« La prophétie de Korot », tome 1 de la série « La roue », par Goran Skrobonja et Drazen Kovacevic. Dans la collection « Vécu » des éditions Glénat.
Pas à dire, ces deux-là n'ont pas usurpé leur première place au concours organisé en 99 par les éditions Glénat sur le thème du troisième millénaire. La Roue est une série qui promet. Et même si le dessin de Drazen Kovacevic est encore hésitant, voire imparfait, il laisse transparaître une certaine personnalité et une sensibilité intéressante dans le traitement des couleurs. Les choix chromatiques du dessinateur sont en effet très opportuns. Dans la partie « contemporaine » de l'histoire (futuriste serait plus judicieux si l'on se place du point de vue du lecteur, puisque l'action se passe en 2053), il privilégie les gris et les dominantes ternes, métalliques. Dans cette société futuriste dominée par la technologie, le héros « Chester », ancien sportif déchu aujourd'hui condamné pour le meurtre de sa femme, croupit en prison avant d'être soumis à « La roue ». Dans la partie « médiévale », en revanche, on retrouve une gamme de couleurs beaucoup plus vives dominée par les bleus (le cyan, surtout). Ces choix chromatiques balisent parfaitement deux univers que tout oppose... jusqu'au sexe du héros, transformé en femme lorsqu'il est soumis à l'autre époque.
L'idée sur laquelle repose la nouvelle de Goran Skrobonja est excellente. Afin de désengorger les prisons, on dissocie l'esprit du corps des prisonniers grâce à un procédé scientifique et l'on garde l'enveloppe charnelle du condamné pendant une durée déterminée dans des caissons cryogénisés, cela pendant que son âme est « aspirée » dans un vortex qui l'envoie dans une autre dimension. En l'occurrence, l'esprit de Chester se retrouve dans le corps d'une princesse, sur une planète inconnue, à une époque médiévale, à l'heure de conflits de pouvoir sanglants. Pour survivre, Chester doit s'adapter tout en jouant le rôle qu'on attend de lui. Tout cela fonctionne à merveille et permet à l'auteur de toucher à tout. Ni historique à proprement parler, ni fantastique au sens propre, son récit touche à la SF, à l'héroïc-fantasy, à l'anticipation... Flirtant avec tous les genres, il entraîne le lecteur dans une dimension proche du jeu de rôles (l'auteur avoue d'ailleurs avoir été en partie influencé par « Donjons et Dragons ») où l'imagination est sans limite. C'est original, vif, difficilement classable (ce qui déplaira forcément aux adeptes des étiquettes en tout genre...). Les défauts sont ceux d'une première BD (qui plus est adaptée d'une nouvelle) : trop bavard, parfois confus, tiré en longueur au risque de paraître creux ou gratuit à certains moments (trop de scènes de combat) et bien sûr, imparfait au plan du dessin. Mais ces petits défauts ne doivent en aucun cas vous arrêter, ce serait vous priver d'une bonne histoire.