Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

Loup, y es-tu ? (Outre-Tombe) par Philippe Belhache
"Loup, y es-tu ?", Outretombe 2, de Jean Léturgie, Simon Léturgie & Richard Di Martino. Vents d'Ouest. - "XXL", Spoon & White 6, de Jean Léturgie, Yann et Simon Léturgie. Vents d'Ouest.

Serait-ce la Saint-Léturgie ? D'un seul coup d'un seul, Vents d'Ouest donne le coup d'envoi d'une collection Commedia presque entièrement réalisée par Simon Léturgie, édite le deuxième épisode d'Outretombe et réédite les premiers titres de Spoon & White (ex-Dupuis), avant de lancer "XXL", sixième opus de ce duo de flics débiles, candidat au titre du tandem le plus calamiteux de l'histoire du polar plus ou moins urbain. Une manne pour les fans. Car si Commedia obéit à une autre logique, "XXL" et "Loup y es-tu ?" sont des productions labellisées 100 % Eigrutel, petits monuments de parodie et d'humour potache bien crétin. Le premier, co-scénarisé avec Yann, est toujours aussi référencé ciné/BD et chargé en calembours (un concours ouvert avec Arleston ?), sans que cette fois cela n'empiète sur l'intrigue. Outretombe en est un peu le pendant gore, série mise en images par un Di Martino dans le moule. Moins directement référencé, "Loup y es tu ?" n'en est pas moins une BD dynamique jouant des mêmes ressorts que son aîné, une mise en situation de personnages déjantés, aux réactions imprévisibles, et dans ce cas présent souvent éphémères. De fait, on a rarement vu un sérial killer aussi cool et efficace... Chez les Léturgie, les personnages principaux (évitons de parler de héros) dézinguent à tout va, ne respectent rien ni personne et ne sauvent leur peau que par hasard ou par erreur. Et pour l'heure, cela reste drôle et très stimulant...
Les précieuses ridicules par Philippe Belhache
"Les précieuses ridicules", de Simon Léturgie, d'après Molière. Vents d'Ouest, collection Commedia.

Disons le tout net, cet album en particulier et la collection Commedia en général n'apporteront pas grand chose au monde de la BD. Mais était-ce bien le but à atteindre ? Avec cette série d'adaptation de pièces classiques (pour l'heure quasi-exclusivement Molière), Simon Léturgie et les éditions Vents d'Ouest s'interrogent plutôt sur ce que la BD elle-même est capable d'apporter. Et là, la démarche prend tout son sens. "Le théâtre n'est fait que pour être vu !", rappelle le quatrième de couverture. Léturgie crée là un moyen terme. Certes, il met en scène les personnages de Molière dans des costumes approximatifs, et des décors minimalistes. Mais l'approche reste dynamique et permet de déguster l'intrigue et l'étude de moeurs avec un support visuel, tout en bénéficiant du texte intégral. Et ça passe... Rien qu'en cela, l'entreprise est estimable. Ce n'est pas de la grande BD. Mais "Les précieuses ridicules" et les autres titres de la collection Commedia peuvent se révéler à terme comme de formidables outils pédagogiques.
Cité de verre par Philippe Belhache
« Cité de verre » de Paul Auster, David Mazzuchelli et Paul Karasik. Actes Sud.

Ouvrant officiellement une collection de bandes dessinées, Actes Sud - comme à son habitude - a placé haut la barre de son exigence. Le choix de rééditer cette adaptation du premier tome de la Trilogie new-yorkaise de Paul Auster (dont la maison arlésienne est par ailleurs l'éditeur en France), ne déroge pas à cette ligne. C'est à un travail sur la notion même de roman graphique que se sont livrés Mazzuchelli (« Batman Year One », mais aussi « Big Man » et « La Soif » chez Cornelius) et Karasik, sur le texte de l'auteur de « Smoke » et du splendide « Livre des Illusions ». Une réflexion orientée il est vrai par le maître Spiegelman en personne. Le découpage et le graphisme, d'une grande sobriété, servent magnifiquement cette nouvelle, exploration en profondeur des thèmes fétiches de Paul Auster : la perte d'identité, le rapport de l'auteur au personnage, la filiation, la perte de repère et la folie… Une superbe transcription de l'univers de l'écrivain. A noter également la préface d'Art Spiegelman, regard de l'auteur de « Maus » sur le travail ainsi effectué.
« Rock'n troll attitude », Trolls de Troy 8, de Christophe Arleston et Jean-Louis Mourier. Soleil.

Nouvelle livraison du prolifique Arleston, sur le plus ancien et le plus porteur des spin off de Troy. L'homme est un amuseur public et le revendique, affichant haut et fort sa vocation à faire rire et rêver son monde (lire sa récente réaction aux propos de Jean-Chistophe Menu dans le Bo Doï n° 87). A ce titre, ce nouvel opus est plutôt réussi. Passé la couverture outrancière dans la parodie, « Rock'n troll » s'ouvre sur une intrigue plutôt bien balancée et rythmée en diable, agréablement truffée de gags et de ces références et calembours dont on sait Arleston friand depuis les premiers Lanfeust. A condition bien entendu d'apprécier l'humour troll, plus proche de la grosse farce que du Desproges trois étoiles. Mention spéciale au MP3… Mourier relève le challenge avec son talent habituel, sans baisse de tonus. Un bon moment de détente et de rire régressif.
Mercenaires princiers (Narvalo) par Philippe Belhache
« Mercenaires princiers », Narvalo 1 de Yann & Juszezak (Dargaud)


Que penser d'une nouvelle livraison « action » de Dargaud, quelques mois après Black Op, quelques semaines avant le XIII nouveau ? Pas grand chose si Narvalo ne bénéficiait de la caution de Yann, scénariste qui capitalise sur son approche anticonformiste de la bande-dessinée classique, très attendu sur un terrain balisé par Greg, Van Hamme ou Desberg. L'homme a choisi d'explorer l'univers des barbouzes du XXIe siècle, par les yeux d'un Bob Denard moderne employé d'une compagnie inspirée en droite ligne des Exécutive Outcomes. Un univers où chacun se connaît, se déteste ou s'estime, travaillant indifféremment avec ou contre l'autre.. Un parti-pris qui permet à Yann de balader son personnage d'un paysage à l'autre à la manière d'un Bernard Prince plus choc que chic, en l'occurrence dans le petit monde des micro-états artificiels fondés en dehors des eaux territoriales des nations établies. Le travail de documentation est remarquable, le dépaysement de rigueur, le rythme impeccable.. Que manque-t-il donc ? Le petit plus signé Yann. Sans doute faut-il le chercher dans la personnalité saillante de Narvalo, un ancien ingénieur dont la vie a basculé après un enlèvement, qui peine pourtant à provoquer l'empathie. Ou dans la manière abrupte et un peu vacharde dont ce scénariste roué calcule ses rebondissements, sabordant au besoin ses personnages sans autre forme de procès.. Mais cela est-il suffisant ? Tout en restant une bonne série d'action, servie par le graphisme nerveux et sans fausse note d'Erik Juszezak, Narvalo doit faire ses preuves. Et marquer sa différence. Affaire à suivre.
Dans la secte par Philippe Belhache
« Dans la secte », de Pierre Henri & Louis Alloing (La Boîte à Bulles)

« Dans la secte » est avant tout une histoire de courage. Celui de Marion (un pseudonyme), qui prend sur elle de placer son histoire sur la place publique, celui des deux auteurs qui s'en sont emparé, et celui enfin de la maison d'édition qui en a pris en charge la publication. Le résultat ? La méthode est celle du reportage, adapté à cette fonction particulière qu'est le témoignage. Un récit qui montre et démonte les différentes phases de l'entrée de Marion dans la secte, parcours d'autant plus insidieux que la future adepte est en recherche d'un épanouissement personnel. Marion ne cache rien de son passé : son stress professionnel, la prise de LSD, son recrutement par son ex, son « entraînement » à Copenhague, une sortie plus accidentelle que réellement préméditée, une plainte en justice, des pressions de toutes sortes.. Et les conséquences que cet épisode d'un an seulement peut encore avoir sur elle et sur sa vie. Pierre Henri restitue cette confession difficile avec une grande sobriété, soutenu en cela par le parti graphique de Louis Alloing. Ce dessinateur connu pour sa production jeunesse a ici durci son style, adoptant les codes stylistiques aujourd'hui caractéristiques de la chronique des trentenaires en mal d'épanouissement personnel. Un choix futé heureusement souligné par l'usage de la bichromie. Pourtant, le lecteur sort en partie frustré de ces quatre-vingts pages. Sans doute troublé par le refus de la facilité, d'une dramatisation du récit par la mise en scène. Troublé par l'absence d'un gourou-guignol pour tranquilliser les amateurs d'images d'Epinal autant que les adeptes du « ça n'arrive qu'aux autres », par l'impossibilité de distinguer la machine autrement que par quelques-uns de ses rouages.. Troublé finalement par ce qui relève d'un choix de rigueur. Une rigueur garante d'humanité, qui donne valeur et crédibilité à l'ouvrage. Lequel s'appuie sur une préface de la parlementaire française Catherine Picard, tête de pont de la lutte anti-secte, et une post-face de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNAFDI). N'en doutons pas, « Dans la secte » est une chronique de guerre, une guerre psychologique ordinaire, un drame dangereusement quotidien. Par essence, un ouvrage indispensable.
Mortebouse (Lou) par Philippe Belhache
« Mortebouse », Lou 2, de Julien Neel (Glénat)

Pour les étourdis, un macaron signale que le premier jet de cette série plus que prometteuse a raflé le Prix jeunesse des 9-12 ans à Angoulême en 2005. Ce petit bijou né dans les pages de Tchô développe des personnages dans l'air du temps. Le lecteur voit la vie de Lou par les yeux de Lou, une petite fille de bientôt 13 ans, certainement déjà plus mûre que sa mère adulescente, auteur de romans de science-fiction à 0,30 € (deux balles pour les anciens). Lou est à l'âge charnière où la petite fille devient un bout de femme, avec ses coups de gueules et ses coups de coeur, une vision sur le monde qui se modifie par petites touches, imperceptiblement, un besoin de tendresse qui d'affirme avec le temps... Le ton est tendre et très juste, le sérieux de la petite contrastant avec les éclats d'une mère complètement déjantée. Les vacances à Mortebouse donnent à Lou l'occasion de prendre du recul sur ce qui est important dans sa vie, tandis que sa mère règle quelques comptes avec sa jeunesse. Le graphisme à la fois doux et dynamique de Julien Neel porte littéralement cet univers, s'accommodant d'un mode narratif qui mixe histoire complète et découpage planche par planche. Un succès amplement mérité.
La Femme-vie (Marlysa) par Philippe Belhache
« La femme-vie », Marlysa 6, de Jean-Charles Gaudin et Jean-Pierre Danard. Soleil.

Fini les sagas ? Après cinq tomes d'un premier cycle, Gaudin et Danard mettent en scène Marlysa dans un one-shot avant une nouvelle intrigue annoncée en deux volumes. « La femme-vie » voit l'héroïne désormais bien devenir la protectrice d'un personnage aux dons et aux desseins pour le moins mystérieux. Nul besoin de développer l'histoire. Autour d'une idée intéressante - un personnage qui vit à l'envers - évoluent la belle (et pulpeuse) héroïne qui n'offre plus guère de mystère, des méchants bien méchants à sales gueules et des personnages secondaires qui ont à peine le temps de prendre chair, dans cet univers de fantasy light plus que de light fantasy. Bref, un album léger manquant de consistance malgré des pages (sur)chargées, relevé malgré tout par le graphisme agréable et rond de Jean-Pierre Danard. Pour inconditionnels.
Be-Bop Boom (Les teigneux) par Philippe Belhache
« Be-Bop Boom », Les Teigneux 4, de Philippe Chanoinat et Philippe Castaza. Soleil.

Les Teigneux sont de retour, et la poudre va parler. Ce pourrait être le résumé de ce quatrième opus, où tout est prétexte à dézingage à base de plomb chaud. Poursuivant leur exploration méthodique de l'imaginaire du tandem Lautner/Audiard version « Barbouzes » ou même « Ne nous fâchons pas », Chanoinat et Castaza mettent sur pied un road movie bien cintré. Jean Francoeur et sa bande de portes-flingues font une nouvelle fois le ménage dans une bande adverse qui a eu le malheur de déplaire. La série a le bon goût de ne pas se prendre au sérieux, et les références fusent, du port Saint-Audiard à la Séminaromobile (mi chemin entre la batmobile et l'Aston Martin façon 007), en passant par une série de clins d'oeil à Astérix, Gil Jourdan, Ric Hochet ou même Wolverine (si !). Sans compter les private jokes pour spécialistes. Seul le mauvais génie évite finalement la lampe à dessouder. Bref, tout est mis en oeuvre pour perpétuer en BD l'esprit du duo infernal des « Tontons Flingueurs ». Reste que trop d'hommages tue l'hommage, et qu'une accumulation de citations ne fait pas un scénario. Castaza met sa patte graphique dynamique à une histoire qui part d'entrée en vrille. C'est souvent drôle. Mais on en sort en se disant qu'on aurait aimé avoir quelque chose à comprendre.
« Dommages Collatéraux », Boulier Humain 2, de Xavier Betaucourt, Dominique Hennebaud et Amara Sellali. Bamboo, Collection Angle de Vue.

Si elle n’en est pas le support privilégié (délais de fabrication obligent), la bande dessinée se positionne aujourd’hui comme un média adapté au témoignage, nouveau champ d’expression pour le reportage de guerre. Joe Sacco ou Ted Rall jouent la carte du journalisme, Philippe Squarzoni celle du militantisme. « Bouclier humain » est à la croisée de ces démarches. Ce deuxième tome est la conclusion du témoignage d’Amara Sellali, du récit de son expérience vécue en Irak, recueilli par le journaliste Xavier Betaucourt et mis en image par Dominique Hennebaud. Le témoignage d’une jeune femme engagée qui s’est trouvée jouer les boucliers humains au début de la seconde Guerre du Golfe. « Dommages collatéraux » met en exergue les états d’âme d’une Amara prise au piège de son engagement, entre renoncement et exaltation, volonté de dénoncer et résistance aux méthodes parfois limites des médias. D’une idéaliste ballottée entre Irakiens de toutes tendances, pro ou anti-Saddam, Américains bouffis d’arrogance et journalistes en mal d’images, avec la pression de sa propre famille, qui fait peser sur elle le poids d’un chantage affectif. La qualité de « Bouclier humain » est celle du regard porté sur une guerre sale aux enjeux brouillés, avec ce qu’il faut de subjectivité assumée. Une approche sensible, dont l’authenticité compense le trait parfois approximatif de Betaucourt.
Jus de gredins (Rosco le rouge) par Philippe Belhache
« Jus de gredin », Rosco le Rouge 3, de Jean-Louis Marco. Le Cycliste.

Jean-Louis Marco donne suite aux aventures affligeantes de son pirate d’opérette Rosco le Rouge, faux méchant mais vrai looser, incapable notoire en quête de célébrité. L’auteur donne un surcroît d’épaisseur à son personnage fétiche en le dotant d’un passé commun d’orphelin avec son acolyte Mamouth. A peine rentré au port, Rosco perd bateau et trésor, et se réfugie dans les jupes de la femme qui l’a élevé. Il y a quelque chose du Jake Blues des Blues Brothers dans ce personnage, qui n’a jamais réellement souhaité être autre chose que ce qu’il est (pirate), sans vraiment réussir à s’imposer. Et quelque chose de l’affection d’un père dans la manière dont Jean-Louis Marco (mal)traite son personnage. Tour à tour fanfaron, pathétique, délirant dans ses retrouvailles avec son ancien pote devenu prêtre, Rosco vit sa vie avec cet égoïsme forcené de l’éternel gamin à la poursuite d’un rêve inaccessible. Et fait presque malgré lui le bien autour de lui, avant de repartir comme si de rien n’était. L’intrigue (des disparitions d’enfants) deviendrait presque secondaire, tant l’album tient sur les épaules du personnage principal. On en redemande.
« Le mystère de l’étoile », Mr Deeds 1, de Cinna et Fléchard. Emmanuel Proust Editions, collection Trilogies.

Etrange objet que ce Mr Deeds, nouveau titre de la collection Trilogies. L’oeil est d’abord attiré par une couverture étrange, au graphisme doux et intrigant. Puis on se laisse prendre par une histoire non moins étrange. L’histoire d’une malédiction ; d’une pierre mystérieuse aux pouvoirs surnaturels ; d’une petite fille écrasée par sa mère tyrannique, qui trouve réfuge dans l’imaginaire des légendes ; d’un horloger surdoué et d’un voleur non moins compétent contraints de s’allier pour faire face au retour d’un monstre aux traits d’enfant... Le monde élaboré par Cinna et Fléchard surprend à plusieurs titres. Par son côté intemporel d’une part, mélange d’époques marqué par les années folles. Par le côté enfantin des protagonistes, notamment le fameux Mr Deeds, sorte de nain génial affublé d’un chapeau improbable, inventeur de machines à faire pâlir Jules Verne de jalousie. Par l’approche décalée de ce petit conte noir urbain… Le graphisme d’Olivier Cinna, soucieux d’installer une ambiance, fait mouche. Il souffre malgré tout d’une mise en couleurs éteinte, même si paradoxalement, cette dernière contribue à l’étrangeté de l’atmosphère. Surprenant.
« Destination Tulum », Hauteville House 2, De Fred Duval et Thierry Gioux. Delcourt, collection Conquistador (label Série B).

Le premier tome d'Hauteville House avait heureusement surpris, mélange réussi d'aventures classiques et de steampunk looké, sur fond politique documenté. L'alliance Gioux-Duval a fait merveille sur un opus vitaminé, scénario rythmé et graphisme inventif. « Destination Tulum » transforme l'essai. Pas de révolution d'un album à l'autre, mais la poursuite logique d'une trame solide, qui sait entretenir l'envie. Gioux s'en donne à coeur joie dans une approche mécanique-vapeur de la technologie assez réjouissante, à mi-chemin entre l'anticipation à la Jules Verne et les délires façon Wild Wild West. Hauteville House reste une réussite dans le domaine du divertissement, qui mérite bien du label Série B.
« Un certain équilibre », Monsieur Jean 7, Dupuy et Berberian. Dupuis, collection Expresso.

Inutile de revenir sur le phénomène Dupuy et Berberian, sur leur travail à quatre mains, sur l'influence qu'ils exercent aujourd'hui sur toute une génération d'auteurs, à laquelle les deux hommes ont imposé à la fois un style narratif et un vocabulaire graphique. « Monsieur Jean » peut être considéré comme la série-mère au sein de cette nébuleuse, un modèle dont la prééminence ne se dément pas avec ce septième album. Les auteurs déclinent la galerie de leurs personnages principaux en courtes saynètes d'une ou deux planches, tranches de vies de personnages en recherche d'équilibre quand tout les pousse à l'instabilité. La finesse de vue des auteurs, la pertinence de l'observation et leur sens de l'humanité mâtiné d'une pincée d'humour dandy restent leurs principaux atouts. Et une fois de plus, cela fonctionne. Mention spéciale à l'édition coffret, qui contient un fac-similé du carnet de croquis des auteurs.
Mistral noir (Sans Pitié) par Philippe Belhache
« Mistral noir », Sans Pitié 1, de Génot, Pradelle et Thomas. Emmanuel Proust Editions, collection Trilogies.

Marseille, la Canebière, le Vieux Port. Pour nombre d'entre nous, ces noms évoquent le soleil, une journée arrosée de boisson anisée et rythmée par le claquement des boules de pétanque. Pour les amateurs de polar noir, la cité phocéenne est surtout celle d'un renouveau du genre. Souvenez-vous de Jean-Claude Izzo et de sa magnifique trilogie Marseillaise (Total Kheops, Chourmo et Solea). Loin de Paris ou de New-York, on découvre un monde où les meurtres sont plus violents, les motivations plus complexes, car tous se connaissent. Les auteurs de Sans Pitié poursuivent ici dans la même veine : le soleil méditerranéen met en lumière les crimes et la corruption, la nuit ne peut cacher le sang et la violence. L'histoire répond aux exigences de l'éditeur parisien Emmanuel Proust, connu pour sa prédilection d'albums au contenu fort, à la frontière entre le roman et la bande dessinée. Le scénario très sombre de ce premier opus est parfaitement orchestré, chaque détail y a son importance car les auteurs ont eu à coeur de livrer non pas un simple récit mais une ambiance. Le dessin est très réaliste, tout aussi sombre, de même que les couleurs. Bref, un incontournable pour les amateurs de série noire. Et pour les autres aussi d'ailleurs.

Je viens de lire, de Arnaud Reymann.

Second avis : « Mistral noir », Sans Pitié 1, de Génot, Pradelle et Thomas. Emmanuel Proust Editions, collection Trilogies.

Attention polar. Les amateurs, les vrais, ceux qui aiment les ambiance moites suintant la peur et la mort, les scénarii chauffés à même le bitume, les personnages à la dérive, apprécieront sans réserve cette plongée en apnée dans les zones d'ombre de la cité phocéenne. « Mistral noir » est de ces albums dont la vocation est de disséquer le côté obscur de la force, de regarder dans les yeux tout ce que le monde compte comme pourris, entre parrains cyniques, ravers junkies et flic ripoux. La trilogie « Sans pitié » démarre sur les chapeaux de roues par la mise en scène d'un jeu de dupes. Des figures du milieu marseillais livrent une rave en pâture à la police pour mieux détourner son attention d'une importante livraison de drogue. Ils ne se savent pas épiés par un (ancien ?) militaire aux motivations troubles, assez prompt à faire le ménage devant lui. Façon commando... L'ensemble évoque certaines pages du maître Izzo ou de Jean-Hugues Oppel, portraits au couteau de loosers magnifiques ou de tueurs torturés, dans une Marseille multiethnique mise à mal par les inondations. Génot et Pradelle frappent fort, soutenus par le dessin réaliste d'Olivier Thomas, littéralement au service de l'histoire. L'album arbore comme caution artistique une préface de Didier Daeninckx, gage de qualité. Voir la bande dessinée honorer cet engagement est un pur bonheur.
« Feu mister Mercure », Comix Remix 1, d'Hervé Bourhis. Dupuis, Double Expresso.

La vie privée des super héros semble aujourd'hui très à la mode. Cela n'enlève rien aux qualités de Comic Remix, démarquage parodique de l'univers des comics américains perdu quelque part entre les Indestructibles et les Watchmen. L'idée de base est pleine de promesses, description d'un monde aux tendances totalitaires, au sein duquel la destinée des-dits héros est prise en main par une « Corporation » qui gère leur image. Et contrôle de fait leur existence... Le scénario prend sa valeur dans sa dénonciation d'une dérive totalitaire, mais aussi dans la description réussie de relations père-fils contrariées. De John-John, qui rêvait un père « normal », à Félipe, qui voit son fils devenir un monstre psychotique. Bourhis s'est visiblement amusé, affublant ses personnages de noms et pouvoirs tous aussi loufoques les uns les autres, touche d'humour bienvenue dans un monde où la violence et la mort font partie du quotidien. Pour autant, Comix Remix est parfois difficile d'accès. Son parti graphique original, plus proche de la ligne française façon Blain que de l'univers bodybuildé du tandem DC/Marvel, reste la force et la faiblesse de l'album. Bourhis joue à fond la carte du décalage. Mais « bons » et « mauvais » sont parfois difficiles à différencier, silhouettes dynamiques mais souvent schématiques. Cela ne facilite pas l'entrée dans une intrigue ambitieuse, développée sur les quatre-vingts pages de ce premier Double Expresso en titre.
Le mauvais oeil (Luxley) par Philippe Belhache
« Le mauvais oeil », Luxley 1, de Valérie Mangin et Francisco Ruizgé. Soleil.

Et si... ? Le « What if ? » est le principe fondateur de l'uchronie, cette mouvance particulière de la littérature fantastique qui explore les alternatives de l'histoire, dont l'un des sommets reste le « Maître du haut château », de Philip K. Dick. Et si... les peuples dits précolombiens avaient « découvert » et surtout colonisé l'Europe, dès le XIIe siècle ? L'idée ne pouvait qu'inspirer Valérie Mangin, férue d'histoire et de fiction. La scénariste des Chroniques de l'antiquité galactique développe sur ce canevas un univers original, s'offrant au passage le luxe de détourner une figure littéraire emblématique de l'époque, Robin de Luxley, le fameux Robin des Bois. Un pari gonflé qu'elle emporte en jouant sur le choc des cultures, introduisant en outre une note bienvenue de fantastique. Graphiquement, les choses n'étaient pas gagnées d'avance. Ruizgé a eu à charge d'unifier dans Luxley un contexte médiéval et des artefacts précolombiens. L'homme avoue volontiers avoir souffert, semble même avoir bridé son trait. Quelques hésitations, un souci évident de maîtrise d'un graphisme classique mais expressif transparaissent dans les premières planches, certains raccourcis cassant la dynamique de scènes de bataille. L'homme relève avec succès le défi architectural. Il centre ensuite son découpage sur les quelques personnages principaux, quitte à induire quelques répétitions. Ce positionnement prend tout son sens une fois installé le face à face entre Robin de Luxley et le fils de l'Inca. Au final « Le mauvais oeil » s'avère un album de mise en place maîtrisé, Luxley s'annonçant comme une série à fort potentiel. Reste aux auteurs à se lâcher un peu.
La pluie par Philippe Belhache
« La pluie » d'Eric Lambé et Philippe de Pierpont. Casterman, collection Ecritures.

La collection Ecritures accueille là un objet bien étrange. « La pluie » met en scène la vie intime du narrateur, sportif de haut niveau devenu maître nageur, et sa relation avec sa compagne infirmière, sur fond de déluge tournant à la catastrophe naturelle. Un récit subtil, qui voit la pluie incessante influer sur le caractère des personnages, les pousser dans leurs retranchements pour mieux rompre les équilibres somme toute fragiles établis entre les deux êtres. Une pluie qui joue un rôle de révélateur, mettant les caractères à nu, plaçant les hommes devant leur propre impuissance. Le parti adopté par les deux complices de « Alberto G. » (Frémok/Seuil) est tout aussi atypique, tant sur le plan du récit que du point de vue graphique. De Pierpont travaille la personnalité du personnage par petites touches, au fil de réflexions personnelles égrenées en voix off. Lambé est à l'unisson, son trait fuyant les visages pour mieux se concentrer sur les corps, la gestuelle, l'environnement, les objets... s'appuyant le détail sans jamais élargir le cadre. Le traitement de la couleur renforce ce parti pris intimiste, lequel impose un rythme indolent au drame, une tension particulière, menant doucement à un final allégorique. Un ouvrage d'une fausse douceur.
« Fantaisies meurtrières », Green Manor 3, de Bodard et Vehlmann. Dupuis, collection Expresso.

Saluons le passage en collection Expresso de cette excellente série signée Fabien Vehlmann, avec à la clef un troisième opus tout aussi jubilatoire que les précédents. Le principe reste le même, une série de courtes nouvelles policières de sept planches chacune, dont le seul lien apparent est de prendre racine dans les salons du Green Manor, un club de la haute bourgeoisie londonienne dont les murs semblent renfermer tout ce que le Royaume Uni peut compter de perversité et de cynisme. Un format que Vehlmann affectionne, aussi bien dans « Green Manor » que dans l'excellent « Des lendemains sans nuages » ou le plus récent « Wondertown ». L'album se démarque de ses aînés par une tonalité particulière, les énigmes purement policières faisant place à la folie comme aux destins brisés. Cela n'empêche pas la magie d'opérer. Grâce notamment au graphisme somptueux de Denis Bodard, décidément trop rare. Et à une couverture cette fois à la hauteur de la série... Et de nos attentes.
« Le guerrier aveugle », Gabrielle B. 1, de Dominique et Alain Robet. Emmanuel Proust Editions, collection Trilogies.

Belle histoire que celle de ce projet oublié remis au goût du jour par les époux Robet, finalement publié chez Emmanuel Proust, en collection Trilogie, aux côtés de titres pourtant dissemblables, à telle enseigne le très noir « Sans Pitié ». Une belle histoire, et au final un résultat empreint de classicisme. « Gabrielle B. » renoue avec la tradition du roman d'aventure historique, avec pour seule concession au contexte la mise en avant d'une jeune femme dynamique et volontaire, peut-être plus à sa place au XXe siècle qu'au précédent. Une histoire de vengeance développée sur fond de Chouannerie, dans la grande tradition de la collection « Vécu » de Glénat. Collection à laquelle Alain Robet avait déjà collaboré, sur « Le chevalier, la mort et le diable », spin off de la saga de l'Epervier de Cothias... Dominique maîtrise son sujet, et Alain, en « vieux routier » de la bande dessinée historique et/ou didactique, a suffisamment de savoir-faire pour permettre à la série d'évoluer sans tomber dans la démonstration historique. Du bel ouvrage, même si par nature, l'ensemble conserve un petit goût de déjà-vu un peu suranné.
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