Congo Bill par Thierry Bellefroid « Congo Bill » par Zezelj et Cunningham. Chez Mosquito.
Remarquable album à mi-chemin entre fiction historique et fantastique, ce « Congo Bill » est dérangeant. Le climat dans lequel baigne l'histoire, d'abord. A la limite du territoire du Zaïre (on est encore sous le régime de Mobutu, avant que le Zaïre ne soit rebaptisé Congo), sur le territoire des gorilles qui jouxte le Rwanda, un étrange message a été lancé par on ne sait qui à l'adresse d'un homme des services secrets américains, Devilin DuPaul (habile jeu de mots : Devil-In, l'homme qui incarne le diable). Les têtes de 108 tutsis plantées sur des pieux forment son prénom, vu du ciel. Devilin DuPaul débarque donc à Kinshasa puis remonte le fleuve pour une mission ultra-secrète dont même ses hommes ne savent rien. Et plutôt que de faire de DuPaul le héros de l'histoire, Scott Cunningham a choisi de suivre l'un des « snipers » embarqué dans l'expédition, un noir aux yeux bleus hanté par une vision récurrente, celle d'un enfant qui l'aurait reconnu lors d'une exécution à distance. Cet Afro-américain découvre l'Afrique et ses rites, s'interroge sur la mort, sur sa mort possible, ne cesse de remettre en cause sa présence en ces lieux. Très conforme à la réalité, le Congo -ou plutôt le Zaïre- auquel il est confronté lui renvoie l'image d'une ancienne colonie laissée à l'appétit des prédateurs, Américains en tête. Mais il n'y a pas qu'eux. L'ancien colonisateur belge n'est pas épargné. Mobutu en prend pour son grade, lui aussi, avec une excellente description de ses méthodes d'enrichissement personnel. Kabila lui-même (l'actuel président du Congo, ndlr) n'est pas oublié, puisque les auteurs s'attachent à démontrer comment il conclut des alliances très « rentables » pendant sa guérilla contre Mobutu. Mais au-delà de sa dimension politique, presque pamphlétaire parfois, cet album est une vision d'apocalypse (et le terme n'est pas employé par hasard, « Congo Bill » rappelle « Apocalypse Now » par certains de ses aspects). Il y a « quelque chose » dans les arbres, bête ou démon, qui décapite tous ceux qui s'aventurent dans la forêt. « Quelque chose » d'inquiétant, de terrible, qu'il va falloir découvrir et détruire. L'ambiance est oppressante, le noir et blanc n'empêche pas le Croate Danijel Zezelj (auteur d'un très noir « Invitation à la danse » chez le même éditeur) de faire passer beaucoup d'atmosphère et de mystère à travers son dessin acéré. Le découpage est remarquable et la scène finale est tout simplement fantasmagorique. On oscille sans cesse et avec beaucoup d'intelligence entre réalité et fiction pour aboutir, halluciné, à la fin d'un suspense maintenu pendant près de 90 pages.