Les 66 critiques de Michael Day sur Bd Paradisio...

1881 par Michael Day
« 1881 », par Blengino et Erbetta. Chez Semic.

Compilation complétée de récits initialement parus dans les Pocket Semic (une vrai pépinière à jeunes talents qui a disparu, broyée par les contraintes du marché... une minute de silence, SVP), « 1881 » s'adresse aux curieux ou aux fans de western. Certes, les huit histoires présentées sont loin d'être parfaites (on peut même dire que le pinailleur y décèlera un lot important d'erreurs graphiques ou narratives) ; alors pourquoi évoquer ce petit album noir et blanc dans ces chroniques ? Parce que ce « 1881 » est une belle leçon éditoriale. D'une part, on sent la volonté de l'éditeur (merci Monsieur Mornet) de permettre à ces deux jeunes auteurs italiens de progresser, tout en les guidant et les orientant. Là, le pari est gagné, car ce qui n'était, au début, que quelques histoires courtes, prend une réelle consistance lorsque la boucle se boucle. D'autre part, Blengino et Erbetta ont réellement du talent (certes encore un peu brut). Ils ont le sens de la narration et le sens du récit ; ils ont des tas de bonnes petites idées qui transforment un récit western en « quelque chose d'autre » (j'ai un vrai coup de cœur pour l'épisode de la partie de poker... je vous laisse découvrir). Et surtout, ce duo a compris qu'un bon récit repose sur des bons personnages. Voilà donc un livre sans prétention, truffé de maladresses, mais qui met du baume au cœur de l'amateur car le travail et le talent (en devenir) sont au rendez-vous.
Midi - Zuid (Al'Togo) par Michael Day
« Midi - Zuid » tome 2 de « Al'Togo », par Morvan et Savoia. Chez Dargaud.

Autant le dire immédiatement, cette chronique sera encore plus subjective que les autres car j'adore le boulot de Sylvain Savoia. Dans le genre dessinateur réaliste et moderne, il a un petit je-ne-sais-quoi dans le trait qui me fait craquer. Les précautions étant prises, je vais tenter d'être critique, donc dur. Hormis le découpage et la narration qui sont efficaces et ne laissent rien au hasard, le fait de choisir (enfin) Bruxelles (ma ville) comme décor au récit est un bon point ; même s'il faut connaître l'intérêt que porte J.D. Morvan à cette ville (où il a vécu pendant quelques années) pour se dire que ce qui semble être du cliché (les couques et les trams) est en fait un clin d'œil teinté de nostalgie. L'emballage étant des plus intéressants, reste le fond... et là, c'est un peu la soupe à la grimace. Tout ça pour ça ! Certes, les courses poursuites c'est sympa - les séries TV usent et abusent du principe -, certes quelques trop rares détails montrent le déracinement du héros, mais au final 46 planches menées à un train d'enfer pour cette seule « intrigue » de mallette qui voyage de porteur en porteur, c'est un peu court ; d'autant que l'intrigue du premier tome, quoique classique et reposant aussi sur une « road-story », proposait des personnages avec plus d'épaisseur. Bref un album plaisant par son rythme et son graphisme, mais qui déçoit par son manque de densité.
« De mémoire d'homme » tome 1 de « Alister Kayne - Chasseur de fantômes », par Betbeder et Henniot. Chez Albin Michel.

Les éditions Albin Michel inaugure leur nouvelle collection « Post Mortem » par un récit de grande qualité. Alors que l'on pourrait croire à un énième récit de revenants, les auteurs ont l'intelligence de prendre le contre-pieds des récits classiques tout en nous fournissant de grandes rasades de clichés du genre. Sur son lit de mort, Alister Kayne voit défiler sa vie de chasseurs de charlatans. Tout commence donc dans le Londres de Jack l'éventreur, alors qu'Alister est gamin, pour se poursuivre, quelques années plus tard, dans celui de Conan Doyle, des sectes et des faux médiums. Un récit intelligent, bien documenté et, ce qui ne gâche rien par rapport à la production du moment, d'une rare densité ; la qualité des dialogues et des cadrages, nous offre la possibilité de nous immerger lentement (et longtemps !) dans des ambiances bien posées. Ce premier tome de « Alister Kayne » est certainement l'une des très bonnes surprises que l'on n'attendait pas. Vivement la suite...
« La Lumière de l'ombre » tome 1 de « Howard Blake », par R.M. Guéra. Chez Glénat.

J'avoue ne pas m'être rué sur cet album lors de sa sortie tant le matraquage « Pirates des Caraïbes » qui régnait à l'époque m'ayant vacciné contre les histoires de pirates - la présence d'un ex-libris de Juillard est certainement une autre cause à mon manque de précipitation. Avec du recul, ma première (bonne) surprise est que cet « Howard Blake », même s'il a l'odeur du récit de piraterie n'en est pas vraiment un. Point de poursuites en mer, d'abordage, de belles donzelles à séduire, etc. L'histoire proposée s'apparente plus au récit d'intrigues politico-policières : 1794, Howard Blake meurt ; 1810, d'anciens compagnons et le fils qu'il n'a jamais connu enquêtent sur le « complot » qui conduisit le pirate à la mort. Le dessin réaliste de Guéra est magnifique, même si l'auteur abuse parfois des ombres et de la trame (un défaut de l'école yougoslave apparemment) ; de plus, certains cadrages sont d'une réelle virtuosité. Tous les ingrédients semblent donc présents pour offrir un album de grande qualité... Et c'est là que deux récifs viennent faire tanguer dangereusement l'ensemble. Tout d'abord une narration trop complexe, voire confuse, qui parasite la bonne compréhension de cette mécanique de précision (j'ai plusieurs fois hésité sur l'identité des protagonistes). D'autre part, les problèmes de typo nuisent à une lecture sereine. Effet de traduction ? Peut-être, toujours est-il que passer de grands caractères à des pattes de mouches (myopes s'abstenir) ne facilite certainement pas l'immersion dans l'aventure. Au final, j'attends d'embarquer pour le deuxième tome avec l'impatience de l'amateur d'intrigues complexes (et sanglantes), mais je croise les doigts pour que la narration soit fluidifiée et les textes homogénéisés.
« La Pompe à climat » tome 1 de « L'Odyssée de Japper Jack », par Solon, Tandiang et Lafollas. Chez Soleil.

P'tain de casting ! On l'attendait depuis longtemps cet album, compte tenu des premières info qui circulaient depuis... euh... j'ai arrêté de compter. On l'espérait en salivant à la lecture des résumés... « Japper Jack » remplacera-t-il « Stan Pulsar » dans le cœur des amateurs de S-F décalée ? Et puis on lit ce premier tome... Pardon, on se force à lire ce premier tome. L'intrigue est minimaliste, les rebondissements sont dignes d'un épisodes de « Derrick », et l'humour est aussi digeste que 50 litres d'huile de vidange... S'il n'y avait eu que cela, vous vous doutez bien que le livre aurait joyeusement terminé sous un meuble et n'aurait pas fait la une de ces chroniques. Les circonstances atténuantes ? Le dessin de Tandiang et les couleurs de Lafollas. En effet, cette association est des plus intéressantes pour un récit S-F (même si, parfois, les éléments caricaturaux sont excessifs), et éveille la curiosité. On aurait donc aimer la voir dans un album avec plus de corps et d'intensité... voire dans un album qui ne sente pas la blague de potache faite entre potes (au fait, pourquoi Gary Lukinburg prend-il le pseudo de K. Solon pour cet album ?). En résumé, le travail de Tandiang et Lafollas, oui ! « L'Odyssée de Japper Jack », bof...
Black Jack - T. 1 par Michael Day
« Blackjack » tome 1, par Osamu Tezuka. Chez Asuka.

Je ne vous ferai pas l'affront de vous parler de Tezuka (le « dieu du manga » !), ni de vous résumer « Blackjack », une série déjà bien connue (mais peut-être pas encore mythique, malheureusement) tant par la publication (interrompue) de certains épisodes par Glénat ou par la série animée. Les aventures du meilleur médecin du monde (avec une mèche blanche sur l'œil et une balafre) font partie de ces incontournables qui doivent siéger en bonne place dans toute bédéthèque. Je m'attarderai donc plus sur la forme que sur le fond. Un nouvel éditeur (Asuka) endosse la lourde charge d'éditer « Le meilleur d'Osamu Tezuka » ; c'est écrit sur la couverture. Excellente initiative ! Initiative renforcée par la volonté de respecter l'œuvre originale tant par le format, le sens de lecture que par l'ordre de ces dizaines d'histoires courtes. Autre bon point donc. Tout aurait pu être parfait dans le meilleur des mondes, s'il n'y avait eu deux éléments perturbateurs. D'une part, une impression qui plombe les noirs et laisse un sentiment de dessin gras et malhabile, ce qui pourrait tromper le novice quant aux réelles qualités du maître (qu'il se rassure en lisant « Ayako » ou « Bouddha »). D'autre part, des fautes d'orthographe qui nuisent grandement à la lecture. Une série indispensable donc, en croisant les doigts pour que, dès le tome 2, « Blackjack » bénéficie d'une présentation parfaite.
« Godspeed - Une vie de Kurt Cobain », par Legg, McCarthy et Flameboy. Chez Flammarion.

Ouvrage de circonstances, compte tenu de l'anniversaire très médiatisé (un paradoxe ?) de la mort de Kurt Cobain (l'ex-chanteur du groupe Nirvana), « Godspeed » a cartonné outre-Manche en offrant un récit biographique assez dur de ce que fut la vie de l'icône du grunge. Comme il est assez difficile de se pencher sur le fond de l'album, la vie de Cobain étant un scénario en soi, je me contenterai d'égratigner la forme. Graphiquement l'album est très inégal, naviguant entre moments intenses et scènes kitsch n'ayant rien à envier au summum du mauvais goût. Si certaines scènes suintent la révolte et la détresse, étant par là bien en phase avec l'image médiatique que le chanteur a laissé de lui, d'autres sont d'une telle naïveté qu'elles enlèvent toute crédibilité au propos. Au final, nous avons un album que s'arracheront les fans nostalgiques (et ils ne seront pas déçus), que les amateurs de biographies apprécieront tant la vie de l'idole de Seattle est intense, et que les fans de BD éviteront soigneusement car il ne rentre pas dans les critères du genre... Une curiosité à réserver à certains amateurs éclairés.
« The Thames Machine » tome 3 de « Les Avatars », par Pierre Veys et Bruno Bazile. Chez Dargaud.

Ils ont osé ! Qui aurait cru qu'un jour la bande dessinée connaîtrait, à l'instar du rock, un album blanc ? Poussant la logique de leur série loufoque et hautement référentielle à l'extrême, Veys et Bazile l'ont fait. Entre parodie des « Tontons flingueurs », des Beatles ou de « Amicalement vôtre », Veys s'en donne a cœur joie pour accumuler les références aux années 60/70, aux séries télé, à la musique, etc. Ce scénariste de talent, au flegme très british (relisez « Baker street » si vous en doutiez), ne lésine pas sur les loufoqueries et l'accumulation de situations grotesques. Voilà bien toute la force... et la faiblesse de ce troisième album. La trame scénaristique étant réduite à sa plus simple expression (l'intrigue est plus que secondaire), si vous n'êtes pas un fan de l'époque ou des séries parodiées, cet album (voire la série) vous semblera des plus creux. De même, si vous n'êtes pas en phase avec l'humour décalé de Pierre Veys, ne vous attendez pas, lors de la lecture de ce troisième OVNI, à voir poindre le moindre rictus au bord de vos lèvres. Nous voici donc, étrangement, devant un très bon album qui ne semble s'adresser qu'à un lectorat bien précis au risque de paraître futile aux autres lecteurs.
« Les 24 Heures du monde » tome 3 de « Mâchefer », par Fred Duval et Vastra. Chez Vents d'Ouest.

Quel beau gâchis... Pas l'album ! Non, non... la fin de cette série pour des raisons commerciales. Certes, comme je l'exprimais dans la chronique du tome 2, j'avais été déçu par le tome 1. Aujourd'hui, ce 3e et dernier volume est, dans son genre, une belle réussite. D'une part, à travers l'ensemble de cette (trop) courte série, on voit le dessinateur progresser à bonds de géant. D'autre part, ce dernier tome est le plus dynamique, le plus déconnant, le plus mouvementé mais aussi le plus émouvant. Les auteurs s'en donnent à cœur joie dans un mix bordélique entre « Mad Max » et « Les Fous du volant » (si, si souvenez-vous de Satanas et Diabolo, ce dessin animé délirant de course de véhicules débiles qui a bercé votre enfance... si vous avez plus de 25 ans) ; Fred Duval semblant même abandonner l'espace d'un instant ses dynamiques scénaristiques trop pensées (qui font notre plus grand plaisir dans « Carmen McCallum », « Travis » ou « Gibier de potence ») au profit de plus de linéarité et de fantaisie. Nous voilà donc devant la fin d'une série, qui n'a pas su conquérir « son public », mais qui, au fil des albums, a démontré de nombreuses qualités et s'est forgé un lectorat de fans (dont je suis depuis peu). Si vous aimez les courses de bagnoles, les univers S-F, et que vous cherchez à vous vider le cerveau le temps d'un (... ou deux... ou trois) albums, vous savez ce qu'il vous reste à faire : foncez, pied au plancher, sur « Mâchefer ».
« Number 5 » tome 2, par Taiyou Matsumoto. Chez Kana.
La nouvelle collection « Made in Japan » des éditions Kana peut s'enorgueillir d'éditer en parallèle l'une des plus belles fresques du manga (« Le Sommet des dieux ») et l'un de ses plus beaux OVNI. Autant le dire de suite, « Number 5 » - dont les deux premiers tomes paraissent simultanément - est une œuvre complexe qui rebutera nombre de lecteurs... et donnera des céphalées aux autres. Taiyou Matsumoto nous dévoile dans ce chef d'œuvre S-F l'étendue de son talent, de ses influences ou de ses réflexions narratives et graphiques. Côté influences, un nom vient immédiatement à l'esprit : Moebius. Pas celui des œuvres « grand public », telles « L'Incal » ou « Le Monde d'Édena », mais celui du talent pur et des errances graphiques de « 40 days dans le désert ». Côté réflexions, Taiyou Matsumoto développe une démarche propre, proche de celle d'un David Lynch au cinéma, qui intègre pleinement chaque élément visuel de la planche dans l'intrigue (le moindre logo, la moindre ombre, etc. chaque chose est étudiée pour être graphiquement significatif), tout en ayant l'audace de ne pas fournir aux lecteurs les clés de l'univers. « Number 5 » est par ces aspects une œuvre fascinante qui oblige une lecture concentrée et une relecture tout aussi précise. Certes la plume de Taiyou Matsumoto, tantôt (volontairement) naïve, tantôt ultra-précise, peut choquer, mais le plaisir qui naît de l'illusion de comprendre le message de l'auteur après plusieurs lectures vaut largement les (trop ?) nombreux efforts à fournir pour s'imprégner de ce monde fascinant. Une œuvre qui marquera certainement l'année 2004, à défaut de s'adresser à tous... et de cartonner au box office.
Face à Face : « Les joies de la famille », volume 1 des Fugitifs, par Vaughan et Alphona. Chez Panini, dans la collection Marvel Mini Monster

Brian K. Vaughan et Adrian Alphona n'ont pas quitté l'adolescence depuis longtemps et ça se sent. « Runaways » est une bande dessinée coup de poing, qui détourne le type d'histoires de super-héros de Marvel pour en faire une BD sur le rapport des adolescents à leurs parents. Six jeunes gens de la bonne société de Malibu découvrent un terrible secret. Leurs parents participent à des meurtres rituels. Horrifiés, ils décident de tenter de trouver les preuves qui pourront leur permettre de les livrer à la police. Et chemin faisant, ils vont de découverte en découverte. Leurs parents semblent tout simplement être des Alien. Et posséder de terribles pouvoirs que les six ados ont eux aussi, à l'état latent. Voilà la seule concession que les auteurs font à l'univers Marvel. Mais les super pouvoirs des six héros ne sont ni maîtrisés ni l'objet du livre. L'enjeu, c'est la lutte entre ces adolescents révoltés par le mensonge, écoeurés par le comportement de leurs parents et des adultes sans pitié pour qui il n'est d'autre voie que la soumission à l'autorité. Musclé, plein de rebondissements, le récit nous fait découvir un à un les traits de la personnalité de ces ados écorchés, nous plonge dans leurs tourments, leurs doutes, leurs découvertes et leurs premiers émois sentimentaux. C'est brillament mené, sur un rythme qui tient à la fois du pur fantastique et de la chronique sociale. Dessiné avec énergie mais pas sans élégance par Alphona, ce premier volume vous tient au corps jusqu'au bout. Sa grande force est de ne jamais s'écarter du propos. Et d'avoir suffisamment installé la haine et l'incompréhension entre les générations pour justifier une escalade inévitable. Jusqu'au bouquet final : « plutôt crever que grandir ». On en redemande !

par Thierry Bellefroid.


Face à Face : « Les Joies de la famille » tome 1 des « Fugitifs », par Vaughan & Alphona. Chez Panini Comics, collection « Marvel Mini Monster »
Vaughan et Alphona ont compris ce qui faisait une bonne bande dessinée : un dessin efficace qui conserve sa cohérence tout au long des pages, une narration précise, des dialogues bien sentis et quelques bonnes idées - pas nécessairement originales - exploitées avec intelligence. Et des bonnes idées, ces « Fugitifs » n'en manquent pas. Petit passage en revue...
(1) Comme le veut une certaine « nouvelle » tendance comics (cf. l'excellente série « Alias »), l'action se déroule dans l'univers Marvel (vous savez celui des super-héros en collant lycra), et conserve la cohérence de cet univers. Pourtant, le récit s'en éloigne suffisamment pour que le lecteur n'ait jamais l'impression d'être dans cet univers souvent trop cliché. Pour renforcer la différence dans la cohérence (et ne pas nuire aux attentes des fans des différentes ligues de super-héros de la « Maison des idées »), les événements se déroulent sur la côte ouest des USA... alors que toutes les institutions super-héroïques connues font la loi essentiellement sur la côte est.
(2) Pour faire classique, mais néanmoins différent, les auteurs se débrouillent pour que les héros soient poussés à former une équipe par les événements. Point de Professeur Xavier pour regrouper sous son toit tous les mutants du monde, mais bien une bande d'ado qui, bien que se détestant initialement, sont forcés de se réunir... et de découvrir leur propre identité !
(3) Dans le même ordre d'idée, alors que nombre de super-héros ont perdu leurs parents (Superman ou Batman pour ne citer que les plus célèbres), les protagonistes des « Fugitifs » ont des parents... et c'est bien là le nœud de l'intrigue ! En effet, ce sont les agissements étranges de ces parents qui obligent les ado à se prendre en main. On retrouve donc un récit joyeusement contestataire et rebelle, mais néanmoins très cadré socialement : qu'arrive-t-il quand des ado constatent que leurs parents transgressent les règles qu'eux-mêmes ont fixées ?
(4) Dernier élément-clé de cette excellente série, le choix des héros : des adolescents. Je me permettrai de paraphraser Jean David Morvan lors d'une interview radio accordée dans le cadre de la Foire du Livre de Bruxelles (février 2003) : les adolescents sont d'excellents héros, du point vue narratif, car ils découvrent leur monde en même temps que le lecteur. Force est de constater que ce ressort scénaristique est plus qu'habillement utilisé par les auteurs, pour nous plonger nous, lecteurs, dans une intrigue palpitante.
Vous l'aurez compris, le seul défaut de ce premier tome des « Fugitifs » est qu'il en appelle un deuxième... Souhaitons ne pas devoir attendre trop longtemps !
« La Résurrection de Jason Ash » tome 1 de « L'Armée des anges », par Fenton & Igle. Aux Humanoïdes Associés.
Les immortels et les anges semblent à la mode en ce moment (et vu que, personnellement, j'aime assez ces thèmes, je ne m'en plaindrai pas) ; encore faut-il bien exploiter ce « nouveau » filon. Fenton et Igle réussissent leur coup en offrant aux amateurs de thriller fantastique un récit d'introduction qui tient toutes ses promesses. Fenton construit une intrigue mêlant habilement des éléments classiques (enquête sur les agissements du mystérieux Marchand de sable et des enlèvements de petites filles dont il est coupable) et dimension fantastique (la guerre violente que se livrent les immortels sur notre Terre). Comme vous êtes perspicaces - et adepte du genre - vous aurez déjà déduit que le héros est un flic qui, confronté aux éléments fantastiques, voit son enquête lui échapper, et vous aurez raison ! Au final, voilà donc une bonne amorce de cycle, ni génialement dessinée, ni extraordinairement scénarisée, mais bougrement efficace. Bref, une série B comme on aime les lire pour se détendre et passer un moment sympa.
« Kaze No Shô », par Furuyama & Taniguchi. Chez Panini Comics.
Si vous connaissez Taniguchi exclusivement pour ses récits intimistes et sensibles (cf. « Quartier lointain », par exemple), ce « Kaze No Shô » risque de vous surprendre. En effet, associé au passionné d'histoire médiévale japonaise qu'est Kan Furuyama, Taniguchi nous livre un pur récit de sabres. En l'an 2 de l'ère Keian (époque d'Edo), deux clans s'affrontent pour un manuscrit intitulé « Les Chroniques secrètes des Yagyû ». Ce récit de samouraïs, même s'il reste passionnant à lire, n'en demeure pas moins fort ardu pour celui qui n'a pas l'habitude de l'histoire japonaise. Alors que « Vagabond » privilégie l'action héroïque d'un héros, et que « Lone Wolfe and Cub » propose des récits courts centrés sur un fait d'arme, « Kaze No Shô » propose une intrigue plus complexe dans laquelle le politique occupe une place non-négligeable. Même si les renvois en bas de page et les quelques pages de lexique et références historiques sont bien faits et nécessaires, le lecteur occidental risque vite de perdre son latin et confondre noms de province, d'intervenants, de clans, etc. Ce nouveau titre de Taniguchi est plutôt à réserver aux fans du genre, aux amoureux du Japon ou à tous ceux qui sont prêts à faire un (petit) effort de lecture pour se plonger dans un bon récit historique.
L'éveil du Kurran par Michael Day
« L'Éveil du Kurran », par Lylian, Nori & Dune. Aux Humanoïdes Associés.
Tsoué est un gamin persuadé qu'un jour il deviendra Kuran, l'un de ces guérisseurs qui maîtrisent la source de vie (le Mekbé). Par ce simple résumé, le ton des 144 pages de ce « Tohu Bohu » est donné. Les auteurs nous plongent, intelligemment et avec une grande poésie, au cœur d'un récit initiatique. Point de quête grandiose, juste la vie d'un gamin qui apprend à devenir grand. Le monde dans lequel se déroule cet apprentissage est bien décrit, et les mythes fondateurs raisonnablement explicites, pour nous permettre de nous imprégner de la culture locale et de « vivre » de façon intime la vie du jeune héros. Le dessin, quant à lui, même s'il est un peu rigide et parfois malhabile n'en est pas moins suffisamment réaliste pour, là aussi, immerger pleinement le lecteur dans cet autre monde. On regrettera toutefois que cet album ne soit pas en couleurs, ajout qui aurait indéniablement offert de nouvelles senteurs à notre immersion. Au final, L'Éveil du Kurran est un bon album dans la pure tradition du conte (africain ?) qui plaira certainement à tous ceux qui ont une âme de poète ou... apprécient d'autres formes de fantasy que celles déclinées à grands coups de hache.
Sur la neige par Michael Day
« Sur la neige », par Wazem & Aubin. Aux Humanoïdes Associés.
Je ne sais pas pourquoi, mais cette bande dessinée me fait invariablement penser au film Fargo. J'imagine que l'association entre une ville perdue dans le trou du c... des USA, un shérif, une ambiance neigeuse et un rythme assez lent y sont certainement pour quelque chose... Allez savoir... Étrangement, ce nouveau titre de la collection « Tohu Bohu » me laisse un bon souvenir, alors qu'objectivement rien dans ce que j'ai lu ne correspond réellement à mes goûts. L'intrigue est assez linéaire, le « héros » est attachant par les valeurs qu'il défend mais n'est pas super-héroïque pour un dollar... et pourtant... Et pourtant il se dégage une réelle force de ce récit (de ce conte ?). Extrêmement bien raconté, ce récit se concentre sur l'essentiel et le magnifie par des dialogues de grande qualité. La conviction du héros gagne le lecteur, la promiscuité des lieux (renforcée par la neige) le piège durant 108 planches, les événements relatés, bien qu'anodins, le passionnent par leur cohérence... Bref, tout dans la narration concourre à impliquer le lecteur dans l'épisode le plus marquant de la vie de ce shérif de nulle part et lui offrir un bon moment de BD. Ajoutez à cela la proximité qui existe entre le trait d'Aubin et celui de Wazem, et vous obtiendrez un tout cohérent qui jamais ne détone.
« Cette chère Alicia » tome 1 de « Léo & Léa », par Grisseaux & Tirabosco. Chez Casterman.
Prépubliés dans Je bouquine, ces 11 récits de 4 pages racontent les tribulations scolaires de jumeaux, Léo et Léa. À la première lecture, même si j'étais tombé sous le charme évident du dessin « pastel » de Tirabosco, ce recueil ne m'avait pas marqué outre mesure. Mon attention fut, à nouveau, attirée par les aventures de ces deux collégiens lorsque de jeunes adolescents de mon entourage se sont emparé de l'album et m'en ont parlé. J'en retiens que les personnages sont intéressants car : ils sont suffisamment rebelles tout en étant bien intégrés à leur milieu, ils sont suffisamment teigneux pour ne pas se laisser et faire et préparer des mauvais coups tout en ayant des « adversaires » qui ont du répondant, ils ont des parents vraiment bizarres (des magiciens) et vivent avec une ménagerie des plus originales... Bref, à l'écoute de leurs commentaires j'ai (presque) compris pourquoi ils appréciaient mes disques de Marilyn Manson et mon album de Léo & Léa. Voici donc un premier album résolument moderne, pas nunuche par un cent, et bénéficiant d'un dessin sympa, qui devrait ravir les plus grands de vos plus jeunes...
Assassine par Michael Day
Face à Face : « Assassine », par Delperdange et Taymans. Chez Casterman.

Le fils naturel de Cosey aime multiplier les projets. Et il le prouve, avec une nouvelle série (La fugitive) dessinée par Eric Lenaerts (on aurait préféré que cette histoire délassante soit assurée par Taymans lui-même, mais bon, on ne peut pas tout faire) et ce one-shot en noir et blanc sur un scénario du romancier Patrick Delperdange (le scénariste de S.T.A.R.S.). Curieusement, Taymans, pourtant fidèle à son trait, convoque ici les ingrédients d'un thriller mâtiné de sorcellerie et de paysages enneigés qui rappellent... Comès. De quoi brouiller définitivement les pistes.
Première constation, le dessin d'André Taymans garde toute sa force en noir et blanc. Les ambiances de blizzard dans ce bled du bout du monde, l'hôtel déserté et les vieilles qui cancanent au passage du héros, les chiens-loups qui rôdent au gré des pages conviennent au dessin pourtant très ligne claire de Taymans grâce à la magie des aplats et des ombres. Seconde constatation : en dehors d'une conclusion un peu facile, Delperdange nous propose son meilleur scénario de BD à ce jour. L'histoire de ce violoniste, de retour après une semaine d'absence, qui découvre dans le journal local une photo où l'on voit en arrière-plan une silhouette dans sa maison pourtant restée vide -croyant y voir la femme qu'il a perdue deux mois plus tôt- permet un chassé-croisé entre les personnages et les époques. Mêlant habilement présent et passé, images volées et narration continue, l'auteur installe son mystère page après page. Hormis les visages de femmes qui semblent éternellement les mêmes album après album, une belle manière pour André Taymans de se renouveler dans la continuité et pour Patrick Delperdange de prouver qu'un romancier peut maîtriser avec aisance tous les ustensiles de la cuisine en bande dessinée.

Je viens de lire, de Thierry Bellefroid.


>>> Note <<< « Assassine », par Delperdange et Taymans. Chez Casterman.
Je me permettrai une petite note personnelle quant à la maîtrise des « ustensiles de la cuisine en bande dessinée » acquise par Patrick Delperdange. Certes, Assassine est son meilleur scénario et une bonne histoire (hormis une fin un peu attendue), pourtant Partrick Delperdange ne semble pas encore au meilleur de ses possibilités, comme le prouve la lecture de ses romans. Pour les plus curieux (et les plus coquins) d'entre vous, il est intéressant de se plonger, parallèlement à la lecture d'Assassine, dans le roman illustré du même duo paru simultanément aux éditions Point Image. Dans le cadre de leur collection « L'Index », elles éditent généralement des textes érotiques classiques illustrés par des grands noms de la BD (J-F. Charles, D. Hulet, R. Follet, etc.). Exceptionnellement, elles publient un texte inédit signé Delperdange : Toison d'or. La lecture devient d'autant plus intéressante (et flirte avec l'exercice de style), lorsque l'on constate l'analogie de structure entre ledit texte et la BD chroniquée ; cette double lecture permet, entre autre, de mieux comprendre les quelques anicroches narratives de la BD... et de fonder quelques espoirs sur les prochains polars du scénariste.
« Tsubasa, les ailes d'argent », par Tachihara. Chez Panini Comics.
Voici un manga qui passa presque inaperçu lors de sa publication en français. Et pourtant, c'est un de ces récits qui marquent une vie de lecteur. Aujourd'hui, de nombreux mois plus tard, je constate que tous les ami(e)s à qui j'ai prêté le livre m'en parle encore... Tsubasa est l'un des récits les plus poignants et émouvants que j'ai pu lire ces derniers mois. Ce récit retrace les cent dernières heures d'une escadrille de... kamikazes ! Toute la force du récit - et l'intelligence de l'auteur - est de ne porter aucun jugement sur l'acte guerrier en tant que tel, mais de concentrer sur les hommes qui le conduiront jusqu'à leur fin. Ce récit s'attache donc à nous faire partager les doutes, les angoisses, les espoirs et les valeurs d'individus, bien humains, pour qui le sacrifice est un acte volontaire, tantôt de résistance, tantôt d'honneur ou... d'espoir. Le ton est toujours juste, parfois intimiste, jamais mélodramatique... Une perle rare !
« La Matriochka » tome 1 de « Break Point », par Saimbert & Mutti. Chez Albin Michel.
Cette Matriochka est certainement la meilleure surprise de la première fournée d'albums du label « BD Haute Tension ». À la croisée d'Usual Suspect, de Reservoir dogs, de Ronin, d'Ocean's eleven ou de Requiem, ce récit - prévu en deux tomes - nous narre (sous forme de flash-back) la composition de l'équipe de « spécialistes » qui tentera le casse du siècle (une chambre forte réputée inviolable). Efficace, usant et abusant à bon escient des ficelles du genre (ex-taulards, balance, cocu, commanditaire « légendaire », etc.), les auteurs nous mettent dans le bain, nous font apprécier les membres du gang (et détester les flics), nous offrent quelques belles scènes d'action et de baston, bref, nous en donnent pour notre argent... pour peu que l'on soit adepte du genre. Si, comme moi, vous appréciez les films cités en exemple, vous ne serez pas déçu par ce premier tome et vous piafferez d'impatience en attendant le second ; si, au contraire, le genre vous insupporte, passez votre route... au risque de prendre une balle perdue.
« La Dame de trèfle » tome 3 de « Norbert l'imaginaire », par Guéret et Vadot. Au Lombard.
Exercice difficile que de parler de ce tome 3 de Norbert l'imaginaire. Difficile, parce que mon éminent collègue a déjà vanté, à moult reprises, les qualités des deux premiers tomes. Difficile, car ce troisième tome balaye les éventuelles critiques précédemment évoquées, la dimension « exercice de style » étant largement supplantée par la tendresse, les émotions et l'intelligence de ce nouveau récit. Difficile, toujours, car ce nouvel album est certainement le plus âpre pour le lecteur qui tenterait de découvrir la série. Cela dit, vu la somme des qualités, tant graphiques que narratives, qui animent cette histoire (de rupture), il serait dommage de ne pas faire partager la joie qui a envahi le lecteur/chroniqueur que je suis. Norbert l'imaginaire est vraiment une série atypique qui mériterait de siéger en bonne place dans toute bédéthèque digne de ce nom. Norbert l'imaginaire, c'est la fusion parfaite entre les libertés offertes par le média BD et la réalité que nous impose notre psyché. Mieux que tous les magazines de psycho réunis, Norbert est un concentré des questions et (parfois) des réponses qui nous assaillent lors de certains événements marquants de notre existence : la découverte de l'amour, le coup de foudre, la rupture, etc. Jamais les topiques freudiennes n'auront été aussi bien (et clairement) illustrées ; jamais la psychologie humaine n'aura été décortiquée, en BD, avec tant de tendresse ou de clairvoyance. Merci.

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