Conquistador par Laurent Fabri
"Conquistador", Georges Van Linthout et Yves Leclercq, chez Casterman - Collection Romans.
Voilà ce que d'aucuns appellent un album graphique. Loin de ce à quoi les auteurs nous ont habitué, au travers des séries précédentes. Ici, l'on sent immédiatement le plaisir pris en créant cet album, et tant mieux pour le lecteur si lui aussi apprécie. Au dessin, Van Linthout délaisse la ligne claire au profit d'un crayonné puissant, en accord parfait avec le thème de l'album. Un thème qui n'est sans doute pas des plus faciles, pour le bluesman néophyte. Car tout à leur joie de réaliser cette histoire, les auteurs ont pris le risque de perdre quelques lecteurs en cours de route. Le doute n'est pas permis : le scénariste est un passionné, sans doute bon guitariste. Les références historiques et musicales ne sont pas toujours explicites, comme par exemple l'histoire de Robert Johnson. "L'inventeur" du blues, l'homme qui a rencontré le diable à la croisée d'un chemin, et qui en échange de son âme a reçu le blues. Où cet accord, EBEEBE, pierre angulaire du récit. N'ayant jamais effleuré une guitare, je me le suis fait expliquer. Mais tout cela ne diminue en rien le plaisir ressenti à la lecture de cet album, ni sa qualité. Un album qui résonne dans l'oreille de ce qui aiment le blues, et qui sait, donnera peut-être envie aux autres de découvrir cette musique.
Je viens de lire, d'Arnaud Reymann
Second avis : "Conquistador", Georges Van Linthout et Yves Leclercq, chez Casterman - Collection Romans.
Le duo Leclercq et Van Linthout avait tendance à se cataloguer dans les petits polars gentils et sans grande prétention, nés dans l'ombre de Caroline Baldwin. Avec Twins, notamment, le style de Van Linthout se rapproche très fort de celui d'André Taymans, mais sans que le scénario de Leclercq ne sorte vraiment de l'ordinaire... De même, les histoires concoctées par Van Linthout en tant que scénariste ne marquent pas l'histoire de la BD. S'ils en étaient restés là, les deux auteurs ne mériteraient qu'une estime mesurée : c'est gentil et sans prétention. Mais il y a eu La Nuit du Lièvre et pour confirmer cet ouvrage attachant et beaucoup plus profond, il y a maintenant Conquistador, qui trouve autant sa place dans la collection Romans de Casterman que La Nuit du Lièvre dans Encrages de Delcourt. Car il s'agit dans les deux cas d'un réel travail d'auteur(s). Dans cette histoire d'un vieux bluesman noir comme il se doit, se racontant au seuil de son dernier concert, le lecteur a l'impression de se plonger dans la bio d'un des monstres sacrés du blues. Est-ce que Robert Johnson, Johnny Lee Hooker ou ce Bud Leroy a réellement existé ? C'est là toute la force de cette histoire, c'est que l'on y croit sans peine, parce que Leclercq distille quelques faits véridiques qui crédibilisent l'ensemble (Robert Johnson invité au premier grand festival de musique afro-américaine alors qu'il venait de mourir, le mythe du carrefour repris de nombreuses fois par les bluesmen...). La magie du récit fait le reste.
Le dessin de Van Linthout, arrêté au stade du crayonné, tout en ombres et en grisés, rehaussé de quelques coups de pinceaux qui donnent le volume, est d'une force impressionnante.