Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

Century Club (W.E.S.T.) par Philippe Belhache
« Century Club », W.E.S.T 2, de Rossi, Dorison et Nury. Dargaud.

La seconde partie de ce (premier) diptyque aujourd'hui renommé « Cycle de 1901 » était attendue avec impatience. Le premier tome de WEST concocté par deux spécialistes du scénario musclé mêlant l'Histoire à l'occultisme (« Le troisième Testament » pour l'un, « Je suis légion » pour l'autre) « La chute de Babylone » s'est rapidement fait une réputation d'album « couillu », lancement d'une série coup de poing n'évitant pas une violence crue, servie par le graphisme d'un Rossi peut-être plus sage qu'à son habitude, mais terriblement efficace. La suite ne déçoit pas, malgré quelques réserves. Dorison et Nury maîtrisent si intimement leur sujet, l'enchaînement des différences séquences, qu'ils en oublient parfois le lecteur en route, lequel peine parfois à en reconstituer les arcanes. Qu'importe, l'action l'emporte, dans un scénario qui ne manque pas de qualités. La première d'entre elles étant de mêler intimement l'histoire et l'Histoire, en offrant une version très personnelle d'un épisode bien réel, l'assassinat du président des Etats-Unis McKinley lors de l'exposition panaméricaine de 1901. La seconde étant d'y placer un avatar du célèbre Aleister Crowley, personnage tout aussi réel, bien qu'officiellement disparu en 1947. Le tout tient solidement sur la base de la personnalité atypique (sociopathe suicidaire) de Morton Chapel et sur quelques personnalités fortes de son commando Caïman version western 1901, lequel sort peut-être un peu trop miraculeusement indemne de l'aventure. Greg lui-même s'était montré moins économe de ses personnages.
M pour anarchie (Koblenz) par Philippe Belhache
« M pour Anarchie », Koblenz 4, de Thierry Robin. Delcourt, collection Conquistador.

Assisterait-on à une renaissance ? Poursuivant après trois ans d'absence les aventures de l'énigmatique Koblenz, Thierry Robin reprend pied dans un genre que l'on réduit un peu trop souvent à l'oeuvre d'Andréas, fantastique hérité des oeuvres de H.P. Lovecraft, Edgar Allan Poe ou même Jean Ray. Robin ressuscite littéralement Koblenz en reposant les bases de sa mythologie personnelle. Il lui trouve même un Olrik en puissance, en la personne de « M », ancien condisciple versé dans le crime, dont le nom-initiale est un hommage ouvert à l'ignoble Mabuse. Un « M » dont ont retrouve la préfiguration dans le Docteur Méchant du Petit Père Noël. Au-delà, Thierry Robin fait oeuvre engagée, se fendant d'une diatribe contre un usage dévoyé de la politique et des idéaux. Clara Lemke, véritable héroïne de l'album, se voit contrainte d'infiltrer le milieu anarchiste berlinois pour sauver un Koblenz mourant. Elle intègre ainsi un groupe composite, formé de pères de famille s'abritant derrière la cause pour assouvir leurs pulsions, de militants cyniques dotés d'un reste de conscience ou de simples criminels se servant de l'organisation pour acquérir pouvoir et fortune. Robin malmène avec rudesse son personnage, qu'il contraint à aller jusqu'au bout d'actes qu'elle réprouve au nom de son amour pour Koblenz. Au final, « M pour anarchie » s'avère un album riche et dense, mais malheureusement inachevé, le final ouvrant à une (ou plusieurs) suite(s). Ce quatrième tome est aussi un véritable régal pour les yeux. Robin s'est fait visiblement plaisir, chahutant le découpage, se jouant des cases en fonction de l'environnement, intégrant dans son graphisme le fruit de ses expériences les plus récentes. Il y donne également libre cours à son amour de l'architecture en général et de l'Art Nouveau en particulier. Une architecture qu'il traite comme un personnage à part entière, tour à tour menaçante ou déroutante, libre ou torturée. Une série à (re)découvrir.
La fenêtre fantôme (London) par Philippe Belhache
« Le fenêtre fantôme », London 1, de Rodolphe et Wens. Glénat, collection Grafica.

Curieuse évasion dans l'imaginaire de l'Angleterre victorienne, que nous propose là Rodolphe. Le quatrième de couverture et le communiqué de presse laissent entrevoir une action développée autour du mythe de Dracula, mis en lumière par l'écrivain Bram Stocker. Ce raccourci fausse un peu l'image de ce premier album de la série London. Le titre se réfère non pas à la capitale (pas uniquement, du moins), mais à un proche de Stocker, lequel n'en est qu'au stade de la déclaration d'intention, d'un intérêt marqué pour la dimension historique du sanguinaire Vlad Tepes. En marge de cette réflexion, le jeune Mort London vit dans une demeure de maître une expérience pour le moins étrange. Où Rodolphe veut-il nous mener ? Difficile de le dire encore. Sous le couvert d'une intrigue agréable mais encore très classique, il semble vouloir convoquer tous les mythes littéraires de l'époque, de Dracula à Jack l'éventreur en passant par Docteur Jeckyll et Mister Hyde, tout en posant ses marques pour un « Masque de fer » à l'anglaise. Sans oublier la mention de l'appartenance de Stocker à la Golden Dawn, société secrète dont le grand maître de l'époque n'était autre... qu'Aleister Crowley. On en vient à se demander si le patronyme de la belle demoiselle Gray est choisi au hasard ou en hommage à l'oeuvre d'Oscar Wilde... Rien de révolutionnaire à première vue (l'affaire, bien entendu, est à suivre), mais la mayonnaise prend grâce au traitement graphique d'Isaac Wens, familier de la période pour s'être approprié l'univers de Carland Cross (Soleil) il y a quelques mois. Passées les premières planches trop sombres à force d'encrage, il impose un style personnel, et surtout une mise en couleur, une patine particulières, qui donnent une tonalité ambiguë à l'album. Une sorte de référence aux expériences picturales de l'époque (avec un hommage à Egon Schiele au passage), et au vieillissement de la peinture, qui fait baigner l'album dans une sorte de « fog » permanent. Intriguant.
« Bienvenue à Wondertown », Wondertown 1, de Féroumont et Vehlmann. Dupuis.

Les projets de Fabien Vehlmann se suivent et ne se ressemblent pas. Le jeune scénariste fait feu de tous bois avec pour seul fil rouge un penchant affiché, plus ou moins affirmé selon les titres, pour le fantastique. C'est de nouveau le cas pour Wondertown. Le postulat de base est finalement assez simple : une bande de gamins des rues tente de survivre dans les rues d'une cité lambda américaine, durant la grande dépression. Sauf qu'à Wondertown, magie, fantômes et sorcières sont monnaie courante, on n'y fait même plus attention. Les premières aventures de Pat et sa bande sont conçues en mini-chapitres, technique dont Vehlmann a déjà fait un large usage pour « Green Manor » ou « Des lendemains sans nuages ». Une approche qui lui sied et qui permet de mettre son héros récurrent dans des situations variées et variables, n'ayant souvent que peu de liens entre elles. L'action est soutenue par le graphisme parfois minimaliste mais surtout très dynamique de Benoît Féroumont, un ancien des « Triplettes de Belleville ». Le résultat ? Un ensemble plaisant mais inégal, aux chapitres parfois légers mais montant crescendo jusqu'à obtenir de petites perles d'humour noir et de merveilleux que sont le « chantier de la guerre » et « mauvais temps ». Comme si Wondertown avait encore du mal à définir ce que doit être son public... Un bon délassement malgré tout, en attendant la réédition de « Green Manor », dont les deux premiers tomes sont annoncés pour avril en collection « Expresso », avec des couvertures inédites (et superbes) de Denis Bodart. Les plus gourmands pourront même loucher sur celle du futur numéro 3, imprimée (par erreur ?) dans le récent guide FNAC de la bande dessinée.
Les Jalousies, Théodore Poussin tome 12, Frank Le Gall, Dupuis Collection Repérages

Oserait-on dire qu'on ne l'attendait plus ? Ce serait mentir tant un nouvel album de Théodore Poussin est un nouveau plaisir. Surtout après 4 ans d'absence. Le Gall remet donc son personnage en scène. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Le Gall tisse son histoire de manière de plus en plus théâtrale. Déjà dans Novembre toute l'année, Poussin démêlait l'écheveau d'une série de meurtres dans l'espace confiné d’un bateau. De nouveau, dans ces Jalousies (avec une référence évidente à la pièce de Sacha Guitry), on évolue dans un huis clos, celui de l’île où Poussin et ses proches ont élu domicile. Unité de lieu, unité de temps… il ne manque plus que la galerie de personnages, avec par ordre d'entrée en scène… Le Gall fait revivre quelques-uns des acteurs marquants de la série : Chouchou, l'amour perdu, André Clacquin l'ami fidèle et l'increvable Capitaine Crabb. Ils sont venus, ils sont tous là pour enterrer la vie bourgeoise à laquelle Poussin commençait à goûter. Parce que l'on a beau être un antihéros, ballotté au gré des événements, - quitte à se croire un temps pirate en Mer de Chine -, il ne faudrait tout de même pas trop s'installer dans ses pantoufles. Même Tintin n'a pas profité beaucoup de Moulinsart, que diable !

Je viens de lire, de Laurent Fabri

Second avis : « Les Jalousies », Théodore Poussin 12, de Frank Le Gall. Dupuis, collection Repérages.

Décidément, Franck Le Gall n'est jamais là où on l'attend. Dans ce douzième opus, il approfondit la vie sentimentale de son héros, mais semble aussi vouloir lui permettre de solder ses comptes avec son passé. Et de comprendre que le rêve est parfois plus important que sa concrétisation... Théodore Poussin est devenu le planteur qu'il souhaitait devenir dans la « Terrasse des audiences », sur une île dont l'isolement favorise une atmosphère de huis-clos. Le Gall y convoque les ombres du passé comme pour le secouer d'une certaine apathie liée à la notabilité, lui faire passer le cap de l'immobilité, et finalement le pousser vers d'autres horizons. On y retrouve Chouchou Bataille, Barthélémy Novembre, l'énigmatique Martin et des silhouettes familières de Dunkerque et de Long Andju... Certes moins naïf que par le passé, Poussin n'en subit pas moins les événements plus qu'il ne les maîtrise. Avec cette fois une palette élargie de sentiments, de la jalousie à la colère en passant par la joie et cette sorte de sérénité désarmante qui est la marque du personnage... La trame est impeccable, élégante, érudite, le titre reprenant (au pluriel) celui d'une pièce de Sacha Guitry. Ce nouvel album est un vrai plaisir de lecture, et pourtant... Il semble y manquer un ingrédient, un soupçon de ce sel qui fait de Poussin une série irremplaçable. Doit-on regretter l'accumulation artificielle de personnages connus, voulue et assumée par le scénariste, pour qui « cette île est devenue le dernier salon où l'on cause » ? Où le passage à l'arrière-plan de ces personnages forts et attachants que sont Martin et Novembre, réduits à se chamailler comme les deux vieux du Muppets Show dans une intrigue centrée sur la relation entre Théodore et Chouchou Bataille ? Qu'importe ! La finesse et l'humour de l'ensemble s'imposent à la (re)lecture, et la conclusion de l'album renvoie aux meilleurs pages de la saga, celles qui exploraient la relation ambiguë de Poussin avec Georges Town, ce gentilhomme de fortune dont Crabb se révèle un surprenant émule. Et le final, symbolique, laisse à penser qu'un nouveau cycle des aventures de Théodore Poussin vient de s'achever.
La descente de Zanoo (Eden) par Philippe Belhache
« La descente de Zanoo », Eden 1, de François Maret. Paquet.

Eden fait partie de ces séries qui surprennent d'autant plus facilement qu'on ne les attend pas. Enième variation sur le thème de la survie après la bombe avec une belle pépette en guise d'héroïne... Tout cela sent le déjà-vu à des kilomètres. A priori. Mais cela fait du bien parfois... de se tromper. Dans ce cas précis, le choix de l'héroïne pulpeuse et désirable n'est pas un simple effet de facilité esthétique mais un véritable ressort de scénario. Physiquement (et surtout génétiquement) parfaite, la jeune Zanoo fraîchement réfugiée dans une cité fermée baptisée Eden pour échapper aux maladies de « l'extérieur » affole toute une communauté masculine (les femmes sont cloîtrées pour la reproduction) réduite à un ramassis de crétins libidineux obsédés par la pureté, communauté tellement recluse sur elle-même qu'elle ne peut plus envisager la reproduction sans craindre les effets pervers de la consanguinité. Sur une trame plutôt déjantée, le Suisse François Maret développe un univers personnel, délire plutôt cartoon servi par un graphisme jouant avec pertinence de la caricature. Le design visuel est un mariage improbable et plutôt fun du Brazil de Terry Gilliam et de l'Horologiom de Fabrice Lebault, sauce dessinateur de presse. Une approche originale et plutôt réussie, teintée de ce délire particulier, non-sensique, qu'affectionne le dessinateur du « Man in Black » dans les pages du quotidien suisse « La liberté ».
« La grande aventure », Rex et le chien 1, de Nicolas Poupon. Le cycliste.

Nicolas Poupon abandonne (provisoirement) la philosophie de fond de bocal pour se concentrer sur les psychologies comparées de Rex et du Chien, deux représentants de la race canine que tout oppose : le premier voit tout bénéf' dans la relation chienchien-maîmaître, le second refuse jusqu'au principe de porter un nom, symbole de soumission du chien à l'homme. Le résultat ? Un enchaînement d'aphorismes plus ou moins inspirés - proférés la truffe dans l'arrière-train du voisin - alternés de gags et tests scientifiques plus ou moins bien supportés par les chats. On n'est très loin de Schlutz, mais là n'est pas le propos. Les réflexions des deux compères, parfois cyniques, font souvent mouche. Reste que les choix graphiques de Poupon, série de planches affranchies des contraintes des cases, quelle que soit la longueur du gag, finissent par nuire à la lisibilité de l'ensemble. Faute d'une réelle variété de mise en scène, une forme d'ennui émane de l'ensemble. Et laisse une sensation de vite-lu vite-oublié que ne mérite pas forcément l'album.
Gunnm Last order 5, de Yukito Kishiro. Glénat.

Le succès de Gunnm (50.000 exemplaires mis en place en 2004) a de tous temps reposé sur les épaules de son héroïne Gally, sur l'évolution psychologique de cette guerrière en recherche d'elle-même. Amnésique, elle trouvait accomplissement et oubli de soi dans le combat, cette seule approche lui permettant de retrouver par flashes quelques souvenirs de son passé martien. Cette dimension manquait cruellement au sequel Last Order, qui reprend et développe le passage de Yoko/Gally sur la cité aérienne de Zalem, puis sur Jéru. Le quatrième tome de cette saga a relancé l'intérêt, Kishiro brisant les certitudes de son héroïne, l'amenant de nouveau à s'interroger sur ses motivations. Ce nouvel opus va encore plus loin dans cette exploration, dans un cadre cher au mangaka, celui du tournoi. La formule permet en effet d'aller crescendo dans l'intensité du scénario et dans la chorégraphie des combats. Mais contrairement au cycle du Motorball, aux ressorts plus classiques, Gally est confrontée non plus à ses limitations physiques, mais à ses démons intérieurs. L'image récurrente du lieutenant Payne - personnage atomisé en trois secondes chrono dans le tome précédent, dont la rhétorique pousse l'héroïne dans ses retranchements - et la hantise d'affronter un groupe dont elle admire la cause la paralysent. Une évolution mise en parallèle avec celle de son double déglingué, Sechs, dont la quête psychotique se résume à l'affirmation de soi par l'anéantissement de l'adversaire. Yukito Kishiro se plaît en outre à entourer son monde de toute une gamme de personnages torves, aux motivations ambiguës. Pleinement maître de son graphisme et de son univers, il évite cette fois la tentation du « gore » dans les scènes de combats pour se concentrer sur l'aspect paroxysmique des affrontements, les démonstrations techniques et les retournements de situation. Bref, Last Order prend (enfin ?) de la hauteur, ce qui n'est pas un mal. Surtout après l'annonce d'une adaptation 3D de Battle Angel par le grand James Cameron en personne.
« Echec & automates » d'Arnaud Quere et Philippe Segard. Carabas.

Une Venise asséchée, des architectures fissurées envahies par la végétation et la sensation d'un monde fermé dans lequel évolue un habitant presque unique, vieux marinier rompu à la solitude livrant sa vie par monologues... « Echec & automates » avait tout pour être une variation assommante sur le mythe du dernier homme. Il n'en est heureusement rien. Mettant en scène la vie de ce vieux misanthrope qui recueille le fils handicapé d'une femme qui a mis fin à ses jours, Quere et Segard évitent toute lourdeur. Ils font même preuve de grâce et de légèreté, opposant les manies mécaniques d'un homme obsédé par les horloges à la découverte par le petit garçon du monde d'une mère artiste, un monde onirique et aérien, axé sur la recherche de couleurs pour la réalisation de masques pour les touristes. Le pari graphique (tenu) était de rendre une image d'une Venise à la fois ouverte sur le ciel et fermée par cet enchevêtrement d'architectures, vivante par l'enchaînement de perspectives et morte de par son inéluctable dégradation, une ville à l'envers, dans laquelle on "pêche" les oiseaux avec une canne à pêche et un poisson-appât... Un album subtil et surprenant, finalement très bien résumé par sa couverture, dont le dénouement - encore un retournement de perspective - est digne des « novels » fantastiques de l'âge d'or de la science fiction américaine.
Tango pour un Berliet par Philippe Belhache
« Tango pour un Berliet » de Daniel Balage et Fred Weytens, Le Cycliste.

Feuilletez tranquillement « Tango pour un Berliet ». Ca vous dit quelque chose ? Normal. La référence est « Cent mille dollars au soleil », classique en noir et blanc réalisé en 1964 par Henri Verneuil avec Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo et Bernard Blier, excusez du peu. Référence d'autant plus assumée que les deux auteurs ont voulu faire revivre ce cinéma de genre, ces comédies d'aventure des années 60, perles de l'écran signées Lautner ou Verneuil sur des textes ciselés par Simonin, Prévert, Jullian et surtout Audiard. Le pari est osé. Faisant revivre sous des pseudos évocateurs toute la bande de l'époque, Balage et Weytens ont mis sur pied un principe de BD « comme au cinéma » : des intrigues indépendantes, liées entre elles par leur distribution, faite « d'acteurs » récurrents. Le résultat de cette première livraison ? Un scénario légèrement déjanté, qui par son côté « flingue à tout va » un peu échevelé, louche autant du côté des « Barbouzes » que de « Cent mille dollars... ». Et un dessin souple et agréable malgré des visages plus caricaturaux que réellement expressifs et une mise en couleur un peu monochrome (désert oblige). Les amateurs des aventures cinématographiques de la bande à Audiard retrouveront leurs idoles sans en goûter complètement la saveur, rien ne peut remplacer ce plaisir de cinéma. Mais « Tango... » comblera ces irréductibles qui vont jusqu'à connaître par coeur les répliques des « Tontons Flingueurs ». Un classique auquel on retrouve moult références, des répliques du clone de Blier (parfois un peu excessive, mais l'hommage à ses lois) à l'Allemand de « chez tonton » en passant par le concert des silencieux, chaque flingue émettant son bruit propre. Pour autant, l'hommage ne se veut pas décalquage. Tout en restituant l'univers, Balage et Weytens font oeuvre originale. Et par là même offrent au lecteur une BD tout à fait honorable.
« La vierge avortée », Maxime Murène 1, de Nicolas Jarry et David Nouhaud. Editions Delcourt, collection Machination.

Ange et démons se multiplient à l'envi dans la production graphique de ces dernières années. Maxime Murène sort du lot, pas tant par l'originalité de son univers - les deux clans poursuivent leurs activités sur terre tout en maintenant un statu quo - que par le mode de narration adopté. Les codes utilisés s'éloignent du fantastique pour se concentrer sur ceux du polar classique américain. Autrement dit, Jarry et Nouhaud suggèrent plus qu'ils ne montrent, même s'ils ne rechignent pas le cas échéant à l'intervention surnaturelle. Les acteurs ont opté pour l'apparence humaine - Murène a renoncé à ses ailes et à ses cornes pour faire « carrière » sur terre - et ne dévoilent leur nature qu'en toute dernière extrémité. L'intérêt se reporte donc entièrement sur l'intrigue, classique mais solide, et le personnage principal. Et s'il offre nombre de caractéristiques du flic et/ou détective privé des fifties, Maxime Murène ne laisse pas oublier qu'il est avant tout un fidèle employé au service du patron des Enfers. Le tout donne un premier album à la tonalité décalée, en phase avec l'oxymore intrigant qui lui sert de titre. David Nouhaud fait preuve de maîtrise dans son approche graphique, et d'inspiration dans la mise en scène. Reste que le choix du « tout informatique » dans la couleur donne un cachet particulier à l'ensemble, dresse une distance un peu froide. Certains apprécieront, d'autres pas. En tout état de cause, Murène a de belles heures devant lui.
Un américain en balade par Philippe Belhache
« Un Américain en balade », de Craig Thompson. Casterman, collection Ecritures.

« Ceci n'est pas « Le Nouveau Craig Thompson », mais plutôt un projet à part, sans prétention... » Par cette introduction, Thompson s'excuse presque de livrer au public un ouvrage plus léger, un travail personnel qu'il n'entendait pas publier, un simple « Carnet de voyage » (le titre original, en français dans le texte)... Encouragé par le travail de ses amis de l'Association (cocorico), il a cédé au chant des sirènes. Le résultat ? Un cocktail mêlant intimement des ingrédients très divers : une part de Blankets, une bonne louche de carnets de routes façon Sfar ou Trondheim, un soupçon d'Auberge espagnole à la Klapich... L'écriture est volontairement linéaire, le propos plus aérien, sans message particulier. Mais on y retrouve le Thompson de Blankets, ses envies, ses aspirations, ses névroses... Et le propos lucide d'un auteur sur lui-même, qui n'exclut pas l'autocritique ou même l'auto apitoiement. Le tout dans un contexte de choc des cultures, états d'âmes d'un Américain ballotté entre pérégrinations au Maroc, tournée promotionnelle en France, et salon en Espagne. Malgré ses déboires (disparition du matériel de dessin en route), les contraintes éditoriales (222 pages, pas une de plus, hé si !) l'auteur livre là une oeuvre réfléchie et personnelle, portée par un talent graphique dont il livre une palette complète, du croquis documentaire au portrait en passant par les esquisses, caricatures... et cette ligne souple et expressive qui a si bien servi Blankets. Sans oublier la contribution des amis : Blutch, Trondheim et Berberian. On en redemande. En attendant (avec impatience) « Le Nouveau Craig Thompson ».
« Elle & Décoloration », Valentine 1, d'Anne Guillard. Vents d'Ouest.

Pour une première, Anne Guillard frappe fort. Cette jeune diplômée des Gobelins joue sur le double ressort de la caricature et de la parodie pour imposer un concept original de BD humoristique. L'auteur alterne les saynètes mettant en scène ladite Valentine, jeune célibataire névrosée obsédée par sa pilosité, et les parodies d'articles et de publicités de magazines féminins. Un parti pris qu'elle pousse à son extrême, adoptant une maquette « comme si » pour la première de couverture et le sommaire, tous deux plus vrais que nature. Anne Guillard excelle dans cette approche pleine d'une distance ironique avec la presse spécialisée. Elle y impose un trait précis et un style très personnel. Et surtout une héroïne bien frappée, au physique ingrat (très) éloigné du diktat esthétique développé dans les magazines ainsi brocardés...Un terme s'impose : poilant. Mais aussi risqué. Une bonne part du succès de l'album réside dans l'effet de surprise. Réussir un tome 2 n'en sera que plus difficile.

Real - T. 1 (Real) par Philippe Belhache
« Real » 1, de Takehiko Inoue. Kana, collection Big Kana.

La passion de Takehiko Inoue pour le basket est devenue légendaire. Kana a achevé voici quelques mois l'adaptation des trente et un tomes de son hit « Slam Dunk ». La version française de ses deux autres séries estampillées basket se faisait attendre. La branche manga du groupe Dargaud s'y est collée en janvier avec « Real » (tome 2 ces jours-ci, le 3 en avril), déclinaison de l'univers d'Inoue autour de la version handisport de sa discipline favorite. Ce jeune mangaka multiprimé pour sa série historique « Le vagabond » (chez Tonkam), décline à son habitude des personnages blessés dans leur corps et/ou dans leur esprit, rebelles qui transcendent leur handicap par le sport pour atteindre une forme de rédemption. Tomomi est un basketteur valide mais instable, Kyoharu souffre d'une maladie des os, Hisanobu est victime d'un accident de la circulation... Autant de cas de figures, de psychologies explorées par Inoue dans un shonen au graphisme solide, servi par une mise en scène qui a fait ses preuves. Une approche dynamique d'un univers encore méconnu, malgré la médiatisation des récents jeux paralympiques d'Athènes.
Victimes parfaites (Incognito) par Philippe Belhache
« Victimes parfaites », Incognito 1, de Grégory Mardon. Dupuis, collection Expresso.

Après « Corps à corps », paru il y a seulement quelques mois sous label « Aire Libre », Grégory Mardon s'installe dans la durée comme chroniqueur décalé des petits et grands malheurs de la faune urbaine ordinaire. Sa définition du personnage principal rappelle presque la vieille définition de Desproges, « tout petit, j'étais déjà moyen... » Le bonhomme est en effet tellement ordinaire qu'il est persuadé que personne ne le remarque... Une constatation érigée en malédiction, puis en philosophie, et même en super-pouvoir. La tentative de ce frustré un tantinet voyeur pour se révolter le jette dans les bras d'une kinésithérapeute qui elle-même n'assume pas sa propre histoire. Et là tout craque. Mardon excelle à installer une ambiance, une atmosphère faussement tranquille pour mieux révéler les fêlures des protagonistes, leurs psychoses, pour mieux faire ressortir les tensions, une violence qui n'a rien de physique. Son homme invisible autoproclamé agit comme un catalyseur sur le duo formé par Bérénice et son frère, jeune Candide venant perturber les fragiles équilibres d'une famille au bord du gouffre. C'est finement amené et un brin cruel, traité avec cet humour dandy, un rien désabusé, qu'affectionne la petite bourgeoisie en crise. Une belle histoire, sur un postulat original. Reste à prouver qu'on peut en faire une série.
Black Op - T. 1 (Black Op) par Philippe Belhache
Black Op 1, de Stephen Desberg et Hugues Labiano. Dargaud.

Desberg va-t-il supplanter Van Hamme au palmarès des scénaristes « bankables » ? La mise en place des albums du père du Scorpion et d'IR$ est loin d'égaler celle des poids-lourds que sont XIII ou Largo Winch. Mais il est sur le bon chemin, au moins sur le plan du marketing. Un album annoncé comme « THE » événement de ce début d'année, promesses de révélations fracassantes à l'appui, site Internet qui va bien et slogan placardé en première de couverture, « Quand la CIA aidait la mafia russe à renaître »... Le lancement de Black Op n'est pas fait pour passer inaperçu. Tout cela pour nous vendre quoi ? Hé bien que du bon. A condition bien sûr d'adhérer au principe du feuilleton, car il s'agit comme de juste d'un album de mise en place. Mais passé la page 48, une constatation (personnelle) s'impose : je me suis encore fait avoir. L'intrigue développée autour de Floyd Whitman, un des rares héros sexagénaires de ces derniers temps, est fichtrement bien fichue. Stephen Desberg fait preuve d'un sens du timing consommé, et livre au lecteur ce qu'il faut (mais guère plus) d'éléments pour être tenu en haleine. Quelques portes sont ouvertes par le biais de nombreux flash back et d'un final en forme de révélation, qui laissent deviner certains aspects de l'intrigue à venir. Mais rien n'indique qu'elles ne sont pas faites pour se refermer sur nos doigts de lecteurs pourtant avertis... Bref, une mécanique imparable très bien servie par un Labiano visiblement très à l'aise, même si son choix de proportions rend certains personnages un peu graciles. Avec ou sans marketing, Black Op a tous les atouts pour être un « hit ». Et pour le rester, à condition de ne pas céder à la tentation de diluer l'intrigue...


Homo Sapiens par Philippe Belhache
« Homo Sapiens », de Malnati, Malaterre, Fougea et Pelot. Bamboo, collection Angle de vue.

Comment classer « Homo Sapiens » dans la production graphique actuelle ? L'album arbore une double casquette d'objet médiatique et de bande dessinée didactique. Il n'est rien moins qu'une déclinaison, à partir du scénario original, du désormais célèbre docu/fiction de Jacques Malaterre sur l'origine de l'homme, aventure supervisée sur le plan scientifique par le paléontologue Yves Coppens. Une idée estimable émanant d'un travail estimable, même si la coïncidence de la sortie de l'album avec l'édition d'un DVD et la rediffusion du produit original sur petit écran - avec un visuel identique - laisse un arrière goût de surenchère. Pour le reste, « Homo Sapiens » souffre des contraintes d'un genre difficile, qui voit la démonstration primer la fiction, l'obligation de description brider la liberté graphique. Et ce d'autant que Malnati doit compter avec un canevas et un modèle visuel imposé... Il reste qu'il se tire honorablement de l'exercice, faisant ainsi passer la pilule d'une approche volontairement démonstrative. Succession de saynètes marquant différents moments de l'évolution de l'homme, l'album pêche sans doute par un manque de transition entre les chapitres. Mais l'ensemble reste cohérent. Et à défaut de connaître un grand moment de fiction, on se couche un peu moins bête.
L'île aux sirènes (Tao Bang) par Philippe Belhache
« L'île aux sirènes », Tao Bang 2, de Cassegrain, Vatine et Pecqueur. Delcourt, collection Terres de légendes, label Série B.

Au jeu de l'héroïne pulpeuse-dénudée-mais-avec-des-couteaux-partout-partout, Delcourt prend une longueur d'avance sur ses concurrents. Comme beaucoup d'autres égéries graphiques du moment, Tao Bang a tous les atouts pour interroger la libido des plus jeunes lecteurs. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ? Pas si simple. Ce diptyque se démarque de la production lambda en ce sens qu'en plus de l'ivresse, il redonne foi dans le flacon. La série assume complètement un érotisme léger et un ton presque badin, sans vulgarité, savant mélange d'aventures de pirates des mers du sud et de light fantasy. Cette chasse aux sirènes exotique sur fond de rivalité entre deux bordels (hé oui), avec ce qu'il faut de jeunes femmes accortes et de monstres hideux, a de quoi satisfaire les « héroïcomanes » les plus endurcis et réjouir les autres. Sans pour autant saborder l'intrigue, Vatine et Pecqueur prennent une distance amusée avec le genre, malmenant personnages et archétypes sans aucun état d'âme. Le Nécromant, à ce titre, est une création des plus plaisantes, sorte de Tullius Détritus trouillard échappé de la Lune Noire, expert dans l'art de retourner sa veste. Les co-scénaristes abordent le registre avec un savoir-faire consommé, réduisant à minima les séquences de présentation pour entrer de plain-pied dans une intrigue échevelée. Cassegrain fait merveille au pinceau, avec un style dynamique et lumineux qui emporte l'adhésion sans coup férir. Bref, de la série B comme on les aime. Mais flûte. Cinq ans entre deux albums, c'est long...
Désoeuvré par Philippe Belhache
« Désoeuvré », de Lewis Trondheim. L'association, collection Eprouvette.

Tout n'est pas divertissement en bande dessinée. Il est pourtant rare de voir un ouvrage revendiquer aussi ouvertement une vocation d'essai. « Désoeuvré » procède pourtant d'une logique dans l'oeuvre de Tondheim. Cet auteur parmi les plus prolifiques du moment s'est retrouvé tout simplement... désoeuvré durant quelques mois, plus ou moins volontairement. Une période confuse qui l'a amené à s'interroger sur sa condition d'auteur, sur cette passion dont il s'est fait profession, sur son vieillissement, et sur sa hantise de la répétition. Une réflexion qu'il place d'emblée sur un plan très personnel, assumant complètement contradictions et sautes d'humeur, conscient d'évoluer dans un état limite, drogué du travail en manque de planches, limite dépressif. La démarche, prolongement de ses états d'âme du « Carnet de bord 2002-2003 », aurait pu virer à l'introspection narcissique. Trondheim évite le piège en interrogeant la profession, cherchant parmi ses pairs, de Ptiluc à Gotlib en passant par ses potes de l'Association, Tibet, Art Spiegelmann (via Sfar) ou même l'incontournable Yvan Delporte, un reflet à sa propre angoisse. Ce faisant, il se heurte à la diversité des points de vues et des hommes, d'auteurs en crise en dessinateurs assumant sans complexe leur longévité. L'album n'apporte pas de réponse, mais défriche quelques pistes, avec cet humour décalé, parfois même désabusé, qui reste sa marque de fabrique. Un regard intellectualisé, mais personnel, parfois même partial, qui fait éclater le vernis « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » du petit monde de la bande dessinée. Impliquant.
Adieu, maman par Philippe Belhache
« Adieu, maman », de Paul Hornschemeier. Actes Sud BD.

La politique éditoriale d'Actes Sud n'a jamais rimé avec facilité. Son ouverture au monde de la BD laissait dès lors envisager une politique éditoriale des plus exigeantes. La maison d'édition arlésienne a pris le parti du roman graphique, ouvrant son catalogue naissant à l'international, privilégiant l'approche expérimentale. « Adieu, maman » est de cette veine. Cet ouvrage difficile et poignant, publié aux Etats-Unis sous label Dark Horse, aborde avec finesse ces thèmes sensibles que sont la disparition de l'être aimé, la folie et le suicide. « Mother, come home » suit l'évolution d'un jeune garçon perturbé par la mort de sa mère et la lente descente aux enfers de son père. Paul Hornschemeier fait preuve d'une pudeur extrême dans son approche, se refusant malgré tout à toute concession. L'auteur avance à pas comptés, mais sans peur de déranger ou même de choquer. Son graphisme doux et rond, d'une grande sobriété, et la mise en couleurs minimaliste contrastent avec la force du propos. Ce choix donne à ce drame intimiste une intensité particulière. « Adieu, maman » est de ces albums qui vous prennent à la gorge, et continuent à vous hanter bien au-delà de la dernière page. On peut adorer ou rejeter. Mais en tout état de cause, il ne laisse pas indifférent.



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