Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Un goût de cendres (4th avenue) par Thierry Bellefroid
« Un goût de cendres », par Dan Christensen, à La Comédie Illustrée.

C'est un polar bien huilé, une mécanique qui s'emballe jusqu'à la toute dernière case. On entre dedans par la petite porte, on ne perçoit pas tout de suite la noirceur des personnages, le dessin très ligne claire (qu'on croirait franco-belge alors qu'il s'agit d'une traduction) laissant augurer de prime abord une histoire moins sombre et des personnages aux contours tranchés. Mais derrière les blessures apparentes du libraire, derrière les gestes nerveux de la cliente armée d'un revolver, des plaies plus profondes et une fragilité insoupçonnée affleurent, que Dan Christensen va creuser tout au long du récit. On se laisse prendre par ce mélange de noirceur, de violence et de fausse candeur. Le dessin est d'une grande lisibilité et la narration est efficace. Seul problème, la lecture de ce premier album d'une série qui s'appellera « 4ème avenue » est rapide, très rapide. Au point que certains lecteurs pourraient regretter d'avoir donné 10,50 Euros pour un si bref moment de lecture. Mais quand le moment en question est bon...
Montorgueil (Le Ruistre) par Thierry Bellefroid
« Montorgueil », tome 1 de la série Le Ruistre. Par Jean-Charles Kraehn.

Après avoir travaillé sur une partie des « Aigles décapitées », Jean-Charles Kraehn revient à l'Histoire avec cette série qui risque de faire parler d'elle. Malheureusement défendu par une couverture très faible (pour ne pas dire moche, n'ayons pas peur de le dire...) ce premier volume gagne à être lu. L'auteur y déploie tout son talent de scénariste en évitant l'écueil du déjà-vu et nous propose de suivre des héros très peu recommandables dans un monde cruel et violent (qui en choquera assurément certains) reposant sur une documentation qu'il a su dépasser. Ce premier album est une bonne surprise dans un créneau, l'histoire médiévale, que l'on croyait définitivement ronronnant. Le seul problème de ce Ruistre est peut-être la volonté de l'auteur de faire une BD qui sonne médiéval jusque dans l'usage intensif du vieux français. Cela en rend la lecture parfois fatigante. Mais passé ce petit handicap, dessin efficace et scénario intelligent font mouche, pour autant qu'on accepte cette vision réaliste et sans compromission de la chevalerie. Pourvu que Kraehn reste aux commandes jusqu'à la fin... ce ne serait pas la première fois qu'il se lancerait dans une série en solo pour en confier ensuite le dessin à quelqu'un d'autre ; on aimerait que ce ne soit pas le cas ici !
Papier Peint (Les filles) par Thierry Bellefroid
« Papier peint » tome 2 de la série « Les filles », par Christopher. A La Comédie Illustrée.

« Papier Peint » relègue « Pyjama Party », précédent -et premier- opus des « Filles » au rang de vulgaire brouillon. Même si le premier album de cette sympathique série m'avait plu, je dois reconnaître qu'il est franchement faible en regard de celui-ci. En clair, mon enthousiasme irait plutôt croissant.
On savait déjà que Christopher avait mis à parti les heures entières passées dans les placards de ses copines et pouvait placer dans la bouche de « ses » filles de papier des dialogues qui sonnaient juste. On sait maintenant qu'il est entré de plein pied dans l'univers de ses personnages (aussi bien les cinq filles du début que leurs mecs ou que les nouveaux « personnages secondaires »). Les dialogues sont naturels, drôles, légers. Les personnages crédibles. Cette petite chronique douce-amère (on pourrait presque dire « sans prétention ») sur la « post-adolescence » est à la fois distrayante, drôle et joliment observée. Le dessin de Christopher prend de l'assurance, privilégiant la fluidité et la lisibilité, se centrant sur les personnages sans pour autant négliger des décors plus importants que dans le premier album. Car si « Pyjama Party » pouvait parfois énerver par son côté confiné, à la limite du huis-clos, « Papier peint » ne sent pas, comme lui, l'exercice de style. Non, ça sent la vie, la vraie, la-tout-à-fait-ordinaire et pourtant toujours si agréable à lire quand elle est bien racontée.
« Le Cri du Peuple », tome 1 : Les canons du 18 mars. Par Tardi et Vautrin, Casterman.

Tardi, champion de l'adaptation. Après Léo Malet, Didier Daeninckx, Pennac ou Manchette, le voilà qui s'attaque à l'adaptation en bande dessinée de ce roman de Jean Vautrin. Un roman qu'on jurerait taillé sur mesure pour lui tant le père d'Adèle Blansec y trouve d'inspiration. « Le cri du peuple » est un grand Tardi ; un album brillant, rigoureux et inspiré, intelligent et personnel. Un de ces livres qu'on referme en se disant qu'il contribue incontestablement à redorer le blason d'un art trop souvent considéré comme mineur.
Pour ce projet, Tardi a choisi le format italien. Il en tire parti avec brio. Les pages se répondent les unes aux autres, les cases s'équilibrent : proportions, formes, grandeur des décors, puissance d'évocation du cinémascope, chaque planche est un bijou. Tardi nous décrit la Commune comme personne. Forcément, ce fou de noir et blanc, de documentation, d'histoire et de Paris y trouve un défi à la mesure de son talent. Pourtant, il n'est pas le premier, loin de là, à décrire cette page d'Histoire de France en BD. On se souviendra entre autres de « L'Exécution » du regretté Jean-Paul Dethorey paru il y a cinq ans dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis (et disparu du catalogue depuis en raison du manque d'intérêt du public pour cet album magnifique... cruel destin !). Plus près de nous, Jean Dufaux a lui aussi choisi de placer l'action des « Voleurs d'Empires » (Glénat) durant cette période troublée. Mais le roman de Jean Vautrin adapté par Tardi est cent coudées au-dessus. Il nous propose réellement de vivre la Commune de l'intérieur. Petites gens et argot du cru contribuent à crédibiliser le propos. Pour le reste, deux protagonistes opèrent de savants chassés-croisés, entraînant autour d'eux une galerie de personnages secondaires truculents. Plus qu'une page d'Histoire, il s'agit bel et bien ici d'une chronique sociale se superposant à un récit policier. L'ensemble n'est pas donné d'office et il sera demandé au lecteur de faire quelques efforts pour recomposer le puzzle à partir des morceaux épars laissés en l'état par l'auteur, non sans un certain génie doublé d'un zeste de malice...
Peep Show par Thierry Bellefroid
« Peep show », par Joe Matt. Dans la collection Tohu Bohu des Humanoïdes Associés.

Joe Matt, tout comme Seth, découvert par Charles Berberian et publié dans la même collection, est un auteur canadien. Avec ce « Peep show », il nous raconte l'histoire tragico-pathétique d'une dessinateur de BD inadapté social chronique. Joe a un problème, il mate. Et sans arrêt. Même quand il est avec Trish, sa petite amie, il regarde chaque nana et ne peut s'empêcher de fantasmer sur celle qu'il ne peut pas tenir dans ses bras plutôt que sur celle qui est à côté de lui dans son lit. Eternel insatisfait, il croque les gens autour de lui dans ses BD, ce qui lui vaut de se disputer avec à peu près toutes ses connaissances. Et comme il a un caractère de chien et quelques obsessions sur ce que doit être pour lui une jolie fille, Joe est constamment en chasse. Pendant un peu plus de cent cinquante pages, on assiste à sa pitoyable errance solitaire. Le personnage est antipathique, primaire, d'un égoïsme à toute épreuve et c'est ce qui fait son charme. Avec un humour très personnel et une cruauté libératrice, Joe Matt nous fait pénétrer les rêves et les frustrations de ce pauvre type et c'est un pur bonheur de l'y suivre !
Accident du travail par Thierry Bellefroid
« Accident du travail », par Matthieu Blanchin. Chez Ego Comme X.

Après l'excellent récit d'enfance paru chez le même éditeur (Le val des ânes), Blanchin poursuit dans la veine autobiographique « légère ». Il y a un ton chez lui qui présente chaque événement de la vie comme une péripétie tantôt amusante tantôt attendrissante. Cet « accident du travail » n'échappe pas à la règle. Au contraire. Partant d'un récit de jeunesse authentique, l'auteur s'amuse à raconter le petit univers fantaisiste de l'atelier où il travaillait au moment des faits. C'est d'une grande fraîcheur et on s'amuse beaucoup, tout comme lors du séjour en clinique où Blanchin a superbement croqué les personnages qu'il a fréquentés durant son séjour. Le tout est dessiné avec une plume nerveuse, d'une grande vivacité, sans doute plus mûre que dans « Le val des ânes », mais qui conserve une belle part de fraîcheur.
« Bitchy Bitch en vacances », par Roberta Gregory. Chez Vertige Graphic.

Brétecher n'a qu'a bien se tenir. Roberta Gregory est sur le point de lui voler son public ! Bitchy Bitch, traduit par Jean-Paul Jennequin pour Vertige Graphic semble faire un malheur en France. C'est vrai que l'auteur de cette BD a su trouver un personnage et un ton qui renouvellent le genre. Underground mais populaire, pourrait-on dire... Midge est l'exemple-type de la nana détestable, vulgaire, irascible et râleuse que rient ne contente, pas même de gagner un voyage au soleil ! Frustrée, paranoïaque au dernier degré, cette névrosée perpétuelle vous fera forcément craquer. Roberta Grégory force le trait tant qu'elle peut, mais c'est pour mieux nous faire rire. Pas de gags, dans sa façon de faire de l'humour, mais de la caricature poussée à l'extrême où chacun (et chacune) croit reconnaître une emmerdeuse patentée croisée dans un club de vacances. Même le dessin est corrosif et contribue à rendre le personnage détestable.
Commencer par mourir (Aberzen) par Thierry Bellefroid
« Commencer par mourir », tome 1 de la série « Aberzen », par N'Guessan et Gibelin. Chez Soleil.

Le dessinateur de la série « Petit d'homme » (autre produit Soleil, cette variation sur le Livre de la Jungle est écrite par Crisse) paraît très à l'aise dans ce faux conte animalier mis en couleurs par Gibelin et dont ce premier tome nous plante le décor. L'idée de départ de son scénario est intéressante, ses personnages sont bien campés et leur rencontre apparemment improbable augure d'une série aux rebondissements multiples. En fait, ce qui fait le sel de ce premier album, c'est le nombre d'éléments inattendus qui s'enchaînent. Chaque fois que l'on pourrait sombrer dans quelque ronronnement scénaristique, l'auteur redonne de l'intérêt à l'intrigue. Son dessin est à la fois classique et efficace ; il invente des créatures plutôt réussies au rang desquelles Aberzen, cet espèce de Milou mutant, qui a tout pour plaire aux lecteurs.
Nepharius (Lock) par Thierry Bellefroid
« Nepharius », tome 1 de la série « Lock » par Valp. Chez Paquet.

Valentine Pasche nous invente un monde à énigmes qui est peut-être moins innocent que ce que son (joli) dessin mâtiné d'influences issues de l'animation japonaise peut laisser penser. A première vue, on se demande ce que cette très jeune nouvelle venue (elle a 22 ans) va pouvoir apporter de neuf. Ca sonne comme deux cents autres albums parus cette année, chez Soleil, Glénat ou Delcourt. Mais c'est vrai qu'à mesure qu'on entre dans l'univers entièrement conçu par Valp (scénario, dessins, décors, couleurs, costumes, tout est d'elle...), on en mesure un peu plus l'originalité. Il y a un ressort dramatique qui doit beaucoup à la tragédie grecque, teintée ici de fausses innocences et de faux-semblants. Le résultat est donc un album moins gratuit qu'il y paraît, mais qui possède la fraîcheur de la jeunesse. Parfois, Valp en remet un peu mais comme ce n'est pas au détriment de la visibilité, on ne lui en veut pas. En revanche, il est urgent qu'elle élargisse la palette des expressions de ses personnages.
« Raymond Calbuth N°7 » par Tronchet. Chez Glénat.

Qu'est-ce qui a bien pu décider Tronchet à aller rechercher Raymond Calbuth dans le fond d'armoire où il l'avait laissé ? Personnellement, je n'en sais rien ; après une première parution en albums, une autre sous forme d'intégrale puis une réédition en albums durant l'été, le fond de commerce semblait avoir déjà été bien rentabilisé... et le sujet bien utilisé. Pour ne pas dire usé. L'aventure au quotidien, c'est bien deux secondes, mais au bout de sept albums, ça recycle forcément les mêmes recettes. Bon, il y a quand même quelques bons moments (comme le voyage à Venise ou l'un ou l'autre des bons trucs à Raymond), mais franchement, vous ne trouvez pas que ça a un air de déjà-vu, tout ça ? On pourrait presque écrire les chutes à la place de Tronchet...
Incertain Silence par Thierry Bellefroid
« Incertain Silence », par François Ayroles. A L'Association.

Ayroles a un trait, c'est clair. Ou plutôt, c'est sombre. Son noir est tranchant, il cisaille les paysages, découpe les joues en creux, taille des costards aux personnages peu recommandables que croise le héros. Pour le dessin, l'achat de cet album se justifie déjà pleinement. Pour le reste, c'est moins évident. Le coup du personnage muet qui révèle le monde autour de lui par son mutisme, son absence, sorte de miroir « en creux », on nous l'a déjà fait, à commencer par Comès, avec Silence (ou de Crécy avec le Bibendum pour ne citer que ces deux exemples). L'idée n'est donc pas neuve et à force, commence à ressembler à une recette un peu facile. Mais on se laisse quand même entraîner parce que Ayroles raconte bien, parce que son dessin est beau. Et parce que son histoire nous parle d'art et plus précisément de peinture (sujet très en vogue, actuellement, parmi les auteurs de BD). Sans compter la muette étincelle de l'amour...
Pilules Bleues par Thierry Bellefroid
« Pilules bleues », par Frederik Peeters. Chez Atrabile.

On peut dire que Frédérik Peeters a signé avec « Pilules bleues » l'un des plus beaux romans autobiographiques jamais parus en bande dessinée. Il n'y peut rien, c'est la vie qui a choisi pour lui, qui lui a fourni le matériau de base de cette histoire, pourrait-on dire. Oui et non. C'est vrai que Peeters ne fait rien d'autre que de raconter une tranche de sa vie sur près de deux cents pages en noir et blanc. Mais il raconte si bien ce qu'il a vécu en compagnie de Cati, sa compagne, et du fils de celle-ci, que l'on peut parler d'un petit chef d'oeuvre. 34 pages de légèreté durant lesquelles Frédérik et Cati se rencontrent, se manquent, se retrouvent et se reperdent. Puis, un rendez-vous plus sérieux. Et en deux planches, tout bascule. De la chronique amoureuse, on passe à la baffe dans la gueule. Cette fille inaccessible que Frédérik a toujours rêvé de séduire, la voilà enfin disponible. Le mari n'est plus dans la place, Cati est seule avec son fils. Elle et Frédérik se plaisent, le courant passe. Alors, elle lui dit ce qu'elle ne peut pas lui cacher plus longtemps : elle est séropositive.
Tout le talent de l'auteur est de nous raconter la suite sur le même ton : les doutes, les questions posées ou passées sous silence, la relation exceptionnelle qui va se nouer avec cet enfant en sursis (lui aussi est séropositif) ou encore avec leur médecin, les petits bonheurs et les victoires sur la mort, tout cela est décrit avec une apparence de légèreté qui trahit une volonté de ne pas se prendre au sérieux, de ne pas raconter autre chose qu'une belle histoire d'amour. C'est ce regard simple, humble même, qui transforme cette histoire et en fait un conte de l'ordinaire. Peeters refuse de prendre la plume pour se poser en héros, en juge ou en exemple, encore moins en martyr. Il se livre avec une désarmante sincérité. Son dessin est à l'image du reste : simple, dépouillé, débarrassé de toute envie d'en faire trop ou d'épater. Le résultat est touchant, bouleversant même, parfois. Un livre qui vous plonge au coeur de l'émotion et qui ne vous lâche pas, même longtemps après l'avoir refermé.
Uncle Sam par Thierry Bellefroid
« Uncle Sam » par Steve Darnall et Alex Ross. Chez Semic.

Avec son dessin hyper-réaliste, Uncle Sam commence comme un vrai épisode de la série « Urgences ». Alex Ross joue les axes de caméra et réinvente les avant-plan, Steve Darnall, lui, n'hésite pas à créer une bande-son innovante pour de la BD, puisque certains phylactères ne sont là que pour crédibiliser la scène, n'apportant pas une information utile à l'histoire. Puis arrive ce personnage, vous le reconnaîtrez tout de suite. Logique, Uncle Sam est un archétype. Un mythe, même. Et c'est là toute l'originalité du propos de ce livre. Il nous fait entrer dans la peau de ce mythe. Par la magie de la BD, Uncle Sam prend corps. Et se souvient. Son errance continuelle se double de visons qui sont autant de souvenirs de l'Histoire de l'Amérique. Darnall s'attaque aux pages les moins glorieuses de l'histoire de son pays et les dépeint avec une froideur clinique teintée de pessimisme. Ce n'est pas un hasard si son Uncle Sam court pieds nus et habillé comme un clodo. Ce n'est pas un hasard s'il se fait jeter de partout. Il est la mémoire d'une nation qui s'est parfois construite sur l'amnésie, souvent sur le mensonge. Dommage que la forme un rien systématique de ce projet rende parfois cet « Uncle Sam » indigeste, car il a le courage de regarder l'Histoire de son pays dans le blanc des yeux.
« Enquêtes parallèles », tome 5 de la série Gil Saint André, par Kraehn et Vallée. Chez Glénat.

Pilier fondateur de la collection Bulle Noire, Gil St André trouve son aboutissement avec ce cinquième épisode. Kraehn nous a bien baladés, surtout durant les trois premiers volumes, explorant davantage de fausses pistes que d'éléments pouvant nous mettre la puce à l'oreille. Evidemment, cette fois, il faut résoudre l'énigme, conclure sans décevoir. Et ce n'est jamais facile, surtout après une si longue attente. L'explication de l'enlèvement de la femme de Gil St André n'est heureusement pas livrée d'un bloc, et se laisse deviner par fragments avant que Kraehn se décide à entamer « la grande explication ». Il prouve une fois de plus son talent de conteur d'histoires populaires. Bien entendu, la série ne fera pas partie des trente meilleures BD de l'histoire, mais qu'importe, la mécanique fut parfaitement maîtrisée d'un bout à l'autre par un scénariste qui sait y faire. Van Hamme a connu des succès pour moins que ça !
K, une jolie comète par Thierry Bellefroid
« K une jolie comète », par Flip et Efix. Aux éditions Petit à Petit.

Cette « jolie comète » porte bien son nom. Parce que le récit est bref, ramassé, comme le passage d'une comète. Parce que le format de l'album, le dessin, l'héroïne elle-même confèrent à ce petit livre l'aspect d'un joli conte. Une histoire d'amour toute simple, contrariée par l'imminence de la mort. Des instants volés au quotidien et très « joliment » racontés par Flip et Efix. La petite Kate est à la fois innocente et délicieusement sensuelle, femme et enfant. Avec un graphisme qui évoque un peu Crisse (non, je ne dis pas ça parce qu'il signe la préface...), mais qui privilégie une certaine économie de moyens, les auteurs parviennent à nous la rendre proche, mignonne, touchante même. On referme ce livre de 34 pages avec un petit spleen ; c'est vrai que le passage de la comète fut bref. Trop court, peut-être, mais assez long en tout cas pour s'y attacher.
Le secret du Pape (Le Scorpion) par Thierry Bellefroid
« Le secret du Pape », tome 2 de la série « Le Scorpion », par Marini et Desberg. Chez Dargaud.

Après un premier album flamboyant, les deux compères n'ont plus l'avantage de la surprise. La résultat est donc un peu moins enthousiasmant. Mais cela ne veut pas dire que ce deuxième tome manque totalement d'arguments, loin de là. Le premier tient sans doute dans le talent de Marini. Enrico le magnifique ! Il dessine comme il respire, met en couleur comme il parle. D'une vivacité incroyable, sa palette fait vibrer l'aventure et s'offre des décors plus réussis que jamais. Rien que pour le dessin, on ne boudera pas cet album. Peut-être faudrait-il quand même qu'il fasse attention à ne pas en faire trop ; à force, ça commence à faire « regardez comme je dessine bien... ». Au cinéma, on dirait que tout ça est un rien « surjoué ». L'histoire, elle, suit son cours. C'est un peu ce qu'on lui reproche. Deux tomes et déjà cette impression que le Scorpion est installé sur des rails. Les femmes, plus belles que jamais, ont des rôles peu gratifiants. Quant à l'humour, il brille à peu près par son absence. Tout cela ne serait-il pas un peu trop premier degré alors que le projet fleurait justement bon les rêves d'adolescent ? On peut se poser la question, même si la lecture de cette BD reste évidemment avant toute chose un bon moment de détente.
« Hergé, Chronologie d'une oeuvre, tome 2 : 1931-1935 », par Philippe Goddin. Aux éditions Moulinsart.

Aussi volumineux et magnifique que le premier volume, voici donc le deuxième des cinq tomes qui seront consacrés à la recension et à l'analyse des trésors de la Fondation Hergé. Georges Remi n'a pas encore trente ans. Mais il a déjà livré le meilleur de lui-même. Car cette période allant de 1931 à 1935 couvre les albums allant de Tintin en Amérique au Lotus Bleu. Rien que des chefs d'oeuvre ! Mais Goddin ne se contente pas de réunir documents et dessins plus ou moins inédits sur cette fabuleuse aventure ; il explore en même temps les autres productions d'Hergé, notamment dans le domaine de la publicité. Où l'on voit que le père de Tintin ne s'est pas contenté de dessiner des affiches ou des logos, mais qu'il a parfois créé des personnages ou des situations récurrentes ; en témoigne par exemple sa participation à la revue d'une entreprise de matériel sanitaire...
Comme à la lecture du premier volume, ce qui frappe, c'est aussi le travail de dissociation qui s'opère chez l'artiste, selon qu'il dessine de la BD ou autre chose. Tintin et Quick et Flupke sont déjà des modèles de lisibilité et de narration graphique. Mais les portraits ou les affiches publicitaires montrent un tout autre trait, plus artistique qu'expressif, à cent lieues de ce que l'on appellera plus tard la ligne claire. L'intérêt de ce faux catalogue raisonné (malgré la richesse de cette encyclopédie, elle ne prétend pas faire le tour de tout ce que l'auteur a laissé derrière lui !) c'est à la fois cette mise en perspective chronologique (éclairée par le commentaire sobre mais connaisseur de Philippe Goddin) et les méthodes de reproduction et d'impression à la pointe de la technique qui permettent à chacun de voir les dessins présentés aussi bien que s'il s'agissait des originaux. La moindre retouche est visible, tout comme le crayon sous l'encrage ou les traits à la mine de plomb. Certains dessins sont d'une beauté stupéfiante, principalement ceux de Germaine, la première épouse d'Hergé.
Nous ne sommes qu'en 1935... et Hergé a déjà tout inventé ! Au fil des pages, vous retrouverez des travaux préfigurant aussi bien Loustal que Tardi en passant par Dupuy-Berberian. Il est leur père à tous !
Un monde de différence par Thierry Bellefroid
« Un monde de différence », par Howard Cruse. Chez Vertige Graphic.

Des livres comme celui-là, on n'en lit pas plus de trois ou quatre par an. On peut pourtant dire avec une absolue certitude que « Un monde de différence » ne sera pas un best seller. Il faut dire qu'il accumule les handicaps pour faire la course en tête : traduction d'un « graphic novel » américain, ce gros bouquin de plus de 200 pages en noir et blanc traite de l'homosexualité et du racisme dans le Sud des Etats-Unis, au cours des années soixante. Le dessin de Howard Cruse correspond parfaitement à ce qu'on trouve dans la vague underground US, il n'est donc pas nécessairement attractif au premier abord et se caractérise par un travail de trame et de hachures parfois à la limite de l'exagération. Il n'est pas aisé de distinguer les personnages au début, mais tout cela, on l'oublie vite lorsqu'on se plonge durant plusieurs heures dans ce chef d'oeuvre politico-social d'une sincérité désarmante.

En racontant l'histoire du jeune Toland Polk, homosexuel refoulé dans une Amérique sudiste encore presque féodale au début des années soixante, Howard Cruse a choisi le dangereux pari d'entretenir une certaine ambiguïté. Etant lui-même homosexuel, il risque de faire croire qu'il s'agit d'un récit autobiographique, puisque l'histoire est narrée à la première personne par le héros, Toland, devenu adulte ; il intervient fréquemment à l'image en compagnie de son ami actuel pour commenter certains des épisodes de sa jeunesse. Le ton fait donc penser à une plongée dans les souvenirs personnels de Howard Cruse. Ce pourrait l'être, tant l'histoire sonne juste et les anecdotes sont précises. En fait, l'auteur a préféré raconter ce récit à la manière d'un journal de bord pour mieux nous faire « communier » aux sentiments de son héros -ou plutôt de son anti-héros. Car Toland n'est pas un vrai militant. Au contraire. Obsédé par son homosexualité latente, décidé à la combattre de toutes les manières -à commencer par avoir une petite amie avec qui il entend construire une relation solide et durable-, il se retrouve malgré lui au milieu des contestataires partis en guerre contre la ségrégation raciale. Mais c'est surtout pour suivre Ginger, sa petite amie, qu'il met le doigt dans l'engrenage. Et plus encore, c'est parce que de nombreux militants pour la tolérance raciale sont justement ceux qui militent aussi pour une certaine ouverture d'esprit sexuelle. Le combat des autres l'arrange et le fascine. Mais lui reste paralysé par ses propres peurs, incapable de prendre son destin en mains.

On assiste donc à une page d'histoire passionnante de l'Amérique en même temps qu'à un périple initiatique qui va amener Toland à sortir définitivement de l'adolescence. Les deux lignes directrices se confondent ; en fait, elles sont indissociables et rendent le récit aussi captivant qu'indispensable. Mieux comprendre le Sud, c'est aussi replonger dans les heures les moins glorieuses de son histoire. C'est ce que fait Cruse à travers l'exemple de cette ville fictive pourtant rigoureusement implantée dans le terreau de la réalité. Pour ce faire, il a collecté des faits réels dans la presse et des anecdotes auprès de nombreux témoins venus de plusieurs endroits différents du Sud. Clayfield, cette ville imaginaire, concentre ainsi un commissaire raciste omnipotent, une antenne meurtrière du Ku Klux Klan, une communauté noir non-violente soutenue de manière inégale par différents pouvoirs religieux et bien d'autres ingrédients dont aucun n'a été exagéré. Howard Cruse a mis quatre ans à terminer cette histoire au lieu des deux qu'il s'était accordé. Il a dû imaginer toutes sortes de stratagèmes pour continuer à gagner de quoi manger durant toute cette période. Mais le « monument » qu'il laisse derrière lui témoigne de l'intérêt de l'entreprise !
« La reine des mouches », tome 4 des aventures de Georges et Louis. Par Goossens. Chez Fluide.

Goossens est un génie du dessin, on le dit trop peu souvent. Ses pairs l'ont au moins fait savoir haut et clair, il y a quelques années, en lui décernant le Grand Prix de la Ville d'Angoulême. Comme Boucq, qui l'a reçu après lui, il a un coup de crayon incroyable. Et comme Boucq, Goossens a un imaginaire assez peu compatible avec les lois du marché. « La reine des mouches » trouvera son public, comme les autres ouvrages de Daniel Goossens. Mais avec cet humour absurde et cette façon de faire du scénario en dilettante qui le caractérisent, l'auteur « ne fera pas mouche » au-delà de son public d'habitués. C'est dommage. Il y a de bons moments dans cet album. Nos deux crétins de héros romanciers sont capables de dire plus d'âneries dans une seule case qu'Achile Talon et son père réunis. Les clins d'oeil à Tintin et Blake & Mortimer sont amusants. La folie « ordinaire » est traitée avec une légèreté réjouissante. Mais tout cela est un rien décousu et semble parfois être pondu au fur et à mesure de l'inspiration de l'auteur, sans plan précis.
Inch'Allah (Niklos Koda) par Thierry Bellefroid
« Inch Allah », troisième tome de Niklos Koda. Dans la collection Troisième Vague du Lombard.

Derrière une couverture très réussie (si l'on excepte le cou un peu long du sujet), l'album le plus agréable à lire de la série. D'abord parce qu'il est en un tome et offre donc une fin au terme de 46 planches. Ensuite parce qu'il évite le fantastique pour se concentrer sur les personnages et leurs interactions. Enfin, parce qu'Olivier Grenson ne cesse de progresser et dessine des femmes plus belles les unes que les autres. L'histoire est parfois un peu difficile à suivre, mais Jean Dufaux nous a habitué à bien plus sinueux encore. Peut-être le problème vient-il des nombreux protagonistes qu'il n'est pas toujours aisé de centrer dès le départ. On reprochera aussi au projet son côté catalogue de vacances un peu trop prononcé. Les lieux ont manifestement inspiré Olivier et on le comprend : de la Mamounia de Marrakech à Essaouira en passant par la vallée d'Erfoud, il a choisi un écrin magnifique. Son dessin et les couleurs de Bertrand Denoulet rappelleront à beaucoup le Maroc qu'ils ont connu durant l'un ou l'autre séjour merveilleux, mais on aurait aimé découvrir davantage de lieux inédits et voir sonner l'album moins comme le résultat d'un excellent repérage.
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