Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Le playboy par Thierry Bellefroid
« Le playboy » et « je ne t'ai jamais aimé » de Chester Brown. Aux 400 Coups.

En publiant presque en même temps ces deux albums du Canadien Chester Brown, la jeune maison d'édition « Les 400 Coups » a frappé fort. Elle nous propose de faire connaissance avec l'univers introspectif d'un maître de la BD autobiographique qui n'a pas peur de ternir son image. Plus « jusqu'auboutiste » encore que Joe Matt (Peep show, paru cet automne aux Humanos) et beaucoup plus sordide que Seth « La vie est belle malgré tout », paru il y a deux ans aux Humanos lui aussi), deux compatriotes de Chester Brown. Ici, l'auteur nous propose un autoportrait décapant dans lequel il passe au scanner ses années d'adolescence. Il le fait au travers d'un graphisme en négatif, dessin blanc sur fond noir, économe et caricatural à la fois.
Dans « Le playboy », l'auteur montre comment une éducation ultra-religieuse castratrice l'a poussé vers la pornographie et comment il s'y est enfermé. On ne peut s'empêcher d'être mal à l'aise à la lecture de cette confession intime qui n'hésite pas à montrer l'auteur dans les situations les plus scabreuses. Mais il faut lui reconnaître une sincérité désarmante qui va jusqu'à l'humour.
Même constat à la lecture de « Je ne t'ai jamais aimé » qui narre les années d'adolescence durant lesquelles l'auteur fait le dur apprentissage des relations avec les filles. Amoureux transi mais complètement incapable de communiquer, adolescent confronté à une mère malade, il est tantôt touchant tantôt pitoyable. Toujours juste.
« Sergent Logan », tome 5 de la série « Le pouvoir des Innocents », par Laurent Hirn et Luc Brunschwig. Aux éditions Delcourt.

Suite et fin de l'un des meilleurs scénarios de politique-fiction jamais écrits pour la bande dessinée. Tout amateur de bonne BD devrait désormais posséder cette série au complet dans sa bibliothèque. Commencée il y a une dizaine d'années, cette histoire n'a jamais cessé d'étonner le lecteur. Quand il croit avoir mis le doigt sur une chose, il finit par découvrir stupéfait, vingt ou trente pages plus loin, qu'elle signifie exactement son contraire. Un exemple ? Au tout début de la série, tout le monde se doute que les bandes de petites frappes qui mettent le Queens à feu et à sang en pleine campagne électorale travaillent pour le candidat de droite, Gedeon Sikk. Plus loin, on se rend compte que ces bandes, tout comme le groupement de citoyens pour l'autodéfense appelé « Le Pouvoir des Innocents »... ont été crées de toutes pièces par le camp d'en face, pour piéger le candidat en question. Mais le lecteur qui continue la lecture de la série découvrira finalement que le complot n'est pas ourdi par celle qui doit en récolter les fruits, la candidate démocrate Jessica Ruppert. Il en va de même de toutes les histoires parallèles qui tressent ce suspense absolument magistral. Jusqu'aux dernières pages du tout dernier tome, Brunschwig a pris plaisir à nous surprendre, à dépasser les clichés et les issues attendues.

Le plus surprenant est toutefois que la grande force de cette série ne réside pas là ! Elle vient de l'attention particulière des auteurs pour leurs personnages. Les « héros » de cette machination américaine sont décortiqués au fil des albums. En explorant leur passé, en tissant autour d'eux une toile incluant d'autres personnages, on finit non seulement par en dresser un profil psychologique redoutable mais on permet aussi au lecteur d'entrer dans leurs motivations secrètes, de comprendre chacun de leurs gestes, même les plus fous. Ainsi, le maître-mot qui préside à la réalisation de cette histoire, et qui vaut tant pour le scénario que pour le dessin, est la crédibilité. Le traitement graphique et le découpage empêchent l'attention du lecteur de retomber et le font passer sans prévenir de la tension la plus totale à l'émotion la plus pure. Sans doute se trouvera-t-il quelques esprits chagrins pour trouver le monde de Luc Brunschwig et Laurent Hirn trop noir, trop violent et trop pessimiste. Mais ce monde est aussi celui d'une très belle utopie politique, d'une grande générosité. Les personnages principaux croulent sous leurs défauts, mais la plupart de ces défauts, ils les doivent au monde dans lequel ils vivent, un monde qui ne fait pas de cadeaux et qu'ils rêvent meilleur pour ceux qui viendront après eux.
Rarement, une série aura traité de tout cela avec tant de brio et d'intelligence. Cela vaut bien l'achat des cinq albums d'un coup pour ceux qui ne les posséderaient pas encore...
« Le jour de la Saint Braconne », tome 2 de « La Région », par Jouvray et Roland. Chez Paquet.

Jouvray et Roland ont planté un joli décor surréaliste dans le premier tome. De quoi « rêver » à des situations et des pays bien réels... tout en partant sur un délire visionnaire et décalé. La suite s'annonçait périlleuse. Les deux auteurs s'en sortent plutôt bien, sinon qu'une fois la surprise passée, on ne marche plus aussi facilement sur leurs traces. Avec quelques efforts -et une relecture impérative du premier tome-, on se laisse cependant aller de Village Natal au Lac Mou en bouffant de la proutasse. Et on aboutit en Absurdie -mais pas celle de Greg ; « La région » n'a pas grand chose à voir avec Olivier Rameau. Ici, l'absurde est proche de la fable politique, voire du pamphlet. Le dessin de Jouvray est aussi faussement innocent que l'est le scénario de Roland. Après un prologue d'une page qui, comme dans le tome 1, se donne des airs de Blutch, Jouvray retrouve et installe ce style qui constitue l'habile fusion entre plusieurs « écoles » de dessin à la fois proches et complémentaires. Le scénario, lui, n'évite pas quelques lourdeurs, mais se développe comme un bon vin, sur une très belle note finale.
« Welcome Land », tome 2, par Tronchet et Al Coutelis. Chez Fluide.

Al Coutelis continue de manier le noir et blanc avec une aisance réconfortante, à côté d'un « A.D. Grandrivière » en couleurs (trois tomes chez Casterman) qui semble lui correspondre assez peu et dans lequel on a l'impression qu'il s'est fourvoyé par mégarde (d'autant que le scénario manque cruellement d'originalité). Cela n'empêche Coutelis de faire un petit clin d'oeil à « A.D. » en page 17 de ce Welcome Land, on se fait plaisir comme on peut. Mais l'intérêt de ce deuxième tome en collaboration avec l'un des plus brillants scénaristes d'humour est ailleurs. Al Coutelis est le complice idéal pour donner vie à cet univers caustique jusqu'à l'excès. Une croisière sur un paquebot tiré par de pauvres zombies sur la terre sèche jusqu'à ce qu'on leur balance un passager récalcitrant à bouffer, une caméra cachée dirigée par un fou sanguinaire qui applique des méthodes de commando pour piéger ses victimes, un voyant surdoué qui paye d'avance à une prostituée les futures passes qu'il voit dans sa boule de cristal... voilà quelques-unes de visions idylliques imaginées par Tronchet dans ce livre à la fois amoral et cruel. Certaines des histoires sont plus réussies, d'autres un peu attendues (celle du cancéreux, par exemple, dont la fin est téléphonée), mais dans l'ensemble, le cynisme de Welcome Land est proche de la quintessence. Et le noir et blanc à la précision chirurgicale de Al Coutelis est son parfait complément.
« Joachim Overbeck », tome 1 de la série « Le legs de l'alchimiste », par Tanquerelle et Hubert. Dans la collection Loge Noire des éditions Glénat.

S'il faut choisir un album à sauver des eaux dans cette piètre première livraison de « Loge Noire », c'est sans doute ce legs de l'alchimiste, même si cette histoire charrie un sacré parfum de « J'ai déjà vu ça quelque part »...
Bon, évacuons d'emblée le problème du graphisme. A vue de nez, Tanquerelle -dont c'est le premier album- est loin d'être un mauvais dessinateur. Mais pomper à ce point ses petits collègues le discrédite dangereusement. Sfar et Blain peuvent se féliciter : ils ont fait école. Blutch aussi, soit dit en passant. Sans parler de Fred, qui est leur père à tous. Cher Monsieur Tanquerelle, utilisez donc votre talent à des fins plus personnelles, personne ne vous en voudra. Même votre petit génie a l'air sorti d'une BD de Sfar.
Il en va de même pour le scénario. Le père Joann a dû parler durant son sommeil en présence de ce fils spirituel nommé Hubert. On a l'impression de lire un « Poisson Pilote » ou un Delcourt revendu sous le manteau à Jacques Glénat. Bon, ne jetons pas tout d'un coup pour autant ; s'il n'y avait eu des prédécesseurs aussi prestigieux dans la même voie (relisez « Le petit monde du Golem » pour vous en convaincre...), cet album eût pu être une jolie surprise hivernale. Car il faut bien le dire, sa lecture est agréable. Et sa facture honorable. Bref, on a quand même envie d'encourager ces deux jeunes auteurs à persévérer et à nous revenir dans un an, avec un nouvel album « toiletté » où éclaboussera leur véritable talent. Car ils en ont, c'est sûr.
Caz roman, un américain paysage par Thierry Bellefroid
« Caz roman, un américain paysage », par Joe G. Pinelli. Chez 6 Pieds Sous Terre.

Pinelli, c'est tout d'abord un ton, une écriture, qui ne respecte pas toujours les codes de la langue, qui se construit quelque par du côté des tripes. La première phrase de ce récit l'illustre déjà : « Comment qu'on s'est reproduit. A regarder autour on voit que nous. A se demander où sont passés les autres. ». Plus loin, on trouve ceci : « Et d'un coup à dix mètres tribord... un dos immense un terril qui jaillit souple, il plonge sous la coque, bondit au même instant même distance, bâbord. Ejaculé d'océan. On lui voit l'oeil. C'est vivant. Ça nous ressemble. »
Aucun phylactère dans Caz Roman, mais bien une voix off continue et écorchée, qui se fout de la syntaxe comme un PC se moquerait d'une gomme. Et puisqu'il a chois d'oublier les phylactères, Pinelli en a profité pour « zapper » les cases aussi. Son récit est fait de dessins juxtaposés sur des pleines pages. L'ensemble lui donne du souffle, on redécouvre parfois la force de son dessin. Mais il l'éloigne définitivement de certains lecteurs (qui ne sont de toute façon pas son fond de commerce) et frôle parfois l'illustration. Sans éviter les écueils de certains clichés, Pinelli arrive à nous raconter de l'intérieur, l'histoire imaginaire de l'immigration dans une Amérique fantasmée et obsédante. Comme toujours, ça ne ressemble à personne d'autre.
« Dernier train pour Washington », tome 12 de la Jeunesse de Blueberry. Par Corteggiani et Blanc-Dumont. Chez Dargaud.

Comme on aimerait que ce titre soit prémonitoire, et que le jeune Blueberry ne prenne plus jamais d'autre train, ni pour Washington ni pour aucune autre destination, sous la plume de Corteggiani et le crayon de Blanc-Dumont ! Ces deux-là feraient bien de relire l'oeuvre de Charlier et Giraud de toute urgence ; avec un peu de chance, confus de s'être à ce point fourvoyés, ils s'en iraient sur la pointe des pieds. La pauvreté intellectuelle et scénaristique de cet album atteint des sommets. Les ficelles de Corteggiani sont si grosses qu'on pourrait s'en servir pour faire une descente en rappel ou du saut à l'élastique. Faites l'exercice ; au moins une fois sur deux, vous êtes capables de deviner tout seul ce qui se passera à la page suivante. Un tel manque d'imagination serait encore pardonnable si l'esprit de la série était intact. Mais que viennent faire ces textes récitatifs redondants à la « Blake et Mortimer » dans la série Blueberry ? ! Quant au dessin de Blanc-Dumont, il manque cruellement de vérité. Blueberry n'est pas une gravure, c'est un indécrottable (le mot est à prendre dans son acception la plus large) teigneux, toujours mal rasé (ici, il est carrément imberbe, dirait-on), hirsute, indiscipliné, individualiste, se battant pour sauver sa peau, un loser magnifique, un écorché vif, un... bon, passons, tout ça n'en vaut même pas la peine.
« Je suis trop génial », tome 21 de la série Calvin & Hobbes, par Bill Watterson. Chez Hors Collection.

Ils ont fait la fortune des éditions Hors Collection qui, pendant des années, n'ont même pas eu besoin de publier autre chose. Calvin, le petit garçon facétieux et Hobbes, son inséparable tigre en peluche plus vrai que nature par la force de son imagination. 1 million deux cents mille exemplaires vendus en France en dix ans. Des chiffres qui font rêver. Surtout que la qualité est bel et bien au rendez-vous, album après album. Bill Watterson a su constamment se renouveler et produire une quantité phénoménale de gags très courts sans jamais donner l'impression d'être à court d'imagination. Dans ce nouveau recueil, le vingt-et-unième publié en français, beaucoup de neige, de devoirs et d'interrogations. L'occasion de placer de très bons strips sur les bagarres de boules ou sur les bonshommes de neige (des thèmes qui semblent inspirer Watterson) mais aussi de nous concocter quelques belles réflexions sur la vie, le travail, l'intelligence. Et c'est sans doute dans ce mélange de « philosophie enfantine » du bon sens et de poésie constante que s'exprime pleinement le talent de Watterson. Sans oublier cette virtuosité sans prétention qui lui permet de dessiner n'importe quelle mimique d'un petit coup de crayon habilement placé.
Morceaux choisis :
« Je suis génial ! Je suis un des plus grands génies de la terre ! » s'écrie Calvin. « Tu n'es pas génial ! Tu es le plus gros vantard prétentieux que j'ai jamais vu » lui répond sa copine Susie. Et Calvin conclut « Quand vous êtes génial, les gens prennent souvent la franchise pour de la vanité ».
Un autre ;
Calvin dégage la neige devant chez lui. Au lieu de jeter la neige sur les côtés, il la replace juste derrière lui. Commentaire final : « Pourquoi d'autres profiteraient de mon dur labeur ? »
Sur les interrogations ;
Calvin sèche devant une feuille blanche, c'est l'heure de l'interro. Il lit : « Quel événement important s'est déroulé le 14 juillet 1789 ? » Et il écrit : « Je ne crois pas en la linéarité du temps, il n'y a ni passé ni futur, tout n'est qu'un et l'existence, au sens temporel du terme, est illusoire. Par conséquent, la question ne sert à rien et il m'est impossible d'y répondre ». Il relève la tête, contemple sa feuille et lance : « En cas de doute, nier tous les termes et leurs définitions ».
Un dernier, du même genre ;
« Expliquez la première loi de gravitation de Newton avec vos propres mots ». Calvin écrit : « Yakka foob mog grug pubbawup zink wattoom gazork. Chumble spuzz » et relève la tête, l'œil malicieux en s'écriant « J'adore ces échappatoires ».
Voilà quelques exemples typiques de l'humour de Watterson qui peut pour autant tout aussi bien s'exprimer graphiquement sans recours, ou presque, au texte.
Calvin et Hobbes fait partie de ces BD qui parlent de l'enfance avec un mélange de vérité et de fantasme, de vrai et d'imaginaire, mais qui réveille chez nous trop de choses enfouies pour ne pas nous faire passer du rire à l'émotion.
Bile Noire par Thierry Bellefroid
« Bile Noire N°11 », Collectif des éditions Atrabile.

Les éditions Atrabile nous auront offert deux très beaux albums en 2001 : Promenade(s) de Wazem et surtout, l'un des plus beaux livres de l'année, le « Pilules bleues » de Fredérik Peeters. Mais ces albums ne doivent pas cacher que l'éditeur suisse fourbit d'autres armes tout au long de l'année. D'une part à travers Le Drozophyle qui publie des albums sérigraphiés de grande qualité et de l'autre, par l'intermédiaire de cette revue, Bile Noire, publiée deux à trois fois par an, et dans laquelle la scène indépendante suisse (et plus spécifiquement genevoise) peut s'exprimer en toute liberté. On y retrouve des signatures plus ou moins connues. Celles de Ba ladi, Wazem et Peeters en tête. (La série de gags de Wazem sur la cueillette des champignons vaut le détour. La nouvelle « Un tapis en hiver » adaptée en 7 pages par Frederik Peeters est superbement découpée et dessinée en bichromie). On y retrouve aussi l'infatigable Ibn Al Rabin qui n'hésite pas à s'auto-éditer à l'occasion, l'impertinence de François Olislaeger, le trait très underground US de Jason ou le dessin très off de Markus Huber. Bref, à la manière d'un « Lapin » en France ou d'un « Frigobox » en Belgique, un bel échantillon de ceux qui feront sans doute partie des classiques de demain dans leur pays, mais aussi un laboratoire graphique et narratif.
« Un, deux... Troy », Tome 1 de Lanfeust des Etoiles. Par Arleston et Tarquin. Chez Soleil.

On peut difficilement reprocher à deux auteurs en plein succès de stopper une série fleuve pour prendre une autre direction. On devrait même les féliciter. Scotch Arleston perdra peut-être quelques irréductibles en route. Il y gagne en tout cas en crédibilité (il n'en avait guère besoin, mais bon, c'est jamais mauvais d'avoir un capital bien fourni !). Et il prend sans doute davantage de plaisir à retrouver ses personnages. Exit, donc, « Lanfeust de Troy », série déjà culte alors qu'elle est née il y a moins de dix ans. On prend les mêmes, on les plonge dans un nouveau monde et on y ajoute quelques personnages inconnus jusque-là. Le plus intéressant d'entre eux est incontestablement l'agent Glace, garçon manqué gentiment autoritaire et moqueur...mais pas du tout dénué de charme. Elle redonne de l'intérêt au couple Lanfeust-Cixi . D'autant qu'elle prive notre héros de ses pouvoirs dès le début de l'album. L'histoire nous ramène quant à elle aux ingrédients qui ont fait le succès de la série, mais avec un regard différent et des rapports de force intéressants entre les personnages. C'est de la SF mâtinée de fantasy, c'est de l'humour et de l'aventure, bref, du Scotch Arleston du meilleur cru. Sans parler des petits textes narratifs dans lesquels le scénariste ne se prive jamais de glisser quelques perles. Quant au dessin de Tarquin, rien à dire, il est pour le moins à la hauteur du défi.
« Les Icariades », tome 2, par Termens et Efa. Chez Paquet.

Séduit avant toute chose par la puissance graphique du premier album, c'est avec une certaine impatience que j'ai entamé la lecture de cette suite. Première surprise, Efa a changé de style. Du mois en partie. Si l'on reconnaît son dessin, on est frappé d'emblée par le traitement plus « classique » des couleurs. Le début de l'album, surtout, fait place à des cases plus lisses, faisant appel à davantage d'aplats. Cela change du côté très granuleux du premier tome, où l'on sentait constamment la texture du papier à dessin, la densité de la gouache ou le relief du pastel gras.
Pour le reste, ce deuxième tome ménage quelques surprises agréables de scénario, nous emmenant sur les traces d'Anto et Clio, les deux jeunes héros un rien idéalistes mais joliment touchants de cette histoire. Manipulations et trahisons attendent nos amis comme il en va en général des messagers de paix. La course pour la survie qui dure deux bons tiers de l'album a des résultats inattendus. Au final, l'histoire est bien moins innocente qu'elle pouvait paraître et les héros n'en sortent pas indemnes. Après l'apparente candeur des débuts, un tournant bien négocié...
« Le Choucas n'en mène pas large », tome 4 du Choucas, par Lax, chez Dupuis.

Le Choucas a passé le cap des maladies de jeunesse. Peut-être que la publication presque simultanée des trois premiers albums était un peu excessive pour ma consommation personnelle, toujours est-il que j'ai pris un plaisir nouveau à lire cette quatrième aventure. Lax continue de truffer ses histoires de citations de la Série Noire. Bon, personnellement, ça ne me dérangerait pas qu'il en fasse un peu moins. Mais passé ce petit « tic » d'écriture, cet album est une vraie promenade de santé. L'histoire de ces jumeaux est pour le moins originale. L'enquête menée par le privé ne l'est pas moins. Elle permet à Lax de planter des ambiances très réussies, tant dans le village de montagne reculé où le curé de paroisse entretient un « bandit manchot » dans son confessionnal qu'à Madère où la rencontre d'une femme aux seins lourds met le Choucas en émoi... sans parler de cette Amazonie moite et violente où s'achève le récit. Le travail sur les décors et celui sur les couleurs nous rappellent que Lax n'est pas du genre à se contenter de recopier une carte postale et qu'il est prêt à remettre son dessin en question à chaque nouveau projet. Le résultat est remarquable. Et comme l'histoire est aussi amusante que délassante, on arrive à la dernière page d'une traite... avec l'envie de relire l'album.
Le Noël de Choco (Choco) par Thierry Bellefroid
« Le Noël de Choco », tome 2 de Choco, par De Brab et Zidrou. Chez Casterman.

Après un remarquable premier volume, Zidrou et De Brab nous reviennent pour une deuxième aventure de Choco, le petit héros de cirque dont le papa et la maman, séparés, vivent à une roulotte l'un de l'autre. L'espèce de petit souriceau noir et blanc au nez rouge rêve de cadeaux de Noël. Pourtant, le Père Noël ne va pas chez les clowns. Va-t-il pour autant être délaissé, alors même que la vie ne semble guère lui sourire ? C'est sur cette idée de base très simple que Zidrou construit une nouvelle histoire touchante et pleine de poésie. Il donne à l'univers créé dans le premier album un prolongement à la fois drôle, intelligent et délibérément merveilleux. Choco est l'une des quatre ou cinq BD pour enfants à laquelle on cherche vainement des défauts. Dessin de toute beauté, personnages animaliers très expressifs, mise en page libre et dynamique, grande clarté tant dans le dessin que dans les textes, héros et univers attachants...
« Rochecardon II », tome 2 des « Histoires d'en Ville » d'Olivier Berlion. Chez Glénat.

Deuxième volume de ces « Histoires d'en Ville » et confirmation évidente d'un talent. Il y a longtemps qu'on sait que Berlion est un dessinateur original en continuelle recherche. La « révélation » était venue en 1999 de la lecture de « Lie-de-Vin », chez Dargaud. L'album salué tant par la critique que par le public devait beaucoup aux couleurs directes de Berlion, un dessinateur que l'on croyait jusqu'alors destiné à rester cantonné aux histoires et aux ambiances enfantines des deux séries (« Le Cadet des Soupetard » et « Sales mioches ») concoctées par son unique scénariste, Eric Corbeyran. Mais le travail sur le dessin cachait une vraie préoccupation d'auteur. Berlion rêvait d'autre chose : raconter une histoire à lui, inventer son univers, de A à Z.
« Rochecardon » n'est pas terminé mais on peut déjà dire que le Lyonnais a gagné son pari. Certains dessinateurs restent des dessinateurs, quoi qu'ils fassent. Leurs histoires sont poussives, convenues, creuses. Celle de Berlion est intéressante, intriguante, menée sur un rythme parfait, sans temps mort et sans empressement excessif. Des dialogues qui sonnent juste, une intrigue qui se déroule petit à petit, avec son lot de surprises, une sorte de vraie-fausse enquête policière. Et puis surtout, il y a ces personnages, tous attachants, parce que tous ont leurs faiblesses.

Olivier Berlion construit sa trilogie avec un véritable talent de metteur en scène. Les cadavres s'empilent sous le terrain vague de Rochecardon et plus il y en a, moins le lecteur se laisse prendre aux fausses évidences et aux pistes uniques. La vérité de cette histoire sera plurielle. Elle sera nuancée aussi, forcément, comme le sont les personnages principaux, pris dans la toile de la vie et dans leurs contradictions. Après avoir suivi le point de vue d'Alfonso dans le premier livre, l'auteur s'attache à sa jeune compagne, Karima. Mais ce changement de centre de gravité n'empêche nullement l'intrigue de se dérouler sous nos yeux ; l'histoire semble se raconter d'elle-même. Il fallait une sérieuse maîtrise du scénario pour y parvenir. Ce qui n'était encore qu'une promesse à la lecture d'un premier album somme toute aujourd'hui moins « innocent » qu'il y paraissait est désormais un acquis.
La Prise de Safed (Draven) par Thierry Bellefroid
« La prise de Safed », tome 1 de Draven, par Istin, Arnoul, Dim. D, Stambecco. Chez Nucléa.

Le co-fondateur des éditions Nucléa est aussi l'un de ses principaux fournisseurs d'histoires. Cette fois, pourtant, Jean-Luc Istin franchit une étape supplémentaire et assure le dessin en plus du scénario. Avec « Draven », il entame l'histoire du dernier survivant de la Caste des Dragons (ce qui nous ramène à la série « Aleph », mais on peut comprendre « Draven » sans avoir lu les trois tomes de cette précédente série) et des 7 guerriers partis à sa rencontre pour l'éradiquer. Même si l'histoire se déroule sur deux époques à la fois (celle des croisades d'une part, l'an 3102 de l'autre), Istin nous propose une nouvelle variante des « 7 mercenaires », eux-mêmes inspirés des « 7 Samouraïs ». Bien sûr, le contexte suffit à rendre l'histoire très différente. Mais cela n'empêche pas le lecteur de flirter avec le déjà-vu, ce petit quelque chose qui gâche un peu le plaisir.
« Draven » s'annonce comme le digne héritier de « Aleph ». Peut-être cette série-ci sera-t-elle plus facile à suivre et plus intéressante ; Istin a progressé dans le scénario et il semble être le dessinateur idéal pour raconter cette histoire. Son dessin est fluide, classique et efficace. Son découpage est nerveux tout en mesurant ses effets. Quant à l'histoire, elle se contente comme bien souvent d'une mise en place des personnages et de leur(s) univers.
Bob Tornade fait son cinéma par Thierry Bellefroid
« Bob Tornade fait son cinéma », par Katou. Aux Requins Marteaux.

Un petit album au format italien qui déchire ! Je l'avoue, je ne suis pas entré dans le jeu de Katou du premier coup. C'est vrai que l'album s'ouvre sur quelques histoires vraiment très très « épaisses ». Le principe est simple : l'auteur (qu'on avait beaucoup apprécié l'été dernier dans la collection « Petits Masques » pour son adaptation de « Portraits de femmes avec tueur » de Andréa H. Japp et qui a déjà sévi par trois fois avec Bob Tornade, aux Requins Marteaux et au Zébu) tourne à la fois en dérision le comics US et ses super-héros, mais aussi les séries ou le cinéma d'action (et de SF) d'Hollywood. Ses courts récits sont donc des satires de films ultra-connus, ce qui permet à l'humour référentiel d'être partagé par tous (c'est déjà ça). Et j'ai fini par me prendre au jeu. Avec des récits comme « Bob Tornade arrête le Malibu » ou « The XXL filles », j'ai ri face à cet humour déjanté et totalement gratuit. Sans doute Bob Tornade n'a-t'il pas d'autre prétention. Objectif atteint, donc...
« Les aventures de Bouyoul en technicolor », par L. Crenn. Au Cycliste.

Vous aimez l'humour trash ? Alors, vous devez adorer Bouyoul ! Crenn s'en donne à coeur joie, son monstre primaire écrabouille tout ce qu'il touche et réagit au quart de tour quand sa balance interne indique « mal ». Peu importe qui fait les frais de ses humeurs... C'est drôle, très drôle, même, à condition d'aimer le rouge. L'hémoglobine coule à flots, les yeux des mômes sont arrachés de leurs orbites, les fées réduites en bouillie, les farces et attrapes détournées, les martiens catapultés. Bref, ça dérouille sec. Mais avec un humour aussi féroce qu'efficace ! Purement réjouissant.

« A.D.A. tome 1 », par Vanloffelt et Lapone. Chez Paquet.

A.D.A., pour Antique Detective Agency, une association bien inattendue entre deux personnages aux méthodes opposées envoyés sur la même affaire et qui finiront par faire alliance. Une nouvelle série au graphisme inévitablement catalogué parmi les « fils de Chaland ». Certains diront plutôt « les clones de Chaland », tant la filiation est évidente, tenant à la fois de l'hommage et du plagiat. Pour ma part, j'ai aimé ce graphisme tout à fait en rapport avec l'univers traité par les auteurs, même si je regrette qu'ils n'aient pas réussi à rendre hommage à leur auteur fétiche en s'en distanciant davantage. D'autant qu'à y regarder de près, Antonio Lapone peut faire ce qu'il veut : il restera toujours en-dessous d'Yves Chaland.
Quant à l'histoire, elle est un savant mélange de Blake et Mortimer et d'Indiana Jones revus et corrigés par Pierre Vanloffelt. A tout prendre, son intrigue s'appuyant sur le passé nazi aurait mieux fait d'aller jusqu'au bout des références et de s'ancrer réellement dans l'Histoire du XXème siècle. Pour le reste, la lecture de cet album est plaisante et aisée. Cela suffira-t-il à en faire un succès de librairie ?
Dies Irae (Le Fléau des Dieux) par Thierry Bellefroid
« Dies Irae », tome 2 de la série « Le fléau des dieux », par Mangin et Gajic, chez Soleil.

Valérie Mangin poursuit son exploration de l'histoire romaine transcrite dans un monde de science-fiction. L'épopée historique d'Attila contre Flavius Aetius prend ici une tournure magistrale, à la faveur de retournements de situation savamment noués et racontés par la scénariste. Au coeur de l'intrigue, ce n'est ni Attila ni Flavius Aetius que l'on trouve, mais bien Flavia, la jeune romaine rescapée des sacrifices huns prise pour la réincarnation de la déesse Kerka. Mythe ou réalité ? La question reste posée, car Flavia semble bel et bien disposer de certains pouvoirs divins. Des pouvoirs qui n'empêchent pas la jeune femme de tomber dans les pièges diaboliques tendus par Attila. Après quelques pages pour « s'acclimater » à nouveau à cet univers étrange, le lecteur reste scotché. Il faut dire que le dessin du yougoslave Aleksa Gajic a beaucoup progressé en un album. Plus maîtrisé, son trait magnifie les personnages et bénéficie d'une mise en couleurs directe plus discrète, gommant les effets au profit des ambiances.
« Adam Harishon », tome 2 de la série « Les olives noires », par Emmanuel Guibert et Joann Sfar. Chez Dupuis.

Au terme de ce deuxième tome, « Les olives noires » s'affirment comme un modèle absolu de complémentarité entre un dessinateur et un scénariste. Il est amusant de constater que le scénariste en question est lui-même dessinateur (et non des moindres) tandis que le dessinateur, lui, poursuit sa propre oeuvre en solo par ailleurs, à L'Association. Deux auteurs complets qui arrivent à s'oublier ou plutôt à se rencontrer pour raconter une histoire superbe, à la fois drôle et touchante, merveilleuse et très proche de la vie, historique et contemporaine.

Comme dans le premier album de ce récit, le petit garçon Gamaliel est au centre de l'histoire. Il l'est d'autant plus que c'est à lui, cette fois, que se présente le premier homme du monde, celui que les autres ne peuvent pas voir et qui parle aux serpents. La mythologie rejoint le fantastique et le merveilleux n'est jamais loin de la religion. Tout cela forme une toile érudite mais jamais ennuyeuse, une toile dans laquelle les personnages de Sfar semblent pris corps et âme. Le petit garçon juif et son nouveau « mentor », Josué, un zélote plutôt acharné, entreprennent un étrange parcours initiatique qui, comme souvent chez Joann Sfar, mêle aventure et philosophie. La rencontre d'une communauté de Juifs plutôt contemplatifs dans une oasis va permettre de très belles confrontations entre les deux types de pensée. Le prophète Yeshayahou (Lewis Trondheim croqué plus vrai que nature !) oppose sa sagesse presque intuitive à l'intolérance doctrinale de Josué. Les textes sont d'une tenue magistrale et Joann Sfar aborde à travers eux quelques-uns des thèmes les plus brûlants aujourd'hui encore, 2000 ans plus tard, dans ce Proche Orient déchiré.
Quant au dessin de Guibert, il privilégie comme toujours une mise en scène à la fois transparente et brillante. Croquant quelques-uns de ses amis dans chaque album, Guibert ne cède pour autant ni à la facilité ni à la caricature. Au contraire, à côté des textes aux consonances très contemporaines volontairement mis dans la bouche de certains protagonistes par Joann Sfar, son dessin amène ce qu'il faut de modernité pour sortir ces personnages historiques du moule précieux de « pièces de musée ». Contemporains jusqu'à la moelle, et donc vibrants, touchants, bouleversants parfois, ses personnages évoluent dans un décor d'une magistrale simplicité. La scène de nuit en silhouette sur fond de voie lactée est une vraie leçon de dessin. Elle dure quatre pages. Elle pourrait en faire le triple, chaque case est un bijou.
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