Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

"Le collier de Padma Sumbawa", Le collectionneur 5, de Sergio Toppi. Mosquito.

Les éditions Mosquito poursuivent avec une belle régularité la publication des oeuvres de Sergio Toppi. Paru il y a quelques semaines, le cinquième opus des aventures du Collectionneur s'inscrit pleinement dans l'oeuvre de ce maître italien aujourd'hui âgé de plus de 70 ans. Toppi oppose de nouveau son personnage fétiche, mystérieux dandy à l'audace sans limites, et la "belle et vénéneuse" baronne Von Branzetti, son ennemie intime, dans une course effrénée pour la possession d'un collier tibétain source d'un immense pouvoir. L'affaire est rapidement emballée, scénario classique traversée par quelques séquences oniriques surprenantes, mélange de savoir-faire madré et de désinvolture marqué au sceau de la production des années 70. Comme de coutume, Toppi donne toute la mesure de son talent dans l'approche graphique - composition privilégiant la démesure, noir et blanc somptueux, hachuré et nerveux - laquelle donne au "Collectionneur" son véritable souffle. Une lecture à la saveur déjà ancienne, mais dont les qualités pourraient en remontrer à pas mal de modernes.

Découpé en tranches par Philippe Belhache
"Découpé en tranche", par Zep. Seuil.

Zep qui abandonne Titeuf le temps d'un album pour parler de... Philippe Chappuis, autrement dit lui-même, cela vaut quoiqu'il arrive le détour. Et ceux qui apprécient l'humour du bonhomme, et la distance ironique qu'il prend avec sa propre notoriété, ne peuvent qu'être comblés. Zep lève une partie du voile, se livre avec ses défauts, ses coups de coeurs, ses émois... Des saynètes parfois intimistes, ancrées dans le quotidien, souvent douces-amères, toujours drôles, entre lesquelles il intercale ses délires personnels, fantasmes de superpouvoirs qui finissent toujours par tourner à la catastrophe. Le tout avec un sens de l'autodérision consommé qui lui permet d'éviter l'écueil de l'auto apitoiement. Zep travaille cet album au format inusuel par chapitres, adoptant ce mode de narration distanciée qu'il avait inauguré pour "Les filles électriques" et "L'enfer des concerts" (Dupuis, réédité en collection Expresso). Avec "Découpé en tranches", il démontre une fois de plus qu'il n'entend pas laisser le phénoménal succès de sa série phare faire de lui la star intouchable d‘un seul titre. Et qu'au delà de Titeuf et des ses qualités propres, il reste beaucoup à attendre de l'auteur, même s'il se fait encore bien rare en dehors des cours d'écoles.



Le théâtre du vent (Nanami) par Philippe Belhache
"Le théâtre du vent", Nanami 1, de Corbeyran, Nauriel et Sarn. Dargaud collection Cosmo.

La collection Cosmo arrivera-t-elle à se trouver une identité ? Ce label hétérogène regroupe aujourd'hui plusieurs titres signés d'auteurs confirmés - Tome, Morvan et aujourd'hui Corbeyran - lesquels développent avec plus ou moins de bonheur des univers fantastiques sur des paginations généreuses. Avec toujours un oeil sur la production orientale, à la recherche d'un rythme hybride. Nanami n'échappe pas à la règle. L'éditeur Dargaud et le scénariste Corbeyran louchent ouvertement sur le shojo (manga pour jeunes filles) avec une cible adolescente. Le résultat ? Difficile à appréhender lorsque l'on n'est pas soi même le coeur de cible. Eric Corbeyran prend son temps pour développer son accroche, développant sur quelque quatre-vingt pages une histoire qu'il aurait normalement bouclée en quarante-six planches chrono. C'est du moins l'impression qui ressort d'une première lecture. Reste que l'on ne ressent pas pour autant de temps mort. Corbeyran prend en effet le temps de peaufiner la psychologie de sa jeune héroïne - Nanami, une jeune fille paumée dans sa propre vie, en recherche d'elle-même - épaulé en cela par une spécialiste, Amélie Sarn, auteur de livres pour la jeunesse. Il laisse également de la place à la jeune dessinatrice Nauriel pour s'exprimer, donnant ainsi de l'air aux planches. Le graphisme aidant, l'ensemble ressemble plus à un épisode classieux de "Witch" - série italienne louchant sur le manga, produite par Disney - qu'à un shojo pur jus. Mais renseignement pris auprès du fameux coeur de cible, force est de constater que cela fonctionne. Et plutôt bien.
"Coeur du passé", Les Légendaires 5, de Patrick Sobral. Delcourt, collection Jeunesse.

Delcourt travaille le concept de "manga à la française" pour le "Pink Diary" de Jenny. Cela ne doit pas faire oublier que ce même éditeur diffuse depuis plusieurs années "Les Légendaires", série mise en scène par Patrick Sobral, paroles et musique. Un titre pour enfants et adolescents qui, plus que d'autres, a su faire la synthèse des influences nippones et de l'héritage franco-belge. Ce jeune illustrateur qui affirme avoir eu le coup de foudre pour la BD japonaise à la lecture de "Vidéo Girl Aï" s'est emparé des codes graphiques du manga pour mieux les mettre à sa sauce. Et torpiller dans le même temps les poncifs de l'héroïc fantasy, dans le cadre d'un univers qui tient lui-même la route. Le pitch de base a de fait de quoi faire sourire : suite à l'ultime combat opposant les Légendaires - un capitaine, une elfe, une sorcière, un guerrier et un homme loup - contre le sorcier noir Darkhell, tous les êtres vivants sont retombés en enfance. Sobral aborde cette série d'aventures bien faite et toujours surprenante avec autant de dérision que d'imagination, à l'instar des premiers tomes du Dragonball de Toriyama, influence que l'on retrouve jusque dans les coupes de cheveux façon "Sangoku". La cadence de parution des albums - le premier tome est paru en Août 2004 - soutient l'intérêt du jeune (et moins jeune) public pour cette très bonne série de genre. Le déploiement marketing mis en place à l'occasion de la sortie de ce tome 5 donne à penser que ledit public, tout comme l'éditeur, ne s'y est pas trompé.
"Mister President en voyage", Mister President 2, de Clarke. Le Lombard, Troisième degré.

Clarke avait prévenu. En cas de réélection de Bush junior, il passait la deuxième couche. Et l'homme a tenu parole. Il remet en scène un Mister Président fraîchement réélu, nabot débile, raciste et gaffeur coaché par un ministre désespéré au bord du suicide. Et cette fois, il l'envoie tâter du monde extérieur (autrement dit tout ce qui n'est pas Texas). France, Belgique, Vatican... La vieille Europe en prend sous son grade. Clarke ne change ni la forme, ni le fonds. L'homme reprend la ligne graphique qui a fait son succès tant chez Fluide Glacial ("Château Montrachet", "Cosa nostra") que chez Dupuis ("Mélusine") pour mettre en boîte ce pilonnage au mortier du cauchemar américain façon "Dobeliou". Le trait est épais comme un programme électoral, et de fait prend un air de déjà vu. Après un premier opus jubilatoire, la formule peine à se renouveler. Mais elle comporte encore quelques belles pépites, surtout pour les amateurs de grosse farce. Idéal pour se relâcher le neurone.
"Ni Dieu, ni Maître", "Les brigades du Tigre" tome 1, de Delitte, Nury et Dorison, Glénat.

Déjà auteurs du script des "Brigades du Tigre" pour le cinéma, Nury et Dorison se sont laissé convaincre par Glénat de passer de la toile à la case. Pas question cependant de se contenter d'adapter le film. Les deux complices de WEST (Dargaud) se sont attaqués à un prologue, retraçant les premiers contacts du trio Valentin-Pujol-Terrason avec la bande à Bonnot. Les admirateurs de la fiction télévisuelle des origines seront cependant surpris. Reprenant le mythe à zéro, Fabien Nury et Xavier Dorison ont travaillé à le dépoussiérer. Ils sont entrés dans la réalité sordide d'une époque pas si rose pour en tirer comme à leur habitude de quoi mettre sur pied une intrigue des plus carrées. Le feuilleton de 1974 jouait sur l'élégance et le décalage entre une vision moderne et les clichés d'une époque surannée. La version 2006 est beaucoup plus proche des préoccupations du flic à la page ou du moins en passe de l'être. Le résultat ? Une enquête sur fond de guerre des polices, avec ses coups d'éclats et ses coups bas, incursion dans le milieu des maquereaux parisiens. L'approche gagne naturellement en réalisme, mais perd totalement en magie. L'alchimie peine à se réaliser. Le graphisme de Delitte apporte pourtant beaucoup. L'homme s'est emparé de l'esthétique du film pour conserver une homogénéité à l'ensemble. Mais à trop vouloir dessiner des trognes découpées à la serpe, il finit par s'enfermer dans une forme de répétition. Bref, la qualité est là, manque le choc annoncé. Reste le film.
Héros par Philippe Belhache
"Heros" de Flix. Paquet, collection Ink.

Flix, le Lewis Trondheim allemand ? Nous n'irons pas jusque là. Pour autant, ce jeune auteur d'outre-Rhin possède ceci de commun avec El Présidente Trondheim d'afficher un solide sens de l'humour et une distance ironique avec sa propre existence. "Héros", présenté comme le travail de fin d'étude de Flix, repose sur un postulat plutôt original. Quitte à mettre en page son autobiographie, pourquoi se cantonner au passé ? C'est donc parti pour l'histoire du bonhomme d'avant la naissance (hé si !) jusqu'à son décès programmé à l'âge respectable de 88 ans. Et ça passe. Par l'humour de l'auteur, la narration de cette lutte éternelle de Félix face à ses "monstres" qui l'empêchent de vivre pleinement, l'enchaînement un peu branque des événements... Cette distanciation dans le ton donne à album multi primé une vraie légèreté, que vient souligner le parti graphique de l'auteur. Un trait souple et dynamique, animé d‘un esprit cartoon, au sein d‘une mise en scène inventive. Un album sympathique et tonique.
"L'étrangleur" 1 de Jacques Tardi. Casterman.

Un feuilleton de Jacques Tardi vendu sous forme de véritable journal.. Pour qui a suivi comme votre serviteur les premières aventures d'Adèle Blanc-Sec, "Adèle et la bête" dans les pages du quotidien français Sud Ouest, "L'étrangleur" prend des allures de madeleine de Proust format A3. L'initiative est audacieuse. Ce chantre des rues de Paris a conçu dès l'origine son récit en vue de cette initiative de prépublication originale, qui n'a malheureusement pas pu trouver sa place en kiosques. Sa diffusion reste limitée en librairie. Cinq numéros sont prévus, avant parution d'un album classique, programmé en octobre. Tardi adapte une nouvelle fois un classique du polar. Après Léo Malet (Nestor Burma) et Jean-Patrick Manchette (Le petit bleu de la côte Ouest), il s'attaque aujourd'hui à Pierre Siniac, décédé en 2002, en s'appropriant son très amoral "Monsieur Cauchemar". Ou l'histoire d'un libraire spécialisé qui rêve du crime parfait et profite d'une conjonction d'événements favorables - un épais brouillard, une grève de la police - pour passer à l'acte. Et de Foncinet, orphelin d'un père assassin, qui devient peu à peu son disciple.. Ce roman publié pour la première fois en 1960 est un modèle du genre, qui proposait à l'époque trois fins différentes. Il avait déjà fait l'objet en 1987 d'une adaptation en bande dessinée par André Benn (Glénat), qui en avait transposé l'action en Angleterre.
Tardi revient à la lettre du texte et réinvestit la capitale. Faisant sienne une idée de son éditrice Nadia Gibert, cet auteur inclassable a travaillé le récit en cinq épisodes de quatorze pages, publiés tous les mois. Un hommage avoué aux anciens feuilletons populaires - et aux bandes dessinées - dont on retrouvait quotidiennement un épisode dans la plupart des journaux. Jacques Tardi a réuni autour de lui une bande d'amis pour la mise en place des rédactionnels. Pierre Lebedel pour les actualités reprenant les faits divers du roman, Michel Boujut pour le cinéma. Et même Dominique Grange, la propre compagne du dessinateur, qui commente en "der" des faits d'actualité ancrés dans l'époque. Sans oublier l'indispensable annonce de l'épisode suivant, qui là encore n'est pas sans rappeler les aventures d'Adèle Blanc-Sec. Un exercice de style brillamment réussi par ses auteurs, même si à mon sens, le graphisme de Tardi souffre de l'agrandissement des pages. Il devrait retrouver toute sa densité lors de la parution en album.
"Ce qui est précieux", Le combat ordinaire 3, de Manu Larcenet. Dargaud.

Toujours soucieux de l'accueil de ses oeuvres, Manu Larcenet s'avouait un peu inquiet de la sortie de ce tome 3 du "Combat ordinaire", l'enjeu étant de ne pas introduire de fausse note dans une série qui a tout de suite trouvé son public. Et un succès populaire qui, aux dires même de l'auteur, l'a "un peu dépassé". Il aurait tort de s'en faire. "Ce qui est précieux" marque de fait une évolution nette dans le déroulement de cette très belle série. Le ton est plus sombre, plus intimiste, marquant le nécessaire travail de deuil du personnage principal - Marco - après le suicide de son père, atteint de la maladie d'Alzheimer. Un travail sur la mémoire et les relations père-fils - "Savoir enfin ce que je suis passe à coup sûr par comprendre ce qu'il était..." - qui accompagne de nouvelles étapes de sa vie, à savoir l'élaboration d'un livre et le désir de maternité de sa compagne Émilie. Manu Larcenet poursuit l'élaboration de ce qui reste pour l'heure son oeuvre la plus aboutie, abordant ainsi nombre de ses thèmes de prédilection : la maladie, la mort, la mémoire, la paternité... Il explore les angoisses de Marco, l'interroge, le pousse dans ses retranchements... Et sans en avoir l'air, explore les réactions de chacun au décès d'un proche, entre l'autodestruction révoltée du frère, la dignité solitaire de la mère, ou même la sagesse ouvrière de Pablo, le camarade de chantier du père. Le graphisme suit la même ligne. Larcenet rompt en partie avec le parti des origines, pour tendre vers plus de réalisme, de maturité dans l'expression. Les principaux acteurs de ce Combat ordinaire prennent de l'épaisseur, de la consistance. Les traits de Marco se font plus durs, plus tranchés... L'auteur travaille sur le cadrage, sur les visages, accompagnant graphiquement le cheminement intérieur souvent douloureux de ses personnages. Ce tome 3 aborde l'importance des petits riens, de "ce qui est précieux" pour chacun d'entre nous, de ce qui définit et nous caractérise. Il touche aussi et surtout, avec beaucoup de finesse, au thème de la solitude, de l'angoisse du vide liée à la perte de la foi en l'avenir. Et à la difficulté pour chacun de sortir de cet enfermement pour finalement (ré)apprendre à vivre. Un tome lui aussi précieux.

"Une épaisse couche de sentiments", de Sébastien Gnaedig et Philippe Thirault. Expresso Dupuis.

Sébastien Gnaedig n'est définitivement jamais là où on l'attend. Alors même qu'il a quitté la maison de Marcinelle pour prendre la direction éditoriale du Futuropolis new look, voici publiée une de ses trop rares réalisations personnelles dans cette collection Expresso qu'il a lui-même animée. Pour un ouvrage qui évoque quelques souvenirs. Le binôme Thirault-Gnaedig pilonne une nouvelle fois le petit monde de l'entreprise, remettant en scène le personnage de Stanislas, créé voici quelques années pour "Vider la corbeille", aux éditions Rakham. Un Stanislas qui assure des fonctions de directeur des ressources humaines pour la société Sweet Fat, "leader du gras", spécialité dans laquelle il excelle, avec une absence d'humanité sans faille. Les événements vont fissurer la belle assurance de cet esclavagiste moderne aux petites habitudes mesquines... Le propos fait mouche, mais le trait est parfois si énorme qu'on ne sait plus ce qui revient à l'observation ou ce qui tient de la caricature grossière. Même si l'on sait qu'en la matière, la fiction est parfois en dessous de la réalité... L'album tient sur le seul parti pris des deux complices. Celui du cynisme absolu, ce mépris total d'une humanité réduite à l'état de troupeau par des cadres sans âme qui sous-tend le récit jusque dans ses ultimes rebondissements. De fait, tout tient dans ce seul dialogue, entre le sous-fifre de Stanislas et sa compagne :
- C'est ton patron qui t'a écrit tout ce qu'il y a sur tes feuilles ? C'est vraiment une pourriture ce type.
- Ha oui, c'est vraiment le meilleur.
Sans (autre) commentaire.
Initiation (Le monde Alpha) par Philippe Belhache
"Initiation", Le monde Alpha 1, de Vukasin Gajic. Soleil collection Mondes Futurs.

Pour apprécier "Initiation", premier tome du Monde Alpha, il faudra tout d'abord faire abstraction de la couverture, vulgaire et ouvertement racoleuse, et finalement assez peu révélatrice de l'ensemble. Cet effort consenti, les amateurs de science-fiction débridée pourront trouver quelques motifs de satisfaction. Le concept de la série pose un univers futuriste violent et finalement crédible, un état de politique fiction qui n'est pas sans rappeler le pitch d'ouvrages comme "L'été indien d'une paire de lunette" de Van Vogt ou de films comme "Invasion Los Angeles" de John Carpenter. Vukasin Gajic tricote une intrigue échevelée dans une Lisbonne en partie dévastée par les eaux et pourrie par la pollution. Un monde dont l'actualité se joue sur tous les niveaux de perception : le réel, le virtuel, et - entre les deux - le monde Alpha. Lequel influe de manière subliminale sur l'ensemble d'une population volontairement droguée par les élites, mais n'est réellement accessible qu'aux seules personnes assez costaudes pour se placer en limite d'overdose. Un parti pris intéressant, avec une amorce de réflexion, d'où naît cependant une certaine confusion. Bien que didactique sur certains points, le scénario appelle quelques questions fondamentales, à commencer par : "A quoi joue-t-on ?" La manipulation est certes la clef de voûte de l'intrigue. Mais celle du lecteur est un jeu auquel on ne se soumet volontiers qu'à condition d'avoir un minimum de clefs en main. D'autant que le traitement graphique n'incite guère à la réflexion posée. L'auteur yougoslave travaille visiblement à "mettre de la pêche" dans ses planches. Il en résulte des postures et quelques passages un peu vains. Dommage, car Gajic s'impose ici comme un illustrateur virtuose - à l'excès ? - pour qui l'utilisation de l'outil informatique revêt une véritable valeur esthétique, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Bref, un premier tome bien imparfait malgré ses atouts, qui demande une attention soutenue pour ne pas perdre le fil.
Coïncidence par Philippe Belhache
"Coïncidence", par Batem, Christian de Metter, Edith, Daniel Goossens, Jason, Kokor, Ralph Meyer, Michel Plessix, Humberto Ramos, Hikaru Takahaschi, Lewis Trondheim, David von Bassewitz. Sur un scénario de Fabien Vehlmann. Commentaire de Philippe Marcelé. Couverture de François Boucq. Edition "On a marché sur la bulle".

Les ouvrages de réflexion sur la bande dessinée ne sont pas si nombreux, chaque nouvelle initiative est bienvenue. Le principe de "Coïncidence" est à la base assez simple : confier une même page de scénario à plusieurs dessinateurs, et voir comment chacun s'empare du texte pour l'adapter selon sa sensibilité propre. Une approche rendue d'autant plus crédible qu'elle fait appel à des dessinateurs d'origines, de sensibilités, voire même de cultures très différentes. L'opération est une initiative de l'association "On a marché sur la bulle", à l'occasion de la dixième édition des Rencontres de la bande dessinée d'Amiens. Le produit fini, l'album devait à l'origine être diffusé en juin 2005. Il sort finalement avec quelques mois de retard. Le résultat ? Intéressant, même si la répétition guette au coin de la planche, du à un scénario que Fabien Vehlmann confesse lui-même être une "histoire de scénariste", pas essence moins sujette à l'expérimentation graphique. Chacun a cependant adapté ce carcan commun à sa sauce, entre ceux qui introduisent un élément graphique perturbateur dans la trame pour mieux la détourner (Trondheim, Goossens), ceux qui travaillent au plus près du scénario pour jouer le jeu de la comparaison, ceux qui déstructurent finalement la composition de la saynète pour lui donner une dynamique propre... L'ensemble est appuyé par une approche théorique pertinente signée Philippe Marcelé, dessinateur et enseignant à l'université de Rennes II, qui évite à l'ensemble de tourner à l'exercice de style un peu creux. Il manque cependant à cette expérimentation coordonnée par Pascal Mériaux une petite introduction sur les intentions des organisateurs, laquelle figure pourtant sur le site Internet de l'association. Et surtout une réaction a posteriori qui validerait le tout, Marcelé n'ayant pas vu les planches au moment de rédiger son intervention. Les jeux de l'image et du texte restent très démonstratifs par eux-mêmes, mais l'ensemble conserve à cet égard un goût d'inachevé.
Remember par Philippe Belhache
"Remember", de Benjamin. Editions Xiao Pan.

La porte ouverte par le manga et le manhwa, la bande dessinée chinoise (manhua) bénéficie aujourd'hui d'une voie royale. Restait à trouver les bons auteurs pour ouvrir le bal. Et là, attention les yeux ! "Remember" est un vrai festival visuel pour qui n'est pas allergique à l'effet palette graphique. Benjamin est un graphiste sous tension, chacun de ses croquis se voulant la transcription de sentiments exacerbés. "Remember" est un album composite, édité au format manga, qui réunit deux nouvelles graphiques, une trentaine d'illustrations et quelques textes. Une bonne entrée en matière pour une production qui affiche d'emblée sa dimension contemporaine. L'auteur ancre résolument ses récits et dessins dans la Chine du XXIe siècle, une Chine complètement dégraissée de son imagerie traditionnelle, impériale ou communiste. "Personne n'est capable de voler, personne n'est capable de se souvenir" et "L'été de cette année là" sont deux instantanés de la vie de jeunes artistes parlant tout à la fois d'amour et de violence, avec pour fil rouge l'incommunicabilité et la souffrance, physique ou morale. Le traitement graphique réaliste de Benjamin porte littéralement ces deux textes, sensuel et dynamique pour le premier, sombre et rugueux pour le second. Et toujours ce traitement en camaïeu de verts et de bleus presque aquatiques, traversé de fulgurances de couleurs crues avec une prédilection pour le rouge sang. Tout serait parfait n'eut été la propension de l'auteur à prendre la pose en écorché vif, véritable bad boy du crayon optique. Il y a certainement une part de vérité, mais ses dessins en parlent tellement mieux que lui...
La disparition (Seuls) par Philippe Belhache
"La disparition", Seuls 1, de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzoti. Dupuis

La nouvelle série du trop rare Bruno Gazzoti (Soda, chez Dupuis), nouvelle association avec Fabien Vehlmann après le très réussi "Des lendemains sans nuages" (Le Lombard), faisait l'objet d'une très grande attente. Trop grande, peut-être. D'où la sensation de légère déception en refermant "La disparition", première pierre de "Seuls". Le concept de départ est pourtant intéressant, et chaque page est une nouvelle preuve du savoir-faire de ses auteurs. Sans que l'on sache exactement pourquoi, la quasi-totalité de la population d'une ville lambda disparaît, laissant seuls une poignée d'enfants condamnés à apprendre à survivre. Et surtout apprendre à s'apprivoiser, à se connaître les uns les autres, à se connaître eux-mêmes. La première surprise passée, les développements peinent à emporter l'adhésion. Sans doute parce qu'en mettant en scène un groupe d'enfants aux caractères bien définis - peut-être trop - Fabien Vehlmann n'est pas succombé à la tentation de leur donner une psychologie d'adulte. Tout en s'offrant la possibilité d'y venir, via le personnage de Dodji, jeune orphelin considérablement mûri par un passé douloureux. Le déroulement de l'action, qui fait la part belle à la découverte de l'environnement déserté, se focalise sur un épisode animalier qui laisse un arrière-goût de Jumanji urbain avant de prendre sa valeur propre. Le graphisme de Gazzoti est au diapason. Les inconditionnels de Soda y retrouveront sa patte carrée et son incontestable professionnalisme - les heureux détenteurs de l'exemplaire destiné à la presse peuvent d'ailleurs l'apprécier, les dernières pages reproduisant ses crayonnés - mais l'ensemble paraît un peu froid et bien fade en regard de l'univers new-yorkais très noir de David Solomon. Bref, le lecteur reste spectateur, sans doute victime d'attentes d'adulte déçues par un récit sur le fil, qui cible visiblement un public plus jeune sans pour autant brader les codes de la littérature fantastique.
"Gunnm Last Order 7", de Yukito Kishiro. Glénat.

Il était temps ! Après sept albums d'une série culte, "Gunnm", dont Yukito Kishiro ne s'estimait pas satisfait, il aura fallu à l'auteur sept autres volumes du spin off "Last Order" pour nous mener au coeur même de l'intrigue. Autrement dit pour livrer de véritables informations sur le passé de Gally/Yoko et lier ensemble les images revenant par bribes à la mémoire de l'héroïne cyborg de ce thriller futuriste ultraviolent. Au profane, Last Order 7 apparaîtra comme une suite de combats sans réelle plage de repos, quoiqu'un peu moins gores qu'à certaines heures. Gally affronte un autre adepte du Panzer Kunst au coeur même de la station spatiale Jéru, alors même que dans l'arène, ses doubles déjantés Sechs, Elf et Zwölf poursuivent les combats dans le cadre d'un tournoi intergalactique sans merci. La mise en scène des batailles est comme de coutume virtuose, le style de Kishiro confinant à la perfection. Mais le mangaka détourne cette violence pour faire progresser ses personnages. Gally en apprend plus sur son passé de guerrière terroriste martienne et fait ainsi la paix avec elle-même. Sechs, pour sa part, se construit une personnalité propre au fil des combats, jusqu'à faire l'apprentissage de la compassion. Yukito Kishiro se plaît en marge à dérouler tout un aréopage de personnages hauts en couleurs, aux fêlures apparentes, qui donnent de l'épaisseur au propos. Et s'amuse à brouiller les cartes, loin de tout manichéisme. Le clown Jack Spring Foot apparaît ainsi comme une ombre entachant l'oeuvre caritative du Guntroll, ce groupe qui travaille pourtant à sauver les enfants de l'euthanasie... Ce septième opus se révèle donc essentiel pour la bonne compréhension de ce manga fleuve. Lequel reste avec une mise en place de 70.000 exemplaires à la nouveauté l'une des meilleures ventes du moment pour le manga en France.
Châtiment corporel (Lincoln) par Philippe Belhache
"Châtiment corporel", Lincoln 4, par Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray. Paquet.

Après "Playground", il était difficile d'imaginer ce que les frères Jouvray pourraient faire de leur personnage - ne parlons pas de héros - ce cow-boy particulièrement mal embouché que Dieu décide un jour de rendre immortel pour en faire un redresseur de torts. Lincoln semblait avoir échappé à l'influence tant du "Vieux" que de son alter ego à cornes. Il est ainsi devenu flic à New York, officier de police aussi cynique que pourri, d'autant plus sûr de son impunité qu'il ne craint rien physiquement. Dieu décide cependant de reprendre son poulain en main. Avec plus ou moins de bonheur... Le résultat ? Du Lincoln pur jus. De fait, les ressorts comiques sont toujours les mêmes. "Tête de bois" Lincoln reste toujours aussi hermétique à la rhétorique, qu'elle soit divine ou satanique, et s'emploie avec un certain succès à ne pas faire ce qu'on attend de lui. Et lorsqu'il le fait, c'est contraint et/ou vexé, et surtout pas de la manière attendue. Les Jouvray s'en amusent, le plaçant cette fois face à un homme qui prétend lui agir au nom de Dieu... La parabole est lisible sans être appuyée, emballé de cet humour un poil désinvolte devenu la marque de fabrique des deux frères. Bref, la sauce prend une nouvelle fois, intronisant cette série savoureuse marquée au sceau de la dérision comme une référence du genre.
Blitzkrieg (IAN) par Philippe Belhache
"Blitzkrieg", IAN 3, de Ralph Meyer et Fabien Vehlmann. Dargaud.

Qui de l'homme ou du robot est le plus humain ? Cette question a fait les beaux jours de la science-fiction de l'âge d'or, véritable fonds de commerce pour un auteur comme Isaac Asimov. Et se retrouve de façon prégnante au coeur de cette série toujours plus surprenante. Ceux qui après "Un singe électrique" pensaient voir Fabien Vehlmann exploiter le filon pépère en mettant son héros robot au service de l'unité d'élite de la Special Rescue Section en seront pour leurs frais. Le dessein du jeune scénariste était ailleurs. Il a dévoilé ses batteries dès le deuxième tome, faisant éclater le vernis "propre sur soi" de la série via une petite balade en enfer. "Blitzkrieg" est de la même veine, Vehlmann précisant sa technique et son propos. IAN évolue et apprend sur lui-même en affrontant des adversaires de nature chaque fois différente. Sa Némésis prend ici la forme d'un être issu du génie génétique, sorte d'écho de lui-même dans son élaboration, la biologie remplaçant ici la robotique. En attendant le Nôme, concept abstrait dont les contours commencent à se préciser. La mécanique Vehlmann se fait redoutable. Ce scénariste porte très haut les couleurs de la narration classique, et s'offre même un "cliffhanger" des plus alléchants. Le graphisme de Ralph Meyer est tout aussi efficace, toujours plus épuré, habile à rendre un futur proche dont on ne sent pas déconnecté. Un duo assorti pour une série qui ne fait pour l'heure que bonifier.
"Les contrées lointaines", Messire Guillaume 1, de Matthieu Bonhomme et Gwen de Bonneval. Repérages Dupuis.

Matthieu Bonhomme est décidemment sur tous les fronts. Après "Providence", splendide aventure maritime du Marquis d'Anaon chez Dargaud, et "Le baleinier" premier opus des "Voyages d'Esteban" chez Milan, il pose un pied sur la planète Dupuis, collection Repérages, dans un projet développé avec un autre pilier de la revue Capsule Cosmique, Gwen de Bonneval. Le résultat ? Une série médiévale aux allures classiques, louchant de manière appuyée sur l'onirisme. Ou comment le jeune Guillaume, parti à la recherche de sa soeur disparue, peut se trouver placé dans les traces de son père, alchimiste récemment décédé. Le pitch est alléchant, et les personnages intéressants. Poursuivi, Guillaume entraîne dans sa fuite des personnages hauts en couleurs. Tel un faux chevalier mais vrai soudard, sosie de Jean Reno à l'âme plus belle que sa mise, ou un troubadour cynique amoureux d'une belle sorcière, tante du héros titre... Laquelle amène la dose nécessaire de merveilleux, avant ce très beau final qui fait basculer le récit du réalisme cru dans le domaine du conte initiatique. La potion est connue, mais les ingrédients en sont savamment dosés. "Messire Guillaume" trouve d'emblée une tonalité, à l'image de son héros mélancolique, mis en valeur dans la très belle illustration de couverture.
Archipels par Philippe Belhache
"Archipels", de Frédéric Bezian. Editions Charette.

Assumer la charge d'éditeur est avant tout faire oeuvre de passionné. Pour ceux qui ont fait voeu de sauver de l'oubli quelques unes des petites perles du neuvième art oubliées ou écartées des catalogues, cela relève du sacerdoce. Loïc Dauvillier est de ceux-là. Aujourd'hui Bordelais, ce touche à tout de la bande dessinée, tour à tour organisateur d'événements, scénariste, éditeur déjà à l'origine de la résurrection du "Myrtil Fauvette" de Riff Reb's, s'attaque aujourd'hui à l'oeuvre de Frédéric Bezian. "Archipels", précédemment paru aux éditions PMJ, est une nouvelle noire pleine d'ironie, huis clos improbable mettant en scène deux hommes dans un terrain vague attendant le coup de fil de la complice invisible d'un coup dont on ne saura jamais rien. Une réflexion sur la différence, l'incommunicabilité, le temps et les cartes de téléphone magnifiquement soulignée par le graphisme sombre et nerveux de Bezian, auteur replacé sur le devant de la scène par le sublime "Ne touchez à rien" cosigné avec Noël Simsolo chez Albin Michel, et "Des soldats d'honneur", one shot de la série Donjon Monsters de Johann Sfar et Lewis Trondheim aux éditions Delcourt. Le coût (10 euros) est un peu élevé, mais l'impression brillante renforce s'il en était besoin le contraste et l'intensité du traitement noir et blanc. A (re)découvrir.
Célébritiz par Philippe Belhache
"Célébritiz", de Lewis Trondheim et Ville Ranta. Dargaud, Poisson Pilote.

Célébritiz aurait-il vu le jour si son auteur ne s'appelait pas Lewis Trondheim ? La question pourrait se poser. Sorti juste avant l'accession de cet auteur cérébral au statut controversé de Grand prix d'Angoulême, cet album est déroutant à plus d'un titre. Le propos est pourtant alléchant. Le "héros" Michel Canard (merci Disney) entre en possession de pilules qui rendent célèbre, élaborées par une chaîne de télévision qui élève les stars en batterie. Il s'en sert naturellement pour assouvir ses fantasmes. Et trouve très rapidement les limites du système... Une base de départ intéressante, dont on se demande si elle a réellement motivé l'auteur. Là où Trondheim développe en général une réflexion posée, intériorisée, il semble soudain vouloir adapter le délire foisonnant de sa série "Donjon" (Delcourt) à cette charge vitriolée sur la notoriété et les excès de la culture people. Le scénario part dans tous les sens, souligné d'une narration irritante à force d'être démonstrative. Le graphisme de Ville Ranta ne contribue pas à calmer le jeu. Certes dynamique, le trait du dessinateur finlandais se fait parfois approximatif, sur une mise en couleurs somme toute classique. Bref, un album entre deux eaux, qui va trop loin ou pas assez, et rate finalement sa cible, laissant largué par manque d'implication ou de références. Inattendu de la part d'El Presidente Trondheim, lequel va devoir lui-même gérer un surcroît de notoriété.
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