Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

« Le vaste monde », Le retour à la terre 3, de Jean-Yves Ferri et Manu Larcenet. Dargaud, Collection Poisson pilote.

La BD, c'est un peu comme la mayonnaise, la recette ne suffit pas. Il y a aussi la qualité des composantes, le coup de main, et parfois un petit quelque chose en plus. De « Pauvre Lampil » au « Gang Mazda », la recette - les auteurs mettent leur propre vie en scène avec une bonne dose d'autodérision - est largement éprouvée. Mais la lecture de ce troisième tome du « Retour à la terre » (et même des deux premiers) impose l'évidence : Ferri et Larcenet ont du coup de main à revendre, et le petit quelque chose en plus qui déborde des pages. Les gags du « Vaste monde » sont tout à la fois et souriants et absurdes, décalés et touchants, saine alliance de caricature rurale et de non-sens urbain. Les deux auteurs relatent par le menu les états d'âmes de Manu Larssinet au long de sa (douloureuse) mue de rat des villes lambda en citoyen des Ravenelles, d'handicapé de la paternité en géniteur ébloui, de guitariste tendance punk en émule de Francis Cabrel. Ferri et Larcenet font oeuvre de magiciens, transformant le moindre cliché en petit moment de bonheur. Leur truc ? Le talent et l'amitié. Mais aussi et surtout une véritable tendresse pour leurs personnages. Karoutcho.
Stella (Anamorphose) par Philippe Belhache
« Stella », Anamorphose 1, chez Dargaud - Collection Fictions.

Une héroïne amnésique se découvre des talents de combattante hors-pair, part à la recherche de son identité, et se retrouve de fait au centre d'un vaste complot. Le postulat de base de cette première « Anamorphose » tient plus du XIII génétiquement modifié que de la Guerre des Etoiles. C'est pourtant dans l'univers codifié du Space Opéra que Froideval et Francard ont choisi de développer leur nouvelle série. Les deux complices de « Fatum » jouent la carte de l'aventure classique relookée technologique pour une intrigue basée sur l'humour et l'action. Le résultat n'est malheureusement pas au niveau de l'attente. « Stella » voit défiler des personnages certes pittoresques, mais sans âme, posés là pour les besoins de l'histoire sans réelle crédibilité. Une sorte de mise en scène pour jeux de rôles, par ailleurs autre grande spécialité de Froideval. Francard met tout son savoir-faire dans la création graphique de cet univers, mais son approche souffre de la référence Aquablue. Le découpage, en outre, laisse parfois songeur, alternant planches très segmentées et pleines pages pas toujours utiles. Bref, malgré le physique avenant et les dessous affriolants de l'accorte héroïne (on n'est pas de bois), « Stella » laisse glisser l'oeil sans le retenir. On ne peut qu'espérer un développement plus original pour l'avenir. Après tout, le titre encore non-explicité de la série, « Anamorphose », laisse une bonne marge aux auteurs. A condition qu'à sa prochaine connexion à cet ordinateur central si bien renseigné, Stella se risque au moins à un petit « Qui suis-je ? »... Pour inconditionnels.
Un western dans la poche par Philippe Belhache
« Un western dans la poche », de Miras. Chez Caravelle, collection Urbaine.

Voilà quelques années qu'on nous annonce le renouveau du western en BD. Ce genre tombé en désuétude connaît pourtant ponctuellement quelques belles pages. Ce « Western dans la poche » est à placer dans la liste des bonnes surprises. L'éditeur Caravelle tend même à placer Miras dans la succession d'Hermann. Nous n'irons pas jusque là. Malgré les évidentes qualités graphiques de l'album, notamment dans son découpage, difficile de soutenir une comparaison avec le maître Huppen. Si l'on devait retenir une parenté avec « Comanche », ce serait plutôt dans l'esprit, dans la mise en scène de ces anti-héros qui étaient la marque de fabrique du Greg des grandes heures. Stan Reader (le bien nommé), débarque un beau matin dans un village du Ploucland américain avec en poche un ouvrage sur la véritable histoire des hors-la loi, et dans son sillage trois cadavres de repris de justice. L'homme réclame sa prime, mais comprend qu'il n'est pas bienvenu par la population. Reste à savoir pourquoi. Reader se retrouve alors coincé sur place entre une brochette de faux-derches, un shérif gentiment alcoolo, une mamie flingueuse et son rejeton hystérique, un Teuton dandy, un curieux pasteur et sa charmante pupille... Le tout n'est pas toujours convaincant mais se laisse lire sans déplaisir, avec un dénouement énigmatique façon Pulp Fiction (Ha ! La mallette de Marcellus Wallace !) Presque un appel à une suite, n'eut été la vocation de « one shot » de l'album.
Il faut tuer José Bové par Philippe Belhache
« Il faut tuer José Bové », de Jul. chez Albin Michel.

Un titre choc, un graphisme avec un air de déjà-vu et un éditeur qui a fait ses preuves en la matière. Jul prend ses marques dans un créneau tenu haut la main par Pétillon. Ce jeune dessinateur de presse multicartes, qui a posé ses valises en 1999 à Charlie Hebdo, vise assez haut avec ce qui est annoncé comme la première alter-BD de l'histoire. Le résultat ? Un joyeux foutoir au sein duquel se côtoient allègrement José Bové, Raël ou Albert Jacquard, sur un scénario qui oppose les multinationales aux « forces altermondialistes ». L'argument ? José Bové refuse de vendre son image à un grand fabriquant de jouets, qui se retrouve ainsi avec 800.000 poupées sur les reins et le couteau sur la gorge. L'option ? Supprimer Bové. De quoi frapper très fort. Jul ne s'en prive pas, fait feu de tous bois, n'épargne rien ni personne. Reste que l'album ressemble à un de ces longs-métrages où des stars du café-théâtre enchaînent les sketches devant la caméra sans parvenir à en faire un film. « Il faut tuer José Bové » est à cette image, bourré de (très) bonnes idées que ne renieraient pas Charlie Hebdo ou le Canard, gags en rafale alignés comme à la parade, au détriment d'une vue d'ensemble. N'est pas Pétillon qui veut. Mais ce n'est pas tombé bien loin...
« Passage de blaireaux », Parker et Badger 3, de Marc Cuarado. chez Dupuis.

Un futur classique ? La question était posée lors de la parution du premier album, elle est toujours d'actualité. Les aventures de Parker, grand dadais fringué rapper total cool et de Badger, blaireau qui ne veut pas qu'on dise qu'il est un blaireau de peur qu'on le traite de blaireau (sans respirer) tiennent toujours aussi bien la route. Cuadrado tient bon le rythme pour les aventures de ces deux copains embarqués dans la même dèche, qui multiplient les gaffes au même rythme qu'ils perdent leurs petits boulots. C'est frais et actuel, l'auteur vise juste et touche souvent. Personne ne s'y est trompé, le duo s'échappe régulièrement de l'environnement Spirou pour envahir les pages plus people des revues ménagères. Une (sur)exposition qui lui vaut en retour une mise en place d'albums des plus conséquentes. Rien à dire quand c'est mérité. Une excellente alternative à un quarante-douzième album de Léonard.
« On va leur mettre les poings sur les yeux » Les Rugbymen 1, de Beka et Poupard. Bamboo.

On ne va pas cracher dans la soupe, j'ai souri. J'ai souri comme on sourit volontiers des Pompiers - Gendarmes - Profs - Fonctionnaires - Toubibs (rayez les mentions inutiles), de ces monuments de caricature qui forment depuis quelques années le fonds de commerce de Bamboo. Car c'est bien de caricature qu'il s'agit. Et les ficelles utilisées sont plutôt du format corde de concours pour rencontre de force basque. Les rugbymen mis en scène par le duo Beka - et plutôt bien servis par Poupard au dessin - bénéficient d'un QI de 150 (mais à XV), sont plus ripailleurs et bagarreurs que les Gaulois du village d'Astérix et affichent un penchant plutôt marqué pour la gnôle et la drague. C'est si gros qu'on peine à y croire, surtout lorsqu'on a croisé (comme moi) un international de rugby sur une scène de théâtre chantant le rôle d'Ajax dans la Belle Hélène. Mais il faut bien avouer que dans certaines communes rurales de l'Ovalie, et même au cours de certaines troisièmes mi-temps... Hébé on n'est pas si loin du compte. Bref, les amateurs feront le tri, entre grosse farce et scènes vécues. D'autres enfin auront la nostalgie des Rubipèdes de Michel Itturia. Mais il est vrai qu'en la matière, mon niveau d'objectivité est plutôt proche de zéro...
Transports amoureux (Salvatore) par Philippe Belhache
« Transports amoureux », Salvatore 1, par Nicolas de Crécy. Dupuis, collection Expresso.

Nicolas de Crécy a déjà surpris son monde en prenant pied chez l'éditeur de Marcinelle avec un album expérimental muet, «Prosopopus ». La collection Expresso n'étant pas Aire Libre, qu'attendre de cette nouvelle collaboration ? Du De Crécy light ? Il n'en est rien. Certes, l'auteur offre un opus plus lisible pour le profane, histoire presque lumineuse servie par une palette considérablement éclaircie. Mais c'est là la démarche d'un auteur pleinement conscient de ses moyens pour toucher un public plus large. De Crécy porte sur ce chien aussi misanthrope que doué en mécanique, obsédé par la recherche de son grand amour, un regard décalé et plein de tendresse. Le scénario exploite les petites fêlures de la vie comme autant de ressorts narratifs. On se laisse prendre par la rythmique particulière du récit. Une rythmique qui évoque fatalement celle du « Fabuleux destin d'Amélie Poulain », jusqu'à entendre le phrasé si particulier de la voix off d'André Dussolier en tournant les pages. Mais l'analogie ne nuit en rien, au contraire. Elle sert même cet album fort d'une poésie épicée d'humour noir qui porte sans conteste la griffe de l'auteur.
Voleurs de chien par Philippe Belhache
« Voleurs de chien », d'Artur Laperla. Paquet, collection Blandice.

« Voleurs de chiens » est un objet intrigant, une production composite à la saveur assez surprenante. Au fil de la lecture, on se sent tiraillé entre polar noir déjanté et parodie burlesque, sans savoir de quel côté oscille le scenario. La trame ? Un braqueur fraîchement largué par une compagne elle-même de la partie, accepte la propositioin d'un ancien complice affligé d'un complexe d'infériorité canon, d'enlever... le chien d'un parrain mafieux. Ce duo de bras cassés se voit plus ou moins contraint de suivre la trame d'un roman écrit par le chauffeur du chien en question, neveu d'escroc et écrivain raté qui pense faire fortune plus vite en mettant en scène son scénario. Une démarche à la Elmore Léonard qui emporte l'adhésion, même si le dessin peine parfois à en soutenir le souffle. On se plaît à penser à « Voleurs de chien » doté d'un graphisme moins rond, plus nerveux. Mais Laperla compense en usant d'un découpage très cinématographique. Et assume totalement la vocation parodique de l'ensemble. Bref, le tout tient malgré tout très bien la route. Intrigant, on vous dit...
« Essence », Les extravagantes enquêtes d'Otto et Watson, par Krystof Gawronkiewicz et Grzegorz Janusz. Glénat.

Sous le soleil du manga, la BD européenne est-elle encore capable de surprendre ? A la lecture des confondantes aventures du détective Otto, grand spécialiste de la récupération d'objets tombés dans les toilettes, et de son compagnon le rat Watson, la question ne se pose même plus. Le concours européen de bande dessinée organisé par Glénat et la chaîne de télévision Arte a permis aux partenaires de mettre au jour un petit bijou d'humour brut. Et le duo Gawronkiewicz - Janusz place la barre très haut. Une Pologne poétique et déglinguée sert de cadre aux pérégrinations d'Otto, enquêteur à la petite semaine flanqué d'un rat plus doué que lui, sur les traces de son ami l'Apothicaire. Ce dernier, prix Nobel de chimie et de littérature, privé de ses yeux et de ses mains, est devenu célèbre pour avoir élaboré un procédé permettant de produire des livres sous forme... liquide. Mais sa dernière trouvaille lui a coûté la vie. Otto remonte une piste jonchée de cadavres, une quête de l'absolu que seul un handicapé de la vie comme lui pouvait mener. Original et roboratif. A consommer cul sec, et sans modération.



« Impondérables », Propos irresponsables 3, de Binet. Fluide Glacial

Rien à dire. Même en marge de l'univers franchouillard des Bidochons, succès tel que le terme est passé dans le langage courant, Binet reste Binet, ce peintre des petites bassesses de la vie quotidienne qui arrive à nous faire rire des malheurs des autres en les enveloppant de son regard décalé et de cet humour particulier qui lui sont propres. L'album aligne des saynètes dont le contenu pourrait facilement tomber dans la carricature pure et dure - notamment le contrôle fiscal du boulanger. Mais Binet sait en jouer pour mieux en détourner les codes. On rit, mais on rit souvent jaune du destin de ces personnages ordinaires pétris d'humanité, qui perdent tout sous nos yeux, victimes « d'impondérables » certes burlesques, mais pas vraiment improbables. On rit jaune car il ne s'agit pas d'archétypes style Robert et Raymonde, mais de gens comme comme vous et moi, connaissances ou voisins, aux traits à peine forcés, tellement vrais qu'on se demande s'ils sont vraiment inventés. Bref, du très bon Binet. Pour paraphraser les personnages, « avec notre bol, il n'y aura que 45 planches... »
Ne touchez à rien par Philippe Belhache
« Ne touchez à rien », de Bezian & Simsolo, Albin Michel

Il faut parfois forcer le barrage d'une couverture pour découvrir un trésor de BD. Non que celle de « Ne touchez à rien » soit ratée, elle est au contraire le meilleur des guides au milieu de ces quatre-vingt seize pages de petit bonheur. Mais ses couleurs sombres, sa construction frontale, pourraient rebuter le néophyte. Ce serait manquer cette histoire de fantômes très particulière, très loin des clichés habituels. L'argument ? Une vielle maison bordelaise est mise en vente avec une condition particulière : il ne faut toucher à rien. D'autant que les anciens propriétaires se sont fait... empailler et trônent dans la véranda. Ecrivain, essayiste spécialiste du cinéma, scénariste et metteur en scène radiophonique, rôdé aussi bien au polar noir qu'aux expériences de feuilleton déconnant avec Didier Daeninckx, Noël Simsolo a cédé pour cette expérience en BD à son goût des ambiances façon Edgar Allan Poe ou Jean Ray. Il adapte son récit en cinq chapitres tournant chaque fois autour du changement de propriétaire. Cinq chapitres liés entre eux, obéissant aux mêmes codes mais jamais identiques, s'enchaînant sans lassitude. Frédéric Bezian a fait siennes ces atmosphères nocturnes. Son graphisme nerveux s'empare du texte de Simsolo pour distiller la peur, restituer l'angoisse, pour parler de vivants déjà morts et de morts plus vivants qu'eux. La couleur minimale vient souligner des visages livides, se marier avec les coins d'ombre pour mieux distiller le frisson dans le dos qui va bien. Une petite perle noire.
Playback par Philippe Belhache
« Playback » de Ted Benoît et François Ayroles d'après Raymond Chandler (Denoël Graphic)

Maudits partis pris ! La couverture ouvertement « pulp » de « Playback » fait irrésistiblement penser à un de ces trips nostalgie que s'autorisent parfois auteurs et/ou éditeurs en mal d'inspiration. L'esprit pétri de jeunisme, on entre dans l'album avec la même condescendance amusée qu'au moment de visionner un vieux Marlowe au ciné-club. On en ressort avec la même sensation d'avoir vu quelque chose de fort, à la fois carré et subtil. « Playback » est à l'origine un scénario de film écrit par Raymond Chandler, jamais sorti en salles. Que Ted Benoît se soit laissé tenter par une adaptation n'a en soi rien d'étonnant. Cet ancien de l'IDHEC est un passionné de l'âge d'or hollywoodien. Il a véritablement fait oeuvre de metteur en scène, en adaptant le texte à son nouveau support, mais aussi en cédant la partie graphique à un dessinateur au trait bien plus torturé et sombre que le sien. François Ayroles se joue des codes des films des années 40 et 50, imposant sa lumière, croquant de véritables gueules de cinéma, galerie de portraits allant du jeune premier aux secondes lattes, en passant par les femmes, forcément fatales. Des silhouettes brutes de décoffrage mais non dénuées d'élégance dans un Vancouver presque rêvé. Du pain béni pour cet artiste, dont le trait très noir apporte un supplément de densité à l'histoire, destin d'une femme brisée, faussement indifférente et blasée, qui atterrit dans un palace à Vancouver en fuyant son passé... Et si c'était simplement une (très) bonne BD ?
« Elites secrètes », Les corsaires d'Alcibiade 1, de Liberge et Filippi. Dupuis, collection Empreintes.

Voilà une série qui fleure bon son Jules Verne, par l'esprit sinon par la trame. Dans ce premier tome, Filippi met en scène un groupe de jeunes gens aux capacités reconnues dans leurs disciplines respectives, testés pour être recrutés par une société secrète travaillant dans le plus grand secret pour la couronne britannique. Ces adolescents d'origines diverses, liés plus par la nécessité et par le goût de l'aventure que par affinités personnelles, sont mis en scène dans un univers steampunk XIXe qui n'est pas sans rappeler les grandes heures du Nautilus. Voilà pour le cadre, qui laisse augurer du meilleur. Le reste est malgré tout un peu confus. Denis-Pierre Filippi met en scène ses personnages comme on le ferait dans un jeu de rôle, les définissant par leurs spécialités respectives - deux cerveaux, une femme d'action, un voleur et un séducteur - tentant de leur donner un caractère à défaut d'une âme ou d'une histoire. Dans ce qui reste fatalement un épisode de mise en place, il peine à rendre attachants la bagatelle de cinq premiers rôles. Il tricote là dessus une trame alambiquée, au sein de laquelle le lecteur a tendance à se perdre faute de repères solides. Le graphisme original de Liberge soutient bien l'histoire, confirmant le potentiel de la série même s'il souffre parfois dans son découpage. Prometteur, mais pas (encore) convaincant.
« Une affaire de sorciers », Mongo le Magnifique 1, de Bollée et Mason d'après l'oeuvre de George Chesbro. Emmanuel Proust Editions, collection Noir Quadri.

On a coutume de dire qu'un bon roman ne fait pas forcément un bon film, a fortiori une bonne BD. Il est d'autant plus agréable de voir Bolée faire mentir l'adage avec cette adaptation intelligente de l'oeuvre de Chesbro. L'homme s'est véritablement emparé du personnage fétiche de l'écrivain américain, il est vrai très bédégénique : un nain doté d'un QI de 156, ancien acrobate de cirque devenu criminologue, professeur d'université et détective privé à ses heures. Dans ce premier volume, Bolée nous fait entrer de plain-pied dans le mental tourmenté de Robert Fréderickson, alias Mongo le Magnifique, impliqué malgré lui dans une affaire de meurtre dans le milieu (bien glauque) de l'occultisme. Un univers dominé par les longs monologues intérieurs de Mongo, dosés pour installer l'ambiance sans pour autant surcharger la lecture. Roger Mason développe dans cette adaptation un graphisme faussement sage et classique, tout en adoptant les codes d'un Franck Miller dont il semble avoir hérité de la noirceur. Il excelle notamment dans les atmosphères urbaines, rendant ces personnages de polar à leur vocation de rats des villes. On en vient presque à se demander si la couleur était indispensable.
Playground (Lincoln) par Philippe Belhache
"Playground", Lincoln 3, par Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray. chez Paquet.

Les frères Jouvray poursuivent leur exploration de l'univers plutôt déjanté de leur cow-boy « tête de bois » en l'opposant cette fois au Diable. Ce dernier jouait les guest stars dans Indian Tonic, il emmène aujourd'hui le héros (mais le terme est-il adéquat ?) sur ce qu'il considère comme son terrain de jeu personnel, autrement dit New-York. Policiers et politiciens ne semblent guère y être plus fréquentables que la racaille des bas-fonds. La Grosse Pomme des débuts du siècle dernier (le XXe) semble donc avoir tous les atouts pour faire pencher Lincoln du côté obscur de la force. Lequel Lincoln se montre aussi imperméable à la dialectique infernale qu'il l'avait été au discours divin... Plus linéaire dans son déroulement que le précédent album, ce troisième opus n'en reste pas moins réjouissant à découvrir. Le principe adopté par Olivier Jouvray est de balader le lecteur, Lincoln n'allant jamais là où on l'attend. Son frère Jérôme reste fidèle à lui-même, se plaisant à mettre en scène de vraies tronches de BD dans un univers peuplé d'allumés. Bref, du très bel ouvrage. Il n'y manque finalement qu'un petit rappel des règles du jeu, pour ceux qui prennent le train en route : Lincoln a été rendu immortel par Dieu, lequel a pris le pari de lui faire connaître un jour le bonheur. Vu les raclées encaissées par le bonhomme, cet éclairage n'est pas inutile.
Leonora par Philippe Belhache
« Léonora », de Pauline Martin et David B., Denoël Graphics

Que pouvait-on attendre de ces deux grands spécialistes de l'introspection et de la bande dessinée autobiographique que sont David B. et Pauline Martin ? Léonora en surprendra plus d'un par son ton faussement léger et sa trame tout aussi faussement naïve. En choisissant le conte médiéval post-table ronde, les auteurs se donnent les moyens de styliser tant la trame que le graphisme pour mettre en avant les aspects symboliques de l'histoire. Jeune fille de noble extraction, Léonora cherche l'oubli de soi dans les romans de chevalerie. Elle décide de reprendre la quête du Graal - la quête initiatique par excellence - abandonnée par les hommes. Ses rencontres l'amènent inéluctablement à évoluer. Elle se heurte à sa condition de femme, doit assumer l'héritage d'un père nobliau tyrannique, fait l'apprentissage de la mort, traverse un monde en pleine mutation où la magie et le rêve laissant place à une réalité plus sordide. Mais surtout, elle ouvre les yeux sur la vie, réalisant que la quête du Graal n'est jamais que la quête de soi-même. Peut-être aussi, en la personne de Pietro l'Hésitant, la quête de l'âme sœur ? David B., en grand spécialiste de la catharsis, prend de la distance pour parler du dépassement de soi, de la réalisation des rêves. Sans doute, y a-t-il un peu de lui-même dans ce Loup de Gubbio, sauvage parmi les sauvages, touché par la grâce de par sa rencontre avec Saint-François d'Assise, qui guide Léonora sur la voie de l'accomplissement personnel ? Qui sait ? Un album subtil et intellectuel, au sens noble du terme.
« La reine des Amazones », Le dernier Troyen 2, de Thierry Démarez et Valérie Mangin. Soleil.

Valérie Mangin poursuit son oeuvre dans ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui les « Chroniques de l'antiquité galactique ». Certains admirateurs du « Fléau des Dieux » ont tordu le nez devant « Le dernier Troyen », trouvant l'action plus convenue, les personnages trop posés. C'est faire un mauvais procès à cette série, à découvrir pour ses qualités propres. Il est inutile de vouloir à tout prix retrouver dans ce spin-off le lyrisme barbare de la série-mère. En adoptant un ton volontairement plus lent, l'historienne et scénariste a souhaité placer son récit dans le cadre spécifique du théâtre antique, cette libre adaptation de l'Enéide et de l'Odyssée étant contée par un Virgile galactique « poète et non scientifique ». Mais surtout, avec ce deuxième tome, Mangin se met enfin à l'aise avec son récit, disposant des icônes de l'Antiquité grecque selon son bon plaisir. Enée reste un héros positif encore un peu monolithique, mais après tout, ce sont les Romains qui racontent, et les vainqueurs font l'histoire. La personnalité d'Ulysse et l'univers des Amazones, par contre, semblent fasciner la scénariste, qui fait tourner son travail de (science) fiction historique déjà remarquable autour du thème de l'identité sexuelle. Une belle idée permettant d'aborder des tabous que les Grecs de l'Antiquité non galactique ne s'imposaient pas. Thierry Démarez excelle dans la mise en place d'un univers au sein duquel il se sent visiblement déjà plus à l'aise. Là encore, il serait vain de jouer le jeu des comparaisons avec Gajic. Libéré des éléments les plus contraignants de l'iconographie antique - le cheval de Troie, même transformé en pièce d'échec... - il prend visiblement plaisir à explorer de nouveaux mondes et à mettre en scène des interventions divines des plus spectaculaires, la couverture fait foi. Loin du principe d'incarnation développé dans le Fléau, le Dernier Troyen se plaît en effet à décrire les querelles des locataires de l'Olympe en temps qu'entités supérieures. Mais comme il est dit et redit, nous sommes dans le récit romancé d'un Virgile visiblement très inspiré.
« L'impact », La métaphore du papillon 1, de Pernoud et Toshy. Soleil, collection Grand Angle.

« Le battement des ailes d'un papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ? » La théorie du chaos énoncée par Edward Lorenz en 1972, le fameux « Effet papillon » stipule que chaque action - même la plus anodine - peut avoir à long terme des conséquences colossales. Christophe Pernoud place cet axiome au centre d'un thriller scientifique. Le principe ? La cyndinique - science statistique d'évaluation du risque - est poussée à son paroxysme par un groupe de scientifiques aux buts encore obscurs. Elle lui permet de prévoir toutes sortes d'évènements avec d'infimes marges d'erreur. La tentation est forte d'influer sur le futur supposé, voire d'en diriger le déroulement... Toutes proportions gardées, le postulat de base n'est pas sans rappeler ce monument de science fiction qu'est le cycle de Fondation. Mais là où la « psychohistoire » d'Isaac Asimov permettait d'anticiper l'avenir de l'univers par l'interprétation des phénomènes de masses, le procédé germé de l'imagination de Pernoud donne au démiurge en puissance qu'est Hunter les moyens de prédire des faits d'actualité on ne peut plus précis. Un don de voyance statistique dont la précision extrême peut laisser dubitatif. Mais soit, la fiction a ses règles. Une fois admise cette base incontournable, les développements du scénario ne sont pas inintéressants. Notamment le sort réservé à Chriss Michalska, « papillon » malgré lui désigné par le plus pur des hasards (un échange de palm), qu'Hunter entreprend de conditionner pour ses besoins propres, jusqu'à programmer un meurtre... Reste un album hybride, qui cherche son rythme entre scènes d'action et dialogues de laboratoire indispensables à la mise en place de l'intrigue. Toshy lui-même semble chercher sa place dans ce polar peuplé de gens ordinaires. Loin de l'univers monochrome de son « Chien de Minuit », il peine à trouver ses marques, à accréditer une violence plus psychologique que réellement physique, comme contrarié par le passage à la couleur. Le développement de ce concept original laisse malgré tout aux deux auteurs une large marge de progression.
Torture blanche par Philippe Belhache
« Torture blanche », de Philippe Squarzoni. Les Requins marteaux.

Dans une production largement dominée par la fiction, trop peu de place étant réservée au documentaire, « Torture blanche » est un véritable souffle d'air pur. Philippe Squarzoni se définit d'entrée comme un auteur militant, ardent défenseur du courant altermondialiste. Mais surtout, ce jeune auteur - 33 ans au compteur - se pose en témoin. « Torture blanche », réalisé en résidence à la Maison des auteurs d'Angoulême, traduit sa vision du conflit israélo-palestinien, suite à un séjour au Moyen-Orient en novembre 2002. Une vision d'un peuple traumatisé par des années de conflit, ostracisé par l'état d'Israël ; du quotidien d'une nation étouffée, au bord de l'asphyxie. Cet ouvrage engagé tente de mettre en lumière les sources du conflit, dénonçant un travail de sape des Israéliens et l'indifférence coupable des nations occidentales. Le titre fait ouvertement référence à la torture psychologique, à la peur au quotidien liée au couvre-feu, au contrôle répressif exercé par une population sur une autre. Il témoigne de la détresse d'un peuple, non de ses dirigeants. Squarzoni se défie tout autant de la personnalité ambiguë de Yasser Arafat (le recueil est sorti juste avant le décès du leader de l'OLP) que de celle d'Ariel Sharon, et condamne vigoureusement un terrorisme qui entretient la spirale de la violence, en alimentant les intégrismes. L'auteur de « Garduno en temps de paix » et « Zapata en temps de guerre » sert son propos en usant d'un montage original inspiré de documentaires filmés. Il intègre à l'instar de Guibert des clichés d'actualité dans sa trame narrative, ainsi que le témoignage de militants côtoyés sur place. Il assure l'homogénéité de l'ensemble en travaillant directement à partir de photos. L'austérité du traitement sert l'intelligence du propos, décryptage d'une situation complexe dont les médias - victimes de la culture de l'événementiel - ne rendent souvent qu'une image partielle.
« Nos clients les tyrans », Vacances virtuelles 1, par Sassine et Derien. Bamboo, collection Angle Fantasy.

Un nouvel album fantasy ? Pas tout à fait. « Vacances virtuelles » mérite que l'on aille plus loin, au-delà d'une couverture essentiellement destinée à valider l'idée d'un manga à l'Européenne. Certes, Sassine affectionne la coupe de cheveux « super saiyen », et se donne beaucoup de mal pour donner de la pêche à ses pages. Mais il sait également intégrer d'autres influences pour mettre en valeur un concept jouant à fond la carte du décalage et de la dérision. Dans un futur (très, très) éloigné, Preston Snoop, chasseur de primes ombrageux, un rien bourrin et obsédé à ses heures, accepte une offre d'emploi de la société Dream Team. Son boulot ? Contrôler les débordements éventuels des clients de Happy Jenny, pourvoyeuse professionnelle d'univers virtuels. Surfant à sa manière sur la vague Matrix, Derrien tricote une trame plaisante, joyeuseté sans prise de tête et très premier degré. Il s'amuse visiblement d'un héros contraint de se balader le doigt dans le nez pour communiquer avec son employeur et de se gratter l'aisselle pour accéder à la fonction « pause ». Sans doute le graphisme mériterait-il d'être parfois plus posé, et le contraste entre les différents univers visités un peu mieux marqué. Mais passée une première impression de clip « tout fou », l'album gagne à une seconde lecture. D'autant qu'il assume complètement sa vocation parodique.
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