Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La vigie par Thierry Bellefroid
« La Vigie ». Par Chauzy et Thierry Jonquet. Chez Casterman.

Les inconditionnels de Jean-Christophe Chauzy auront peut-être la surprise de découvrir à travers cette adaptation un dessinateur quelque peu assagi. En choisissant de raconter cette histoire du romancier Thierry Jonquet, Jean-Christophe Chauzy est allé chasser sur les terres du père Tardi. Bon, d'accord, il ne s'agit pas d'un album sur les tranchées. Mais quand même, elles y occupent suffisamment de place pour que leur traitement graphique doive être à la hauteur. Le Chauzy « habituel » aux couleurs débridées cède donc la place à un dessinateur plus sobre, plus économe de ses effets. Le résultat est réussi. La Vigie flirte tantôt avec le fantastique, tantôt avec la chronique sociale. Chauzy s'approche au maximum des visages, scrute leurs expressions et s'en sert plus encore lorsqu'il s'agit de montrer la guerre. Avec ces trois générations d'invalides de guerre dont le plus jeune s'avérera être bien moins sympathique que prévu, Jonquet réussit un joli tir groupé et nous balance une histoire corrosive qui n'épargne personne. Mais tout cela est vite lu et vite oublié, c'est le problème...
« Seul contre toutes », les aventures du jeune Grégoire. Par Saféris et Chauvet. Chez Hors Collection.

Difficile de ne pas aborder cet album en se disant : encore un clone de Monsieur Jean ! Et pourtant, faut-il jeter tous les « ersatz » de Dupuy et Berberian qui fleurissent depuis quelques années, aux quatre coins de la BD francophone ? Non, sans aucun doute. Il faut juste rappeler que jusqu'ici, on a toujours préféré l'original aux copies, que ce soit pour la justesse du propos, la talent d'écriture ou la beauté du trait. Mais passée cette petite mise au point, « Seul contre toutes » se révèle être un album attachant, plein d'humour et de tendresse pour des personnages inévitablement inspirés du quotidien. Le jeune Grégoire est finalement moins lourd qu'il y paraît et il finit par trouver chaussure à son pied, même si le pied en question a encore du mal à l'idée de ne plus courir nu où bon lui semble. C'est joliment amené par Camille Saféris, à travers de petits récits qui, mis bout à bout, prennent leur sens et leur sel. Certaines situations sont un peu téléphonées et les quiproquos ont un côté théâtre de boulevard qui force parfois le trait, mais dans l'ensemble, on sourit gentiment. Le graphisme de Philippe Chauvet vous en rappellera dix autres, mais il est loin d'être désagréable. La bichromie permet de mettre en avant les moments de rêve (plus proches du cauchemar, parfois) mais même ce petit artifice a un côté déjà-vu...
Le mangeur d'âmes (Fog) par Thierry Bellefroid
« Le mangeur d'âmes », tome 3 de la série Fog, par Bonin et Seiter. Chez Casterman.

Bonin et Seiter confirment tout le bien qu'on pensait d'eux au terme du diptyque formé par « Le tumulus » et « Le destin de Jane ». Après une scène d'ouverture en plein désert qui rappelle un peu Toppi, on replonge avec délices dans ce Londres de la fin du XIXème siècle où nous retrouvons les protagonistes de la première enquête aux prises, cette fois, avec une affaire dans les milieux du spiritisme. D'étranges suicides s'enchaînent, obligeant Andrew à confier une enquête officieuse pour le compte du Yard à ses amis Rupert et Mary. Le mystère s'épaissit un peu plus à chaque page, Roger Seiter ne commet aucun faux pas dans la scénario et Cyril Bonin continue ses expériences graphiques pour le plus grand bonheur du lecteur. Son traitement de la couleur est remarquable, il est sans doute la véritable griffe de la série. Du Sherlock Holmes avec un côté plus humain qui tient au choix des personnages principaux et aux sentiments qui les animent...
Persepolis - tome 2 (Persepolis) par Thierry Bellefroid
« Persépolis 2 » par Marjane Satrapi. A l'Association.

Après un premier album remarquable et remarqué, Marjane Satrapi revient nous parler de la révolution islamique iranienne avec ce regard de l'enfant et de l'adolescente qu'elle fut au moment des faits. Fait de petites histoires racontées comme autant d'anecdotes, ce livre vous emporte dans un univers inconnu ou insoupçonné. On ne choisit pas la famille où l'on naît. Si Marjane Satrapi était née dans un milieu moins aisé et moins libéral, elle aurait sans doute pu développer des talents de dessinatrice, mais jamais être éditée en France. Le hasard de la vie a voulu que ses parents s'attachent à lui donner une éducation largement occidentalisée (en la plaçant au lycée français, entre autres). Ils ne savaient pas en le faisant qu'ils fournissaient en même temps la matière d'une histoire originale. Car les récits de Marjane Satrapi sont à l'opposé de tout ce qu'on s'attend à lire sur l'Iran. Le premier album était celui de la petite fille qui découvre, mi-naïve mi-insouciante, la montée de l'islamisme. Celui-ci consacre presque une forme de résistance permanente et raconte comment la famille Satrapi a tenté de conserver sa liberté et sa façon de vivre dans l'Iran des années de plomb et comment elle a vécu le conflit Iran-Irak. L'auteur manie l'humour avec beaucoup d'aisance et mêle une certaine forme de nostalgie à cette étonnante leçon d'histoire non-officielle. Dans la catégorie BD autobiographique où l'on trouve parfois des choses d'une vacuité confondante, elle donne le ton, rehausse le niveau, emporte l'adhésion du lecteur. Remarquable !
La suite 13 (Arlequin) par Thierry Bellefroid
« La suite 13 », tome 4 de la série Arlequin. Par Jytéry et Rodolphe. Chez Joker Productions.

Bon, tout d'abord, une petite mise en garde. En dépit des noms écrits en grand et du dessin de couverture (assez moche) signé Dany, les deux créateurs d'Arlequin ne sont pas aux commandes de cet album de « résurrection ». Jean Van Hamme cède la place à Rodolphe pour le scénario. Et Dany à Jytéry pour le dessin. C'est écrit en si petit et en bleu sur bleu, qu'on se demanderait presque si Joker n'a pas voulu nous cacher quelque chose...
Les trois premiers albums d'Arlequin ont planté un décor, des personnages, une ambiance. Les retrouve-t-on dans cette deuxième vague d'aventures, malgré une interruption de plus de quinze ans ? Oui. Mâtinés d'un zeste de surnaturel (dont on se doute qu'il trouvera très vite des explications rationnelles), mais pourquoi pas ? Pourtant, si Arlequin n'a pas trouvé le public escompté dans les années 80 (l'expérience est abandonnée après trois albums alors qu'elle devait en compter cinq), c'est justement à cause des ingrédients en question, au rang desquels on trouvait essentiellement le second degré et le mélange d'aventure et d'humour ou de fantaisie. Est-ce à dire que le public a changé ? Ou peut-on davantage compter sur la clémence d'un lectorat prêt à dévorer aujourd'hui tout ce qui porte la signature de Van Hamme ? Difficile à dire. En tout cas, Rodolphe a très bien su se fondre dans l'univers Arlequin, même s'il n'offre pas ici un scénario des plus originaux. Quant à Jytéry, il fait du Dany, avec beaucoup d'application et parfois un peu trop de labeur. Mais comme ces deux-là ne bénéficient pas du plan média d'un Blake et Mortimer, on peut au moins les accueillir avec clémence.
Apparitions (Kenya) par Thierry Bellefroid
« Apparitions », tome 1 de la série Kenya, par Léo et Rodolphe. Chez Dargaud.

Au départ, il y a quelque chose d'Hemingway dans ce « Kenya ». Pas seulement parce que le célèbre écrivain fait partie de ceux qui ont construit le mythe kényan dans la littérature. Pas seulement parce que les auteurs ont choisi de placer leur récit en 1947, à l'heure où Ernest Hemingway connaît la gloire (il reçoit le Prix Nobel de l'écriture quelques années plus tard). Cela tient aussi au climat de l'album et au choix des personnages. Et puis tout bascule. Il y a la brusque arrivée du fantastique. Et on se dit que quand Léo devient le co-scénariste de son scénariste (Rodolphe scénarise les aventures de Trent pour ceux qui ne le sauraient pas. Il n'a évidemment aucun rôle dans la conception des mondes d'Aldébaran que Léo imagine et dessine en solo), on ne peut que s'attendre à voir des créatures étranges fleurir au détour d'une page. Le résultat est assez vite captivant. Les personnages principaux sont étoffés et parés de mystère, les personnages secondaires ne sont pas en reste comme le comte Valentino Di Broglie. Sur fond de guerre froide et d'intérêts des grandes nations pour la zone de l'Est africain, les deux auteurs ont su construire un récit accrocheur et prometteur.
Sra (Le Monde d'Edena) par Thierry Bellefroid
« Sra » et « Les réparateurs », deux albums parus dans « Le monde d'Edena », par Moebius. Chez Casterman.

Une explosion graphique et onirique finale que les fans attendaient depuis sept ans ! Voici enfin l'album qui boucle la boucle et conclut « Le monde d'Edena », oeuvre fantastique dans tous les sens du terme. « Sra » est un récit d'une incroyable liberté de ton ; Moebius est à l'écoute de son monde intérieur et de ses rêves jusqu'à la frange étroite du surréalisme. Mais le lecteur peut suivre ces méandres sans jamais se perdre vraiment. Il peut interpréter, rêver à son tour, plonger dans ce monde d'une richesse graphique et imaginative rare. Prolonger son plaisir, aussi, en lisant « Les réparateurs », album publié en même temps que « Sra » dans lequel on découvre quelques histoires courtes plus ou moins anciennes réalisées en marge du « Monde d'Edena ». Là encore, la talent du dessinateur explose à chaque case. Mention spéciale pour « Les réparateurs », le récit muet qui ouvre l'album, publié pour la première fois en 97 dans (A SUIVRE) et pour « Mourir et voir Naples », récit lui aussi muet, dessiné l'an dernier, treize ans après une première version de quatre pages.
« Les quatre saisons » de Boule et Bill et « L'intégrale Tome 1 » de la Ribambelle, par Roba. Chez Dargaud.

Le problème de la BD familiale, ou tout public, c'est que quand elle marche, personne n'en parle. Boule et Bill se vend comme des petits pains. Il n'y a même pas besoin de nouvel album pour que le fonds s'écoule, dans les pays les plus divers où les gags de cette sympathique famille sont traduits. Et pourtant... à regarder de plus près ce vingt-huitième album, le talent de dessinateur de Roba saute plus que jamais aux yeux ! La mécanique du gag privilégie aujourd'hui une certaine tendresse. Tendresse d'un créateur pour ses personnages. Tendresse d'un homme pour le monde qui l'entoure et surtout, pour l'enfance. Mais plus encore, ce qui frappe dans ce premier Boule et Bill publié depuis cinq ans, c'est que le talent graphique de son auteur le place parmi les plus grands dessinateurs de la BD « classique ».

Pour s'en convaincre, et pour partager un superbe et délicieux moment de nostalgie, la lecture de la première des deux intégrales consacrées aux aventures de la Ribambelle est hautement recommandée. Reprenant les trois meilleures histoires imaginées pour cette bande de gosses par Roba sur une proposition éclairée de Franquin, cette intégrale vous prouvera à quel point Jean Roba excelle dans l'humour et explose dans la lisibilité d'un trait léger et virtuose. Souvent réédités par de petites maisons d'édition, les albums de la Ribambelle rejoignent désormais le catalogue Dargaud et on ne peut que se réjouir à l'idée que peut-être, certains enfants vont découvrir cette BD sans penser que leurs parents l'ont lue à leur âge. Car la force de Roba, c'est de rendre presque indémodable tout ce qu'il touche !
Fantômes par Thierry Bellefroid
« Fantômes » par Soren Mosdal chez Amok.

Amok publie pour la rentrée deux albums en sérigraphie numérotés. Des courts récits pour amateurs de graphisme et de beaux objets. Papier épais, impression superbe, Soren Mosdal ne risque pas de se plaindre du résultat ! Auteur de « Feuerwerk » publié dans la collection de courts récits en grand format « Feu ! », Mosdal livre ici une histoire sombre mais encore plus brève, qui apparaît davantage comme un fragment de vie. Un homme apprend que la liaison secrète qu'il a eue avec la soeur de son ex-petite amie a précipité celle-ci dans la folie. Cette phrase pourrait résumer les éléments de départ de l'histoire ; elle la résume en fait toute entière. Mais le graphisme tranchant de Soren Mosdal, son noir et blanc désoeuvré et sombre, font oublier la brièveté du récit. Reste un écueil : le prix, près de 14 Euros pour une histoire de 37 cases...
L'épinard de Yukiko par Thierry Bellefroid
« L'épinard de Yukiko », par Frédéric Boilet. Chez Ego Comme X.

Dans un « manifeste de la Nouvelle Manga » envoyé en guise de communiqué de presse par l'éditeur, Frédéric Boilet explique sa vision de la BD japonaise et raconte comment son travail, publié au Japon avant d'être traduit en France, est perçu là-bas. Il tord le cou à quelques idées reçues qui ont la peau dure. Boilet parle de « la » manga. Il insiste sur le féminin qui est la véritable traduction, par opposition « au » manga, terme masculin qui évoque chez nous des BD violentes ou pornographiques pour adolescents. Et il relève le fait que la manga appréciée par le plus grand nombre au Japon est celle qui raconte le quotidien. Ainsi, les Japonais apprécient d'abord des histoires et non un graphisme. Le dessin n'est pas au centre de leur culture BD : c'est le récit, la narration. Et à la manière du cinéma français, ils aiment la BD française actuelle qui raconte la vie quotidienne. C'est ce qu'on peut appeler de la nouvelle manga et c'est ce que fait Boilet. Avec brio !

« L'épinard de Yukiko » est un livre remarquable. Long, il nous plonge dans l'univers japonais de ce Français en nous permettant tantôt de jeter un oeil sur ses carnets de notes et de croquis, tantôt de suivre sa reconstruction du réel en jouant la caméra subjective. Très influencé par les techniques du cinéma et de la photo, Boilet nous propose une BD inventive, personnelle, où l'émotion réussit à affleurer en dépit d'apparences parfois très lisses. Cette très jolie histoire d'amour racontée au jour le jour, c'est aussi une réflexion sur la narration elle-même. Boilet joue de la mise en abîme, tente de revivre certaines scènes plusieurs fois, presque à la manière du refrain, installe un rythme tout à lui. Cette sorte de lenteur intérieure qui correspond finalement aux vagabondages de l'esprit amoureux est magnifiquement rapportée. Le lecteur, quelque part spectateur et quelque part acteur, se laisse emporter et assiste à quelques très beaux moments pourtant presque anodins. C'est la force de ce récit. Avec humour et légèreté, il transcende le quotidien pour en offrir l'essence.
Rex par Thierry Bellefroid
« Rex », par Zezelj. Chez Mosquito.

Danijel Zezelj est de retour. En plus grand format mais toujours en noir et blanc, son nouvel album « Rex », chasse sur la terre des grands classiques américains. Le scénario ne vous fera pas perdre la tête : un flic vertueux piégé par les politiques corrompus mêlés au trafic de la drogue échoue en prison. Là, il rencontre tous ceux qu'il a fait arrêter et qui lui font passer le goût du pain. Quand il s'évade, se rebaptisant « Rex », il n'a qu'une idée : se venger. Bon, c'est vrai, Zezelj aime bien aller chercher des idées chez les autres. Même l'excellentissime « Congo Bill » n'était jamais qu'une variante géniale de « Apocalypse Now ». Ceci étant, ce Yougoslave émigré aux States n'a pas son pareil pour dramatiser un récit. Son noir et blanc moucheté est traversé de visions d'apocalypse et de violence débridée. Ses cadrages sont audacieux, il y a dans cette BD une sorte de cri de désespoir, de hurlement continu et assourdissant qui passe notamment par l'utilisation de lettrages de grande taille barrant certains dessins. Zezelj s'époumone, il crie dans le désert de la grande ville, il crache son venin et sa hargne. Le résultat est brillant, ça bouge dans tous les sens, ça bouillonne d'une énergie libératrice. Un très grand dessinateur.
Rodrigo (Bois-Maury) par Thierry Bellefroid
« Rodrigo », tome 12 de la série « Bois-Maury ». Par Hermann et Yves H. Chez Glénat.

Sans doute le plus bel album depuis les débuts des « Tours de Bois-Maury », en 1984.

Avant de le lire, je l'ai feuilleté, page par page, pour le plaisir d'entrer dans le dessin d'Hermann. Les couleurs, comme à l'accoutumée, sont un véritable régal, même si de temps à autre, il m'a semblé qu'un rien moins de bleu n'eût pas nui à l'ensemble. Mais il y a surtout ces cases magiques où l'on se dit que personne ne peut faire mieux. L'arrivée à Tolède, page 8 ; les rêves de Rodrigo, pages 13 et pages 28 à 31 ; les deux premières vignettes de la page 26 ; la vue de Cordoue à la page 32 et celle de Grenade à la page 40 ; la scène dans la Mezquita de Cordoue à la page 33... sans parler de l'équilibre qui règne à l'intérieur même des planches ni du découpage sans faille qui saute aux yeux !

Et puis j'ai lu. Je suis entré dans cette histoire avec une aisance déconcertante. Les deux personnages principaux sont parfaits. Ce n'est pas un hasard s'ils sont père et fils. Le scénario est signé par le fils de Hermann avec qui il avait déjà réalisé « Liens de sang » dans la collection Signé des éditions du Lombard, une autre BD marquée par les liens de la filiation. Yves H. signe ici un scénario brillant, surprenant aussi, au regard des précédents opus de la série. L'histoire est à la fois magnifique et universelle parce qu'elle ne se contente pas de verser dans la fresque historique. Le combat des « Castillans » contre les Maures d'Andalousie, les hésitations de certains religieux à suivre la haine du musulman professée par le haut-clergé, leur admiration face à une culture qui a élevé l'art, la poésie et la science au plus haut alors même que la vieille Europe a sombré dans un certain obscurantisme... tout cela constitue une fabuleuse toile de fond à ce récit espagnol situé en 1325 ! Un récit qui est par ailleurs parfaitement dans l'esprit de la série. L'époque, les lieux, les personnages n'ont rien de dissonant. Bref, cette association père-fils trouve tout son sens dans cet album où l'aîné a pu donner le meilleur de lui-même dans le dessin et le plus jeune a jeté un regard neuf sur le scénario. On regrettera juste le recours à une ficelle grosse comme un câble d'ascenseur : les révélations du « méchant » en fin d'album qui donne la clé de l'énigme vite fait, entre deux râles. Mais pour le reste, un grand album !
Helvethika - tome 3 (Helvethika) par Thierry Bellefroid
« Helvéthika III » par Kalonji. Chez Pierre Paquet.

Enfin ça y est ! Après une très longue et très complexe mise en place qui a monopolisé plus de cent pages, le tome trois apporte des réponses aux nombreuses interrogations des lecteurs. Touffu, truffé de personnages, ce récit de politique-fiction situé aux confins de la confédération helvétique dans une dictature imaginaire du nom de St Hélène prend véritablement corps. Le nom de code qui a donné son nom à la série, « Helvéthika », cesse d'être un mystère savamment entretenu. Bref, le lecteur a soudain l'impression de recouvrer la raison et la vue. Il faut bien reconnaître que ce n'est pas désagréable ! « Hlevéthika » est un récit charpenté, captivant et bien raconté. A condition d'être patient. Kalonji nous propose un noir et blanc très personnel qui colle parfaitement à l'atmosphère lourde de son récit. Son dessin est sombre, tranchant, parfois presque désespéré. L'opposition des noirs très encrés et de décors ou de cases entières laissés dans un gris proche du crayonné confère à l'ensemble une facture très américaine. Et si la complexité du scénario peut rebuter de prime abord, l'auteur sait récompenser ceux qui l'ont suivi jusque-là. Il laisse augurer d'un dénouement cataclysmique dans le quatrième et dernier album !
Heidelberg (Les Romantiques) par Thierry Bellefroid
« Heidelberg », tome 1 des Romantiques. Par Lenaerts et Duchâteau.

Il ne suffit pas d'appeler une série « Les romantiques » pour en épouser l'esprit. Les lecteurs de « Sambre » qui se fieraient à ce titre pour espérer retrouver un peu de l'atmosphère dont Yslaire les prive depuis si longtemps risquent d'être déçus. Duchâteau s'aventure en terres difficiles et s'y prend à la manière d'un guide de recettes de cuisine. Le résultat est catastrophique. « Heidelberg » est un album ennuyeux, les faits s'enchaînent de manière invraisemblable, les personnages sont inconsistants et l'intrigue est cousue de fil blanc. Quant au dessin d'Eric Lenaerts, lisse jusqu'à l'extrême et souvent encré de manière trop prononcée, il ne concourt guère à susciter l'émotion. Surtout avec des couleurs aussi mièvres, ce qui n'arrange vraiment rien...
« Le sage du ghetto », Donjon Parade N°2, par Sfar, Trondheim et Manu Larcenet. Chez Delcourt.

Il devient difficile de suivre la fantastique épopée « donjonesque » tant ses créateurs sont prolifiques. Une chose est sûre, en revanche, la nébuleuse a beau s'étoffer tant et plus, elle reste passionnante à observer et délicieuse à lire. On rit beaucoup dans ce deuxième Donjon Parade. Normal, c'est le but de cette série parallèle à Donjon Zénith dans laquelle on retrouve Marvin, Herbert, le gardien et tous les autres, pour des histoires humoristiques. Tout est bon pour plonger le lecteur au coeur d'un humour toujours plus fou et jamais vulgaire... même lorsqu'il s'agit de raconter un concours de pets au chevet d'un vieux sage sur le point de mourir ! L'inventivité des deux têtes pensantes du projet -Trondheim et Sfar- ne semble pas avoir de limites. Ces deux-là « donjonent » comme ils respirent. Le résultat est purement jouissif !
Lectures macabres par Thierry Bellefroid
« Lectures macabres », par Trillo et Risso. Chez Albin Michel.

Sous-titré « histoires à ne pas vivre la nuit », ce « Lectures macabres » est un album décevant, qui étonnera les nombreux fans de « Je suis un vampire ». Non seulement les histoires présentées dans ce recueil sont faibles, mais elles font appel à des ficelles très visibles pour ne pas dire prévisibles. Trillo est ici en pilotage automatique, on croirait un travail de commande ou une BD purement alimentaire. Le premier récit se tire en longueur et le lecteur en a compris le principe -immuable- dès la fin de la deuxième page. Les suivants ne valent guère mieux. Heureusement, il y a le noir et blanc tranché de Risso. Mais il ne sauve pas l'album d'une évidente médiocrité ! Dommage, surtout quand on sait de quoi ces deux-là sont capables...
Myetzko par Thierry Bellefroid
« Myetzko », par Toppi. Chez Mosquito.

Deux histoires à la fois très différentes et très proches. L'une nous entraîne aux confins de la taïga sur les traces d'un petit bureaucrate prétentieux, grand chasseur devant l'éternel. L'autre nous emmène sur le front de la Galicie où deux soldats austro-hongrois semblent entretenir des liens étranges avec la chance. Leur point commun : le fantastique. Et le trait stupéfiant de Toppi, qui sculpte les visages, taille la matière, réinvente le noir et blanc à chaque page.
Dans la première histoire, la plus courte, il manie aussi l'ironie avec beaucoup d'aisance. On se doute de la rencontre que va faire le chasseur au fin fond de la forêt ; les habitants l'avaient prévenu que le chaman qui y vit n'aime pas les étrangers. Mais l'issue de l'histoire et l'humour qui s'en dégage, là est la vraie surprise ménagée par l'auteur. Quant au second récit, même si on peut assez vite en deviner l'issue présentée comme inéluctable par les personnages eux-mêmes, il brille par son inventivité graphique et son habileté à mêler le fantastique au monde des tranchées. Bref, ces deux histoires valaient bien un album. Après le très réussi Sharaz-De, on pouvait craindre de n'être que déçu. Ce n'est pas le cas, au contraire. En véritable sculpteur, Toppi cisèle les volumes et crée un monde personnel, à nul autre pareil. A chaque fois un ravissement !
Entre deux rives (Chinaman) par Thierry Bellefroid
« Entre deux rives », tome 5 de la série Chinaman, par TaDuc et LeTendre. Chez Dupuis.

Première série à avoir suivi le départ de l'ancien directeur éditorial des Humanos, Sebastien Gnaedig, aux éditions Dupuis. Force est de constater qu'elle s'y trouve plutôt bien. A vrai dire, Chinaman est même davantage « chez lui » au sein de la collection « Repérages » qu'il l'était, perdu au milieu du catalogue des Humanoïdes Associés !

Ce cinquième album est à la fois l'un des moins captivants et l'un des plus intrigants de la série. La trame de l'histoire est éculée. La jeune femme escortée par le justicier qu'elle « déteste » sur la base d'un jugement hâtif, la poursuite sans fin pour échapper à la vengeance de desperados sans pitié, la conquête des territoires reculés de l'Ouest.. tout ça est vu et revu. Le fait d'y avoir placé un Chinois à la place d'un blond aux yeux bleus ne change pas fondamentalement le point de vue. Ca le change lorsqu'on confronte Chinaman à la nation indienne. Ca le change aussi lorsqu'on aborde des questions comme le « racisme ordinaire », l'indifférence d'un homme habitué à être jugé avant d'être compris. Et si l'histoire est intrigante, c'est parce qu'elle débouche sur une issue tout à fait inattendue au regard des précédents épisodes. Chinaman va-t-il se transformer en une sorte de Buddy Longway à la chinoise ? Difficile de dire ce que LeTendre a derrière la tête. Mais on a envie de le savoir... En attendant, cet album un rien ronronnant reste d'une agréable lecture et doit beaucoup au dessin de plus en plus affiné de TaDuc.
Un îlot de bonheur par Thierry Bellefroid
« Un îlot de bonheur », par Chabouté. Chez Paquet.

Un jour, Christophe Chabouté est arrivé, sur la pointe des pieds, par la petite porte. Son, livre « Quelques jours d'été » révélait un ton et une patte faits pour l'émotion. Presque confidentiel, l'album allait connaître un destin inattendu, puisqu'il allait recevoir l'Alph-Art Coup de Coeur, qui couronne l'oeuvre d'un « débutant » à Angoulême. Réimprimé en plus grand format, visible sur les rayons de la FNAC et chez les bons libraires, le livre a vécu une seconde vie, et son auteur est sorti de l'ombre. Puis vint « Zoé ». La filiation entre Chabouté et Comès sembla définitivement établie. Comès étant lui-même le fils spirituel de Pratt, on pouvait presque tracer un arbre généalogique de ces dessinateurs finalement reliés à l'Américain Milton Caniff, né en... 1907 ! Mais Chabouté s'est plu à brouiller les pistes. « Pleine lune » d'abord, « Sorcières » ensuite, deux albums parus comme « Zoé » dans la collection Intégra de Vents d'Ouest (la collection où Rabaté a pris ses quartiers, pour situer...) ont pu faire croire aux lecteurs que Chabouté entendait définitivement chasser sur les terres de Comès. Mais loin de la sorcellerie et des campagnes reculées, « Un îlot de bonheur » vient démentir cette impression. L'album est par ailleurs sans doute le plus réussi à ce jour dans la production de cet Alsacien. C'est en tout cas un lien évident avec le « Quelques jours d'été » qui l'a lancé.

« Un îlot de bonheur » raconte une rencontre. Une rencontre magnifique et pourtant d'une incroyable simplicité. D'un côté, un clodo qui n'a pas oublié le fils laissé derrière lui. De l'autre, un petit garçon introverti qui souffre des disputes incessantes que se livrent ses parents. La rencontre a lieu sur un banc, au parc. Il y a quelque chose du Petit Prince dans cet album. « Apprivoise-moi, dit le renard ». C'est ce que les deux protagonistes de ce très bel album vont s'employer à faire pendant 120 pages : s'apprivoiser. La leçon est belle, touchante et vraie. Le trait en noir et blanc tranché de Chabouté n'empêche nullement l'émotion d'affleurer. Au contraire, son dessin va à l'essentiel et s'approche du regard du petit garçon, il capte chaque message non-dit entre les deux personnages, nous fait entrer dans leur début d'intimité. Avec une extrême justesse de ton, « Un îlot de bonheur » se présente comme un conte superbe sur le partage et la tolérance. Et prouve au passage que Chabouté n'a pas fini de nous étonner !

La dame de Prague (Arcanes) par Thierry Bellefroid
« La dame de Prague », tome 2 de « Arcanes », par Pécau, Pignault et Rabarot. Chez Delcourt.

Roland Pignault a repris seul le dessin partagé sur le premier tome avec Frédéric Campoy. Arcanes est reparti après une longue absence. Pécau ne s'en plaindra pas. Il semble beaucoup s'amuser sur cette série qui louche à la fois sur le terrain de l'action et celui du fantastique. A partir des tarots, Pécau a imaginé un monde passionnant bien que parfois un peu technique où s'affrontent Stargate et les Familles. L'apparition de celles-ci ne manquera pas de rappeler d'autres séries aux lecteurs. Mais l'originalité du propos de Jean-Pierre Pécau reste le principal atout de sa série.

Après un remake de « Apocalypse Now », le deuxième album prend davantage de distances d'avec le cinéma et nous propose quelques personnages et images chocs. La meilleure trouvaille de l'album est sans doute cette section de bonnes soeurs flingueuses qui courent derrière Euripnos. Le personnage de Pandora est lui aussi intéressant. Il sera même l'objet d'un album à part dans une série à venir, « Arcanes majeurs », qui racontera la création de Stargate. Trépidante, jouant habilement sur l'enchevêtrement d'éléments contemporains et fantastiques, « Arcanes » est une BD plus fouillée qu'elle peut le paraître, de prime abord. Pour tout savoir sur cette guerre implacable autour de tarots bien étranges, je vous renvoie au dossier paru dans le Pavillon Rouge N°5 de ce mois d'octobre.




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