Lire un livre de Marjane Satrapi est toujours un plaisir. Mais « Broderies » est spécial à plus d’un titre. D’abord, il ne s’agit pas d’une histoire classique avec une intrigue, un début et une fin, mais plutôt de différentes conversations à bâtons rompus de femmes Iraniennes. Ensuite, il y a le sujet. De quoi les femmes Iraniennes parlent-elles quand elles sont entre elles ? De leur vie, des hommes, d’amour, de sexe, de la beauté de leur nez, seins ou fesses, de relations de pouvoir avec leur époux, leur amant, leurs parents, etc. En soi, ce sujet est déjà rare en BD (même s’il est en train de se développer rapidement). Mais dans un contexte Iranien, c’est encore plus intéressant, car ca ouvre une fenêtre sur un monde que l’on connaît peu, et sur lequel on a beaucoup trop de préjugés. Et il est certain qu’en refermant le livre, le lecteur aura une toute autre vision de ce que veut dire être femme en Iran – loin des clichés de la femme impuissante, cloîtrée, humiliée, exploitée. Les femmes dessinées par Satrapi représentent différentes histoires, différentes personnalités, et brossent le tableau d’une certaine diversité de situations. Le titre, « Broderies », est parfaitement choisi et peut se comprendre à plusieurs niveaux, faisant à la fois référence à ce qu’on pourrait décrire comme une mutilation génitale féminine, et au fait que le livre brode sur les relations hommes-femmes, avec un fil conducteur bien solide et très efficace (la transition entre les différents épisodes du livre est impeccable). Enfin, broderies n’est pas une BD classique, avec des cases bien formatées. Ici, chaque page est en quelque sorte une case gigantesque, dans laquelle les protagonistes interagissent et discutent. Il y a une recherche graphique très intéressante afin d’animer et de donner vie à d’immobiles conversations de salon – ce qui marche très bien. Bref, un livre intelligent, drôle, intéressant, qui divertit autant qu’il fait réfléchir. A ne pas manquer!