Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Le fond du bocal », par Nicolas Poupon. Au Cycliste.

Pas la peine de faire de la littérature. Poupon a trouvé sa voie et c'est une voie d'eau. Les lecteurs de Bodoï le savaient déjà puisque ça fait un bout de temps que Poupon y livre ses gags. Avec un graphisme d'une simplicité confondante, il nous fait vivre les affres et les interrogations parfois absurdes des habitants du fond du bocal. C'est drôle, souvent grinçant, une bonne façon de vous décider à virer votre aquarium si vous en avez un. Les poissons de Poupon rêvent de liberté et de grands espaces, on les comprend. A les lire, on ne voudrait pas une minute être dans leur petit cerveau. Pourtant, je suis sûr que comme moi, vous dévorerez l'album jusqu'au bout, un sourire sur les lèvres. C'est que c'est cruel un homme...
PS. Faudrait peut-être que Nicolas Poupon regarde bien les chats et les chiens. Normalement, il y a des différences entre les deux races. Chez lui, le chat a des griffes non rétractables, un collier à pointes et une grosse truffe. Bizarre...
Luxe, calme et volupté par Thierry Bellefroid
« Luxe, calme et volupté », par Giardino. Chez Mosquito. Dans la collection « Raconteur d'images ».

Un petit livre magnifique, que l'on feuillette en rêvant. Que l'on dépose. Que l'on reprend et qu'on lit avec une pensée particulière pour l'auteur de Jonas Fink et Max Fridman. C'est l'autre Giardino qui se livre ici. Il se livre avant tout à travers le dessin. Des femmes, le plus souvent brunes, femmes-enfant, femmes-fleur ou femmes-fatales. Une galerie superbe, une collection éparse réunie et commentée par l'auteur. Les femmes de Giardino méritent bien quelques lignes, en effet. Non pas pour décrire leur plastique ou leur véritable identité, l'image se suffit à elle-même. Giardino se contente de nous éclairer sur les anecdotes qui ont conduit à leur naissance. Chaque petit texte nous permet d'en savoir un peu plus sur cet auteur discret. Et de regarder avec un oeil neuf les esquisses (trop peu nombreuses), aquarelles et dessins réunis dans ce beau livre. Les travaux les plus étonnants sont ceux réalisés pour le magazine Vogue. Mais il y a certains dessins personnels tout aussi remarquables qui établissent de manière irréfutable que la finesse de trait et la ligne claire apparemment un peu froide de Giardino ne sont pas incompatibles avec la grâce, la féminité et la sensualité. On flirte parfois gentiment avec l'érotisme, jamais avec la pornographie. Toujours avec l'art.
« Sam & Twitch N°2 », par Brian Michael Bendis et Angel Medina. Chez Semic.

L'excellent premier album ne tient pas toutes ses promesses dans ce dénouement un peu facile. Mais quand même, Sam & Twitch reste un polar noir des plus recommandables. Vous y découvrirez deux inspecteurs un rien losers au coeur d'une machination ourdie avec le concours de la plupart de leurs collègues, mouillés jusqu'au col dans le crime par une bande de drôles de sud-africains. Les personnages centraux sont parfaits, le duo (qui a tendance à se transformer en trio avec la légiste) est aussi décapant que crédible. Le dessin est d'une redoutable efficacité et la mise en page comme le découpage laissent pantois. Dommage que l'issue de l'histoire soit finalement un rien classique en regard des ingrédients jetés en pâture dans le premier album. Il faut dire que ça commençait très très fort et que tenir deux albums à un rythme pareil eût tenu du pur génie. Ne boudez toutefois pas ce diptyque : il mérite le détour !
Robinson par Thierry Bellefroid
« Robinson », par Sternis. Chez Vents d'Ouest.

Philippe Sternis au dessin et au scénario pour un « remake » de Robinson Crusoë bien différent de l'original. Et si l'homme échoué sur une île déserte n'était pas l'acteur principal de l'histoire ? Si on se plaçait du point de vue des habitants, c'est-à-dire des animaux ? C'est le point de départ de cet très bel album magistralement dessiné. Sternis commence par nous présenter une sorte de jardin d'Eden pour les animaux jadis sauvés par Noé et bien décidés à enterrer pour toujours la hache de guerre. Lions, éléphants, autruches, tigres, girafes, singes, hippos et rhinos vivent paisiblement ensemble, désormais tous herbivores. Et soudain débarque cette drôle de bête à deux pattes dont on ne comprend pas la langue, l'homme. Un parachutiste bien décidé à vendre chèrement sa peau et qui se comporte comme Rambo dans sa forêt. Tuer ou être tué, pour lui, il n'y a pas d'alternative. De quoi bousculer le bel équilibre immuable de ce coin de paradis...
L'idée est généreuse (peut-être un peu trop, diront certains) et le dessin ne l'est pas moins. Avec son style à la fois réaliste et poétique qui explose dans les couleurs pures, Sternis rejoint les meilleurs dessinateurs animaliers. On regrettera peut-être que son bestiaire se limite à un mélange de faune purement africaine et de tigres (pour la beauté du pelage, sans doute...). On appréciera en revanche une fin moins attendue qu'il y paraît. Et un climat général dominé par les bons sentiments mais qui évite la guimauve.
« Khaemouaset ou la loi de Maât », tome 1 de la série « Sur les terres d'Horus », par Isabelle Dethan.

A peine l'encre du premier tome d'Ingrid est-elle sèche qu'Isabelle Dethan nous propose un nouveau projet. Et celui-ci, loin des deux derniers albums intimistes en noir et blanc, renoue avec ses débuts dans la BD. Dethan plonge dans l'Egypte antique et nous en ramène une histoire quasi policière sur fond de Nil et de costumes traditionnels. Son travail de documentation crève les yeux (même pour ceux qui n'achèteraient pas la première édition augmentée de huit pages de croquis...) et ne peut qu'être salué. Crédible, intéressante, son histoire de secte déjouée par le prince Khaemouaset (appelez-le prince Khâ, comme tout le monde, c'est plus facile !) est peut-être desservie par un couple de personnages principaux un rien trop transparents. En dehors de cela, reste beaucoup de fraîcheur, malgré le travail. Et un dessin qui devrait ravir les lecteurs. J'avoue préférer Isabelle Dethan en noir et blanc et la trouver au mieux de ses possibilités lorsqu'elle travaille au lavis mais elle a un évident talent pour l'aquarelle aussi (la technique est d'ailleurs identique). Seul problème, elle en fait parfois un peu trop et n'évite pas toujours tous les pièges de la mièvrerie. Mais remettons les choses en parallèle : on est trois cents coudées au-dessus du dernier Alix !
De Selma à Montgomerry par Thierry Bellefroid
« De Selma à Montgomery », par Igor David. Dans la collection Tohu Bohu des Humanos.

Sans hésitation, je préfère le Igor David en noir et blanc de la collection Tohu Bohu (il réalise quelques pages également du premier numéro de la Tohu Revue parue en même temps que ces nouveautés d'automne). Plus lisible que dans « 9 Têtes », son dessin est aussi plus humain, plus expressif. Evidemment, l'histoire s'y prête. Bref road movie (l'album se déroule sur quelques heures en temps réel), « De Selma à Montgomery » nous propose l'histoire d'un couple qu'une simple panne d'essence va faire passer d'un monde à l'autre. Sur fond de lutte pour la reconnaissance des droits de la population noire, Winnie et son homme, deux jeunes Blancs, passent leur temps à se disputer. Lui, effacé, lâche même. Elle, acariâtre et castratrice. Tout cela n'évite pas les clichés, pas plus que l'histoire elle-même, qui est un peu trop attendue. Lui va se réveiller, elle se discréditer. Et les « bons » Noirs jouer les catalyseurs. On a l'impression qu'Igor David verse un peu trop facilement dans la démonstration. Le revers de la médaille des BD trop bien pensantes...
L'âge du sang (Tosca) par Thierry Bellefroid
« L'âge du sang », tome 1 de la série Tosca. Par Desberg et Vallès. Chez Glénat.

Après les brasseurs de Van Hamme, les maffieux de Desberg ; Vallès sait placer ses billes. D'autant que l'on sent bien qu'il est reparti pour un cycle de quelques albums puisque le principal reproche qu'on peut faire à ce premier tome est d'à peine mettre en place l'histoire et les personnages avant de « retirer la passerelle » et de laisser le lecteur barboter tout seul. Il faut dire qu'on ne risque pas de se noyer, Desberg ne quitte pas la « petite profondeur ». A part des clichés, y a-t-il quoi que ce soit dans cet album ? Oui, il y a du savoir-faire. Et un dessinateur qui n'est pas précisément doué pour les scènes d'action ou de mouvement, ce qui tombe plutôt mal.
Pinata par Thierry Bellefroid
« Piñata », par Pierre Maurel. Chez Six Pieds Sous Terre.

Un petit album composé de trois parties très différentes les unes des autres. J'avoue largement préférer la première, plus aboutie. Reprenant le principe de la piñata qui, au Mexique, est une coque remplie de friandises que les enfants doivent faire éclater avec un bâton pour en récupérer le contenu, Pierre Maurel commence par un récit déroutant d'un peu plus de vingt pages. « Récits croisés » joue avec les codes de la narration pour nous raconter à travers différents personnages impliqués dans la même scène (répétée sous des angles différents, donc) comment une réalité unique peut avoir des significations multiples. La « coque » éclate et le lecteur peut se jeter sur les friandises en question. C'est amusant et plein d'esprit. Plus absconses, les deux histoires suivantes privilégient la forme plutôt que le sens. Elles prouvent en tout cas que Pierre Maurel possède une personnalité au-delà de l'apparente simplicité de son graphisme.
« La ligue des gentlemen extraordinaires », l'intégrale, par Alan Moore et Kevin O'Neill. Editions USA.

Lire l'intégrale de la « Ligue », c'est plonger dans un monde fantasque et fantastique qui semble ne pas connaître de limites. Pour Alan Moore, cet exercice mi-ludique mi-parodique est une occasion supplémentaire de prouver qu'il est l'un des plus (ou le plus ?) grand(s) scénariste(s) vivant(s) en bande dessinée. Il offre en outre à Kevin O'Neill l'occasion de montrer l'étendue d'un talent virevoltant qui s'exprime tout au long de ces 144 pages. Hommage à Jules Vernes, « La ligue » exalte nos récits de jeunesse et ceux de nos pères (voire des pères de nos pères) pour les transcender et donner une vie nouvelle aux mythes. Unis à la manière d'un gang de super héros américains, le capitaine Nemo, Docteur Jekyll, Alan Quatermain, l'Homme Invisible et la mystérieuse Whilhelmina Murray travaillent pour le compte d'un Monsieur Bond lui-même aux ordres d'un Monsieur « M » dont les motivations et le passé ne se découvrent qu'au-delà du cinquième chapitre. Une galerie de portraits décoiffante qui joue avec l'image de ces célébrités et oscille sans cesse entre les références et l'invention pure.

Le cadre de ces aventures fantastiques est Londres. Mais comme les acteurs de cette étrange comédie, la ville est revue à la sauce Moore. On est loin ici du Londres de « From Hell », le chef d'oeuvre absolu de Moore récemment porté au grand écran et paru en français chez Delcourt il y a deux ans. Dans cette fresque presque historiquement obsessionnelle retraçant le parcours de Jack L'Eventreur, la ville victorienne plongée dans le brouillard était une sorte de cliché. Dans « La ligue », elle est au contraire rêvée, reconstruite par l'imagination de Kevin O'Neill, réinventée comme un décor de carton-pâte destiné à mieux encore souligner l'aspect fantastique et irréel du récit. Tout cela témoigne à la fois d'une maîtrise et d'une inventivité que peu d'auteurs peuvent afficher aujourd'hui.
La saveur du Songrong (Jonathan) par Thierry Bellefroid
« La saveur du songrong », tome 13 de la série Jonathan. Par Cosey. Au Lombard.

Douce-amère, la saveur de ce songrong (qui, pour les incultes dans mon genre, est donc un champignon, ndla). Douce-amère parce que Cosey renoue à la fois avec la vocation politique de son personnage-fétiche et avec un côté romanesque qui était peut-être trop absent du précédent album.

Après onze ans d'absence, le retour de Jonathan, il y a quatre ans, avait en effet marqué un tournant dans la série. Plus sensible que jamais au drame de la population tibétaine, Cosey avait envie de profiter de son héros pour faire passer un message, attirer l'attention sur le génocide entrepris il y a plus de cinquante ans par les autorités chinoises. Noble intention, piètre résultat. Trop premier degré, l'album résonnait comme une thèse à charge, une conférence de presse d'Amnesty mise en images (bon, j'exagère un peu, mais c'est pour me faire comprendre...) Et voilà que la suite directe de cette histoire renoue avec la magie de cette série culte des années 80. Tout y est : le message politique et philosophique, mais aussi la fragilité des protagonistes, la nuance dans le choix des personnages secondaires, l'amour et l'exotisme, la pédagogie et la création artistique. Un album complet, complexe, qui ne se laisse apprivoiser qu'avec lenteur et délectation.

« Les livres brûlent. Ils ne meurent jamais ». Sur cette phrase qui résonne comme un hommage à l'écriture, Cosey a construit un récit d'une grande intelligence et d'une tout aussi grande sensibilité. Jonathan, acteur de l'Histoire malgré lui, y apparaît tel qu'on l'aimait il y a une vingtaine d'années. Le contexte tibétain est exploité avec beaucoup de justesse et de rigueur. Le clin d'oeil aux minorités, les personnages magnifiques de la vieille Naxi ou de H.P. (en référence tant à Hugo Pratt qu'à l'auteur de « 7 ans au Tibet », adapté au grand écran par Jean-Jacques Annaud) constituent l'indéniable supplément d'âme de cet album splendide.

Et puis, il y a ces petits riens, ces lumières et ces couleurs captées sur place et restituées avec un talent qu'on ne présente plus, ces quelques habitudes alimentaires ou matriarcales que Cosey a su, comme jadis, intégrer à son scénario sans en faire des ingrédients incongrus ou simplement journalistiques. Sans compter une narration aux apparences compliquées mais réellement passionnante qui emmène le lecteur dans une histoire kaléïdoscopique à la fois touchante et engagée. Une grande réussite.
« Les avatars de Lou Chrysoée », tome 1 de « Lumière froide », par Makyo et Sicomoro. Chez Glénat.

Peu adepte du graphisme réaliste de Sicomoro, j'ai dû faire un peu d'auto-suggestion pour entrer dans cet album. Il faut dire que la couverture suggère d'emblée une histoire de série B, ce que ne dément pas le début de cette série. Pourtant, qui connaît Makyo et son talent de conteur fantastique ne peut s'arrêter à ces signaux avant-coureurs. Et c'est vrai que « Lumière froide » se laisse finalement gentiment lire. Il est trop tôt pour dire si les éléments de ce premier épisode peuvent déboucher sur une histoire réellement intéressante. Mais ce qu'on peut déjà dire, c'est que ce n'est pas du grand Makyo. Ceux qui ont lu et vénéré les débuts de « La Balade au bout du monde » ne retrouveront pas dans cette énième histoire fantastique les germes d'un nouveau best-seller. Reste un début d'histoire qui fera penser à la « Maison-Dieu » de Rodolphe (chez Albin) ou à d'autres BD récentes, sans parler des exemples du genre dans d'autres disciplines. Bref, une impression de déjà-lu...
Le déclic 4 (Le déclic) par Thierry Bellefroid
« Le Déclic N°4 » par Manara. Chez Albin Michel.

Qu'il est dur de voir un monument comme « Le Déclic » s'enfoncer plus avant dans la médiocrité à chaque album ! Le système est immuable et Manara semble bien décidé à le recycler jusqu'à plus soif.
1° Prenez une Claudia Cristiani bien prude.
2° Appliquez-lui un coup de « machine infernale »
3° Transformez-la en « truie » lubrique, ici lors d'un défilé de mode
4° Montrez le mari outré
5° Renvoyez-la dans sa chambre ou cachez-la dans un couvent (c'est le cas ici)
6° Profitez-en pour remettre un coup de « machine infernale ».
Et le tour est joué.

Avec quelques poses suggestives et le crayon de Manara, vous obtenez la potion magique du parfait voyeur en BD. Faut-il vraiment qu'on lui fasse de la pub en plus ?
Tante Lydie et Moi par Thierry Bellefroid
« Tante Lydie et moi », par Barranger et Bernatets. Au Cycliste.

Il y a à boire et à manger dans ce « Tante Lydie et moi ». Tant et si bien qu'on se demande à certains moments si le scénario n'a pas été contracté en cours de route pour être parfois si étrangement décousu. Histoires parallèles, oui. A condition que les parallèles se rejoignent (je sais, c'est pas très mathématique, tout ça...) ce qui n'est pas forcément le cas ici. Il y a un sens certain de l'observation, des personnages attachants, des dialogues réussis et des situations cocasses dans cet album. Mais la sauce a du mal à prendre. Et comme le dessin, sympathique sans plus, ne suffit pas à attirer le regard, on a plutôt l'impression d'un banc d'essai à confirmer lors d'un prochain album.
L'enfer en retour par Thierry Bellefroid
« L'enfer en retour », dans la collection Sin City de Frank Miller. Chez Rackham.

Pas à dire, Frank Miller manie le noir et blanc (et même un brin de couleur, à l'occasion, comme dans cet album) avec une aisance à faire pâlir d'envie des générations de dessinateurs. Et quand on atteint un tel niveau de virtuosité, on court le risque de se moquer du scénario comme de sa première bouteille d'encre de Chine. C'est un peu ce qui arrive ici. Variation sur le mode Rambo, le héros de cet album est du genre indestructible pas content qui ne laisse pas grand chose debout derrière lui. Tout seul -ou presque-, il s'attaque à une armée de méchants qui ont eu le tort de kidnapper une fille qu'il connaît à peine mais sur laquelle il a eu le malheur de flasher. Prétexte à des scènes d'action voire de baston dans lesquelles le noir et blanc de Miller colle parfaitement au monde manichéen de son scénario, l'album reste quand même d'une tenue visuelle suffisante pour vous laisser scotché à votre fauteuil. Souvent un rien trop vulgaire pour être parfait, Miller est tout de même l'un des meilleurs dessinateurs de la planète. C'est déjà pas mal...

Le Juif de New York par Thierry Bellefroid
« Le Juif de New York », par Ben Katchor. Chez Amok.

La vision de New York développée au travers de cet étonnant album est tout sauf conforme à l'Histoire. Pourtant, les éléments historiques coexistent étrangement avec les personnages inventés par l'auteur. Les Indiens d'Amérique ne sont peut-être pas l'une des douze Tribus d'Israël, le Lac Erié ne donne peut-être pas d'eau gazeuse.. Mais l'idée de fonder sur Grand Island une sorte d'ersatz de la Terre Promise a bien existé. Et New York a bel et bien connu un exode juif si important qu'elle demeure aujourd'hui une métropole marquée du sceau de la culture hébraïque. Mêlant habilement le faux au vrai ou le mythe à la création, Ben Katchor a conçu un récit qui donne le tournis et emmène le lecteur dans un tourbillon parfois un rien ésotérique. S'y croisent des personnages aussi amusants que l'ancien boucher kasher déchu devenu millionnaire SDF, le vendeur de bas nylon pour actrice à prothèse, le gaspilleur de semence, le dramaturge antisémite ou le montreur d'Indien parlant hébreu. C'est juif jusqu'à la dernière virgule, on se délecte de cet univers unique et inimitable mais on ne peut s'empêcher de penser que tout cela est un peu vain. Créé pour une parution hebdomadaire avant d'être retravaillé pour une édition en album, « Le Juif de New York » souffre des défauts du genre : décousu, victime de ses longueurs et du manque de vision scénaristique originale, il rebutera plus d'un lecteur malgré ses évidentes qualités. Des qualités auxquelles s'ajoutent une édition française soignée, à la forme irréprochable, mais que l'on aurait voulue totalement dépourvue de fautes d'orthographe...
« Cupidon s'en fout », tome 1 de la série Grand Vampire, par Sfar. Chez Delcourt.

On le sait, les vampires de Sfar ne sont pas là pour faire peur. Ils participent d'un imaginaire personnel, une sorte de bestiaire que l'auteur met en place d'album en album. Après le « Petit Vampire», voici donc le « Grand ». Pas très différent physiquement. Mais bien plus abouti. Et je ne parle plus du vampire, ici, mais de l'album. Un conte subtil, d'une humour tout personnel et d'une imagination libérée de toute contrainte (ce qui n'est pas neuf chez notre ami Joann). Les soeurs Aspirine et Josacine d'un côté, Liou de l'autre, les « femmes » de Grand Vampire sont bel et bien les vraies héroïnes de cette BD pleine de poésie et d'insouciance. Ce « Grand Vampire » pourrait bien n'être qu'une façon déguisée pour notre Sfar de déclarer son amour aux femmes. C'est en tout cas une pétillante et rafraîchissante histoire qui complète la galerie de personnages merveilleux d'un auteur de plus en plus prolifique.
Le singe et la sirène par Thierry Bellefroid
« Le singe et la sirène », par Dumontheuil et Angéli. Chez Casterman.

Découvert avec son deuxième album (« Qui a tué l'idiot ? », paru en 96 et primé à Angoulême), Nicolas Dumontheuil s'est surtout fait attendre, depuis. Un seul album, « Malentendus », est paru en 1999. Ça fait peu en cinq ans. Mais à chaque fois, Dumontheuil explose de talent. C'est encore le cas dans « Le singe et la sirène » qui vient de sortir chez Casterman. Mais cette fois, il y a autre chose. L'auteur s'est associé à une scénariste. Et le résultat est pour le moins décoiffant. La galerie de portraits d'Eliane Angeli sent bon l'observation sur le terrain. Cette fille de la Gironde a manifestement passé du temps sous les piles du pont d'Aquitaine, dans la quartier de Bacalan où se situe l'action de cette histoire très noire marquée par la misère sociale. Cette chronique des parias est une plongée truculente dans un univers que Dumontheuil prend un malin plaisir à enlaidir tant qu'il le peut. Museline, l'ancienne fille du trottoir qui s'est établie à son compte après avoir estourbi son souteneur dans un train est un vrai remède contre l'amour (ce qui n'empêche pas les mâles du quartier de faire la queue (sic) devant son lit) : grasse, dégoulinante et vulgaire, on a du mal à imaginer qu'elle sort de l'imagination d'une femme. Il faut dire qu'Eliane Angeli n'y est pas allée avec le dos de la cuiller. Tous ses personnages sont glauques à souhait.

Il est évident que « Le singe et la sirène » ne plaira pas à tout le monde. Trop noir, trop miséreux, trop violent, même. Mais pour ceux qui n'ont pas peur de lire une BD qui appelle un chat un chat et qui montre la banlieue dans tout ce qu'elle a de sordide et de folklorique à la fois, « Le singe et la sirène » est un album parfait. Le ton est finalement plus proche de la satire sympathique que du misérabilisme ou du voyeurisme. Evidemment, on n'évite pas toujours le cliché, mais comment faire de la caricature sans y avoir recours ? Bref, cette histoire de serial killer pathétique est un de ces bouquins qu'on se prend en pleine tronche de la première à la dernière page. De toute façon, se priver d'un Dumontheuil serait déjà tellement dommage en soi... On regrettera juste qu'un dessinateur possédant une personnalité aussi forte se soit commis à bêtement copier le style de Dany pour le personnage de « Perle ». Dès la couverture, cet emprunt saute aux yeux.
Dream Land (Nash) par Thierry Bellefroid
« Dreamland », tome 6 de la série Nash, par Damour, Pécau, Schelle et Rosa. Chez Delcourt.

Nash s'enfonce dans la forêt à la recherche de sa fille, le voyage ne sera pas de tout repos. Il débouche même sur une fin tragique inattendue (mais on peut faire confiance aux auteurs pour nous arranger tout ça dans le prochain épisode...) au terme d'un album efficace mais finalement assez classique dans son genre. On peut se demander si le récit n'aurait pas gagné à être plus ramassé. C'est vrai que la deuxième partie de l'album, avec ses airs d'Apoclaypse Now, aurait pu être moins longue ; il y a un côté un peu gratuit à traîner cette expédition sur un peu plus de 20 pages. Mais rassurez-vous, si vous êtes un fan de la série, vous ne vous ennuierez pas à la lecture de ce tome 6. Ça bouge beaucoup et Damour semble inspiré par le décor.
« Les maléfices de la thaumaturge », tome 5 de la série Trolls de Troy. Par Arleston et Mourier. Chez Soleil.

Arleston pareil à lui-même. « Troll » », c'est sa récréation, la série dans laquelle il se laisse aller aux jeux de mots les plus idiots, celle où il crée une joyeuse galerie de bouffons gloutons, celle où aventure et quête cèdent le pas à l'ingrédient n°1 : l'humour. Et on peut dire qu'en la matière, ce nouvel album n'a rien à envier à ses prédécesseurs. Ce n'est pas toujours des plus subtils (comme les inventions du post-it et de l'aspirateur mises au point par la thaumaturge) mais c'est plein de bonne humeur et ça ne se prend pas au sérieux. En clair, si on rit rarement aux éclats, l'album est parcouru de petites scènes sympathiques (comme le coup des cheveux de la sirène qui se mettent automatiquement devant ses seins) et de trouvailles amusantes qui en rendent la lecture agréable. Et comme les personnages de Mourier sont de vrais petits nounours, même les méchants (qui sont souvent plus bêtes que vraiment méchants) font sourire. Une série qui brille par sa constance et qui vous fera passer le temps en attendant l'avènement de Lanfeust des étoiles.
La révélation (Tirésias) par Thierry Bellefroid
« La révélation », tome 2 de la série Tirésias. Par Le Tendre et Rossi. Chez Casterman.

Rien à dire, la suite de Tirésias ne déçoit pas les nombreux lecteurs enthousiastes du premier album. Au contraire, Le Tendre réussit à nous étonner en retournant le « sortilège » sur lui-même et en imaginant que la punition infligée par Athéna puisse transformer le cœur de celui qui fut un fier guerrier macho avant de devenir une femme. Le retournement de situation intervenant au milieu de ce deuxième tome rend l'histoire réellement passionnante. Le dessin de Rossi s'est simplifié, laissant de côté le travail sur les ombres par la couleur, jouant davantage la carte des aplats et de la lisibilité maximum. On ne peut que saluer le travail réalisé par ces deux complices depuis l'excellente « Gloire d'Héra » dont on a si longtemps attendu une suite. Ensemble, ils ont renouvelé un genre à bout de souffle. On est loin d'Alix, loin d'une vision figée, surannée, de l'antiquité. On ne peut qu'espérer que Rossi et Le Tendre continuent longtemps à nous enchanter avec d'aussi bons et beaux albums !
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio