« La loi du Grand Nord », tome 1 de la série Franck Lincoln. Par Marc Bourgne. Dans la collection « Bulle Noire » des éditions Glénat.
Derrière une couverture particulièrement laide et tapageuse (un profil de flic simiesque, arme à la main et une fille à moitié nue devant un âtre, ça devrait doper les ventes, non ?), le dernier né de la collection Bulle Noire laisse sur un sentiment peu flatteur. Franck Lincoln (on se croirait revenu à l'âge d'or de Tintin/Spirou, quand les héros s'appelaient Marc Jaguar ou Marc Dacier, Alain Chevalier, Bernard Prince et j'en passe...) réserve quelques bons moments à ses lecteurs. Mais ils sont finalement rares en regard des défauts de l'entreprise. D'abord, quand on chasse sur les terres de J-Ch Kraehn, la moindre des choses est de prendre clairement ses distances. Un type dont la femme a disparu cinq ans auparavant et qui est devenu détective pour reprendre l'enquête à son compte, ça sonne quand même très « Gil Saint André ». Heureusement, Bourgne arrête là la ressemblance avec la série phare de la collection. Heureusement aussi, il n'a pas oublié sa passion pour l'Alaska. Sujet de son mémoire de fin d'études (l'Histoire à la Sorbonne, s'il vous plaît), l'Alaska avait déjà servi de cadre à la BD « Etre Libre » qu'il avait publiée il y a trois ans chez Dargaud, avant de reprendre Barbe-Rouge. Et c'est vrai qu'on sent qu'il connaît son sujet. C'est même peut-être ce qui sauve cet album qui réunit pas mal d'ingrédients connus et qui a bien besoin de ce dépaysement géographique pour se mettre à exister. Jugez plutôt : la fille qui réclame la protection d'un détective parce que son ex lui court après... fille qui s'avère être toxicomane et avoir piqué de la dope à l'ex en question (sorry de dévoiler une part de l'insoutenable suspense), c'est pas ce qu'on a vu de plus original... Les fausses surprises se succèdent, les ficelles sont connues et pourtant, je dirais que ce Franck Lincoln se laisse consommer comme un film de série B. Il y a de la place pour tout le monde, tant dans le cinéma que dans la BD. Dès lors, il n'y a aucune raison de crier au scandale. Franck Lincoln est un détective de plus, mais ce n'est certainement pas le plus mauvais de tous. On regrette juste qu'il soit si prévisible. Quant au dessin, pas de quoi crier au génie (à de rares exceptions près, ce n'est pas le fort de Bulle Noire !) mais surtout, on regrettera que le coloriste Bruno Wesel, pourtant assez au point sur les séries d'André Taymans, ait raté cet album avec tant de talent ! Un tel manque de nuance et de goût donne la nausée. Des exemples ? Les planches 7 et 8, avec leur ciel orange comme vous n'êtes pas prêt d'en voir. La planche 16, sans autre commentaire. Et il y en a d'autres. Dommage, ça ne fait que souligner le côté racoleur de l'entreprise...