». Par Delitte et Richelle. Chez Casterman.

Voilà une série qui ne prend pas le lecteur pour un imbécile. Le scénario de ces « coulisses du pouvoir » est intelligent, bien charpenté et nous emmène dans un genre peu exploré par la BD : celui de la politique-fiction. Les protagonistes du premier volume reviennent plus crédibles que jamais, dans cette histoire de coup fourré de premier choix, prenant de l'épaisseur, vivant leurs vies dans ou en marge de l'histoire. Avec l'habituel corollaire de ce genre de situations, qui est une certaine dilution de l'intrigue. C'est vrai, il faut que les personnages ne se contentent pas d'exister par rapport à elle, il faut qu'ils aient une vie propre pour qu'on y croie, pour qu'on puisse s'identifier à eux, épouser leur univers. Mais le risque est grand de finir par ennuyer, ou à tout le moins, de ne pas avancer suffisamment vite dans ce qui doit toujours rester la préoccupation essentielle du scénariste : l'histoire. Et on est pas passé loin dans ce deuxième tome qui apparaît franchement comme un bon album, mais un album de transition. Dommage, car le premier avait justement passé avec succès l'écueil habituel de la mise en place pour offrir une histoire passionnante, pleine de rebondissements et surtout, d'interrogations. Inutile de dire que le lecteur repartira bredouille de sa chasse aux réponses, ce deuxième volume n'en apportant aucune (pas même un début de réponse à la question essentielle : qui a tué Lord Stuart Parkinson et pourquoi ? ) Mais ne voyons pas que le mauvais côté des choses. L'intrigue, même un peu diluée, reste captivante et il y a quelques surprises dans le scénario de ce nouvel album. (exemple : si l'on s'attend à ce que la petite amie de Clive utilise les informations obtenues sur l'oreiller à des fins journalistiques, la réaction de Watson est, elle, plus inattendue, ainsi que la suite des rapports entre la journaliste et Clive) Quant au dessin, aussi précis que minutieux, il sent bon le travail et les fiches photographiques, ce qui donne une touche de crédibilité supplémentaire à l'ouvrage.
Des méduses plein la tête par Thierry Bellefroid
« Des méduses plein la tête » par Pourquié et Pécherot, chez Casterman.

Un brave garçon, finalement, ce Marco. D'accord, il a des méduses plein la tête depuis qu'une amnésie bienvenue l'a empêché de se souvenir de l'endroit où il avait caché le butin du casse pour lequel les flics étaient venus le serrer. D'accord, après six ans de tôle, il flingue plutôt facile et sans scrupule. Mais il a un bon fond. En fait, il a tout de l'imbécile heureux, jusqu'à la nana qu'il trimballe derrière lui en l'affublant d'un prénom qui n'est pas le sien. Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'auteur n'est pas romancier à la Série Noire de Gallimard pour des prunes. Cette course apparemment absurde aux fétiches Arumbayas cache une entourloupe. On la voit venir, mais on s'y précipite tout de même joyeusement, grâce à la verve de Pécherot. Quant au dessinateur, Pourquié, il doit brûler des cierges à Saint Chauzy, le soir, quand il rentre à la maison après avoir livré ses planches. Parce que c'est vrai que le bon Jean-Christophe inspire largement le graphisme et même le choix des couleurs de Pourquié. Mais bon, même si le maître est plus doué, l'élève s'en sort honorablement et le scénariste, lui, glisse des bons mots un peu partout. Ce qui ne sauve pas totalement un album dont le problème essentiel est le rythme. Quelques bonnes idées (notamment celle de Saint Marco, l'ange gardien du héros) mais pas de la grande BD.
Les carnets de Barcelone par Thierry Bellefroid
« Carnets de Barcelone » par Dupuy et Berberian, chez Cornelius.

Quelques mots de cet album sorti il y a plusieurs mois et que j'ai découvert par hasard sur les présentoirs de mon libraire préféré. Ces carnets de Barcelone sont à prendre exactement comme les carnets de voyage de Loustal. Il s'agit d'instantanés, de polaroïds subjectifs, ramenés de la superbe ville espagnole qui ne se résume pas à la Sagrada Familia de Gaudi, contrairement à ce qu'en pensent parfois ceux qui n'y sont jamais allés.

Pas la peine de faire de longs discours. Juste attirer l'attention de ceux qui comme moi vénèrent le graphisme de Dupuy et Berberian afin qu'ils ne ratent pas le plaisir de tourner les pages de ce livre au format italien. L'ambiance des ces carnets est magnifique. Elle trahit un véritable amour des gens et des lieux qui vivent. La plupart des dessins représentent des endroits anonymes : restaurants, cafés, galeries. On y retrouve ce qui a frappé les auteurs, à travers le regard qu'ils posent. On sent que les petites choses de la vie ne leur échappent pas. Qu'une conversation à une terrasse de café est pour eux une source d'inspiration au même titre qu'une place vide en hiver. Ce regard sur les choses, c'est un peu la clé de ce qu'ils font en BD. Une acuité visuelle qui n'est jamais totalement gratuite, jamais seulement esthétique, mais au contraire guidée par une soif de rencontres et de saveurs multicolores. Quant au dessin, il est tout simplement stupéfiant de simplicité et d'efficacité. Le trait s'allonge, s'épaissit, se fait ligne fragile et croque les lumières, les visages, les mille petites choses qui font de chacun de ces dessins un petit tableau. Sur certains, un léger lavis rehausse l'opposition du noir et du blanc, venant ajouter du volume, du relief. On a beau être parfois tout proche du crobard (avec notes originales des auteurs sur le papier), cela reste de l'art, beau, personnel et créatif. Une Barcelone reconstruite et fragmentaire dans laquelle il fait bon se perdre.
Le Décaméron par Thierry Bellefroid
« Le Décaméron, un divertissement d'après Boccace », par Vincent Vanoli. Chez Ego Comme X.

L'air de rien, Vanoli s'installe dans le paysage de la BD avec son graphisme noir et blanc si particulier et ses personnages au nez d'insecte. L'an dernier, il a publié « Le contrôleur de vérité » à L'Association et « Ballade du Péloponèse », une petite histoire en format de poche aux Requins Marteaux. Et voilà qu'il entame 2000 avec ce qui est sans doute son meilleur album, paru chez l'éditeur alternatif d'Angoulême, Ego Comme X. On y retrouve les mêmes ambiances graphiques, adaptées cette fois au XIVème siècle italien, période dans laquelle s'inscrit le Décaméron original de Boccace. Les paysages et l'époque sont proches de ceux de Vasco mais la comparaison s'arrête là. La pousser plus loin serait s'exposer à comparer les mérites de l'autruche et de l'éléphant à la course au motif qu'ils sont tous les deux africains ! Bref, nous voilà dans la campagne toscane, aux heures les plus chaudes du jour, moment choisi par un petit groupe de Florentins (exilés pour cause de peste) pour se raconter des histoires. Et les dix histoires s'enchaînent, traitées différemment par l'auteur qui passe de la narration totalement muette à la BD classique (phylactères et cases en gaufrier) tout en empruntant une multitude de chemins de traverse. Le rythme du découpage est particulièrement intéressant. On peut passer d'une seule case par page (souvent magnifique et évoquant la perspective picturale de l'époque avec un mélange de caricature et de naïveté) à onze vignettes sur la page d'en face (exemple pages 24-25). Cela donne du rythme et dynamise les perspectives. Cela permet aussi à Vincent Vanoli d'exprimer tout son talent dans un noir et blanc qui s'adapte à tous les formats. (la page 24, justement, est un bel exemple de la beauté magistrale des dessins en pleine page ! ) Avec son encrage à la plume très visible, Vanoli fait davantage penser à la gravure ou l'eau-forte qu'à la BD. Mais le mélange des techniques et l'utilisation intelligente de la peinture blanche éclairent ses compositions de l'intérieur. Quant aux histoires, mes préférées sont la troisième et la quatrième. « Une saison au purgatoire » raconte l'enquête menée autour de la soi-disant résurrection d'un certain Ferondo. L'enquêteur et son fidèle disciple pistent l'Archange Gabriel pendant plusieurs mois et n'hésitent pas à lui taper dessus (ils ne sont pas les seuls) pour lui soutirer le fin mot de l'histoire. Et dans le récit suivant, « La chute d'un ange », on assiste à une relecture fort amusante de Roméo et Juliette avec un garçon affublé d'ailes d'ange dans le rôle de Roméo. Une très belle BD réalisée par un dessinateur dont la personnalité hors norme s'affirme avec de plus en plus de talent.
Sans issue par Thierry Bellefroid
« Sans issue » de Robert Crumb, aux éditions Cornélius.

Deuxième volume d'une encyclopédie crumbique entreprise par Cornélius, cet album réunit une vingtaine d'histoires réparties entre les années 67 et 92 (96 pour ce qui est des croquis issus des carnets de l'auteur). Autant dire qu'on couvre un très large spectre qui pourra en déconcerter plus d'un. Mais il ne s'agit ni d'un simple best of, ni d'un hommage vibrant au maître américain. Il s'agit d'un album thématique, explorant à travers divers travaux la vision profondément pessimiste qu'a Robert Crumb de notre monde moderne. On le sait, l'auteur est un grand nostalgique, il est aussi un homme hypersensible, qui préfère s'exprimer par la musique et par le dessin que par la parole. Renfermé, maladivement timide pour ne pas dire agoraphobe, Robert Crumb découvre dans les années de la révolution hippie le pouvoir du LSD... et ses abus. Sa vision du monde en sera changée et surtout, la célébrité viendra à peu près au même moment (vers 1967), avec son cortège de questions existentielles. Cela nous vaut quelques histoires choisies ici qui viennent comme des pièces de puzzle nous éclairer à la fois sur l'un des plus grands auteurs américains et sur une époque, une génération. Comme son nom l'indique, ce « Sans issue » est un album noir, ce qui n'empêche pas l'humour d'affleurer. Mais il recèle quelques moments vraiment exceptionnels, d'autant plus que l'auteur livre (en postface) ses propres commentaires sur les oeuvres retenues. A près de soixante ans, le Grand Prix de la Ville d'Angoulême 99 a encore bien des choses à apprendre à ceux qui n'auront pas peur de s'aventurer dans son monde névrotique.
Testament (Le maître de jeu) par Thierry Bellefroid
« Le maître de jeu, Tome 1 : Testament », par Corbeyran et Charlet, chez Delcourt.

Fort du succès du « Chant des Stryge », Eric Corbeyran élargit le spectre de l'univers qu'il y a créé en menant de front cette deuxième série parlant de stryges. On ne peut que l'en féliciter. Ce premier album, bien que handicapé par une nécessaire mise en place des personnages et de l'intrigue, augure de fort bons moments à venir. Le dessinateur, Grégory Charlet, Français du Nord qui a étudié les Beaux-Arts à Tournai (Belgique) publie à vingt-six ans sa toute première BD. Et franchement, on peut dire qu'il a du talent, surtout dans les décors et le découpage qui sont tout simplement excellents. Ses ambiances très sombres, très mystérieuses, tranchent avec des personnages aux visages un rien naïf, qui rappellent parfois ceux de Berlion (un autre complice de Corbeyran) ou un certain traitement à la Berthet. Le tout est parcouru par un constant souci de réalisme. Voilà un dessinateur que Corbeyran a bien fait d'aller dénicher avant que d'autres s'y intéressent !

L'histoire, elle, nous entraîne dans un monde dont on parle beaucoup sans jamais faire que l'effleurer, celui des jeux de rôles. Pour la première fois, me semble-t-il, un scénariste s'attaque à l'univers des rôlistes à part entière. C'est original, ça promet d'être passionnant, car le travail sur les personnages et leur psychologie sera déterminant. Et, on le sait, de nombreux lecteurs de BD sont des fans de jeux de rôles, ce qui devrait très vite permettre à cette BD de trouver son public. L'autre histoire racontée en parallèle est celle d'un jeune adolescent hémiplégique, Quentin, qui après avoir vu des stryges en rêve retrouve leur trace dans un vieux carnet de bord datant de 1869. On comprend très vite que l'expérience menée sur une île par Kyle Mac Allister et son équipe de rôlistes et celle vécue plus d'un siècle plus tôt par un certain Maître Lacombe vont se rejoindre. Mais pour l'instant, ce récit n'en est qu'aux prémices. Tous les ingrédients sont là pour que la sauce prenne. On n'attend plus que la suite pour savoir si tout le bien qu'on en pense est fondé.
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