Bonne santé par Laurent Fabri
« Bonne santé », par Charles Masson. Casterman, collection Ecritures.
« Je maudis le connard qui a décidé de souhaiter « Bonne santé » pour le nouvel an. » Cette citation reprise en quatrième de couverture résume à elle toute seule la tonalité de l'album. Car cette sortie est celle d'un médecin, Charles Masson, qui a choisi la bande dessinée comme mode d'expression pour traduire ses réflexions issues d'une pratique quotidienne de sa spécialité. L'homme n'en est plus à son coup d'essai. Avec « Soupe froide », il avait pris pied chez Casterman en couchant sur le papier un récit inspiré par son travail auprès des plus démunis. Avec « Bonne santé », il explore un domaine plus ambigu, celui des rapports entretenus par le médecin et son environnement : les patients, les autres praticiens, les femmes. Et surtout du rapport du praticien à la maladie, à la souffrance... et in fine la relation à la mort. Charles Masson aborde ces difficiles questions en une demi-douzaine de chapitres, rythmés par le fil narratif d'une visite de chambres de malades un jour de l'An. Six chapitres, autant de portraits de médecins, d'hommes finalement fragiles réagissant chacun à sa manière à la confrontation permanente à la déchéance et à la mort, colosses au pied d'argile minés par l'angoisse de faillir, de trahir la confiance parfois aveugle placée en eux par les patients. Mensonge devenu pathologique, cynisme affecté, et dans tous les cas un douloureux besoin de dialogue... « Bonne santé » se fait tour à tour choquant et touchant, émouvant et impliquant. Charles Masson assume pleinement sa double casquette de praticien et de narrateur. Son trait s'affirme, gagne en force et en expressivité, accompagne sans faillir un propos militant, à l'heure où le débat éthique et judiciaire sur l'accompagnement de la fin de vie bat son plein. Une réussite, qui consacre Masson dans le club encore trop fermé des auteurs qui ont quelque chose à dire.
Je viens de lire, de Philippe Belhache.
Second avis : "Bonne santé", Charles Masson, Casterman Collection Ecritures.
Charles Masson n'est pas un auteur de BD c'est un médecin. Il ne raconte pas d'histoires, il les vit. Ou les a vécues. Pas de fioritures, d'artifices de scénaristes pour enjoliver ou corser le propos, mais les souvenirs bruts, plus ou moins précis. De ceux que l'on raconte un soir de blues, lorsque vient le besoin de vider son sac ou de se soulager. Parce que les histoires de Masson n'ont rien de drôle, ou si peu, ou si noir. Quant on est ORL pour des cancéreux, les souvenirs ne sont forcément pas toujours amusants. Et comme il l'explique d'ailleurs très bien, l'humour de salle d'op n'est finalement qu'une carapace dont il se couvre pour éviter de penser à autre chose, même si c'est à son "esprit" défendant. En quelques récits court, Masson taille un costard à sa profession, se traitant de menteur ou de lâche, et exprime une forme de dégoût face à la maladie et à son côté inique. Simples, chacune des six évocations est d'autant plus poignante, que l'on pourrait y reconnaître un parent, un ami, un proche.
Déjà avec "Soupe Froide", Masson n'avait pas fait dans le détail question émotion à l'état pur. Il confirme ici la terrible justesse de son ton. Si Masson n'est pas un auteur de BD, il en a en tout cas le talent graphique. Nerveux, haché, son dessin possède une force extraordinaire. D'autant plus qu'il pratique avec brio le décalage entre le narrartif et l'image. Peu de dialogues chez lui mais plutôt une litanie illustrée. Mais de quelle manière !