Les 54 critiques de Laurent Fabri sur Bd Paradisio...

Bonne santé par Laurent Fabri
« Bonne santé », par Charles Masson. Casterman, collection Ecritures.
 
« Je maudis le connard qui a décidé de souhaiter « Bonne santé » pour le nouvel an. » Cette citation reprise en quatrième de couverture résume à elle toute seule la tonalité de l'album. Car cette sortie est celle d'un médecin, Charles Masson, qui a choisi la bande dessinée comme mode d'expression pour traduire ses réflexions issues d'une pratique quotidienne de sa spécialité. L'homme n'en est plus à son coup d'essai. Avec « Soupe froide », il avait pris pied chez Casterman en couchant sur le papier un récit inspiré par son travail auprès des plus démunis. Avec « Bonne santé », il explore un domaine plus ambigu, celui des rapports entretenus par le médecin et son environnement : les patients, les autres praticiens, les femmes. Et surtout du rapport du praticien à la maladie, à la souffrance... et in fine la relation à la mort. Charles Masson aborde ces difficiles questions en une demi-douzaine de chapitres, rythmés par le fil narratif d'une visite de chambres de malades un jour de l'An. Six chapitres, autant de portraits de médecins, d'hommes finalement fragiles réagissant chacun à sa manière à la confrontation permanente à la déchéance et à la mort, colosses au pied d'argile minés par l'angoisse de faillir, de trahir la confiance parfois aveugle placée en eux par les patients. Mensonge devenu pathologique, cynisme affecté, et dans tous les cas un douloureux besoin de dialogue... « Bonne santé » se fait tour à tour choquant et touchant, émouvant et impliquant. Charles Masson assume pleinement sa double casquette de praticien et de narrateur. Son trait s'affirme, gagne en force et en expressivité, accompagne sans faillir un propos militant, à l'heure où le débat éthique et judiciaire sur l'accompagnement de la fin de vie bat son plein. Une réussite, qui consacre Masson dans le club encore trop fermé des auteurs qui ont quelque chose à dire.

Je viens de lire, de Philippe Belhache.

Second avis : "Bonne santé", Charles Masson, Casterman Collection Ecritures.

Charles Masson n'est pas un auteur de BD c'est un médecin. Il ne raconte pas d'histoires, il les vit. Ou les a vécues. Pas de fioritures, d'artifices de scénaristes pour enjoliver ou corser le propos, mais les souvenirs bruts, plus ou moins précis. De ceux que l'on raconte un soir de blues, lorsque vient le besoin de vider son sac ou de se soulager. Parce que les histoires de Masson n'ont rien de drôle, ou si peu, ou si noir. Quant on est ORL pour des cancéreux, les souvenirs ne sont forcément pas toujours amusants. Et comme il l'explique d'ailleurs très bien, l'humour de salle d'op n'est finalement qu'une carapace dont il se couvre pour éviter de penser à autre chose, même si c'est à son "esprit" défendant. En quelques récits court, Masson taille un costard à sa profession, se traitant de menteur ou de lâche, et exprime une forme de dégoût face à la maladie et à son côté inique. Simples, chacune des six évocations est d'autant plus poignante, que l'on pourrait y reconnaître un parent, un ami, un proche.
Déjà avec "Soupe Froide", Masson n'avait pas fait dans le détail question émotion à l'état pur. Il confirme ici la terrible justesse de son ton. Si Masson n'est pas un auteur de BD, il en a en tout cas le talent graphique. Nerveux, haché, son dessin possède une force extraordinaire. D'autant plus qu'il pratique avec brio le décalage entre le narrartif et l'image. Peu de dialogues chez lui mais plutôt une litanie illustrée. Mais de quelle manière !
"Le sourire du clown" tome 1, Brunschwig et Hirn, Futuropolis.

Brunschwig n'est pas un manchot du scénario, il l'a prouvé plus d'une fois, passé maître dans l'art de tisser des relations entre les êtres, de manipuler ses personnages pour les pousser au paroxysme de leurs réactions. On l'avait vu dans Le Pouvoirs des Innocents. On retrouve le même genre d'ambiance dans Le Sourire du Clown. Un clown triste orphelin de son compagnon de piste, un jeune gars traumatisé par la mort de ce dernier, un journaliste sans ambition et surtout un curé aux allures de Père Noël, qui nettoie son église au fusil à pompe comme d'autres utilisent le karcher dans les banlieues. Et au vu des récents événements français, l'album prend d'ailleurs un curieux coup de projecteur de l'actualité.
Pour cette nouvelle série, publiée sous la très belle maquette du nouveau Futuropolis, Brunschwig retrouve au dessin Laurent Hirn. Mais Hirn a travaillé ici en couleurs directes, ce qui donne davantage de douceur à son style mais qui le rend aussi plus pictural, à la manière d'un Gibrat. Une grande réussite dans le ton comme dans la forme.
Amnésia (Fantic) par Laurent Fabri
"Amnesia", Fantic Livre I, par Nataël et Béja, EP Editions Collection Atmosphères.

Relativement peu prolifique, le duo Nataël et Béja a pourtant ponctué son travail de quelques perles. Nolimé Tangéré, les Griffes du Hasard ou encore les Compagnons du rêve distillaient la même ambiance élégante et ambiguë au gré des pages et des dessins, très lignes claires de Béja.
Nataël poursuit en quelque sorte dans la même veine, se focalisant sur un quasi-huis clos où l'immeuble qui abrite Alf, un dessinateur à la dérive familiale et professionnelle, un couple de lesbiennes algériennes, une flic sous couverture et une concierge aux oreilles traînantes comme il se doit, joue le rôle d'un personnage à part entière. Qui manipule qui, entre le propriétaire un peu trop enclin à donner ses apparts en location, la concierge qui fait passer des lettres relatant les faits et gestes de chacun ou la flic portée sur la bouteille.. ? On est reparti dans un jeu de chats et de souris, dont Nataël tire habilement les ficelles. C'est parfois un peu confus et exige plus d'une relecture et quelques retours en arrière, mais c'est toujours aussi plaisant.
Le dessin de Béja reste toujours aussi parfait de ligne claire, rehaussé d'une bichromie sépia de bon effet. Ses personnages, particulièrement féminins, sont très agréables à regarder et il prend visiblement un malin plaisir à insister sur des détails sensuels, qui ajoutent encore au côté ambigu et sulfureux du récit.
L'histoire est prévue pour se dérouler en trois tomes, fort joliment présentée d'ailleurs. Le format carré de la collection Carrément BD de Glénat semble avoir fait des émules !
Les mauvaises gens par Laurent Fabri
"Les mauvaises gens" par Etienne Davodeau, Delcourt.

Etienne Davodeau se situe à mille lieues de tout style commercial. Habitué des histoires de petites gens, intimistes, il avait, avec Rural !, initié un genre nouveau en bande dessiné, celui du reportage de terrain, n'hésitant pas à se mettre lui-même en scène dans ses chroniques. Avec Les mauvaises gens, il pousse la démarche plus loin encore pour raconter l'histoire de ses parents, militants syndicaux de la première heure.
Et décrypter à travers eux, à l'usine dès l'âge de 14 ou 15 ans, l'évolution du monde ouvrier français dans une région mi-rurale, mi-industrielle. Emergence des Jeunesses ouvrières chrétiennes, puis de la CFDT, combat politique local...: Davodeau suit le parcours militant de ses parents, jusqu'à ce soir de mai 81 (élection de Mitterrand), qui sonna à leurs oreilles comme un aboutissement.
Davodeau effectue un travail remarquable de documentaire. Il alterne les évocations de l'époque avec des passages d'interview de certains personnages clés, allant jusqu'à illustrer ses parents réagissant à ses premières planches. Mais même subjectif, le récit a valeur historique parce que Davodeau cherche à comprendre, à apprendre l'expérience de ses parents.
L'ouvrage, d'autant plus volumineux qu'il est en petit format, doit s'appréhender de la sorte. Dans le style comme dans le ton, on est loin de Largo. Il faut donc le prendre, le laisser, y revenir... pour l'assimiler et profiter pleinement de sa profondeur.
Africa (Djinn) par Laurent Fabri
"Africa", Djinn tome 5, Dufaux et Miralles, Dargaud.

Le premier cycle de Djinn, du à la fusion sulfureuse entre Jean Dufaux et Anna Miralles, était apparu comme particulièrement envoûtant, flirtant en permanence aux limites de la « bienséance ». Pleins de sensualité et de douceur caressante en même temps, le dessin et les couleurs de Miralles semblaient faits pour servir le propos de Dufaux au mieux de sa forme dans ces intrigues amoureuses ambiguës et à tiroir.
Mais après le premier cycle, que restait-il ? Toutes les portes se refermaient avec la conclusion de cette quête initiatique sur deux époques. Mais bon, on sentait bien que ce duo-là n'allait pas en rester là. On ne clôt pas aussi rapidement une rencontre aussi fusionnelle. Dont acte. Dufaux a gardé le triangle porteur et diabolique, Jade et le couple Nelson. Mais il les emmène dans de nouvelles aventures africaines cette fois.
Après les charmes de l'Orient, Dufaux et Miralles abordent les rives des grands fleuves d'Afrique noire, leur magie et la fierté de leur peuple. Mais si le cadre est très différent, on retrouve la même ambiance lourde, chaude et moite. Avec le même plaisir, même si la surprise est moindre.
"Le roi des bourdons", tomes 1 et 2, David De Thuin.

David De Thuin s'est fait un nom déjà remarqué dans la BD jeunesse, publiant chez Dupuis, Bayard ou Casterman des séries comme Zélie, Arthur Minus ou Zizi la Chipie. Ses histoires, écrites en propre ou par des scénaristes comme Corbeyran ou Corcal ne manquent jamais de fraîcheur ni d'humour. Mais elles restent généralement à la hauteur de leur public, plutôt enfantin.
Avec le Roi des Bourdons, deux tomes publiés à compte d'auteur, De Thuin ne s'écarte pas énormément de son style habituel, si ce n'est qu'il met en scène des personnages animaliers, qui ont un curieux cousinage avec le bestiaire de Trondheim. On y retrouve un peu les mêmes faciès anthropomorphes de lion, de tigres, de cochons ou de hiboux. Mais qu'à cela ne tienne, il s'agit davantage d'une référence ou d'une filiation que d'une reprise.
Le ton est de plus assez différent, évoluant entre l'histoire pour enfant aux relents fantastiques et la réflexion douce-amère plus profonde sur les relations entre les gens et sur la vacuité du paraître.. (si, si je vous jure !).
Même si cela manque un peu de personnalité graphique, c'est frais, cela ne mange pas de pain et puis cela ne fait pas de tord d'aider (un peu) un jeune auteur.
"Le Petit Bleu de la côte Ouest", Tardi et Manchette, Les Humanoïdes associés.

Entre Le cri du Peuple et un nouvel opus de Nestor Burma (un jour peut-être), Tardi s'offre une escapade du côté des seventies. Comme une récréation graphique après l'épreuve majeure de la mise en planche du Cri. Comme terrain de jeu, Tardi, habitué aux adaptations de polars, s'est choisi un roman de Manchette. Une première adaptation, Le Griffu, réalisée dans de mauvaises conditions, lui avait laissé une sorte de frustration. Le Petit Bleu de la côte Ouest est reconnu comme un roman fondateur du nouveau polar, qui dépoussière totalement le genre par rapport au travail des Malet ou autre Simenon. Le ton est plus réel. Et si, comme dans tout polar, le récit est totalement contemporain de son écriture, Manchette y distille ses propres idées. Le personnage de Gerfaut, cadre désabusé, ancien militant de 68, en pleine crise de confiance professionnelle et conjugale, résume à lui seul les questions que se posait l'auteur, il y a trente ans.
Comme dans toutes ses adaptations, Tardi reste fidèle, respectueux du texte original. Son style n'a rien de révolutionnaire par rapport à ce que l'on connaît de lui, même s'il avoue avoir épurer son trait pour laisser davantage de place au texte de Manchette. Il faut cependant être attentif pour percevoir les différences de style.
Après la fresque historique du XIXe, Tardi applique par contre la même rigueur historique à croquer le style des années soixante-dix (septante ?), Et c'est un plaisir de retrouver les faces anguleuses des voitures de l'époque. "Pourtant, cette période n'a rien de fascinant à dessiner. Les voitures ressemblent à de l'électroménager, l'architecture est triste, le mobilier terne" notait Tardi. Le plaisir de la lecture est cependant bien présent.
Les champs d'honneur par Laurent Fabri
"Les Champs d'Honneur", Jean Rouaud et Denis Deprez, Casterman Collection Un Monde.

Denis Deprez n'en est pas à son coup d'essai en matière d'adaptation en bande dessinée d'oeuvres importantes de la littérature. Othello ou Frankestein notamment ont trouvé un nouveau souffle sous ses couleurs, sombres ou violentes, puisant dans sa palette une forme de réécriture de l'oeuvre originale. Le dessin et la lumière sont omniprésents, ne laissant finalement que peu de place aux dialogues et au texte. La manière ne se dément pas dans la magnifique adaptation des Champs d'Honneurs de Jean Rouaud. Empreint de la lumière de la Loire Atlantique qui sert de toile de fond à ce récit de souvenirs de la famille de l'auteur, Deprez travaille avec davantage de netteté, comme si le fait de relater des faits réels l'obligeait à davantage de réalisme, mais avec le flou et le recul nécessaires qui sied à des souvenirs s'estompant avec le temps.
Deprez et Rouaud ont travaillé l'adaptation, la réécriture du roman initial en étroite collaboration, en osmose, n'hésitent-ils pas dire. Le dessinateur a repris des séquences du livre, alignant les cases muettes que l'auteur redistribue et "commente" de ses textes. A l'image du roman de base, la bande dessinée est largement dépouillée de dialogues directs et ce silence confère à la lecture davantage d'intimité.
De cette rencontre, initiée par Benoît Peeters, ce qui en soi est déjà une référence, devrait naître une autre aventure graphique et narrative. Rouaud et Deprez planchent maintenant sur une transposition de Moby Dick prévue pour 2007.
Anja (Vénus H.) par Laurent Fabri
"Anja", Venus H. tome 1, par Renaud et Dufaux, Dargaud.

Le duo qui mène la troublante Jessica Blandy depuis plus de 20 ans et autant d'albums fait des infidélités à son héroïne fétiche. Renaud et Dufaux se lancent en effet dans une nouvelle série dont le ton et l'ambiance ne s'écartent pourtant pas de Jessica Blandy. Mais voilà, même si la belle écrivain américaine a un passé sulfureux et un tempérament de braise, on ne peut pas nécessairement la faire évoluer dans toutes les situations pour autant.
Les auteurs ont donc opté pour un nouvel environnement, parisien celui-là dans les milieux très sélects du pouvoir, de l'aristocratie et de l'argent. Et du sexe tarifé aussi, mais très haut de gamme comme il se doit. Le principe de la série est de faire à chaque tome le portrait d'une des filles de Mademoiselle, mère maquerelle très chic et invisible. Avec cette Anja, Dufaux brosse celui d'une copie conforme de Jessica, physiquement en tout cas, qui se laisse envoûter par des sentiments qu'elle ne pensait jamais connaître à force de « n'en faire que les grimaces ». Des sentiments qui la pousseront très loin, pour se libérer autant que pour libérer celui qu'elle aime. Comme à l'accoutumée avec Dufaux, les personnages ne manquent pas d'épaisseur. Mais à force, ici de se confiner dans une classe glaciale, les protagonistes ne parviennent pas à prendre chair.
Renaud innove en travaillant en couleurs directes ce qui donne à son dessin davantage de spontanéité. Il ne se départit pas pour autant de ses défauts : des attitudes encore souvent hiératiques et des profils pas toujours très diversifiés.
Mais on aime bien quand même.
"Les éditeurs de bande dessinée", Entretiens avec Thierry Bellefroid, Niffle collection Profession.

Plus de deux ans de travail, de multiples rencontres avec plus d'une dizaine d'éditeurs de bande dessinée, notre excellent confrère Thierry Bellefroid n'a pas lésiné sur les moyens pour tenter de décrypter le rôle de ces personnages incontournables dans le monde de la BD.
Parler d'un bouquin de Thierry Bellefroid sur BD Paradisio, cela sent le copinage, diront les esprits chagrins. Que nenni, mon bon monsieur. Parce que voilà un ouvrage non seulement intéressant à plus d'un titre mais aussi novateur sur cette profession souvent décriée pour son côté censeur.
Mi-artiste, mi-hommes d'affaires, l'éditeur de bande dessinée ne sait finalement pas encre très bien sur quel pied danser. D'un côté ceux qui, comme Jean-Claude Menu, le « patron » de l'Association, Jacques Glénat ou Guy Delcourt, dirigeants respectifs des éditions éponymes, personnifient les maisons d'édition qu'ils ont eux-même fondées ; de l'autre, les Benoît Peeters (Casterman), Claude de Saint-Vincent (Dargaud) et autre Fabrice Giger (Les Humanoïdes Associés), ceux qui font fructifier un patrimoine, en homme d'affaires avisés, redevables à des actionnaires.
Si les pages consacrées aux premiers sont plus nombreuses, cela n'enlève rien à la qualité de l'intervention des autres et ne dénote pas non plus d'un parti pris de l'auteur, qui ferait la part belle aux « indépendants ». Fouillé et sans complaisance, l'ouvrage est aussi équilibré et donne la place qu'il faut à chaque éditeur. Mourad Bodjellal y donne toute la mesure de son ambition (sans bornes au demeurant), Glénat y démontre son côté cartésien, Delcourt sa rigueur financière, Giger laisse transparaître un sérieux côté revanchard... C'est finalement la personnalité des éditeurs eux-mêmes davantage que leur fonction que Bellefroid décrypte au fil de ses questions.
Question d'être à jour, une troisième partie a été ajoutée aux deux premières, consacré au rachat de Dupuis par Dargaud. On y apprend comment les actionnaires de l'éditeur de Marcinelle ont joué le coup et comment Média Participations s'est fait un peu avoir sur le prix...
L'ouvrage bénéficie en outre d'une iconographie fantastique. Plus d'une vingtaine d'auteurs ont livré des dessins ou des planches originaux pour illustrer le propos et les relations entre l'auteur et l'éditeur (avec un Trondheim que se lâche notamment). Et ces oeuvres sont remarquablement mises en valeurs par une mise en page soignée. Rien que pour cela l'ouvrage vaut le détour.
"Anton Blake, détective des sentiments", Bobillo et Trillo, Casterman Collection Ligne Rouge

Bobillo et Trillo, deux des grands noms de la bd argentine, encore en devenir pour le premier, parfaitement installé et reconnu pour le second. Le cocktail va-t-il prendre, surtout lorsqu'il s'agit de mettre en scène un petit polar plutôt intimiste, dont l'intrigue n'est finalement que prétexte ? Bobillo est plutôt habitué au fantastique, un tantinet gore à ses heures ; la palette de récits de Trillo est vaste et va du polar américain pur jus au fantastique ou au roman graphique. Des deux c'est donc lui qui semble le plus à l'aise dans cette nouvelle série qui tranche un peu dans le portefeuille de ces deux auteurs.
Bobillo y applique des couleurs directes et des traits encore bruts qui donnent un charme supplémentaire à cette gentille première. Cette sorte de douceur graphique colle d'ailleurs bien à cette trame douce-amère. L'intrigue policière ne sert finalement que de prétexte pour tisser des relations entre les principaux protagonistes de l'histoire. Ce cartooniste à succès, dont la promise se jette par la fenêtre le jour de ses noces, est au centre d'un microcosme dont on ne connaît encore que des bribes, suffisamment pour en comprendre les mécanismes, assez peu pour avoir envie d'en savoir plus dans les épisodes prochains. On ne sait d'ailleurs rien des motivations du suicide de la fiancée. Gageons que ce sera un fil rouge de la série. Cela ne mange pas de pain, mais c'est plaisant.
Ange-Marie par Laurent Fabri
"Ange-Marie", par Eric Stalner et Aude Ettori, Dupuis - Collection Aire Libre.

Stalner sera toujours Stalner, que ce soit Eric ou son frère Jean-Marc d'ailleurs. Pour avoir longtemps travaillé ensemble, le dessin des deux frères devient quasi indissociable. Et même lorsque l'un des deux vole de ses propres ailes, comme ici le cadet Eric, il ne parvient pas vraiment à s'affranchir du style familial. Les héros y ont toujours une tête de poupon, quelle que soit la violence du propos.
Sous la plume d'Aude Ettori, Eric Stalner, qui passe à la couleur directe avec une certaine maîtrise, ne se départit pas totalement de ses habitudes : son personnage principal reste un « jeune poilu » fraîchement démobilisé après la grande guerre et terriblement marqué par les épreuves qu'il y a vécues. Pour le reste, la scénariste tisse une trame moins violente que dans les autres albums de Stalner et joue davantage sur les sentiments qui se créent et se défont entre Ange-Marie et Luce, entre le premier et un vieux sculpteur un peu fou. On retrouve là quelques thèmes cher à Stalner : l'apprentissage, les amours impossibles ou, à tout le moins difficiles... Mais l'ensemble sonne également des même accents qu'un Zoo de Frank en moins poétique ou du côté rural et bucolique de Servais. En bref, malgré quelques justesses de ton, le résultat final dégage un air de déjà lu.
La Goule par Laurent Fabri
"La Goule", par Merlin et Agathe de la Boulaye, chez Casterman Collection Un Monde.

Venu de l'illustration et du dessin jeunesse, Merlin s'adonne pour la première fois à une « vraie » bande dessinée, si tant est que les livres jeunesse n'en sont pas. Comprenez donc une BD ado-adulte grand format. Formé à ce média où l'on fait la part belle au dessin, Merlin a été à très bonne école. Il manie du coup les couleurs comme un peintre davantage que comme un dessinateur. Le coeur du récit, tout l'épisode dans le cimetière, qui met en scène La Goule elle-même et ses fous n'est que couleurs, jusqu'aux textes qui se fondent dans les dessins. Merlin travaille sur des visages expressifs à outrance, qu'il oppose au monde fantastique qui gravite autour de La Goule et qui semble par comparaison, plus humain. Merlin avoue sa crainte de passer à la BD ado-adulte. Cette crainte se ressent dans les premières et dernières planches de l'album, plus réalistes mais plus simples aussi dans le traitement graphique, comme si l'auteur n'avait pas osé aller au bout de ses techniques pour ces planches où se pose l'intrigue. Un album intéressant d'un dessinateur qui ne demande qu'à confirmer.
Lettres d'un temps éloigné, Lorenzo Mattotti, Casterman Collection Un monde

Lorenzo Mattotti ne dessine pas, il juxtapose les couleurs, usant ses crayons et le papier jusqu'à donner chair à ses personnages. Le trait n'existe que dans sa couleur, dans sa lumière.
Ces Lettres d'un temps oublié ne sont que cela, de la couleur dans toute sa splendeur.
Mattotti y rassemble quatre nouvelles illustrées et racontées de manière assez différente mais ayant pour thème le voyage et la féminité. Les deux objets reviennent de manière récurrente dans l'oeuvre de Mattotti, pour qui l'homme est en mutation perpétuelle, baladant sa culture avec lui, parfois loin de ses racines.
Pour atteindre davantage de justesse dans ce domaine, Mattotti a confié les textes de la première des nouvelles à Gabriella Giandelli, également l'une de ses élèves. S'il est un grand coloriste, Mattotti laisse aussi une très grande place au texte. Ses dessins, se démarquant de la bande dessinée traditionnelle sont plus évocateurs que descriptifs. Le texte vient donc en appui indispensable.
Etat de siège, Caroline Baldwin tome 11, Taymans, Casterman Collection Ligne rouge

Avec le temps, Caroline Baldwin, héroïne préférée de Taymans, est parvenue à s'installer dans le catalogue pourtant épais des belles de la BD. Arrivé déjà à son onzième tome, Caroline Baldwin continue à promener son mal de vivre et son caractère de cochon à travers ses enquêtes entre Canada et États-Unis. Après quelques tomes plus dramatiques et davantage centrés sur la personnalité même de Baldwin atteinte du Sida, Taymans tourne un peu cette page pourtant intéressante pour revenir à une ossature plus classique dans son récit. Mais comme à l'accoutumée, le rythme est enlevé et soutenu, avec deux histoires qui se mènent en parallèle et dont on aura le fin mot dans le second volet de ce diptyque.
Sans grande prétention ni originalité débordante, les scénarios de Taymans ne manquent pourtant pas d'attrait et se laissent lire. Mieux que cela, on s'y accroche assez facilement. Son trait, à la ligne très claire, très proche de Cosey dans la facture, ne perturbent en effet en rien la lisibilité de l'ensemble.
Le chemin de fièvre, Les Scorpions du désert tome 4, Wazem d'après Hugo Pratt, Casterman

Peut-on s'attaquer à un monstre sacré comme Pratt ? La question mainte fois posée pour d'autres maîtres disparus revient ici encore. L'ayant droit de Pratt a décidé de confier la suite des Scorpions du désert à Pierre Wazem. Partant, la question ne se pose plus et il faut juger du résultat. Première constatation, les planches de Wazem sont faites pour être vues en couleurs. Casterman publie les deux versions (noir et blanc à couverture souple et couleurs cartonnée) mais force est de constater que la version noir et blanc fait un peu « cheap »... Wazem utilise beaucoup moins les ombres et les noirs comme Pratt pouvait le faire. Son trait apparaît donc comme un peu léger et flottant. Appuyé sur les couleurs de Patricia Zanotti, la coloriste de Pratt lui-même, il se tient mieux et prend davantage de consistance.
Pour le reste, Wazem passe du relativement bon au... très moyen. Une fois encore la version colorée, grâce à l'apport de Zanotti, se rapproche davantage du style de Pratt, parce qu'elle parvient à rendre ce mélange de romantisme et de poésie propre à Pratt. Par contre, le dessin de Wazem fait preuve de tant d'irrégularités que cela en devient irritant. D'une case à l'autre, les personnages passent du format nabot à celui de géant, certains sont totalement caricaturaux alors que d'autres restent parfaitement réalistes et dans la ligne élégante de Pratt. Enfin, certaines cases semblent directement reprises ou à tout le moins très largement inspirées des albums précédents du maître italien. Bref... Le travail de reprise par Wazem ne semble pas encore abouti, même s'il fait preuve d'un certain potentiel.
La fourmi (Double Masque) par Laurent Fabri
La Fourmi, Double Masque tome 2, Dufaux et Jamar, Dargaud

Pas de réelles surprise dans ce deuxième tome de la nouvelle série concoctée par Jamar et Dufaux. L'un et l'autre s'y entendent en matière de reconstitutions historiques, ils sont donc à leur affaire dans ce polar, un brin fantastique, situé à la veille de l'avénement de Napoléon. Rien à dire de ce côté donc, les costumes sont rigoureux, les décors d'une précision photographique... Mais comme dans les grandes cérémonies des Oscars, ce type de prix fait un peu lot de consolation. Jamar ne parvient pas à se départir d'une certaine raideuir dans son trait. Mais à force, on s'y fait ! Le scénario de Dufaux manque par contre un peu de peps pour réellement captiver le lecteur. Le scénariste nous a habitués à mieux. De plus, ce deuxième volet se contente d'achever la mise en place des protagonistes. On aurait voulu en savoir un peu plus. Allez, on laisse encore le bénéfice pour un troisième tome.
Petit Miracle tome 2, Mangin et Griffo, Soleil.

Après un premier tome assez léger dans le ton et dans la manière, le Petit Miracle de Mangin et Griffo prend une tout autre mesure dans le second volet de ce diptyque. Le petit garçon charmant, s'il n'avait la tête séparée du corps se mue en un monstre, tueur pragmatique, que rien n'amuse plus que de voir les têtes des autres rouler dans la sciure. Son machiavélisme se fait jour en même temps que tombe la Bastille. Mangin prend un plaisir évident à ourdir son récit dans l'ombre de la grande Histoire et de ses personnages emblématiques. Et même si elle prend quelques libertés avec la vérité historique, la juxtaposition des personnages réels et de la fiction donne une petite touche de crédibilité à l'ensemble.
Dans ce Petit Miracle, Griffo s'essaye avec ce diptyque à un style différent des Giacomo C., Vlad et autre SOS Bonheur. La pratique de la couleur directe donne à son trait plus de douceur, plus de rondeur et de volume. Et même s'il est davantage empreint d'une certaine dérision caricaturale, il ne manque ni de réalisme ni de pertinence.
Oregon Trail, Lester Cockney tome 8, Franz, Le Lombard

Sans même se rappeler que Franz a définitivement déposé ses crayons en mars 2003, ce huitième tome de Lester Cockney sonne comme une oeuvre testamentaire, jusque dans les dernières pages en tout cas. En voyant le héros titre de la série mordre la poussière, on ne peut s'empêcher d'y voir une sorte de prémonition. Mais c'est mal connaître le talent de narrateur de Franz dont on regrette qu'il n'ait pas eu le même pouvoir sur ses héros que sur son propre destin. Oeuvre posthume, Oregon Trail n'en est pas moins du Franz pur jus. Avec toute la gouaille et le sens de la dérision que l'on retrouve tout au long de son travail, dans les Compagnons de fortune notamment. Même au plus fort de l'aventure, Franz garde la réserve et le recul nécessaires pour donner à ces péripéties une touche d'humour assez désopilant. Et pas un des personnages n'échappe ainsi à sa facette décalée. Savoureux à souhait. Quant au dessin, faut-il encore le préciser, Franz est un maître du genre et n'a pas son pareil pour dessiner la gente équine et les grands espaces. Alors pourquoi bouder son plaisir...


Voir le diable (Makabi) par Laurent Fabri
Voir le diable, Makabi tome 3, Olivier Neuray et Luc Brunschwig, Dupuis Collection Repérages

Oh le charmant petit polar que voilà... En trois tomes, ce Makabi s'est forgé sa petite place et est parvenu à capter l'attention des lecteurs. Rien de fracassant en somme mais un récit bien construit qui se lit avec plaisir entre poire et fromage... Brunschwig est passé maître dans l'art de la manipulation et de l'intrigue policière. Le Pouvoir des Innocents l'a consacré comme tel, à juste titre. Avec Makabi, on est cependant loin du réalisme poussé du Pouvoir. Le propos comme le ton se veut plus léger, collection grand public oblige. On est vite au fait du rôle réel de cet obscure comptable du FBI qui ne paie pas de mine sous ses dehors de petit garçon sage, empêtré entre soeurs et mère d'une famille on ne peut plus juive en plein Little Jerusalem. Brunschwig n'échappe pas aux clichés du genre, mais son antihéros ne manque pas de piquant.
Toujours élégant et d'une grande simplicité, le dessin de Neuray ne contribue pas à donner plus d'épaisseur au récit de Brunschwig. Mais on ne s'en plaint pas forcément. On regrettera sans doute que Neuray ait tant arrondi son trait. Et de regretter son style plus pointu dans Nuit Blanche.
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